En la cause de Monsieur A., demeurant X1à MONACO ;
Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe X2à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
Visa
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 22 octobre 2018, reçue le 24 octobre 2018 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 46-2018/2019 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 11 décembre 2018 ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Monsieur A. en date des 11 juillet 2019, 8 juillet 2020 reçues le 9 juillet 2020 et 7 avril 2021 ;
Vu les conclusions de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de la S.A.M. B. en date des 13 décembre 2019 reçues le 16 décembre 2019, 27 octobre 2020 et 8 juillet 2021 ;
Après avoir entendu Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur A. et Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour la S.A.M. B. en leurs plaidoiries à l'audience du 3 février 2022 ;
Vu les pièces du dossier ;
Motifs
Monsieur A. a été embauché le 20 avril 1985 par le C. devenu B. en qualité de Coursier. Évoluant successivement il occupait en dernier lieu les fonctions de Banquier Conseil au sein de l'agence des Moulins depuis février 2017. Le 8 juin 2018 il était licencié pour faute simple.
Par requête du 22 octobre 2018 il a introduit une procédure à l'encontre de la société anonyme monégasque B. Ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation du 10 décembre 2018 il sollicitait du Tribunal du travail 350.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement non valable et abusif et mauvaises conditions de travail avec intérêts de droit et l'exécution provisoire de la décision.
Par conclusions des 11 juillet 2019, 9 juillet 2020 et 7 avril 2021 il sollicite la régularisation de la documentation idoine. Il s'oppose par ailleurs à la demande de bâtonnement adverse au motif qu'aucun des paragraphes visés n'étant diffamatoires. Il fait valoir pour l'essentiel que :
* - le 20 avril 2018 Monsieur A. était convoqué par sa Direction,
* - après lui avoir fait écouter des bandes sonores de 2015 et 2016, le Directeur Commercial et le Directeur des Ressources Humaines lui reprochent d'avoir favorisé les intérêts de son épouse,
* - lors de cet entretien il n'était assisté ni par un membre de l'entreprise, ni par un délégué du personnel,
* - ces deux directeurs ont fait pression sur lui et ont tenté de l'intimider,
* - il lui était alors proposé une démission ou un licenciement pour faute grave, ayant même pré-rédigé une lettre de démission,
* - refusant de démissionner il se voyait mis à pied à titre conservatoire sur-le-champ, qu'il refusait de prendre et qui lui était alors adressée par L.R.A.R.,
* - afin de l'humilier d'avantage, la Direction organisait un autre rendez-vous, en présence d'un Huissier de Justice et en prenant le soin de laisser les portes ouvertes afin que tous les Collaborateurs assistent la scène, pour que Monsieur A. récupère ses effets personnels,
* - le 5 juin 2018 un Conseil de Discipline était réuni par l'employeur qui envisageait le licenciement pour faute grave,
* - deux votes s'exprimaient en faveur de la sanction envisagée et deux votes contre,
* - il était alors licencié pour faute simple par lettre recommandée du 8 juin,
* - un même fait ne peut être sanctionné deux fois,
* - la mise à pied conservatoire peut être prise en cas de faute grave aux termes de l'article 44 du Règlement Intérieur du B.
* - or, dans la lettre de révocation du 8 juin 2018 la mise à pied de Monsieur A. a été prolongée jusqu'au terme du préavis,
* - l'employeur a donc donné la primeur à cette sanction initiale au détriment de la révocation,
* - la mesure conservatoire initiale étant devenue une sanction autonome, il ne pouvait être prononcé postérieurement une révocation sans violer le principe Non Bis In Idem,
* - les griefs reprochés à Monsieur A. ont été artificiellement construits et accumulés pour se séparer à moindre coût d'anciens Collaborateurs aux salaires élevés et ne correspondant plus aux attentes nouvelles de la banque,
* - la carrière de Monsieur A. a toujours été irréprochable,
* - un simple manquement professionnel ne constitue pas en soi une faute,
* - par ailleurs, afin de justifier la sanction disciplinaire la plus lourde, la faute doit revêtir un certain degré de gravité,
* - Monsieur A. comptait, parmi son portefeuille clientèle, depuis 2006, une cliente Directrice de société, Madame D.
* - Madame D. a engagé le 16 novembre 2008, Madame E. en qualité d'Assistante Personnelle,
* - en 2009, Madame D. demandait la mise en place d'une procuration sur son compte « ménage » au profit de Madame E. afin de lui permettre de réaliser toutes les opérations courantes à l'exception des crédits,
* - Madame E. se voyait ultérieurement confier une procuration sur le compte « investissement », lorsque plus aucun investissement n'était en cours et que le solde était débiteur,
* - conscient du conflit d'intérêt potentiel, Monsieur A. a soumis à approbation la mise en place de procurations au bénéfice de son épouse au service « Inspection Générale de déontologie »,
* - l'autorisation était accordée sans difficulté ni assortie d'aucune prescription particulière,
* - le B. a laissé perdurer ce fonctionnement pendant près de dix ans,
* - suite à l'arrivée d'une nouvelle Directrice d'agence en 2016, l'Inspection Générale préconisait qu'il soit statué sur le maintien de ces comptes dans le fonds de commerce de Monsieur A. afin de prévenir tout risque de conflit d'intérêts,
* - les 14 septembre et 30 octobre 2016 les deux comptes étaient basculés sous le suivi du Responsable de Pôle,
* - Monsieur A. avait informé la cliente dès le 13 septembre,
* - il a toutefois continué à assurer le suivi des comptes de Madame D. avec le consentement de l'ensemble de sa hiérarchie,
* - en effet, seule la Direction avait la main pour programmer les droits et habilitations de chacun,
* - Monsieur A. rendait ensuite compte très régulièrement à sa Directrice d'agence, consignait tout dans le système informatique et avisait toute la chaîne hiérarchique,
* - la lecture du dossier remis au Conseil de Discipline, Monsieur A. découvrait que les deux comptes avaient temporairement été rétablis sous son suivi durant une période de quatre semaines lors de son changement d'agence en février 2017, et la situation aurait été rétablie dès le 8 mars 2017,
* - Monsieur A. n'a jamais eu connaissance de cette erreur puisqu'en pratique il demeurait en contact étroit avec cette cliente compte tenu de l'ancienneté de leur relation,
* - en l'absence de la moindre instruction formelle contraire de la part de la hiérarchie, le B.ne saurait prétendre que le maintien des contacts avec Madame D. constituerait une faute susceptible de conduire au licenciement, ce d'autant que cette relation était avalisée par la Direction,
* - les assertions du B. relatifs à un favoritisme de son épouse au détriment de la cliente sont calomnieuses,
* - aucune malversation ni enrichissement n'ont été révélés, et les flux versés à Madame E. ont été considérés comme économiquement justifiés par l'Inspection Générale,
* - si la fréquence de versement des salaires a pu être irrégulière à compter de l'année 2016 c'était lié aux difficultés financières de Madame D. bien connues et d'ailleurs tolérées de la hiérarchie qui les espéraient transitoires,
* - il n'a divulgué à son épouse aucune information tirée de l'exercice de ses fonctions,
* - lors de la conversation du 3 octobre 2016, lorsque son épouse lui fait part de ses inquiétudes quant à la capacité de Madame D. à continuer à lui verser son salaire, Monsieur A. lui fait état d'une conversation qu'il a eue à titre privé lors d'une rencontre fortuite avec le Conseiller Juridique de Madame D. une relation personnelle antérieure,
* - le fait que ce Conseiller soit un ex-Collaborateur de la banque ne confère pas un caractère interne et confidentiel aux propos échangés en dehors des heures de travail et dans un cadre purement privé,
* - il ne peut être fait grief à Monsieur A. d'avoir demandé à son épouse de venir récupérer les documents de la banque restante alors qu'elle était habilitée à le faire et bénéficiait des procurations requises sur les comptes concernés,
* - par ailleurs, contrairement à ce que la banque prétend, Madame D. recevait une fois par semaine par courriel ses relevés de comptes adressés par Madame E.
* - c'est donc bien sur instructions de Madame D. que la version papier des comptes a été détruite,
* - il en était de même pour la clef banking que Madame D. avait confiée à Madame E.
* - sous-couvert de fautes reprochées à Monsieur A. la banque porte une appréciation sur la relation de travail et les missions confiées par Madame D. à Madame E.et ce alors que la cliente ne s'est jamais plainte de rien,
* - la violation de la procédure D12.01 « le contre appel de vérification vers un numéro de téléphone présent dans le dossier » n'est pas caractérisée puisque la directive n'avait vocation à s'appliquer qu'à compter du 17 avril 2018,
* - cette directive a d'ailleurs été éditée après l'audit de l'Inspection Générale et a été adaptée pour les besoins de la cause,
* - la Direction qualifiait elle-même d'anodin cet événement lors du Conseil de Discipline,
* - surtout, le contre appel a été effectué vers un numéro non enregistré dans la base client car lors de la migration des informations vers la nouvelle base, les informations de Madame D.n'avaient pas encore été mises à jour,
* - enfin, la procédure de contre appel vise le montant excédant 15.000 euros et exclut les paiements de salaires, or, il s'agissait d'un paiement de 14.000 euros à titre de solde de tout compte,
* - la banque reproche à Monsieur A. d'avoir dissimulé des informations relatives à la nationalité et la résidence fiscale de la cliente alors que depuis 2016 ce compte était affecté à un autre gestionnaire, qui était destinataire de toutes les informations et opérations relatives à la cliente,
* - par ailleurs, le système était mal paramétré et aucune alerte n'est ressortie sur cette cliente avant l'année 2019,
* - la carte de séjour de la cliente n'a absolument pas expiré le 3 août 2015, une nouvelle carte expirant le 3 août 2016 ayant été transmise, mais la banque ne l'a pas enregistrée dans le système,
* - les autorités monégasques avaient ensuite accordé à Madame D. un délai pour régulariser sa situation, la banque ayant même accepté de lui délivrer une attestation bancaire de ce qu'elle disposait de moyens financiers pour vivre en Principauté alors qu'elle ne disposait plus de la moindre trésorerie,
* - dans les mois suivants, les échanges de mails démontrent que la banque avait connaissance de la situation administrative de l'intéressée,
* - concernant sa nationalité, Madame D. avait renoncé à sa nationalité française depuis plusieurs années et avait discuté de cette problématique avec des Responsables de la banque,
* - défaut de pouvoir démontrer la moindre faute, le B. contrefait la réalité et dévoie les conversations téléphoniques en tronquant les phrases,
* - la composition du Conseil de Discipline est attentatoire aux droits de la défense puisqu'il était présidé par l'auteur de la sanction disciplinaire et composé de Membres élus représentant des salariés tenus par un lien de subordination avec l'employeur leur ôtant toute liberté et impartialité,
* - la Commission Paritaire de l'AMAF était composée de deux membres présentant des liens d'intérêts avec le B. qui auraient dû se récuser,
* - la violation des garanties fondamentales du procès équitable par la tenue irrégulière de ces deux instances disciplinaires caractérise un abus manifeste dans la prise de décision de licencier,
* - la procédure de licenciement est fondée sur l'utilisation des enregistrements des conversations téléphoniques des Collaborateurs du B.; or, ces enregistrements n'ont pas fait l'objet d'une déclaration la CCIN ce qui vicie son utilisation,
* - par ailleurs, aux termes de l'article 30 du Règlement Intérieur, l'utilisation et la divulgation de ces enregistrements ne peut avoir lieu pour des raisons graves ; or, une procédure disciplinaire à l'encontre d'un salarié n'entre pas dans le champ des raisons graves,
* - en outre, ces enregistrements doivent être écoutés en présence du salarié concerné, le cas échéant assisté d'un Délégué du Personnel ; or, le B. les a nécessairement écoutés avant de les soumettre à Monsieur A.
* - en organisant une mascarade de procédure disciplinaire le B. a commis une faute importante,
* - Monsieur A. a subi un très grave préjudice tant sur le plan professionnel et financier que moral,
* - sa vie personnelle a été fouillée et il a été calomnié, le B. continuant à insinuer qu'il ait pu réaliser des malversations alors que l'Inspection Générale l'a exclu,
* - il a été marqué du sceau de l'infamie dans le milieu bancaire, le privant de toute possibilité de retrouver un emploi.
Par conclusions des 16 décembre 2019, 27 octobre 2020 et 8 juillet 2021, la S.A.M. B. sollicite le bâtonnement de deux paragraphes des écritures adverses, l'irrecevabilité de la demande tendant à voir le licenciement jugé comme dépourvu de motif valable en vertu du principe « non bis in idem » et le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur A.
Il soutient pour l'essentiel que :
* - à l'automne 2016 la banque avait identifié une situation de nature à générer un risque de conflit d'intérêts consistant dans le fait que les comptes de Madame D. étaient dans le fonds de commerce de Monsieur A. alors que son épouse était sa Collaboratrice depuis 2008,
* - suite à une recommandation de l'Inspection Générale les comptes étaient alors placés sous le suivi de Monsieur F.
* - durant le premier trimestre 2018 l'Inspection Générale avait diligenté une mission sur la banque restante et établi un rapport relatif à la situation de Monsieur A. qui, nonobstant le conflit d'intérêts identifié, avait conservé le suivi opérationnel des comptes de Madame D.
* - il était alors reproché à Monsieur A. d'avoir privilégié les intérêts de son épouse et de ne pas avoir mis jour la résidence fiscale de la cliente dans les systèmes de la banque,
* - après avoir reçu Monsieur A. le 20 avril 2018 et lui avoir fait écouter les conversations mettant en évidence ses manquements, la banque l'informait qu'il était mis à pied dans l'attente de la réunion du Conseil de Discipline,
* - aucune pression n'a été réalisée pour qu'il démissionne,
* - d'ailleurs, Monsieur A. ne s'est aucunement ému du déroulé de cet entretien, avant sa lettre du 11 mai, répondant à la convocation au Conseil de Discipline, et dans lequel il portait alors des accusations affabulatoires,
* - le 5 juin 2018 le Conseil de Discipline décidait à l'unanimité d'une révocation pour faute simple avec préavis,
* - saisie par Monsieur A. la Commission Paritaire se partageait à deux voix contre deux quant à la sanction prise par la banque,
* - le 19 juillet 2018 le B. informait Monsieur A. qu'elle maintenait sa décision et lui précisait que son préavis, qu'il était dispensé d'exécuter, s'achèverait le 8 septembre 2018,
* - la demande aux fins de voir déclarer le motif du licenciement non valable en application du principe « non bis in idem » et de l'impossibilité de sanctionner un même fait deux fois est irrecevable,
* - il s'agit d'une demande nouvelle, reposant sur un fondement distinct, non soumise au préalable de conciliation,
* - subsidiairement, cette demande est infondée,
* - la mise à pied n'est pas une sanction disciplinaire aux termes de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques,
* - la mise à pied est une mesure conservatoire qui vise, par mesure de précaution, à écarter un salarié de l'entreprise dans l'attente d'une décision concernant la sanction,
* - la mise à pied n'étant pas une sanction, l'argumentaire de la partie adverse relatif à une double sanction est inopérant,
* - d'ailleurs l'article 44 du Règlement Intérieur ne réserve pas la mise à pied à la seule faute grave, mais toute faute,
* - Monsieur A. sur-interprète les termes de la lettre de révocation alors que la banque a simplement entendu le dispenser de l'exécution de son préavis,
* - cette dispense de préavis, rémunérée, ne constitue pas non plus une quelconque sanction,
* - le licenciement est fondé sur un motif valable puisque des manquements délibérés et répétés aux Règles Internes applicables ont été établis,
* - lors d'une conversation il a été démontré que Monsieur A. avait exécuté des ordres alors qu'il ne disposait pas de l'instruction originale, qui avait peut-être été donnée sur le téléphone portable alors que des appels sur les fixes étaient exigés,
* - il est apparu que Monsieur A .avait continué à gérer les deux comptes de Madame D. en violation des décisions de la Direction Clientèle et en passant outre les risques de conflit d'intérêts et de fraude,
* - si l'analyse des flux financiers entre les comptes de Madame D. et ceux des époux A. et E. n'a pas révélé qu'ils étaient injustifiés, ils étaient irréguliers et il ne peut être exclu que certaines dépenses effectuées sur les comptes de la cliente aient pu concerner les intérêts économiques du couple A. et E.
* - par ailleurs, la procédure de contre-appel sur un numéro enregistré dans le dossier n'a pas été respectée, peu importe que la cliente ait confirmé ultérieurement avoir passé l'ordre,
* - l'Inspection Générale a découvert que Madame D. n'avait pas accès à sa clef e-banking mais qu'elle était utilisée par le même appareil que celui de Monsieur A. pour consulter avec sa propre clef ses comptes,
* - l'Inspection Générale a alors procédé aux écoutes téléphoniques et a découvert lors d'une conversation téléphonique du 12 octobre 2016 que les informations bancaires étaient dissimulées à Madame D. puisque Madame E. faisait détruire les relevés conservés en banque restante,
* - en ne veillant pas à ce que sa cliente conserve le contrôle effectif de ses comptes Monsieur A. a commis une faute,
* - surtout, Monsieur A. ne rapporte pas la preuve de ce que sa cliente a eu accès à l'ensemble de la documentation et que son épouse était autorisée par son employeur à détruire les relevés bancaires,
* - en violant délibérément les règles internes Monsieur A. a fait courir un risque élevé à la banque,
* - en outre, Monsieur A. a dissimulé à la banque le fait que la cliente ne demeurait plus en Principauté et était devenue résidente fiscale française, et a maintenu de fausses informations dans le système de renseignement du B.
* - cette absence de mise à jour permettait à la cliente de continuer à bénéficier d'avantages fiscaux liés à sa résidence monégasque mais surtout à son épouse de continuer à percevoir des prestations de la C.C.S.S. dans l'illégalité pour partie d'entre elles,
* - il a également dissimulé le fait que Madame D. était de nationalité française et a pu rendre le B. complice d'une fraude fiscale,
* - les accusations de Monsieur A. sur le fait que la banque aurait délivré des informations erronées sur la réalité des moyens de la cliente sont mensongères mais portent une grave atteinte à l'honneur et à la réputation du B. et doivent être bâtonnées,
* - les conversations téléphoniques entre Monsieur A. et son épouse démontrent par leurs propos, mais également leurs tons et intonations, qu'il n'agissait pas en toute transparence et dans les limites de ses fonctions,
* - il s'est emparé d'informations relatives au divorce et à la situation financière de sa cliente pour définir avec son épouse une stratégie pour obtenir son licenciement et son paiement,
* - le 12 octobre 2016 ils se sont mis d'accord pour différer un paiement EDF afin de permettre à son épouse de percevoir son solde de tout compte,
* - de même le 20 avril 2017 ils jonglent sur les virements pour pouvoir la payer, alors qu'il est interdit à tout collaborateur de donner la moindre indication à la clientèle concernant les modalités de contrôle mis en place par la banque,
* - alors que certains organismes ne sont pas payés, les salaires de Madame E. le sont, Monsieur A. utilisant des informations collectées dans le cadre de ses fonctions pour permettre des opérations profitant à son épouse,
* - le fait que Madame D. soutienne Monsieur A. ne fait pas disparaître ses fautes, le risque généré pour le B. ayant été avéré ainsi que la violation des règles déontologiques,
* - contrairement à ce qu'il affirme Monsieur A. n'avait jamais obtenu d'autorisation de gestion des comptes de Madame D.
* - si les règles étaient moins strictes avant 2015, lorsque l'Inspection Générale a identifié le dysfonctionnement elle a immédiatement émis une recommandation qui a été mise en œuvre,
* - le fait que la Directrice de l'agence et son supérieur hiérarchique aient pu selon lui cautionner son comportement n'enlève rien à son caractère fautif,
* - malgré la recommandation et le fait que le compte soit géré officiellement par un autre salarié, Monsieur A. a continué à gérer le compte comme si de rien n'était et a neutralisé le contrôle du gestionnaire officiel,
* - quasiment aucun des e-mails de Monsieur A. avec sa cliente n'ont été copiés à sa hiérarchie,
* - quant à la « problématique de la résidence » il n'en a avisé sa hiérarchie directe que début 2018, soit des mois après sa révélation, et elle l'a mise face à ses responsabilités en l'autorisant à discuter avec la cliente afin qu'il endosse la responsabilité de ses erreurs,
* - l'usage des enregistrements téléphoniques est parfaitement loyal ; il découle d'une obligation légale et fait l'objet d'une réglementation interne connue des employés,
* - les droits de Monsieur A. ont été respectés dans la mise en œuvre de la mesure de licenciement,
* - les organes disciplinaires conventionnels n'ont aucun caractère juridictionnel,
* - la composition du Conseil de Discipline est édictée par la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques,
* - Monsieur A. assisté de son Avocat, n'a nullement contesté la composition du Conseil,
* - la Convention Collective n'interdit ni au Directeur Général, ni au Directeur des Ressources Humaines de siéger à la Commission de Discipline,
* - concernant le Directeur des Ressources Humaines, s'il a mené la procédure disciplinaire c'était ès-qualité et aucunement in personae,
* - en arguant de ce que les salariés seraient tenus d'entériner la décision de la Direction parce qu'ils disposent d'un lien de subordination revient à remettre en cause une institution conventionnelle fonctionnant depuis des années et tenir un ton de défiance inapproprié à l'égard des élus salariés,
* - par ailleurs, la composition de la Commission Paritaire de l'AMAF est parfaitement conforme aux dispositions de la Convention Collective, et Monsieur A. toujours assisté de son Conseil, ne l'a nullement discuté,
* - si la remise des effets de Monsieur A. a bien été faite sous le contrôle d'un Huissier, ce n'était pas dans un but vexatoire mais afin de protéger les intérêts de la banque,
* - par ailleurs, seuls étaient présents le Directeur et le Responsable de l'agence,
* - la banque a fait preuve de mesure dans la mise en œuvre du licenciement, choisissant le terrain de la faute simple afin de ne pas priver Monsieur A.de ses indemnités,
* - elle n'a fait aucune publicité de cette sanction et ne l'a pas annoncé aux membres du personnel,
* - Monsieur A.ne démontre pas le préjudice qu'il subirait, s'abstenant de communiquer tout élément relatif à ses droits auprès de Pôle Emploi et à sa reconversion comme taxi.
SUR CE,
Sur le bâtonnement
Aux termes de l'article 23 de la loi n° 1.047 du 28 juillet 1982 sur l'exercice des professions d'avocat-défenseur et d'avocat, la juridiction saisie de la cause peut ordonner la suppression des écrits injurieux ou diffamatoires.
En l'espèce, les paragraphes « Le B. le savait pertinemment puisqu'elle avait délivré l'attestation bancaire pour attester que Madame D. disposait des moyens financiers pour vivre en Principauté. La banque avait même accepté de délivrer cette attestation, alors qu'à cette époque les comptes bancaires de l'intéressé ne disposaient plus de la moindre trésorerie, ce qui témoigne bien de la bienveillance générale dont cette cliente a disposé au sein de l'établissement » sont développés par Monsieur A.au soutien de sa position selon laquelle il n'avait pas dissimulé la situation personnelle de sa cliente à la banque. Ces passages ont un intérêt pour la solution du litige. Ils ne sont ni injurieux, ni outrageants, et ne comportent pas d'imputations diffamatoires.
De même, le paragraphe « La prétendue découverte du maintien de la gestion des comptes de Madame D. la soi-disant ignorance de la problématique de sa résidence, les mensonges réitérés sur la procédure du concluant sont le reflet des canons de l'éthique de B. » ne porte pas atteinte à l'honneur de la défenderesse et n'excède pas la liberté d'expression nécessaire au déroulement des débats judiciaires.
La demande de bâtonnement sera dès lors rejetée.
Sur la procédure de licenciement
Monsieur A. considère avoir été victime d'une double sanction, la mise à pied ayant perduré suite à son licenciement et ayant dès lors été instituée par l'employeur en une sanction autonome.
Le 20 avril 2018, Monsieur A. s'est vu notifier une mise à pied conservatoire en ces termes « Nous avons le regret de vous notifier par la présente une mise à pied conservatoire avec maintien de salaire à compter de ce jour pour les faits suivants : conflit d'intérêts, violation des procédures, dissimulation d'informations susceptibles de mettre en risque la banque concernant ses obligations déclaratives, non-respect de vos obligations d'agir dans le strict respect des intérêts de notre clientèle (...). Nous vous informons en conséquence qu'une procédure de réunion du Conseil de discipline de la Banque est initiée (...) ».
Par lettre du 8 juin 2018 Monsieur A. s'est vu notifier sa révocation pour faute. L'employeur indiquait alors
« Votre préavis prendra effet le lendemain de la première présentation de la présente pour une durée de trois mois, au terme desquels vous cesserez de faire partie de nos effectifs. Votre mise à pied reste en vigueur jusqu'au terme de votre préavis, sans préjudice de votre rémunération » .
La mise à pied ordonnée le 20 avril 2018 n'est pas, contrairement à ce qui est affirmé, une sanction disciplinaire. En effet, aux termes de l'article 42 du Règlement Intérieur de la banque, les sanctions disciplinaires sont :
- l'avertissement écrit,
- le blâme avec inscription au dossier,
- la réduction ou suppression provisoire des points de bonification personnels,
- la rétrogradation,
- la révocation.
La mise à pied n'est dès lors pas une sanction disciplinaire.
L'article 44 du Règlement Intérieur réglemente la mise à pied, qui peut être ordonnée en cas de faute grave. Il ne s'agit pas d'une sanction disciplinaire, mais d'une mesure conservatoire, destinée à préserver les intérêts de la banque, et n'ayant aucune incidence sur la carrière du salarié. Elle ne dispense d'ailleurs pas l'employeur des obligations relatives à la procédure disciplinaire prévue par la Convention Collective du Personnel des Banques.
Dès lors qu'aucune sanction n'avait été ordonnée préalablement au Conseil de Discipline, l'employeur avait conservé le pouvoir de sanctionner Monsieur A. pour les fautes identifiées.
Il est néanmoins vrai que la formulation de la lettre de licenciement est maladroite puisque l'employeur, qui a en réalité souhaité dispenser son salarié de l'exécution de son préavis, en conservant sa rémunération tel que la loi le lui impose, a utilisé à tort le terme de mise à pied. Si cela ne peut invalider le licenciement, il conviendra d'en apprécier la portée dans la mise en œuvre de la procédure de licenciement.
Monsieur A. considère que l'utilisation de l'enregistrement de ses conversations téléphoniques est illégale et ne peut dès lors être produit comme moyen de preuve au soutien de fautes dans le cadre de son licenciement.
D'une part, au motif que le dispositif d'enregistrement n'a pas fait l'objet d'une déclaration à l'autorité compétente tel que la loi le prévoit. Outre le fait qu'il ne démontre pas que les obligations déclaratives n'auraient pas été respectées par l'employeur, cela ne rend pas illicite la production en justice de conversations dont le salarié ne peut ignorer qu'elles sont enregistrées et conservées par le système informatique de la banque.
En effet, Monsieur A. a, le 20 octobre 2000, accusé réception de la note de la banque relative à l'enregistrement des communications téléphoniques stipulant « ce dispositif enregistre toutes les communications (entrées et sorties) de votre poste de travail, à la fois sur les lignes intérieures et extérieures ».
Ce dispositif est d'ailleurs rappelé dans le Règlement Intérieur en son article 30 qui rappelle que « Pour des raisons de sécurité des transactions et généralement des relations téléphoniques avec les clients, notamment dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, le personnel de la Banque est également informé que la totalité des conversations téléphoniques émises de leur poste vers l'extérieur et les appels venant de l'extérieur seront intégralement enregistrés ».
D'autre part, au motif que la procédure d'écoute desdits enregistrements n'aurait pas été respectée.
L'article 30 du Règlement Intérieur stipule que « Ces enregistrements ne peuvent être utilisés par la Banque, sauf si leur contenu doit être divulgué pour des raisons graves et après écoute des conversations téléphoniques en présence des salariés concernés ». Monsieur A. soutient, qu'en ayant procédé à l'écoute des conversations nécessairement préalablement sans sa présence, la banque a violé le règlement intérieur. Or, c'est l'utilisation qui est réglementée par ledit article 30.
L'écoute l'est quant à elle par la note de la banque du 19 octobre 2000, signée par Monsieur A. comme rappelé ci-dessus. Cette note stipule que « la lecture des conversations enregistrées ainsi que leur utilisation ne se justifieront, bien entendu, que dans le cas de litige ou de doute sur une transaction. Cette lecture sera obligatoirement à l'initiative de l'agent responsable de la prise d'ordre direct ou de la Direction générale, et en présence d'un Représentant de l'Inspection Générale ».
En l'espèce, dans le cadre des vérifications entreprises par l'Inspection Générale relatives aux doutes quant aux transactions opérées par Monsieur A. sur les comptes de Madame D. la Direction Générale a fait procéder à la lecture des conversations. Elle a dès lors respecté les préconisations de la note de service acceptée par le salarié.
Puis, avant d'utiliser ces enregistrements auprès du Conseil de Discipline, puis du Tribunal du travail, la banque a, le 20 avril 2018, écouté ces conversations en présence du salarié concerné. La banque a ainsi respecté les préconisations de l'article 30 du Règlement Intérieur.
Aucune irrégularité n'entache l'utilisation des conversations téléphoniques qui sont un moyen de preuve recevable dans le cadre de la procédure de licenciement et de la présente instance.
Monsieur A. conteste la composition du Conseil de Discipline et de la Commission Paritaire, qui ne répondraient pas aux exigences d'impartialité édictées par les principes fondamentaux applicables à tous procès.
S'il est vrai que les procédures conventionnelles donnant droit aux salariés à des garanties supplémentaires doivent être respectées, il n'en demeure pas moins que leur esprit ne doit pas en être dénaturé.
L'exigence de réunion d'un Conseil de Discipline et la possibilité d'un recours devant une Commission Paritaire offrent au salarié personnel de banque sous le coup d'une procédure disciplinaire des garanties supplémentaires destinées à lui permettre de défendre sa cause devant un panel plus important que le seul employeur.
Ces avantages ne constituent en revanche aucunement un, voire deux, degrés de juridictions supplémentaires. Dès lors, les exigences de Monsieur A. quant à la composition du Conseil de Discipline qui, à le comprendre, ne devrait pas comporter de personnes ayant un lien de subordination avec l'employeur, ni être constitué de membres de la Direction pouvant être décisionnaires d'un licenciement, sont parfaitement infondées. Les garanties d'indépendance et d'impartialité attachées au procès équitable ne sont applicables qu'au procès et pas à une procédure conventionnelle de règlement des litiges entre particuliers.
Il peut d'ailleurs être noté, qu'alors qu'en application de l'article 27 de la Convention Collective des Personnels de Banques, si les voix du Conseil de Discipline sont partagées, l'employeur peut demander l'avis de la Commission Paritaire, les représentants de la Direction qui souhaitaient prononcer une révocation pour faute grave se sont rangés à l'avis des représentants des salariés en optant pour une faute simple, preuve de la liberté de parole et de décision de ces salariés malgré leur lien de subordination.
Il en va de même pour les mêmes raisons de la composition de la Commission Paritaire, pour laquelle la Convention Collective des Personnels de Banque a souhaité prévoir que lorsqu'elle donne un avis sur les décisions du Conseil de Discipline, les personnes appartenant à la Banque en cause ne peuvent prendre part aux délibérations, seule limite d'impartialité posée.
Monsieur A. ayant bénéficié des garanties offertes par des stipulations conventionnelles plus favorables que la loi, aucune irrégularité n'entache sa procédure de licenciement.
Sur le motif du licenciement
Afin d'apprécier si le motif du licenciement est valable il convient de déterminer si les fautes aux motifs précisés dans le procès-verbal du Conseil de Discipline, tel qu'énoncé dans la lettre de licenciement, sont constituées. La lettre de licenciement faisant état de la décision du Conseil de Discipline, il convient de s'y référer. Il convient également de se référer au mémo établi le 5 avril 2018 par l'Inspection Générale, communiqué au Conseil de Discipline et à Monsieur A. développant les fautes identifiées.
La Direction du B. reproche à Monsieur A. des « violation du code de déontologie de la Banque, des procédures D57.20 sur les conflits d'intérêts, D12.01 relative à l'acceptation et l'exécution des instructions des clients et D57.19 concernant les droits et devoirs de collaborateurs, ce qui a notamment eu pour conséquence de n'avoir pas permis à la Banque de remplir ses obligations en matière fiscale et d'information à la clientèle » .
La lecture des différents échanges ayant eu lieu pendant le Conseil de Discipline permet de retenir les reproches suivants :
* - Monsieur A. s'est maintenu dans une situation de conflit d'intérêts malgré le transfert du suivi clientèle dès le 30 novembre 2016,
* - Monsieur A. a tenté de privilégier les intérêts de son épouse,
* - Il lui a communiqué des informations personnelles sur la cliente,
* - La banque restante de la cliente a été détruite sur initiative de Monsieur A.
* - la clef de e-banking est enregistrée dans les systèmes de la Banque comme ayant été délivrée à Madame D. alors qu'elle est en possession de Monsieur A.
* - un contre-appel n'a pas été passé sur le numéro de téléphone enregistré dans le système de la Banque,
* - Monsieur A. n'a pas mis à jour les informations relatives à la résidence fiscale d'une cliente.
Le risque de conflit d'intérêts
Sur le conflit d'intérêts, l'Inspection Générale avait, en 2016, identifié « un risque de fraude et de conflit d'intérêts », tenant au fait que l'épouse du salarié était l'Assistante Personnelle de la cliente, notamment en charge de la gestion de ses comptes, et recommandé « au Directeur du Département de la Clientèle, en lien avec la Direction de la Compliance, de statuer sur le maintien des intervenants n° 0120579 et n° 0120276 dans le fonds de commerce de Monsieur A. afin de prévenir tout risque de conflit d'intérêts tel que défini dans la directive D.57.20 » . La recommandation avait été mise en œuvre le 30 novembre 2016 par la bascule des deux racines de comptes sous le suivi de Monsieur F. Responsable du Pôle BP2.
Or, l'Inspection Générale a pu relever que Monsieur A. avait continué à échanger à plusieurs reprises et assurer opérationnellement le suivi des comptes en identifiant vingt-huit échanges téléphoniques, trois saisies de fiches téléphoniques, quatre mémos de visites et douze instructions de rejet d'opérations. Ce maintien du suivi du compte avait été rendu possible par le fait que les comptes relevaient du fonds de commerce de BP2, pour lequel Monsieur A. disposait d'un accès.
Monsieur A. se défend en indiquant qu'il bénéficiait de l'aval de sa hiérarchie pour maintenir le suivi de la cliente.
Il produit en ce sens un certain nombre d'emails échangés avec la cliente dans lesquels sa hiérarchie était en copie (12 ; pièces nos 33 à 39, nos 43-15, 43-18, 43-19, 43-21, 43-23). Particulièrement un e-mail du 13 septembre 2016, avec Monsieur F. en copie, par lequel il informe Madame D. du changement du suivi des comptes en ces termes « le suivi de vos comptes bancaires ouverts en nos livres sera dorénavant assuré par Monsieur F. (...). La raison de ce transfert est purement déontologique car, mon épouse Nancy étant votre assistante et bénéficiant d'une procuration sur chacun des comptes il y a conflit d'intérêts avec ma personne, néanmoins je reste votre interlocuteur privilégié et rien ne changera dans le fonctionnement quotidien de vos comptes. ». En revanche, dix-huit autres mails, ne seront pas soumis à l'information de sa hiérarchie. L'analyse comparative des mails avec ou sans copie ne démontre pas que Monsieur A. ait dissimulé le fait qu'il poursuivait le suivi des comptes de Madame D.
S'il est indéniable que le risque de conflit d'intérêts était bien avéré, un salarié ne pouvant gérer un compte lorsque, d'une part, son épouse y effectue des mouvements par le biais d'une procuration et, d'autre part, bénéficie du versement de ses salaires par ce biais, il n'en demeure pas moins que la banque a permis cette situation. En effet, alertée sur ce risque de conflit d'intérêts, elle a remédié à la situation par le basculement des comptes sous le suivi d'un autre salarié en le maintenant toutefois dans le fonds de commerce auquel Monsieur A. avait accès. Surtout, les responsables ont été informés de la situation, pendant l'année et demie au cours de laquelle Monsieur A. a continué sa gestion, sans émettre la moindre protestation. Concernant la responsabilité de ces responsables, si le sort disciplinaire que la banque a entendu leur réserver n'a effectivement pas d'incidence sur les fautes reprochées à Monsieur A. en revanche leur aval de son comportement est un élément déterminant dans la recherche de l'imputabilité des fautes.
En ayant accepté le risque inhérent au maintien de Monsieur A. en qualité « d'interlocuteur privilégié » de Madame D. la banque ne peut s'en prévaloir au soutien du licenciement.
La réalité du conflit d'intérêts
Aux termes de la directive D.57.20 du 1er octobre 2015 il est interdit aux Collaborateurs « d'utiliser à des fins personnelles des informations confidentielles et/ou privilégiées dont ils auraient eu connaissance dans le cadre de l'exercice de leur fonction ».
À l'occasion d'une conversation du 3 mars 2016, Monsieur A. a conseillé à son épouse de prendre des précautions concernant son emploi compte-tenu des difficultés personnelles de la cliente. Il ressort clairement de cette discussion que cette initiative de Monsieur A. faisait suite à une conversation avec un tiers, identifié comme Monsieur G. Le fait que Monsieur G. soit un ancien salarié du B. n'est pas un élément déterminant puisqu'il a évoqué des difficultés récentes de Madame D. à Monsieur A.et non des informations professionnelles puisqu'il n'en disposait plus. Par ailleurs, aucun des propos tenus par Monsieur A. ne fait référence aux informations dont il disposait à titre professionnel.
À l'occasion d'une conversation du 12 octobre 2016, les époux A. et E. évoquent le fait que les comptes de Madame D. deviendront débiteurs lorsque les prélèvements du 12 du mois seront débités. Madame D. sollicite alors son époux en ces termes « avant que O. elle gère le truc est ce que tu peux lui dire que tu t'en occupes et on refait le point demain quand vous aurez les débiteurs » . Madame E. souhaite en effet que les paiements C.C.S.S., non payés le mois précédent, le soient impérativement, et ce au détriment d'autres règlements si besoin. En effet, elle ajoute « moi ce coup-ci je suis déterminée à payer la C.C.S.S. parce que le mois dernier a pas été payé. Donc tant pis pour EDF » . Madame E. insiste pour « se mettre ricrac pour la façon dont on procède » et que son époux intervienne. Monsieur A. acceptait d'avertir sa collègue tel que demandé par son épouse.
Cette sollicitation d'une cliente afin de prioriser des paiements face à une trésorerie courte et des impayés engendrant des intérêts et majorations ne relève pas d'une gestion anormale de la part du gestionnaire de compte, qui ne dévoile aucune information confidentielle ou privilégiée et en tout état de cause ne fait prévaloir aucun intérêt personnel.
Le 20 avril 2017, Madame E. demande à son époux la date de valeur d'un virement de couverture afin de s'assurer du paiement des salaires. Monsieur A. lui répond alors que H.ne veut pas le faire mais que « nous on le fait à 10 heures et quart et comme ça on est couvert par la valeur comme c'est une autorisation en blanc, qu'on n'a rien de formalisé là-dessus heu gnagnignagna ». Il précise alors qu'il fera lui-même le virement de couverture. Madame E. s'inquiétait également du rejet d'un prélèvement C.C.S.S., alors qu'elle pensait qu'un délai serait accordé. Monsieur A. répondait « tu sais quand je suis pas là ils font pas dans le détail ils m'appellent pas ». Madame E. s'inquiétait aussi des trimestres en retard de l'AG2R, ce à quoi son époux répondait « je vais essayer de voir quel numéro c'est, si ça arrive aujourd'hui ».
De la même façon, A.se limite à permettre le paiement de sommes dues afin de ne pas obérer la situation de la cliente et sans utiliser aucune information confidentielle ou privilégiée.
Après avoir constaté qu'aucune de ces conversations ne confirme qu A. ait privilégié les intérêts de son épouse, il convient de noter que sur une année et demi de gestion du compte de Madame D. après recommandation relative au risque de conflit d'intérêts, la banque n'a identifié aucun autre agissement susceptible d'étayer cette thèse.
Les autres fautes
Concernant la procédure d'exécution des instructions clients, il ressort du rapport de l'Inspection Générale que Monsieur A. aurait passé un ordre de 80.000 euros pour l'URSAFF le 26 avril 2017 alors que l'instruction n'aurait pas été transmise sur le téléphone de la banque et du mémo établi en vue du Conseil de Discipline que Monsieur A. aurait passé un contre-appel de vérification le 26 septembre 2017 sur un numéro non enregistré dans le dossier de la cliente.
La Directive D12.01, dans sa version en vigueur depuis le 27 avril 2015, prévoit que la transmission d'ordre par téléphone portable est proscrite et que dans ce cas le Gestionnaire doit rappeler le client depuis son poste fixe.
Si la conversation téléphonique du 26 avril 2017 n'a pas été transcrite dans le procès-verbal de constat d'Huissier, Monsieur A. n'en conteste pas la matérialité, à savoir « on a fait ton virement des 80.000 à l'URSAFF et on en a fait d'autres, tu sais pour CIC Banque, (...) il faut que tu m'appelles sur mon fixe quand tu me donnes des trucs comme ça parce qu'on fait des contre-appels, ne m'appelle plus sur le portable ». Ainsi, en passant des ordres suite à une instruction non reçue sur le téléphone fixe, Monsieur A. a contrevenu à la directive susvisée.
En outre, ladite directive prévoit que toute sortie d'actif dont le montant excède 15.000 euros doit faire l'objet d'un contre-appel de vérification « vers un numéro de téléphone présent dans le dossier » . L'ordre accepté sans contre-appel conforme portait sur un montant de 14.000 euros. En conséquence, aucune faute relative au non-respect du contre-appel ne serait lui être reprochée.
En revanche, il apparaît à l'occasion de cet incident que Monsieur A. n'avait pas rempli correctement les données de la cliente, ce qu'il avait reconnu lors du Conseil de Discipline en évoquant un manque de temps pour mettre à jour le profil. Cette omission est à rapprocher d'autres reproches relatifs aux informations sur la banque restante et la résidence de la cliente, qui concernent les règles de KYC « Know Your Client », c'est-à-dire relatives à la connaissance du client.
Il convient de rappeler que si aucune faute ne peut être reprochée à Monsieur A.de par la continuation du suivi de Madame D. compte-tenu de l'aval de sa hiérarchie, il en découle comme conséquence qu'il était responsable de la communication à la banque des informations la concernant.
Concernant la résidence, il est établi que le dernier élément relatif à la situation de Madame D. enregistré par Monsieur A. dans les serveurs de la banque est une carte de résidence à échéance du 3 août 2016. Il est par ailleurs établi que le système de la banque était paramétré pour alerter les services en 2019. Enfin, il ne fait pas de doute sur le fait que Monsieur A. a eu connaissance dès 2016 de ce que Madame D. n'était plus résidente monégasque.
Monsieur A. soutient que ses supérieurs hiérarchiques étaient informés de la situation. Sur la date de connaissance, il ne fait pas de doute qu'au plus tard début 2018 Monsieur H. était informé de la situation. Or, il n'a pas pris le soin non plus de faire renseigner correctement le profil de la cliente.
Si Monsieur A. a failli dans son obligation de renseignement fidèle du profil de la cliente, les autres salariés en charge du dossier n'ont pas été plus diligents.
Il s'agit de la même négligence concernant l'absence de renseignement relatif au changement de numéro de contre-appel.
Concernant la clef e-banking, il n'est pas démontré, ni même soutenu, que Madame D. ait été privée d'accès à ses comptes. Le profil cliente était correctement renseigné puisqu'elle lui avait bien été remise le 18 septembre 2015. Le fait qu'elle l'ait volontairement confiée à un tiers, qui plus est une salariée disposant de procurations sur ses comptes, est indifférent pour la banque et ne faussait pas les informations remplies dans son profil.
Concernant le problème de la nationalité, initialement reproché par la banque, il n'a pas été retenu dans les motifs du licenciement et n'était en tout état de cause pas constitutif d'une faute de Monsieur A.
Sur la sanction
Il ressort de l'analyse de l'ensemble des fautes reprochées à Monsieur A. sur la période de 2016 à 2018 qu'il ne s'est pas maintenu de son propre chef et à l'insu de la banque dans une situation de risque de conflit d'intérêts ni n'a privilégié les intérêts de son épouse.
Il a commis deux négligences : avoir accepté un ordre passé sur son téléphone portable, ordre non contesté, et n'avoir pas mis à jour le numéro de contre-appel et le statut de résidence de la cliente, ledit statut étant connu des autres salariés.
Ces deux négligences, en 33 ans de carrière sans aucun manquement au regard de ses évaluations, et alors que le comportement de Monsieur A. sur la période de 2016 à 2018 a été analysé en détail par l'Inspection Générale qui n'a strictement rien relevé d'autre, ne pouvaient nullement justifier que la sanction la plus grave soit prononcée à son encontre.
En conséquence, le B.ne pouvait valablement licencier Monsieur A. pour faute.
Si le motif du licenciement n'est pas valable, Monsieur A.ne démontre pas qu'un faux motif aurait présidé à la décision de la banque, qui a fait une mauvaise analyse de ses agissements mais n'a pas prétexté des fautes pour dissimuler un motif fallacieux.
Sur la mise en œuvre du licenciement
Monsieur A. soutient qu'il aurait fait l'objet d'un chantage à la démission lors de l'entretien au cours duquel il lui était notifié la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire. Néanmoins, il ne rapporte pas la preuve de ses affirmations. En l'absence de tout élément permettant de corroborer sa version, les seuls dires du demandeur ne peuvent emporter la conviction.
Suite à son licenciement, l'employeur a organisé la venue de Monsieur A.au sein des locaux de la banque pour récupérer ses affaires personnelles en présence d'un Huissier. Cette mesure, prise après que le licenciement ait été prononcé et alors que le salarié n'était plus présent dans l'établissement depuis sa mise à pied en avril 2018, en sorte que l'employeur pouvait s'assurer de l'état de son bureau par d'autres moyens, était manifestement vexatoire.
Il a été développé ci-dessus que la lettre de licenciement est mal rédigée, puisqu'elle indique « votre préavis prendra effet le lendemain de la première présentation pour une durée de trois mois, au terme desquels vous cesserez de faire partie de nos effectifs » mais précise « votre mise à pied reste en vigueur jusqu'au terme de votre préavis, sans préjudice de rémunération ». Cette erreur manifeste de terminologie n'a toutefois causé aucun préjudice à Monsieur A. qui n'a pas été privé de son indemnité de préavis mais surtout ne s'est pas mépris sur la portée de ses droits.
La procédure de licenciement de Monsieur A. a en conséquence été mise en œuvre de manière vexatoire par la réquisition à un Huissier dont la présence n'était pas nécessaire.
Sur le préjudice
Monsieur A. licencié pour un motif non valable et de manière vexatoire, a droit à l'indemnisation de son préjudice matériel et moral.
Monsieur A.ne produit aucune pièce relative à sa situation professionnelle et financière suite à son licenciement. Tout demandeur doit prouver ses prétentions. En l'absence de tout justificatif, aucune indemnisation au titre de son préjudice matériel ne pourra lui être allouée.
Monsieur A. est tout autant défaillant à étayer l'ampleur de son préjudice moral et les conséquences que le licenciement aurait engendrées. Si un préjudice moral découle nécessairement de la manière dont il a été évincé de la banque, à 52 ans, après 33 ans de fonction sans aucune remarque, et de la mise en cause de sa probité, il ne peut permettre l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de ce qui est réclamé à défaut de justification d'un trouble particulièrement grave qu'il aurait subi.
Au regard du caractère infamant de la mesure prise à son endroit, le Tribunal considère qu'une juste indemnisation de son préjudice doit conduire à l'allocation à son bénéfice de la somme de 70.000 euros.
Sur les autres demandes
En l'absence de caractérisation par le demandeur de l'urgence il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire.
Le B. qui succombe sera condamné aux entiers dépens de l'instance.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Rejette la demande de bâtonnement ;
Rejette les exceptions d'irrecevabilité soulevées par Monsieur A. ;
Dit que le licenciement ne repose pas sur un motif valable ;
Dit que le licenciement a été mis en œuvre de manière vexatoire ;
Condamne la société anonyme monégasque B. à verser à Monsieur A.la somme de 70.000 euros (soixante-dix mille euros) de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral ;
Rejette le surplus des demandes de Monsieur A. ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Condamne la S.A.M. B. aux entiers dépens de l'instance ;
Composition
Ainsi jugé par Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs José GIANNOTTI, Anthony GUICHARD, membres employeurs, Madame Nathalie VIALE, Monsieur Marc RENAUD, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique au Palais de Justice, le huit avril deux mille vingt-deux, par Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Nathalie VIALE, Messieurs José GIANNOTTI, Anthony GUICHARD et Marc RENAUD, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.
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