Abstract
Contrat de travail - Harcèlement moral et sexuel (oui) - Preuve par témoignages - Comportements à connotation sexuelle ou sexiste - Surcharge de travail - Dénigrement - Altération de la santé physique et mentale - Licenciement pour inaptitude - Conséquence du harcèlement (oui) - Fausseté du motif de licenciement - Rupture abusive - Dommages-intérêts (oui)
Résumé
Il ressort de l'ensemble des éléments produits par la demanderesse un faisceau d'indices graves, précis et concordants de faits de harcèlement sexuel et moral. En effet, le nombre de témoignage est éloquent. Ils dénoncent tous un même mode opératoire de la part des managers, celui de dénigrer la cheffe hôtesse auprès des nouvelles recrues, de ne pas donner les moyens à l'équipe de l'accueil de travailler dans des bonnes conditions tout en reprochant à la demanderesse d'être responsable de la situation. La surcharge de travail peut répondre à la définition du harcèlement moral, si elle est liée à des omissions répétées commises sciemment. Or, au regard du nombre d'alertes sur les conditions de travail au sein de l'équipe d'accueil et de l'inertie de la Direction pour y remédier, voir à la volonté délibérée de ne pas modifier la situation les éléments constitutifs sont bien caractérisés. Concernant l'altération de la santé physique ou mentale de la demanderesse elle est étayée par les nombreux témoignages de ses collègues et les pièces médicales. L'employeur, quant à lui, ne prouve pas que les faits dénoncés résultent d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Les propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexistes, sont également établis par les témoignages des salariés. Les faits de harcèlement ayant couru jusqu'en mars 2020, date à laquelle la demanderesse a exercé au sein de l'établissement pour la dernière fois, n'étaient pas prescrits lors de la saisine du BUREAU de Conciliation en juin 2022. Compte tenu de l'impact des faits sur la santé de la demanderesse, il lui est alloué 100 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
L'inaptitude de la demanderesse est la conséquence directe des agissements de harcèlement dont elle a été victime. Le licenciement trouve en réalité son origine dans le comportement fautif de l'employeur, tant dans les agissements commis par ses cadres dirigeants que dans l'inaction de la Direction. Ces éléments caractérisent en conséquence la fausseté du motif de licenciement, ouvrant droit à réparation du préjudice économique. La demande est cependant rejetée, faute d'élément d'évaluation. En revanche, il y a lieu d'allouer 5 000 euros de dommages-intérêts pour le préjudice moral, le licenciement étant abusif.
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 12 DÉCEMBRE 2023
N° 2-2022/2023
* En la cause de Madame n. A., demeurant x1 à BEAUSOLEIL (06240) ;
Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Sophia BOUZIDI, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
* La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe x2 à MONACO (98000), prise en la personne de son Président Délégué, domicilié en cette qualité audit siège ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Thomas BREZZO, avocat près la même Cour ;
d'autre part ;
Visa
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
* Vu la requête introductive d'instance en date du 23 juin 2022, reçue le 27 juin 2022 ;
* Vu la procédure enregistrée sous le numéro 2-2022/2023 ;
* Vu les convocations à comparaître par-devant le N. de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 12 juillet 2022 ;
* Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur au nom de Madame n.A, en date du 13 juillet 2023 ;
* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. B., en date du 12 octobre 2023 ;
* À l'audience publique du 26 octobre 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 12 décembre 2023, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernières en ayant été avisées par Madame le Président ;
* Vu les pièces du dossier ;
Motifs
Madame n. A. a été embauchée en qualité d'Hôtesse d'accueil par la société anonyme monégasque B. (ci-après B..) à compter du 10 mai 2010. Elle était affectée au C. depuis mai 2011 et a été promue Chef hôtesse à compter du 11 décembre 2011. Elle a été placée en arrêt de travail à compter du 2 juillet 2020. Elle a été déclarée inapte définitif à son poste le 30 novembre 2021. Suite à l'avis favorable de la Commission de reclassement, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 11 janvier 2022.
Madame n. A. a saisi le Tribunal du travail par requête reçue le 27 juin 2022 aux fins d'obtenir :
* 91.200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral du fait de la situation de harcèlement moral et de l'exécution déloyale du contrat de travail,
* 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral du fait de la situation de harcèlement sexuel,
* 57.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice professionnel du fait de la situation de harcèlement moral et sexuel et de l'exécution déloyale du contrat de travail,
* 45.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique du fait du licenciement pour motif fallacieux,
* 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice pour licenciement abusif et vexatoire,
* 5.000 euros au titre des frais irrépétibles,
* les intérêts,
* les dépens,
* l'exécution provisoire.
À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le N. de Jugement.
Par conclusions considérées comme récapitulatives du 13 juillet 2023, Madame n. A. fait valoir pour l'essentiel que :
* elle a subi durant des années les agissements de ses supérieurs pouvant être qualifiés de harcèlement moral et sexuel,
* la loi sur le harcèlement est applicable, les faits ayant perduré jusqu'en 2020,
* en outre, les demandes portent également sur l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail,
* Madame n. A. a été confrontée à une dégradation constante de ses conditions de travail marquée notamment par les agissements de son manager et de son directeur,
* elle a dû affronter une charge de travail considérable, particulièrement lors de son retour de maternité,
* elle devait affronter au quotidien des pressions, des propos choquants, des situations humiliantes, des propos sexistes et dégradants,
* elle était volontairement mise en difficulté, son manager utilisant sa carte professionnelle pour supprimer des commandes, réalisait de fausses réservations,
* la seule évaluation produite par la B. n'est pas signée et a été annotée a posteriori par l'employeur,
* elle permet toutefois de constater qu'elle avait alerté sa hiérarchie sur sa charge de travail et l'organisation de travail inadaptée,
* l'enquête harcèlement menée par la B. n'a été ni impartiale, ni exhaustive, les témoignages confirmant le harcèlement et mettant en cause la Direction ayant été purement et simplement écartés,
* le supérieur en cause a été licencié le 6 juillet 2021 du fait des pratiques de harcèlement qui lui étaient reprochées, contrairement à ce qui est affirmé,
* juridiquement, l'employeur répond des agissements de ses employés commis dans le cadre de leur fonction, sans qu'il ne soit besoin de rechercher de volonté délibérée, de dol spécial ou d'intention de nuire,
* de nombreux salariés ou anciens salariés témoignent du harcèlement mis en oeuvre en sein du C. et particulièrement à l'encontre de Madame n. A.,
* la dégradation de l'état de santé en conséquence de cette situation est documentée et plusieurs certificats médicaux en témoignent,
* dès le 16 mars 2021, le Médecin du Travail concluait à une impossibilité de reprise dans l'entreprise ou de reclassement,
* pourtant l'employeur ne s'en inquiétera pas,
* alors qu'elle avait toujours travaillé de nuit, son employeur tentait de lui imposer une modification en horaire de jour dès 2019,
* puis il a exercé un chantage afin de la rétrograder et de diminuer son salaire,
* elle a accepté de faire un essai à des horaires de jour sans impact sur son statut ni sa rémunération,
* or, après le confinement, l'employeur l'a volontairement mise en difficulté, en lui imposant de reprendre le travail à des horaires inadaptés à la garde de son enfant et ce alors que d'autres solutions étaient envisageables,
* l'employeur l'a volontairement mise dans une impasse afin de lui imposer d'accepter une rétrogradation ou la pousser à quitter la société,
* le licenciement est fallacieux puisque l'inaptitude trouve son origine dans le harcèlement subi par la salariée,
* l'ensemble des agissements de l'employeur, au cours de la procédure de licenciement et postérieurement, ont aggravé le préjudice moral de Madame n. A.
Par conclusions récapitulatives du 12 octobre 2023, la B.. sollicite le débouté de Madame n. A., outre 5.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
* Madame n. A. n'a évoqué une situation de harcèlement que très tardivement, suite au refus de sa candidature au plan de départ volontaire, puis de refus de « sortie négociée »,
* la B. a respecté l'ensemble de ses obligations en matière de harcèlement,
* elle a diligenté une enquête qui n'a pas permis de caractériser des faits laissant présumer l'existence de harcèlement moral et sexuel,
* les faits dénoncés sont pour certains prescrits,
* les faits qu'elle dénonce ne sont pas précis,
* en tout état de cause, ils ne sont pas prouvés,
* les attestations d'anciens collègues ne font que relater leur situation personnelle,
* Madame n. A. n'avait jamais porté aucune réclamation ou alerte au cours de l'exécution de la relation de travail,
* les comptes rendus de réunions des délégués du personnel ne font pas état de la situation personnelle de Madame n. A. ni de harcèlement,
* les difficultés organisationnelles n'établissent pas pour autant le harcèlement qu'elle prétend avoir subi,
* elle n'a jamais signalé un quelconque mal-être au travail,
* une situation de tension n'est pas constitutive de harcèlement moral,
* au cours de la relation de travail, le Médecin du Travail n'a jamais décelé le moindre danger pour l'état de santé de la salariée,
* la documentation médicale produite par Madame n. A. ne démontre pas le lien de causalité entre les faits qu'elle allègue et son état de santé,
* la demande au titre du harcèlement sexuel est inédite,
* aucun fait de nature sexuelle n'avait été dénoncé dans le cadre de son signalement,
* aucun élément n'est apporté dans le cadre des présentes demandes,
* la B. s'est toujours montrée à l'écoute de Madame n. A.,
* plusieurs propositions afin de régler ses difficultés de garde de son enfant lui avaient été formulées,
* un aménagement de poste en qualité d'Hôtesse en horaires de jour a été réalisé à sa demande, contrairement à ce qu'elle affirme,
* après le confinement elle n'a pas accepté les nouvelles modalités salariales qui consistaient pourtant en un effort consenti par l'employeur afin de répondre à ses besoins de garde d'enfant,
* le licenciement est valable, la procédure relative au reclassement des salariés déclarés inaptes ayant été respectée.
SUR CE,
* Sur le harcèlement
Aux termes de l'article 2 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017, nul ne doit se livrer au harcèlement au travail. Le harcèlement moral se définit comme le fait de soumettre, sciemment et par quelque moyen que ce soit, dans le cadre d'une relation de travail, une personne à des actions ou omission répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à sa dignité ou se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. Quant au harcèlement sexuel, il vise spécifiquement les propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexistes qui, soit portent atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent une situation intimidante, hostile ou offensante.
Les agissements ainsi décrits étaient sanctionnés avant la promulgation de cette loi sous l'angle de l'exécution déloyale du contrat de travail.
En application de l'article 6, « il incombe à la personne qui allègue être victime d'un fait mentionné à l'article 2 d'établir, par tous moyens conformes à la loi, les faits qui permettent d'en présumer l'existence ».
En l'espèce, Madame n. A. dénonce des faits de harcèlement moral et sexuel commis pendant plusieurs années par ses managers Messieurs f. D. et m. E., ainsi que des faits de harcèlement moral commis de manière plus générale par sa Direction dans le cadre de son évolution de carrière.
Plus précisément, par signalement du 19 mai 2021, elle déplore :
* des remarques sexistes lors de sa grossesse,
* des reproches habituels,
* un management toxique,
* une surcharge importante de travail,
* une désorganisation du service,
* des commentaires déplacés.
Si certains faits dénoncés remontent à une période de plus de cinq ans avant la saisine du Tribunal, le point de départ du délai de prescription en matière de harcèlement court à partir du dernier acte de harcèlement.
Concernant les conditions de travail à l'accueil, les témoignages des salariés permettent d'établir les faits suivants :
* Madame n. A. dénonçait la surcharge et les conditions de travail mais rien ne changeait (témoignage de Madame a. F.),
* les équipes étaient en difficulté à cause du manque de personnel pour l'accueil, le lounge et la terrasse (témoignage de Madame G.),
* les hôtesses étaient incitées à faire du surbooking puis abandonnées face à des clients agressifs (témoignage Madame H.),
* à cause d'une mauvaise gestion du personnel, les hôtesses devaient régulièrement faire des tâches au bar (témoignage Madame I. et de Madame H.),
* la situation de surcharge de travail et de manque de personnel avait été dénoncée au délégué du personnel (témoignage dudit Délégué, Monsieur J.),
* les managers laissaient volontairement les équipes en sous-effectif (témoignage de Madame G.).
Cette saisine de la représentation du personnel est confirmée par les comptes rendus de réunions des délégués du personnel des 25 avril et 16 novembre 2017, les difficultés rencontrées par l'équipe de l'accueil étant clairement dénoncées. Aucune suite n'était apportée par la Direction, celle-ci indiquant même qu'aucun recrutement de plongeur n'était envisagé, alors que les hôtesses devaient quotidiennement se charger de cette tâche.
Concernant le comportement des managers, qui auraient manipulé le personnel pour créer la discorde, ciblé Madame n. A. de reproches injustifiés, les témoignages des salariés permettent d'établir les faits suivants :
* Monsieur f. D. montait les autres hôtesses contre elle pour essayer de la faire partir (témoignage de Mesdames i. K., a. F. et H.),
* Monsieur m. E. lui avait interdit de former les nouvelles hôtesses tout en lui reprochant de ne pas déléguer (témoignage de Madame i. K.),
* les managers l'avaient ciblée comme problématique auprès de Monsieur L. (témoignage de Madame i. K.), et tentaient de lui imputer les départs (témoignage de Madame a. F.),
* Monsieur m. E. la critiquait continuellement (témoignage de Madame G.),
* elle était ridiculisée et dénigrée par les managers (témoignage de Madame I.).
Concernant les propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexistes, les témoignages des salariés permettent d'établir les faits suivants :
* Madame I. a été victime de propos sexistes de Monsieur f. D. (témoignages de Mesdames I. et i. K.),
* Monsieur f. D. adoptait de manière générale un comportement déplacé et agressif vis-à-vis des femmes (témoignages Mesdames i. K. et a. F.),
* les managers dénigraient la condition de femme et les origines de Madame n. A. (témoignage de Madame a. F.),
* les agissements déplacés des managers vis-à-vis des employées ont été dénoncés à plusieurs reprises à Monsieur J., Délégué du Personnel,
* la présentation de Madame n. A. lors de sa grossesse était critiquée par les managers (témoignage de Madame a. F).
L'ensemble de ces éléments constitue bien un faisceau d'indices graves, précis et concordants. En effet, le nombre de témoignage est éloquent. Ils dénoncent tous un même mode opératoire de la part des managers, celui de dénigrer la cheffe hôtesse auprès des nouvelles recrues, de ne pas donner les moyens à l'équipe de l'accueil de travailler dans des bonnes conditions tout en reprochant à Madame n. A. d'être responsable de la situation. Ils donnent des précisions sur la méthode, détaillent les propos outranciers de Monsieur f. D. et les manoeuvres des managers pour accuser Madame n. A. d'être responsable du départ des hôtesses. Ils recèlent également des omissions volontaires, celles de ne pas soutenir l'équipe, de ne pas renforcer les effectifs, malgré les nombreuses alertes sur la dégradation des conditions de travail.
Concernant l'altération de la santé physique ou mentale de Madame n. A. elle est étayée par les nombreux témoignages de ses collègues :
* Madame i. K. la voyait sombrer dans la dépression petit à petit,
* Madame a. F. décrit sa transformation en une personne effrayée et découragée,
* Madame G. relate les multiples malaises qu'elle faisait,
* Madame H. la définit comme triste, éteinte et affaiblie (…).
Et documentée par des pièces médicales :
* elle est suivie depuis le 2 juillet 2020 pour burn-out et syndrome anxio-dépressif majeur, les symptômes cliniques étant une diminution pathologique de la volonté, une anorexie (perte de 10 kilos en 3 mois), une perte de capacité à ressentir le plaisir et une irritabilité,
* en juin 2022 son état psychologique était toujours précaire avec la persistance d'anxiété et de trouble de la concentration,
* l'amélioration de son état n'était que partiel, de nombreux symptômes persistants : humeur fragile, angoisses, perte de capacité à ressentir le plaisir, diminution pathologique de la volonté, difficultés de sommeil,
* et ce malgré le suivi d'une thérapie EMDR de janvier à juillet 2021.
Face à ce faisceau d'indices, en application de l'article 6 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 « il incombe au défendeur de prouver que les faits ainsi établis ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que lesdits faits résultent d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
Si cette loi n'est entrée en vigueur que le 23 décembre 2017, ces dispositions en matière de preuve sont applicables à l'ensemble des faits dénoncés puisque le signalement est de mai 2021, soit dans un temps où la loi s'appliquait.
En l'espèce, pour prouver qu'il n'y a pas eu de harcèlement, l'employeur produit un certain nombre d'éléments.
L'absence de dénonciation des représentants du personnel lors des réunions du comité d'hygiène et de sécurité n'est pas de nature à contredire les signalements clairs et précis effectués lors des réunions des délégués du personnel.
La surcharge de travail peut répondre à la définition du harcèlement moral, si elle est liée à des omissions répétées commises sciemment. Or, au regard du nombre d'alertes sur les conditions de travail au sein de l'équipe d'accueil du C. et de l'inertie de la Direction pour y remédier, voir à la volonté délibérée de ne pas modifier la situation (refus d'embauche d'un plongeur alors que ce sont les hôtesses qui effectuent cette tâche), les éléments constitutifs sont bien caractérisés.
La seule évaluation de Madame n. A. n'a pas plus de force probante. Elle est en effet réalisée par Monsieur f. D., celui-là même qui commet des agissements de harcèlement. Surtout, elle est symptomatique du système mis en place à son encontre. Lorsque Monsieur f. D. lui indique « il faut cependant apprendre à déléguer beaucoup plus afin de se préserver d'avantage », il lui fait un reproche parfaitement injustifié. En effet, Madame n. A. était empêchée de trop former les hôtesses, nombre d'entre elles avaient quitté leurs fonctions au cours des années et elles subissaient une surcharge de travail importante. Quant au commentaire « savoir communiquer sans faire ressortir ses émotions », il permet de comprendre que le mal-être de Madame n. A., contrairement à ce qui est affirmé, avait parfaitement été décelé.
Quant à l'enquête diligentée par la Direction, elle laisse perplexe. Mis à part les interprétations subjectives de la Direction des Ressources Humaines sur le ressenti personnel de Madame n. A., elle ne se fonde que sur les seules déclarations de Monsieur m. E. pour dénier tout fait de harcèlement.
Or, Madame n. A. avait cité précisément de nombreuses hôtesses : c., m., a., j., v., k., et donné des exemples concrets concernant certaines d'entre elles : i. (M.), a.(F.). Elle citait également les différents responsables auxquels elle avait pu dénoncer des faits : Monsieur N., Monsieur L.. Aucune de ces personnes ne sera entendue, ni même contactée par la B. pour tenter de réaliser une enquête un minimum étayée et approfondie. À supposer que certaines de ces personnes ne soient plus employées, rien n'empêchait de tenter de les entendre. L'employeur se contentera de recueillir les dénégations de Monsieur m. E. et de vérifier auprès de Monsieur O. (Responsable facturation) qu'aucune fraude ou manipulation n'avait jamais été relevée à l'encontre de ce dernier (alors que ce n'est pas ce qui lui était reproché, mais d'avoir utilisé la carte de Madame n. A. à son insu).
La B. n'a pas non plus accompli une enquête diligente en se contentant d'affirmer que les départs au sein de l'équipe n'avaient pas de lien avec les événements dénoncés par Madame n. A.. Or, Mesdames a. F., G. et I. attestent clairement qu'elles ont quitté leur emploi à cause des conditions de travail imposées par les managers. Quant à la situation de Monsieur f. D., elle est évacuée par la B. sans explication, alors qu'il a lui-même indiqué à Madame i. K. avoir été licencié suite à des accusations de harcèlement. Les affirmations péremptoires de la B. ne correspondent pas à une enquête, qui doit s'attacher à réaliser de réelles investigations et à communiquer l'ensemble des informations ; à charge pour la Direction, dans un premier temps, puis le Tribunal le cas échéant, d'en apprécier la valeur et la portée.
Plus encore, le témoignage de Madame I. est édifiant. Celle-ci précise
« je suis venue témoigner quand j'ai reçu une demande venant de la part de la Direction des ressources humaines de la B., même si je ne faisais plus partie de l'entreprise. J'ai appris par un ancienne collègue et amie que n. a déposé un dossier auprès du référent harcèlement et qu'elle a cité plusieurs personnes et plusieurs fais qui se sont passés à l'époque. J'ai accepté de témoigner pour apporter de la lumière et de la vérité qui a été si longtemps occultée sur les comportements des directeurs. Enfin j'ai pu dire les choses, que j'ai tant essayé d'effacer de ma mémoire, d'enfouir au plus profond de moi. Ça m'a apporté un grand apaisement et j'espère que ce témoignage pourra également apporter des éclaircissements sur la situation de n. ».
Or, les conclusions d'enquête ne font état d'aucun témoignage de Madame I., celle-ci n'étant même pas citée, renforçant la conviction d'absence totale de partialité et de transparence dans les conclusions de l'enquête.
À l'issue de l'analyse de l'ensemble des éléments, Madame n. A. a établi qu'elle avait été victime de harcèlement moral et sexuel. La B. n'a en revanche nullement prouvé que ces faits résultent d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Madame n. A. estime également avoir subi un harcèlement à l'issue du confinement afin de la forcer à accepter une rétrogradation et une perte de salaire. En l'absence de tout écrit quant aux propositions faites au début de l'année 2020, il n'est pas possible de déterminer ce dont les parties avaient convenu (horaires, salaire, tâches, intitulé de poste). Les seuls éléments établis sont le refus de maintien en CTTR à compter de juillet 2020 et de prise de congés payés. Or, compte tenu de la réouverture des établissements ces refus étaient objectivement motivés, le C. ayant besoin que son personnel reprenne ses activités. Cet épisode ne correspond en conséquence pas à la définition du harcèlement.
Les faits de harcèlement ayant couru jusqu'en mars 2020, date à laquelle Madame n. A. a exercé au sein du C. pour la dernière fois, ils n'étaient pas prescrits lors de la saisine du Bureau de Conciliation en juin 2022.
Au sujet du préjudice de Madame n. A., si elle distingue ses demandes dans sa requête, elle ne le fait nullement dans ses conclusions. Ainsi, elle ne motive pas le préjudice économique qu'elle aurait subi au cours de l'exécution du contrat de travail (pas de sanction disciplinaire ou financière, aucun refus de mobilité…). Elle ne ventile pas plus le préjudice qu'elle aurait subi du fait du harcèlement moral (surcharge de travail, dénigrement, reproches injustifiés…) de celui subi du fait du harcèlement sexuel (propos sexistes sur son ventre, sa condition de femme). Dans ces conditions, seul le préjudice moral pour l'ensemble des faits de harcèlement subis sera indemnisé.
Madame n. A. était mère d'un jeune enfant et a vu sa santé profondément affectée. Elle s'est dégradée au fil des années, comme en témoignent ses anciennes collègues, pour atteindre son paroxysme en juillet 2020 avec l'installation durable de symptômes particulièrement invalidants. Ces troubles ont subsisté au moins pendant deux ans. Il convient en conséquence de condamner la B.. à lui verser la somme de 100.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral et sexuel, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
* Sur le licenciement
Madame n. A. a été licenciée pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement suite à l'avis du Médecin du Travail du 30 novembre 2021 indiquant que son état de santé faisait obstacle à toute proposition de reclassement.
Or, cette inaptitude est la conséquence directe des agissements de harcèlement dont Madame n. A. a été victime. En effet, il est établi que la dégradation progressive de l'état de santé de Madame n. A. a été causée par les agissements sur son lieu de travail, de nombreuses employées ayant constaté son état de stress, ses pleurs et malaises, sa dépression. La documentation médicale étaye quant à elle les symptômes invalidants issus du syndrome anxio-dépressif qui s'est déclenché. Le licenciement trouve en réalité son origine dans le comportement fautif de l'employeur, tant dans les agissements commis par ses cadres dirigeants que dans l'inaction de la Direction. Elle n'a en effet donné aucune suite aux alertes de Madame n. A. et des délégués du personnel. Elle n'a pas apporté la réponse adaptée au signalement harcèlement, en concluant à son absence après une enquête incomplète et subjective.
Ces éléments caractérisent en conséquence la fausseté du motif de licenciement, ouvrant droit à réparation du préjudice économique. En l'espèce, celui-ci n'est pas documenté, si ce n'est par le fait qu'elle était toujours inscrite à Pôle Emploi en décembre 2022 selon attestation du psychologue du service. Néanmoins, aucune pièce ne démontre précisément la perte de rémunération et son étendue, en sorte que le Tribunal ne peut l'évaluer. Dans ces conditions la demande au titre du préjudice économique sera rejetée.
Concernant les circonstances de mise en oeuvre, la procédure a été respectée par la B., qui n'a pas fait preuve de précipitation, de brutalité ou de mesure vexatoire.
En revanche, le licenciement trouvant sa cause dans le harcèlement il est abusif et a causé un préjudice moral à Madame n. A., privée d'emploi alors qu'elle se trouvait en grande détresse psychologique. La B. sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
* Sur les autres demandes
La B. succombant, elle sera condamnée aux entiers dépens. Elle sera en outre condamnée à verser à Madame n. A. une somme qu'il est équitable de fixer à 5.000 euros au titre des frais irrépétibles. Dans ces conditions sa demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée.
L'urgence n'étant pas documentée, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Condamne la société anonyme monégasque B. à verser à Madame n. A. la somme de 100.000 euros (cent mille euros) de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de harcèlement moral et sexuel, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Rejette le surplus de la demande ;
Rejette la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice professionnel subi du fait de harcèlement moral et sexuel et de l'exécution déloyale du contrat de travail ;
Rejette la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique du fait du licenciement pour motif fallacieux ;
Condamne la S. A. M. B.. à verser à Madame n. A. la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Rejette le surplus de la demande ;
Condamne la S. A. M. B.. aux entiers dépens ;
Condamne la S. A. M. B.. à verser à Madame n. A. la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) au titre des frais irrépétibles ;
Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Composition
Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du N. de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Régis MEURILLION et Jean-Sébastien FIORUCCI, membres employeurs, Messieurs Jean-Pierre MESSY et Georges-Éric TRUCHON, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le douze décembre deux mille vingt-trois.
^