Motifs
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 14 JUILLET 2022
En la cause de Madame A. épouse B., demeurant X1 à NICE (06000) ;
Demanderesse, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 496 BAJ 18 du 21 mars 2019, ayant élu domicile en l'étude de Maître Alice PASTOR, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
La société C.& D., dont le siège social se situe X2à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie MARQUET, avocat près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 7 février 2020, reçue le même jour ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 45-2019/2020 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 10 février 2020 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Alice PASTOR, avocat-défenseur au nom de Madame A. épouse B. en date du 21 avril 2022 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sophie MARQUET, avocat au nom de la société C.& D. en date du 25 mai 2022 ;
Après avoir entendu Maître Alice PASTOR, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Madame A. épouse B. et Maître Sophie MARQUET, avocat près la même Cour, pour la société C.& D. en leurs plaidoiries à l'audience du 2 juin 2022 ;
Vu les pièces du dossier ;
Madame A. épouse B. a été embauchée en qualité de Vendeuse au sein de la société C.& D. par contrat à durée indéterminée du 27 juillet 2017. Elle été placée en arrêt maladie du 25 au 27 novembre 2017, puis du 16 au 17 décembre 2017 et à partir du 8 janvier 2018 sans interruption. Par décision de l'Office de la Médecine du Travail du 3 juillet 2018, elle était déclarée définitivement inapte à tout poste au sein de la boutique de Monaco. L'employeur annonçait l'impossibilité de reclassement par courrier du 9 août 2018 et procédait à son licenciement par courrier du 3 septembre 2018.
Contestant la validité du motif du licenciement et soutenant avoir été victime d'harcèlement, Madame A. épouse B. saisissait le Bureau de Jugement du Tribunal du travail aux fins d'obtenir :
* 50.000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement,
* la rectification de la documentation sociale avec une date d'ancienneté au 5 juin 2017, sous astreinte de 150 euros par jour de retard,
* 146 euros d'indemnité de licenciement,
* 2.939,15 euros d'indemnité de préavis,
* 3.526,98 euros d'indemnité de congés payés,
* 10.000 euros de commissions,
* la production des justificatifs des objectifs, chiffre d'affaires et ventes,
* le tout avec intérêts au taux légal,
* les dépens.
Par conclusions récapitulatives du 21 avril 2022, Madame A. épouse B. soutient pour l'essentiel que :
* la saisine directe du Bureau de Jugement est prévue par les articles 7 et 8 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 relative au harcèlement et à la violence au travail,
* elle n'est pas réservée aux seuls cas d'urgence,
* le législateur a souhaité dispenser le salarié de se confronter à son employeur dès lors qu'une situation de harcèlement est dénoncée,
* les dispositions de la loi n'interdisent pas de saisir le Bureau de Jugement de l'entier litige sans distinguer les demandes relevant ou non du champ de la loi n° 1.457,
* en vertu du principe de l'unicité de l'instance toutes les demandes dérivant du même contrat de travail entre les mêmes parties doivent faire l'objet d'une seule et même instance,
* la loi n° 1.457 est applicable pour être entrée en vigueur avant la date du licenciement,
* Madame A. épouse B. a subi du harcèlement au cours de la relation de travail,
* elle a été spoliée d'une partie de ses commissions,
* ses responsables n'ont jamais répondu à ses légitimes réclamations,
* elle a été ostracisée par ses supérieurs hiérarchiques,
* personne ne lui adressait la parole,
* aucune communication physique spontanée ne pouvait avoir lieu sur le lieu de travail, tous les échanges se faisant par écrit,
* ils ne répondaient que rarement à ses demandes,
* au cours des réunions individuelles d'évaluation des performances, se déroulant deux fois par mois, elle était systématiquement dévalorisée par ses trois supérieurs hiérarchiques directs,
* le Responsable de la boutique manifestait des méthodes de management autoritaires,
* il n'a pas cessé ses agissements alors qu'il aurait dû être alerté sur l'état de santé de la salariée au vu du motif médical des deux arrêts maladie prescrits à quinze jours d'intervalle,
* il n'a pas donné suite à ses demandes d'entretien au sujet des difficultés qu'elle rencontrait,
* il a imposé la présence d'un autre supérieur alors qu'elle souhaitait s'entretenir seulement avec lui,
* elle a été régulièrement insultée et menacée par Monsieur E. qui lui faisait subir des propos sexistes et dénigrants,
* elle n'a pas été protégée après avoir été violentée physiquement et moralement par une collègue,
* elle a été assignée à des tâches dégradantes et douloureuses,
* elle s'est blessée sans que son employeur ne réagisse ni ne fasse de déclaration au titre d'un accident du travail,
* l'employeur n'a pas procédé à une enquête approfondie sur les faits dénoncés et s'est contenté d'entendre le Responsable de la boutique,
* aucune procédure interne ne prévoyait la prise en charge des situations de harcèlement, et ce en violation de la loi,
* l'employeur s'est abstenu de prendre les mesures appropriées pour faire cesser la situation de harcèlement dénoncée,
* il n'a pas pris en compte son état de santé en tentant d'organiser une confrontation sur le lieu de travail,
* Madame A. épouse B. a développé un grave syndrome dépressif réactionnel,
* sa carrière a cessé brutalement et elle n'a pas retrouvé d'emploi depuis son licenciement,
* le point de départ de son ancienneté doit être fixé à la date d'embauche par la boutique C.& D. Cannes,
* le contrat a fait l'objet d'une novation au bénéfice de la boutique de Monaco, la démission et la nouvelle prise de fonction ayant été concomitantes,
* l'ensemble de la Gestion Ressources Humaines est centralisée au niveau du groupe à Paris,
* le licenciement pour inaptitude définitive ne repose pas sur un motif valable lorsque l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoqué,
* l'inaptitude est la résultante du harcèlement subi,
* l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement,
* ce sont les responsables du harcèlement qui ont conclu à l'impossibilité de reclassement,
* la recherche de reclassement n'a pas porté sur les autres établissements du groupe,
* Madame A. épouse B. n'a pas été réglée de l'intégralité des commissions sur ventes conclues entre septembre 2017 et février 2018,
* en cas de contestation, l'employeur devra produire aux débats les justificatifs de calcul afin de concourir à la manifestation de la vérité.
Par conclusions récapitulatives du 25 mai 2022, la société C.& D. soulève l'irrecevabilité des demandes et sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Madame A. épouse B. outre sa condamnation pour procédure abusive à la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts, ainsi qu'aux dépens et frais à hauteur de 15.000 euros.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
* les demandes formées directement devant le Bureau de Jugement sont irrecevables pour ne pas respecter le préalable de conciliation,
* par exception une saisine directe du Bureau de Jugement est possible sur le fondement de l'article 7 de la loi n° 1.457 à condition que la période de harcèlement soit postérieure à l'entrée en vigueur de la loi et que le contrat de travail soit encore en cours au moment de la saisine du Bureau de Jugement,
* or, ce texte n'est entré en vigueur que le 23 décembre 2017 et les faits dénoncés sont antérieurs à cette date,
* la loi n'a prévu aucune rétroactivité,
* les seuls événements survenus depuis l'entrée en vigueur de la loi sont des e-mails envoyés par la salariée pour dénoncer les faits, sans qu'aucun nouvel événement ne soit survenu,
* la volonté du législateur est de permettre une action rapide lorsque la relation de travail est toujours en cours, et la saisine directe du Bureau de Jugement ne s'applique pas lorsque la relation de travail a cessé,
* en outre, les demandes n'ayant pas trait au harcèlement ne peuvent faire fi de la conciliation préalable,
* la règle de l'unicité de l'instance n'est pas atteinte, puisque plusieurs instances peuvent être initiées tant qu'aucun jugement n'est intervenu,
* la société C.& D. n'a commis aucune faute dans l'exécution de la relation de travail,
* la procédure d'alerte en interne n'était pas une obligation légale au moment des faits,
* seuls sept jours ont été effectivement travaillés par Madame A. épouse B. entre la date d'entrée en vigueur de la loi et son départ effectif de l'entreprise, en sorte que le laps de temps ne lui a pas permis d'instituer de procédure d'alerte,
* la société ne comptabilisait pas habituellement plus de dix salariés en sorte qu'elle n'était pas tenue à l'obligation d'instituer un Référent harcèlement ou un Délégué du Personnel,
* en effet, la notion d'occupation habituelle de plus de dix salariés s'entend comme le délai suivant lequel un salarié peut prétendre à la qualité d'électeur, à savoir six mois, en sorte que ce n'est qu'à compter du 11 février 2018 que l'employeur a occupé habituellement plus de dix salariés,
* Madame A. épouse B. s'est volontairement adressée à son Responsable de boutique, le faisant d'ailleurs à titre personnel et confidentiel, alors qu'elle disposait d'interlocuteurs tiers à la boutique de Monaco,
* ce Responsable de boutique n'avait aucun pouvoir de représentation ni de fonction de Ressources Humaines,
* l'employeur a réagi immédiatement au signalement de sa salariée, dès qu'il en a été informé, soit le 23 janvier 2018,
* il a proposé une entrevue à Madame A. épouse B. en l'assurant de l'absence de mise en présence du collègue qu'elle dénonçait, ce qu'elle a refusé,
* l'employeur a pris acte du fait qu'elle se trouvait en arrêt maladie et ne pouvait participer à cette réunion,
* puis du fait qu'elle ne souhaitait plus avoir à échanger avec lui, raison pour laquelle elle n'était plus sollicitée au sujet de son signalement,
* dès l'instant où il a été informé des difficultés prétendument rencontrées par la salariée, l'employeur a mis en œuvre l'ensemble des mesures appropriées : diligenter une enquête, correspondre avec la salariée pour la rassurer, tenter de la rencontrer afin d'obtenir les noms des éventuels autres salariés impliqués,
* les investigations n'ont été menées qu'auprès du Responsable de la boutique car Madame A. épouse B. n'a pas précisé ses allégations, les personnes visées, ni n'a souhaité participer à la procédure d'enquête,
* Madame A. épouse B. ne démontre pas avoir été victime de harcèlement,
* le harcèlement ne saurait être caractérisé par la seule mésentente entre salariés ou le ressenti d'un harcèlement,
* elle ne produit que des preuves constituées par elle-même : des certificats médicaux ne faisant que reprendre ses doléances, des courriels polémiques qu'elle a elle-même rédigés, des nouveaux griefs invoqués plusieurs semaines ou mois après, rendant impossible toute vérification,
* aucun élément extérieur ne vient corroborer ses accusations,
* l'ensemble des griefs ne sont qu'une suite d'allégations, vides de substance et non corroborés,
* le quantum de dommages et intérêts demandé n'est nullement justifié par la production d'aucune pièce, si ce n'est des certificats médicaux se contentant de reprendre ses doléances,
* suite à l'avis d'inaptitude définitif et malgré les restrictions totales préconisées par le Médecin du Travail, l'employeur a répondu à son obligation de recherche de solution de reclassement,
* après avoir pris en compte les qualifications professionnelles de la salariée et les préconisations restrictives, l'employeur a conclu à l'absence de solution de reclassement,
* les recherches de reclassement ne peuvent s'effectuer qu'au niveau de l'entreprise,
* en outre, elles ne doivent avoir lieu qu'au niveau national, et ne peuvent être étendues à l'étranger,
* surabondamment, les boutiques françaises sont exploitées par une autre personne morale, en sorte que la salariée ne peut y être reclassée,
* la demande au titre des commissions est infondée, ne reposant sur aucun élément de preuve, et présentée de manière forfaitaire,
* le contrat de travail de Madame A. épouse B. n'a nullement été transféré entre la boutique de Cannes et celle de Monaco, cette décision ne pouvant avoir lieu que dans le cadre d'une Convention Tripartite,
* le transfert du contrat de travail ne se présume pas mais doit être convenu,
* les deux boutiques relèvent de personnes morales distinctes et de droits différents,
* il n'y a eu aucune volonté de transférer le contrat et aucune reprise d'ancienneté n'a jamais été convenue,
* Madame A. épouse B. a diligenté une procédure abusive, sur des griefs totalement infondés, aux seules fins de monnayer la rupture de son contrat,
* elle a contraint l'employeur à engager des frais importants pour sa défense,
* il convient de la condamner à la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice moral et d'image,
* outre 15.000 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens.
SUR CE,
Sur la recevabilité des demandes
Aux termes de l'article 2 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 « Le harcèlement moral au travail est le fait de soumettre, sciemment et par quelque moyen que ce soit, dans le cadre d'une relation de travail, une personne à des actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à sa dignité ou se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».
Aux termes des articles 7 et 8 de ladite loi, le Tribunal du travail connaît de tous les différends nés sur le fondement de l'article 2. Il ne peut en connaître par voie de conciliation, à moins que la personne qui allègue être victime ne le requière expressément et est saisi par voie de requête adressée au Président du Bureau de Jugement.
Le législateur a en effet prévu une dérogation au système de conciliation aux motifs que « lorsque la victime porte son action devant le Tribunal du travail, le projet de loi prévoit (...) qu'elle l'est devant le Bureau de Jugement, l'obligation d'une tentative de conciliation paraissant inadaptée eu égard à la nature du litige ».
Aux termes de l'article 9 « Le Tribunal du travail peut, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser un fait mentionné à l'article 2 ».
En effet, le législateur a prévu qu'« outre la réparation du préjudice subi par la victime, il est projeté au Tribunal du travail un pouvoir d'injonction lui permettant d'ordonner toutes mesures aux fins d'empêcher ou de faire cesser le harcèlement (...) dont est victime le demandeur ».
Il s'évince de la loi que la procédure dérogatoire de saisine directe du Tribunal du travail est instituée pour les différends relatifs à du harcèlement au travail, à l'occasion desquels la juridiction peut réparer le préjudice subi et empêcher ou faire cesser le fait.
Dans ces conditions toutes demandes autres que l'indemnisation, la réparation ou la cessation d'un fait de harcèlement n'entrent pas dans le champ de la saisine directe du Bureau de Jugement.
Aux termes de l'article 8 dernier alinéa « pour le reste, la procédure applicable est celle prévue par la loi n° 446 du 16 mai 1946, modifiée ».
En application de la loi n° 446, la procédure devant le Tribunal du travail nécessite une phase préalable de conciliation.
À défaut d'avoir dérogé à la règle générale d'ordre public du préliminaire de conciliation pour toutes les autres demandes dérivant du contrat de travail, le législateur n'a pas entendu le faire et la règle spéciale dérogatoire ne peut être élargie aux demandes non relatives au harcèlement.
En l'espèce, les demandes relatives à la régularisation de la date d'embauche de la salariée, aux calculs de salaires et indemnités y afférents et aux commissions sont irrecevables, pour ne pas avoir été soumise au préliminaire de conciliation et ne pas entrer dans le cadre du régime dérogatoire relatif au harcèlement au travail.
Il peut par ailleurs être noté que l'intégralité des moyens relatifs à l'absence de validité du motif de licenciement pour impossibilité de reclassement auraient été tout autant irrecevables à supposer qu'une quelconque demande ait été formulée à ce titre.
La loi susvisée est entrée en vigueur le 23 décembre 2017, lendemain de sa date de publication, conformément à l'article 69 de la Constitution. Elle n'a pas institué de rétroactivité quant à son applicabilité.
Néanmoins, le harcèlement ne peut s'apprécier qu'à travers une succession de faits censés qualifier un comportement à la fois continu et répétitif. Lorsque aucune succession de faits pris isolément ne peut répondre à elle seule à la définition du harcèlement, il convient d'apprécier globalement la situation.
En l'espèce, les faits dénoncés par Madame A. épouse B. ont été commis dans un temps très restreint et aucun d'entre eux n'est, de manière isolée, un fait entrant dans la définition légale. Dans ces conditions, il convient de les analyser dans leur ensemble.
Dès lors que les agissements sont dénoncés comme s'étant poursuivis après la date d'entrée en vigueur de la loi, les nouvelles dispositions leur sont applicables et Madame A. épouse B. est recevable dans sa demande portée directement devant le Bureau de Jugement pour leur ensemble.
Sur le harcèlement
Aux termes de l'article 6 de la loi n° 1.457 « il incombe à la personne qui allègue être victime d'un fait [de harcèlement] d'établir, par tous moyens conformes à la loi, les faits qui permettent d'en présumer l'existence ».
Au soutien de ses prétentions Madame A. épouse B. indique qu'elle subissait du harcèlement de ses collègues, consistant en du dénigrement, de l'humiliation, de l'affectation à des tâches dégradantes et du dédain.
Elle produit les éléments suivants :
* un mail du 25 novembre 2017, justifiant son arrêt maladie, en indiquant qu'elle est épuisée et malade,
* un mail du 16 décembre 2017, faisant état de fatigue, d'une ambiance au travail qui se dégrade, et de l'octroi de congés trop tardifs,
* un mail du 18 décembre 2017, reprochant l'octroi d'une vente à une autre vendeuse, indiquant qu'elle a été mise au placard et qu'elle subit des injustices,
* deux mails du 22 décembre 2017 afin d'organiser une entrevue avec le Directeur du magasin,
* un mail du 2 janvier 2018 dans lequel elle demande à être informée des suites d'une commande cliente, suite à un message du 31 décembre qui serait resté sans réponse,
* un mail de relance du 3 janvier 2018, auquel son collègue apportait une réponse,
* un mail du 6 janvier 2018 s'enquérant de savoir si les ventes lui avaient été attribuées.
Il ne transparaît de ces mails aucun agissement répondant à la définition d'actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet la dégradation des conditions de travail.
Madame A. épouse B.se contente d'affirmer qu'elle subirait des brimades, sans les expliciter, les détailler ou les justifier par la production d'une quelconque preuve.
Concernant les remarques circonstanciées au sujet des horaires de travail et des congés, la réponse du Directeur de la boutique est juridiquement parfaitement fondée, un salarié ne pouvant quitter son lieu de travail pour convenances personnelles, même liées à son mode de transport, avant la fin de son horaire et les congés n'étant légalement dus qu'à compter du 1er mai de l'année suivant la date d'embauche.
Concernant les remarques relatives à « l'éthique » du personnel de la boutique, aucune action ou omission répétée ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail portant atteinte à la dignité ou se traduisant par une altération de la santé n'apparaît dans les écrits, pourtant particulièrement longs, de la salariée.
Les faits allégués par la salariée n'étant ni circonstanciés ni étayés par aucune preuve, aucun harcèlement n'est caractérisé.
Le 8 janvier 2018, Madame A. épouse B. était à nouveau placée en arrêt de travail et ne reprendra plus son activité.
Dans les semaines suivantes, elle reproche à son employeur de s'être désintéressé de sa situation et de ne pas avoir pris en charge ses dénonciations ni mis en œuvre les dispositifs légaux de prévention du harcèlement.
Le 13 janvier 2018, Madame A. épouse B. avait saisi ses deux responsables en déplorant n'avoir eu aucun retour de leur part et évoquant les raisons de son arrêt. Elle évoquait alors un accident du travail et reprochait à l'un de ses collègues de lui avoir imposé des tâches douloureuses sans aucune empathie.
Il ressort des échanges des parties que la tâche douloureuse aurait consisté en un réassort de chaussures.
Outre le fait que la réalité de l'accident évoqué, ainsi que des douleurs alléguées, ne sont corroborés par aucun élément de preuve, il ne ressort nullement de cet écrit que Madame A. épouse B. signale une situation de harcèlement. L'absence de réponse n'est dès lors pas fautive. De même, les échanges antérieurs étaient « personnel et confidentiel » et ne relataient aucun agissement qui méritait que le Directeur alerte sa hiérarchie d'un quelconque fait.
Le 22 janvier 2018, Madame A. épouse B. a saisi de nombreuses personnes de la Direction de C.& D. outre le Directeur de la boutique, d'un signalement « non exhaustif » de soustraction de commissions, de mise au placard, de soumission à des tâches dégradantes, de traitement brutal, de menaces et d'humiliation le 22 décembre 2017. Elle se plaignait également de difficultés administratives dans le cadre de son absence pour maladie.
Le 31 janvier 2018, la Direction de C.& D. répondait à Madame A. épouse B. l'informant qu'un entretien avec le Directeur de la boutique avait eu lieu et que tous autres intéressés seraient entendus.
Il était proposé une entrevue à Madame A. épouse B. afin de confronter les points de vue.
Le 1er février 2018, Madame A. épouse B. s'enquérait du titre auquel la Direction de Milan intervenait puis indiquait qu'elle refusait de se retrouver seule face à ceux qui l'avaient harcelée ainsi qu'elle refusait de s'exposer à un « simulacre » de justice interne.
Le 4 février 2018, la Direction lui répondait qu'il n'était pas envisagé de la laisser seule avec la personne accusée et que l'entrevue visait à rassembler des éléments complémentaires.
Le 5 février 2018, Madame A. épouse B. indiquait que sa présence ne pouvait être exigée et que toute confrontation était interdite. Elle réitérait son refus catégorique de répondre à toute convocation et précisait « si confrontation il y avait avec les quatre Managers et le Collaborateur que j'incrimine nommément pour des faits de harcèlement moral, individuellement et collectivement, ce sera dans le cadre d'une procédure ».
Il est intéressant à ce stade de constater que Madame A. épouse B. n'a jamais incriminé nommément, individuellement ou collectivement quiconque d'autre que Monsieur F.
Les échanges entre Madame A. épouse B.et la Direction de C.& D.se poursuivaient dans les semaines suivantes, sans que Madame A. épouse B.ne souhaite collaborer à l'enquête menée, malgré les demandes de l'employeur, notamment dans son mail du 22 février 2018 indiquant que seul Monsieur F. était nommément désigné. Madame A. épouse B. indiquait alors qu'elle réservait les identités des complices de Monsieur F. les faits précis et les éléments matériels à une plainte.
L'employeur, en application de l'article 5 de la loi n° 1.457, « prend toutes mesures nécessaires propres à faire cesser les faits mentionnés à l'article 2 dont il a connaissance ».
En organisant une enquête interne et en sollicitant des précisions à Madame A. épouse B. sur les faits qu'elle dénonçait, l'employeur a rempli son rôle de prévention du harcèlement. Si l'enquête n'a pu se limiter qu'au recueil de la version de Monsieur F. cela relève de l'unique responsabilité de la salariée qui a refusé de communiquer le moindre élément, voire de communiquer tout simplement, avec son employeur. Ce refus n'est pas en soi fautif, mais ne peut avoir pour conséquence d'engager la responsabilité de l'employeur. En effet, il lui incombe une obligation de moyen qui ne peut consister à enquêter sur des faits et des personnes non précisées.
Les accusations vagues, imprécises, non étayées de Madame A. épouse B.ne pouvaient permettre à l'employeur de faire mieux que ce qu'il a mis en place, à savoir entendre le Directeur de la boutique et tenter de recueillir les doléances de la salariée.
Concernant le référent harcèlement institué par l'article 5 de la loi n° 1.457, sa désignation est obligatoire pour tout employeur « qui emploie habituellement plus de dix salariés ». Néanmoins, il ne peut être exigé d'une quelconque entreprise de procéder à une telle désignation le jour même de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ni même dans les jours suivants correspondant à la période de Noël. Surtout, Madame A. épouse B. n'a subi aucun préjudice de l'absence d'un tel référent, ayant trouvé des interlocuteurs vers lesquels adresser son signalement et ayant fait face à un employeur qui a su mettre en œuvre les moyens nécessaires à son instruction.
L'employeur n'ayant commis aucune faute dans la prise en charge du signalement de sa salariée et aucun harcèlement n'étant caractérisé, Madame A. épouse B. sera déboutée de ses demandes.
Sur les autres demandes
Si les demandes de Madame A. épouse B. sont manifestement mal fondées, il ne résulte pas de la procédure une quelconque intention de nuire à son ancien employeur. Par ailleurs, aucune atteinte à l'image de la société C.& D. n'a eu lieu, les prétentions de la demanderesse étant demeurées circonscrites à l'enceinte du prétoire.
Madame A. épouse B. qui succombe dans l'intégralité de ses demandes sera condamnée aux entiers dépens.
Aux termes de l'article 238-1 du Code de procédure civile, la partie tenue aux dépens est condamnée à payer à l'autre partie au titre des frais exposés non compris dans les dépens.
En l'espèce, la société C.& D. a exposé des frais de défense importants dans le cadre d'un litige procéduralement complexe et pour se défendre de faits infondés exposés dans quatre jeux de conclusions particulièrement fournis et sous-tendus par de nombreuses pièces communiquées en plusieurs exemplaires sous des présentations différentes.
Dans ces conditions, l'équité commande de condamner Madame A. épouse B. à verser à la société C.& D. la somme de 4.000 euros.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Déclare les demandes relatives aux commissions, à la régularisation de la date d'embauche, aux indemnités de rupture et à la rectification de la documentation sociale de Madame A. épouse B. irrecevables pour ne pas avoir été soumises au préliminaire de conciliation ;
Déboute Madame A. épouse B.de ses demandes de commissions, de régularisation de la date d'embauche, d'indemnités de licenciement, de préavis et de congés payés, de rectification de la documentation sociale et de production des justificatifs des objectifs, chiffres d'affaires et ventes ;
Déclare les demandes relatives au harcèlement au travail de Madame A. épouse B. recevables ;
Rejette la demande de dommages et intérêts de Madame A. épouse B.au titre du harcèlement au travail ;
Rejette la demande de la société C.& D.au titre de la procédure abusive ;
Condamne Madame A. épouse B. aux entiers dépens ;
Condamne Madame A. épouse B. à verser à la société C.& D.la somme de 4.000 euros (quatre mille euros) au titre des frais irrépétibles ;
Composition
Ainsi jugé par Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Virginia BUSI et Monsieur Francis GRIFFIN, membres employeurs, Messieurs Fabrizio RIDOLFI et Benjamin NOVARETTI, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le quatorze juillet deux mille vingt-deux.
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