En la cause de Madame A., demeurant X1 à GORBIO (06500) ;
Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Audrey SASPORTAS, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
La société à responsabilité limitée dénommée B., dont le siège social se situe X2 à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant Maître Jacques de TONQUEDEC avocat au barreau de Paris, substitué par Maître Maud RIFLADE, avocat en ce même barreau ;
d'autre part ;
Visa
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 22 octobre 2021, reçue le 26 octobre 2022 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 27-2021/2022 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 16 novembre 2021 ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Madame A. en date 9 décembre 2021 ;
Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur au nom de la S.A.R.L. B. en date des 10 février 2022 ;
Après avoir entendu Maître Audrey SASPORTAS, avocat au barreau de Nice, pour Madame A.et Maître Maud RIFLADE, avocat au barreau de Paris, substituant Maître Jacques de TONQUEDEC, avocat en ce même barreau, pour la S.A.R.L. B. en leurs plaidoiries à l'audience du 28 avril 2022 ;
Vu les pièces du dossier ;
Motifs
Madame A. a été embauchée le 6 novembre 1978, en dernier lieu en qualité de Chef d'agence, par la société anonyme monégasque C. rachetée par la société D. puis par la société à responsabilité limitée B. Elle est partie à la retraite le 30 juin 2020. Elle percevait la somme de 20.906,78 euros bruts d'indemnité de départ à la retraite dans le cadre de son solde de tout compte qu'elle contestait le 9 juillet 2020.
Par requête reçue le 26 octobre 2021, elle saisissait le Tribunal du travail aux fins d'obtenir :
* - 82.852,82 euros bruts de rappel sur indemnité de fin de carrière,
* - 5.000 euros de dommages et intérêts,
* le tout avec intérêts au taux légal capitalisés et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
À défaut de conciliation, l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement. Par conclusions du 9 décembre 2021, Madame A. fait valoir pour l'essentiel que :
* - lors de son embauche par la S.A.M. C. la société dépendait du groupe E. à laquelle la Convention Collective Générale du Travail, des Cadres, Techniciens, Agents de Maîtrise et Employés du 1er janvier 1982 s'appliquait,
* - suite au changement de Convention Collective, il était convenu par accord d'entreprise du 24 novembre 1988 que les Collaborateurs présents sur les effectifs au 31 décembre 1988 conserveraient jusqu'à la fin de leur carrière au sein de la S.A.M. C. les avantages dont ils bénéficiaient ou auraient bénéficié avant ledit changement, et notamment les indemnités et conditions de fin de carrière,
* - le contrat de travail de Madame A. a été transféré à la S.A.R.L. B. le 1er décembre 2019,
* - l'accord d'entreprise n'a jamais été dénoncé,
* - l'autorisation d'embauchage du 16 avril 2020 prévoyait expressément qu'elle travaillait depuis le 6 novembre 1978,
* - la Convention Collective Générale a été appliquée à d'autres salariés au sein d'autres agences,
* - en application de l'article 27 de ladite Convention Collective de 1982, l'employé qui met un terme à sa carrière dans le cadre d'un départ à la retraite à droit, entre 1 et 10 ans d'ancienneté à 33 % et au-delà de 10 ans d'ancienneté à 50 % des 14/12ème du salaire perçu au moment du préavis, sans que l'indemnité globale puisse dépasser 20 mois d'appointements,
* - il précise que les commissions, intéressements et participations entrent dans le calcul de l'indemnité, sur la base d'une moyenne des trois dernières années,
* - Madame A. aurait dû percevoir la somme de 112.528,73 euros,
* - l'employeur a fait preuve de résistance abusive puisque la salariée l'a informé des dispositions applicables dès le 22 avril 2020.
Par conclusions du 10 février 2022 la S.A.R.L. B. sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Madame A. et sa condamnation à la somme de 1.500 euros pour procédure abusive. Elle soutient pour l'essentiel que :
* - la Convention Collective de la branche des agences de voyages et de tourisme prévoit, depuis sa révision du 10 décembre 2013, qu'en cas de départ à la retraite à la demande du salarié, le montant de l'indemnité de départ est égal, par année d'ancienneté, à 15 % de la rémunération calculée sur la base d'un douzième brut des douze derniers mois de salaire ou le tiers des trois derniers mois, tous les éléments de rémunération étant pris en compte, qu'ils soient réguliers ou non,
* - l'indemnité versée à Madame A. correspond à 15 % de sa rémunération,
* - si en application de l'article 15 de la loi n° 729 tous les contrats de travail au jour de la modification de la situation juridique de l'employeur sont transférés, cela ne concerne que les dispositions du contrat de travail,
* - aucune règle similaire n'est prévue concernant les accords collectifs,
* - l'accord d'entreprise du 24 novembre 1988 applicable au sein de la société C. n'a pas été transféré à la société D. ni à la société B.
* - en outre, la S.A.R.L. B. qui exerce sous l'enseigne B. est une filiale du groupe F.et une société distincte de la société C. dont Madame A. était la salariée avant le transfert de son contrat de travail auprès des sociétés D. puis la S.A.R.L. B.
* - par ailleurs, Madame A. n'exerçait plus son activité au sein de la société C.au moment de son départ à la retraite,
* - en tout état de cause, Madame A. ne démontre aucune résistance abusive de son employeur, ni ne caractérise le préjudice qu'elle aurait subi,
* - la demande d'exécution provisoire n'est pas justifiée et il conviendrait le cas échéant de l'assortir d'une garantie,
* - la société a engagé des frais irrépétibles dans le cadre de l'instance et il convient de condamner Madame A. à verser la somme de 1.500 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive outre les dépens.
*
SUR CE,
En application des dispositions de l'article 15 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, lorsque la situation juridique de l'employeur se trouve modifiée, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise dans les conditions mêmes où ils se trouvaient exécutés au moment de la modification.
En l'espèce, le contrat de travail de Madame A. conclu à compter du 6 novembre 1978 avec la société C. a été successivement transféré à la société D. puis à la S.A.R.L. B. exerçant sous l'enseigne B.
Il est constant que, suite à la modification de la Convention Collective Générale du Travail des Cadres, Techniciens, Agents de Maîtrise et Employés, la société C. a souhaité allouer à ses salariés des avantages plus favorables et a, par accord d'entreprise du 24 novembre 1988, décidé que les Collaborateurs présents dans l'effectif C. du 31 décembre 1988 conserveraient jusqu'à la fin de leur carrière au sein de la société C. les avantages dont ils bénéficiaient ou auraient pu bénéficier avant le changement de Convention Collective, notamment les avantages relatifs aux indemnités et conditions de fin de carrière.
Si cet accord d'entreprise n'était pas un élément du contrat de travail de Madame A. il n'en demeure pas moins qu'en cas de transfert d'entreprise les engagements unilatéraux de l'ancien employeur sont opposables, de plein droit, à son successeur et qu'ils continuent à produire tous leurs effets postérieurement à la date du transfert.
Néanmoins, ces avantages ne sont opposables de plein droit que lorsque le contrat de travail était en cours d'exécution à la date d'effet du transfert et l'accord ne doit pas avoir été dénoncé régulièrement.
En l'espèce, par deux fois il y a eu transfert d'entreprise alors que le contrat de travail de Madame A. était en cours d'exécution. Il convient dès lors de déterminer si l'accord a été régulièrement dénoncé.
Pour que la remise en cause d'un accord d'entreprise puisse être valablement opposée à un salarié, il convient qu'il ait été dénoncé ou substitué par un autre accord, postérieur à la remise en cause.
En l'espèce, la S.A.R.L. B. n'a jamais dénoncé l'accord d'entreprise. Elle n'a pas non plus valablement substitué cet accord par la Convention Collective des Agences de Voyages et de Tourisme, puisque cette Convention Collective de branche est bien antérieure au transfert du contrat de travail du 1er décembre 2019, et ce peu importe que la S.A.R.L. B. l'ait fait apparaître sur les bulletins de salaire de la salariée.
Concernant la société D. aucun élément ne démontre qu'elle aurait dénoncé ou substitué l'accord d'entreprise querellé. Au contraire, il est établi qu'elle l'a appliqué à l'ensemble des salariés qui y étaient soumis. Si cette application à d'autres salariés n'ouvre pas de droits à Madame A. cela démontre que l'accord d'entreprise n'avait pas été dénoncé.
À défaut pour la S.A.R.L. B. d'avoir dénoncé un accord d'entreprise qui lui avait été transféré de plein droit lors du transfert d'entreprise, elle se devait de l'appliquer en toutes ses dispositions.
Le calcul de l'indemnité de départ à la retraite de Madame A. devait en conséquence se faire selon la formule de l'accord d'entreprise de 1988, renvoyant à la Convention Collective Générale du Travail des Cadres, Techniciens, Agents de Maîtrise et Employés, à savoir :
* - 33 % des 14/12ème du salaire mensuel perçu au moment du préavis pour la période d'ancienneté comprise entre 1 et 10 année et par année de présence,
* - 50 % des 14/12ème du salaire mensuel perçu au moment du préavis pour la période d'ancienneté au-delà de dix ans et par année d'ancienneté,
* - sans dépasser vingt mois d'appointements.
Le salaire de base de calcul est celui perçu au moment du préavis, soit le salaire du mois de juin 2020, soit un salaire de 5.187,98 euros (salaire de base + prime d'ancienneté + indemnité 13ème mois). L'indemnité étant plafonnée à vingt mois d'appointements et l'indemnité due à Madame A. l'excédent, elle sera limitée à la somme de 103.759,60 euros.
Il reste en conséquence dû à Madame A.la somme de 82.852,82 euros, somme que la S.A.R.L. B. sera condamnée à lui verser avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation.
La S.A.R.L. B. qui n'avait jamais dénoncé l'accord d'entreprise querellé et refusait pourtant d'en faire application a fait preuve de résistance abusive et a causé un préjudice à Madame A. celui d'avoir à saisir la juridiction et à patienter deux ans avant d'être remplie de ses droits. En conséquence, il convient de lui allouer la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation de l'ensemble de ses préjudices et ce avec intérêts au taux légal à compter de la décision.
L'indemnité de départ à la retraite n'étant pas un salaire ou accessoire du salaire, la décision n'est pas exécutoire de droit. À défaut de démontrer le caractère nécessaire, il ne sera pas fait droit à la demande d'exécution provisoire.
Les demandes de Madame A. étant parfaitement fondées la demande de dommages et intérêts de la S.A.R.L. B. sera rejetée.
La S.A.R.L. B. succombant elle sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Condamne la société à responsabilité limitée B. à verser à Madame A. la somme de 82.852,82 euros (quatre-vingt-deux mille huit cent cinquante-deux euros et quatre-vingt-deux centimes) à titre de complément d'indemnité de départ à la retraite, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation ;
Condamne la S.A.R.L. B. à verser à Madame A.la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision ;
Rejette la demande de dommages et intérêts de la S.A.R.L B. ;
Condamne la S.A.R.L. B. aux entiers dépens ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Composition
Ainsi jugé par Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Diane GROULX et Monsieur Cédric CAVASSINO, membres employeurs, Madame Anne-Marie PELAZZA et Monsieur Silvano VITTORIOSO, membres salariés, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le dix-sept juin deux mille vingt-deux.
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