Abstract
Procédure civile - Pièces - Communication tardive - Violation du principe de la contradiction - Rejet - Attestation - Respect des conditions de fond et de forme (oui) - Demande d'audition de témoins - Participants à l'audience de conciliation - Rejet (oui)
Contrat de travail - Non-respect des démarches d'embauchage - Refus d'autorisation de travail - Licenciement - Motif non valable - Rupture abusive dans la mise en œuvre - Préjudice moral
Résumé
La demanderesse n'a pas respecté le principe du contradictoire en communiquant une pièce la veille de l'audience et en s'opposant à tout renvoi. La pièce est écartée des débats.
L'attestation litigeuse, produite par l'employeur, a été rédigée selon un modèle français. Elle respecte toutes les règles de fond et de forme de l'article 324 du Code de procédure civile. La différence entre le quantum des sanctions pénales en droit français mentionnées dans l'attestation et celles applicables en droit monégasque n'est pas une cause de nullité.
La demande d'audition des personnes ayant participé à l'audience de conciliation est rejetée. Il ressort du procès-verbal que les parties ne se sont pas mises d'accord et il ne peut servir de fondement à une condamnation de l'employeur sur la base de la somme proposée à titre transactionnel. Le principe même de la conciliation veut qu'elle soit extraite de la vérité judiciaire. Quant au procès-verbal, il ne peut être attaqué que par la voie de la nullité ou de la rescision.
La demanderesse ne justifie pas du non-respect par l'employeur de ses obligations liées au contrat de travail. En revanche, l'employeur n'ayant pas respecté les démarches d'embauchage, il ne peut valablement fonder le licenciement sur le refus d'autorisation de travailler et est en conséquence redevable de l'indemnité de licenciement.
L'employeur a mis en œuvre le licenciement de manière abusive, en ne remplissant la salariée que partiellement de ses droits avec un mois de retard. Dans ces conditions, le préjudice moral de la salariée doit être indemnisé.
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 15 DÉCEMBRE 2023
N° 41-2022/2023
* En la cause de Madame l. A., née le jma à MONTFORT-LE-ROTROU (72000), de nationalité Française, demeurant x1 à FALICON (06950) ;
Demanderesse, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 200 BAJ 23 du 9 janvier 2023, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part ;
Contre :
* La société à responsabilité limitée dénommée B., dont le siège social se situe « x2 »,x2à MONACO (98000) ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Dominique SALVIA, avocat au barreau de Nice ;
d'autre part ;
Visa
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
* Vu la requête introductive d'instance en date du 30 décembre 2022, reçue le 2 janvier 2023 ;
* Vu la procédure enregistrée sous le numéro 41-2022/2023 ;
* Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 24 janvier 2023 ;
* Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat-défenseur au nom de Madame l.A, en date du 14 avril 2023 ;
* Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de la S. A. R. L. B., en date du 12 octobre 2023 ;
* À l'audience publique du 19 octobre 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 15 décembre 2023, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernières en ayant été avisées par Madame le Président ;
* Vu les pièces du dossier ;
Motifs
Madame l. A. a été embauchée aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée daté du 26 juillet 2022, en qualité d'Opticienne / Vendeuse par la société à responsabilité limitée B..
Madame l. A. a saisi le Tribunal du travail par requête reçue le 2 janvier 2023, aux fins d'obtenir :
* 1.130 euros (salaire du 1^er au 7 décembre 2022),
* 1.815 euros d'indemnités journalières du 8 décembre 2022 au 3 janvier 2023,
* 1.295 euros de congés payés dus (9,5 jours),
* 2.882 euros de préavis 1 mois,
* 2.509 euros de cotisations sociales prélevées de mes salaires mais non distribuées (non déclarées),
* 9.052 euros impact (de mon travail du 26 juillet 2022 au 31 décembre 2022) sur mes futures indemnités chômage qui ne prendront pas en calcul mes salaires non déclarés (du 26 juillet 2022 au 31 décembre 2022),
* 25.900 euros, préjudices financier, moral et matériel,
Par courrier du 23 janvier 2023, elle formait les demandes complémentaires suivantes :
* 1.500 euros de rappel de salaire au titre du salaire dû pour le mois de décembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2022,
* 1.500 euros pour 9,5 jours de congés payés dus, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Bureau de Conciliation,
* 4.000 euros de cotisations sociales indument prélevées des salaires, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Bureau de Conciliation,
* 2.000 euros d'indemnités journalières dues pour la période du 8 décembre 2022 au 3 janvier 2023, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Bureau de Conciliation,
* 25.000 euros de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
* 4.000 euros d'indemnité due au titre de la clause de non-concurrence, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Bureau de Conciliation,
* 800 euros d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Bureau de Conciliation,
* 35.000 euros de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice moral et matériel subi au titre du licenciement abusif,
* la rectification de la documentation sociale sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
* l'exécution provisoire.
À l'audience de conciliation, Madame l. A. renonçait à la demande de 2.882 euros au titre du préavis d'un mois. À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.
Par conclusions considérées récapitulatives du 14 avril 2023 et à l'audience de plaidoirie, Madame l. A. sollicite :
* la nullité de la pièce adverse n° 8,
* 1.153,53 euros de rappel de salaire et indemnités journalières pour le mois de décembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2022,
* 2.581,26 euros de cotisations sociales indument prélevées des salaires, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Bureau de Conciliation,
* 405,35 euros pour 9,5 jours de congés payés dus, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Bureau de Conciliation,
* 3.600,18 euros d'indemnité due au titre de la clause de non-concurrence, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Bureau de Conciliation,
* 800 euros d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Bureau de Conciliation,
* 25.000 euros de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
* 35.000 euros de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice moral et matériel subi au titre du licenciement abusif,
* a minima 26.500 euros correspondant à la somme que la société B. s'est engagée à payer lors de l'audience de conciliation du 23 janvier 2023,
* la rectification de la documentation sociale sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
* l'exécution provisoire,
* 3.500 euros au titre des frais irrépétibles,
* les dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
* sa pièce n° 27 est recevable, aucune clôture n'ayant été ordonnée,
* embauchée le 26 juillet 2022, les conditions d'emploi n'ont été formalisées que le 6 septembre 2022,
* la rémunération portée sur le contrat ne correspondait pas à celle sur laquelle s'étaient accordées les parties,
* l'employeur ne répondait jamais à ses réclamations,
* le salaire n'était pas toujours versé dans son intégralité et parfois avec retard,
* elle devait se contenter d'acomptes, indûment qualifiés comme tels puisqu'en réalité payés à l'échéance à laquelle elle aurait dû toucher son plein salaire,
* de ce salaire brut étaient déduites les cotisations sociales, alors qu'elle n'a en réalité jamais été déclarée aux caisses sociales,
* les démarches afin de régulariser l'embauche n'ont été initiées que 4 mois après,
* sa non-déclaration n'était pas liée à la situation de l'expansion économique, l'employeur ayant la possibilité de la déclarer dans son établissement principal et l'établissement secondaire ayant été autorisé dès le 1^er août,
* son arrêt de travail n'a pas été pris en charge du fait de l'irrégularité de sa situation,
* cette situation d'irrégularité et d'insécurité a placé la salariée dans une situation particulièrement angoissante et précaire,
* elle ne disposait d'aucun droit ni d'aucune protection,
* elle aurait dû bénéficier d'un maintien de salaire plein, outre le règlement des heures supplémentaires et dimanches travaillés et reste à percevoir la somme de 1.153,53 euros, de laquelle aucune cotisation ne doit être déduite en l'état de son absence de déclaration aux caisses,
* les cotisations sociales indûment prélevées doivent lui être restituées,
* le motif de licenciement n'est pas valable,
* s'il est exact que le Service de l'Emploi a refusé l'autorisation de travail, l'employeur ne peut s'en prévaloir alors qu'il en est responsable,
* seule la démonstration par l'employeur de ce qu'il a respecté les obligations légales en matière d'embauche serait de nature à permettre de considérer que ce motif de licenciement serait valable,
* si les démarches avaient été faites préalablement à l'embauche, Madame l. A. n'aurait pas quitté sa région et son ancien poste,
* le licenciement est fallacieux, pour mettre un terme à une situation manifeste de contournement de l'ensemble des dispositions légales depuis l'embauche de la salariée,
* les circonstances du licenciement sont abusives,
* Madame l. A. a appris de l'Inspection du Travail et non de son employeur que son permis de travail avait été refusé,
* l'employeur n'a pas pris la peine, en pleine période de Noël et alors qu'elle venait de subir une intervention chirurgicale, de lui accorder un entretien en personne ou téléphonique,
* au contraire, il s'est contenté d'un courrier sec, dépourvu de toute considération, et allant même jusqu'à l'accuser d'avoir subtilisé des montures,
* il n'a pas mis à sa disposition ses documents de fin de contrat, la contraignant à les réclamer et à répondre à ses accusations infondées,
* la documentation n'a été remise que plus d'un mois après la saisine du Tribunal du travail et plus d'une semaine après l'audience devant le Bureau de Conciliation,
* elle n'a néanmoins toujours pas été remplie de l'intégralité de ses droits,
* sur la base d'un salaire moyen brut de 3.600 euros elle aurait dû percevoir une indemnité compensatrice de congés payés de 1.641,60 euros pour 9,5 jours de congés payés et il lui reste à percevoir 409,35 euros,
* compte tenu de la régularisation de la situation auprès des caisses sociales les sommes sont dorénavant réclamées en net,
* elle n'a retrouvé un emploi payé au Smic français qu'en juin 2023, n'a pu être prise en charge par Pôle Emploi que tardivement et se retrouve dans une situation précaire, éloignée de sa fille dans une colocation,
* au terme du contrat, une clause de non-concurrence était prévue, dont l'employeur ne l'a pas libérée,
* la libération aux termes des conclusions d'octobre 2023 n'a pas d'effet,
* il est en conséquence tenue de lui verser l'indemnité afférente,
* l'employeur est tenu de verser la somme qu'il a reconnu devoir devant le Bureau de Conciliation en application de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946,
* au besoin de confirmation de la réalité de cet engagement, le Tribunal peut ordonner toute mesure d'instruction nécessaire,
* l'équité commande que l'avocat bénéficie d'une somme correspondant aux frais que Madame l. A. aurait exposés si elle n'avait pas bénéficié de l'assistance judiciaire,
* la précarité de sa situation financière justifie que l'exécution provisoire soit ordonnée.
Par conclusions du 17 octobre 2023 et à l'audience de plaidoirie, la S. A. R. L. B. sollicite que la pièce adverse n° 27 soit écartée des débats, le débouté de l'intégralité des demandes de Madame l. A., outre sa condamnation à 3.000 euros de dommages et intérêts et 3.500 euros au titre des frais irrépétibles, sous l'exécution provisoire et les dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
* la pièce communiquée la veille de l'audience ne peut être retenue en l'absence de respect du contradictoire,
* les conditions d'embauche étaient prévues dès la promesse d'embauche, reçue avant la prise de poste, et correspondent à ce qui est stipulé au contrat de travail,
* le salaire brut était de 2.882,18 euros pour 169 heures mensuelles et les frais de déplacement devaient être remboursés sur justificatifs,
* aucune augmentation de salaire ou pourcentage sur les ventes n'a jamais été envisagée,
* les démarches auprès du Service de l'Emploi et des Caisses Sociales ont été réalisées dès le mois de juillet 2022,
* le retard a été causé par l'administration qui avait perdu le dossier,
* la situation a été régularisée au 27 juillet 2022 par les administrations concernées du fait du retard qui leur était imputable,
* le lendemain du refus d'embauche, Madame l. A. a produit un arrêt de travail établi par un médecin du sommeil, puis prolongé par un médecin chirurgien esthétique,
* en travaillant pour la remplacer le gérant s'est rendu compte qu'il manquait des montures,
* l'autre salariée lui indiquait qu'elles avaient été prises par Madame l. A, ainsi que de l'argent dans la caisse sans autorisation,
* les lunettes n'ont été restituées que tardivement suite à un dépôt de plainte,
* le licenciement est justifié par le refus d'embauche, indépendant de la volonté de l'employeur,
* le vol était un comportement particulièrement fautif de la salariée,
* le licenciement a été notifié par lettre du 19 décembre 2022,
* le chèque du solde de tout compte a été reçu le 26 janvier 2023,
* les cotisations sociales n'ont pas été indûment prélevées mais payées aux caisses sociales,
* l'intégralité de l'indemnité compensatrice de congés payés a été réglée,
* l'indemnité de non-concurrence est sans objet, l'employeur notifiant sa libération,
* l'employeur ne s'est jamais engagé à verser une indemnité transactionnelle, aucun procès-verbal de conciliation n'ayant été dressé,
* la société B. a subi un préjudice lié à la dégradation de son image et de sa respectabilité,
* les demandes indemnitaires sont totalement disproportionnées.
SUR CE,
* Sur les pièces
La société B. sollicite que la pièce n° 27 produite par Madame l. A. soit écartée des débats. Elle a été communiquée au conseil du défendeur le 18 octobre entre 10 heures 13 (heure d'envoi par la cliente) et 17 heures 50 (heure d'envoi au Secrétariat du Tribunal du travail), soit la veille de l'audience de plaidoirie.
Si en application de l'article 180 du Code de procédure civile, hors les dispositions de l'ordonnance de clôture, les avocats-défenseurs peuvent déposer des conclusions, écritures et pièces au greffe général au plus tard le dernier jour ouvré précédent la date d'audience de plaidoirie, cette règle s'analyse à l'aune du principe général du contradictoire.
En effet, toute cause doit être débattue contradictoirement et les parties doivent être en mesure de pouvoir préparer leur défense en ayant connaissance des moyens et pièces de leur contradicteur et en disposant pour ce faire d'un délai raisonnable.
En communiquant la veille de l'audience une pièce composée d'échanges de messages, Madame l. A. n'a pas respecté ce principe général du contradictoire. Elle s'est en outre formellement opposée au renvoi de l'audience afin de permettre à son contradicteur de prendre connaissance de cette pièce et de se positionner. Dans ces conditions la pièce sera écartée des débats.
La société B. produit en pièce n° 8 une attestation. Aux termes de l'article 324 du Code de procédure civile les attestations doivent, à peine de nullité, respecter des règles de forme et de fond. Elles doivent en effet permettre aux juridictions de connaître l'identité de l'attestant et son degré de lien avec les parties ainsi que d'intérêt au procès. Elles doivent par ailleurs faire ressortir clairement que l'attestant a connaissance des sanctions encourues en cas de fausse attestation.
En l'espèce, l'attestante est clairement identifiée comme une salariée du défendeur et le Tribunal dispose de tous les éléments pour apprécier son lien de subordination. Par ailleurs, l'attestation querellée a été rédigée sur la base d'un modèle français. Elle mentionne dès lors qu'elle est établie en vue de sa production en justice et qu'une sanction d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende est encourue en cas d'état de faits matériellement inexacts.
Si, en droit monégasque, en application de l'article 103 du Code pénal, la sanction est en réalité de six mois à trois ans d'emprisonnement et de 2.250 à 9.000 euros d'amende, cette seule différence n'est pas de nature à entraîner la nullité.
En effet, les éléments essentiels sont remplis, le Tribunal étant à même d'apprécier la qualité de l'attestante et cette dernière ayant parfaitement connaissance du fait qu'elle s'expose à de lourdes sanctions pénales en cas de fausse attestation. La pièce n° 8 ne sera en conséquence pas annulée.
* Sur l'audition de témoins
Si en application des articles 300 et suivants du Code de procédure civile des mesures d'instruction peuvent être ordonnées, encore faut-il déterminer si elles sont nécessaires à la solution du litige.
En l'espèce, Madame l. A. sollicite l'audition des personnes ayant participé à l'audience de conciliation afin de confirmer que l'employeur aurait proposé une indemnisation transactionnelle de 26.500 euros.
Aux termes de l'article 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, en cas d'accord sur tout ou partie des demandes, un procès-verbal mentionnant les conditions de l'arrangement intervenu doit être immédiatement dressé par le Bureau de Conciliation. Par ailleurs, les conventions des parties insérées au procès-verbal doivent être, en principe, exécutées immédiatement, l'extrait du procès-verbal signé du Président et du Secrétaire, valant, à défaut, titre exécutoire.
En l'espèce, si les notes de la secrétaire sur le dossier font mention de propositions et contre-propositions entre les parties puis d'un accord sur la somme de 26.500 euros, il n'en demeure pas moins qu'un procès-verbal de non-conciliation, actant de l'absence d'accord entre les parties, a été signé. Dans ces conditions, la demande de condamnation de l'employeur à cette somme ne repose sur aucun fondement juridique. En effet, le procès-verbal étant un acte juridique, il ne peut être attaqué que par les voies de nullité ou de rescision, une telle contestation relevant de la compétence générale d'attribution de la juridiction de droit commun.
Il doit par ailleurs être indiqué que ces échanges entre les parties n'ont aucun intérêt quant à l'appréciation de l'éventuel dommage de Madame l. A.. En effet, le principe même de la conciliation veut qu'elle soit extraite de la vérité judiciaire. Un employeur peut parfaitement accepter de verser une somme sans pourtant avoir commis une quelconque faute, simplement pour s'éviter le coût, les désagréments et la longueur d'une procédure, tout comme un salarié peut accepter de renoncer à certaines demandes pourtant justifiées pour les mêmes raisons.
Aucune mesure d'instruction ne sera en conséquence ordonnée et aucune condamnation ne sera prononcée sur le fondement de propositions de règlement non formalisées juridiquement.
* Sur le contrat de travail
Madame l. A. estime que son contrat de travail a été exécuté de mauvaise foi et revendique un certain nombre de sommes et des dommages et intérêts.
Elle sollicite le dédommagement des fautes suivantes :
* le non-respect de la promesse d'augmentation de salaire,
* le non-paiement de l'intégralité des salaires à échéance,
* le prélèvement indu de cotisations sociales,
* la non-prise en charge de ses indemnités journalières,
* le mauvais calcul de son indemnité de congés payés.
Aux termes d'une promesse d'embauche du 7 juillet 2022, Madame l. A. se voyait proposer un poste de vendeuse en contrat à durée indéterminée pour un salaire mensuel brut de 2.882,18 euros pour 169 heures de travail. Il est constant que le contrat a débuté le 26 juillet 2022 sur ces bases et qu'un contrat de travail a été présenté le 6 septembre 2022 à la signature de Madame l. A. reprenant les termes de la promesse d'embauche.
Il ne ressort d'aucun élément, si ce n'est des assertions imprécises (3.000/3.500 ?) de Madame l. A., que la volonté des parties se soit rencontrée sur autre chose que les termes de la promesse d'embauche.
Dans ces conditions, il n'est nullement établi que l'employeur ait exécuté le contrat de travail de mauvaise foi à ce sujet. La demande de 405,35 euros d'indemnité de congés payés fondée sur un salaire non contractuel sera en conséquence rejetée.
Concernant le paiement des salaires, si les bulletins mentionnent un paiement par chèque en fin de mois, les relevés de comptes de Madame l. A. démontrent le contraire.
Néanmoins, l'intégralité du salaire du mois de juillet 2022 avait été payée le 12 août et l'intégralité de celui du mois d'août 2022 le 12 septembre. Dans ces conditions, l'employeur n'a pas failli à ses obligations de paiement des salaires. En outre Madame l. A. ne justifie pas du préjudice qu'elle aurait subi.
Madame l. A. réclame le remboursement des cotisations sociales qui auraient été indûment prélevées. Or, elle a été déclarée dès le mois d'août 2022 auprès des caisses sociales et les cotisations ont été prélevées à juste titre. Sa demande de 2.581,26 euros sera en conséquence rejetée.
Madame l. A. déplore le non-versement d'une partie de son salaire au cours du mois de décembre 2022 en raison de son absence pour maladie, qui n'aurait pas été pris en charge du fait de l'absence de couverture sociale dont son employeur serait responsable.
Il convient de noter que l'absence de prise en charge au titre de l'arrêt de travail n'est aucunement documentée et que pour ce seul motif la demande de paiement de 1.153,53 euros sera rejetée. Surabondamment, la non-prise en charge alléguée paraît surprenante, compte tenu du fait que Madame l. A. était bien déclarée aux caisses sociales. Elle peut en revanche certainement s'expliquer par le fait que les actes de chirurgie esthétique ne sont pas pris en charge par les caisses sociales et que Madame l. A. ne pouvait bénéficier d'un arrêt de travail à ce titre.
En revanche, le non-respect des formalités d'embauche constitue un manquement de l'employeur à ses obligations légales et caractérise une faute préjudiciable au salarié. Concernant l'étendue du préjudice de Madame l. A., ses affirmations quant à la précarité de sa situation personnelle ne sont pas documentées. Par ailleurs, il ne s'évalue que par rapport aux désagréments subis pendant l'exécution du contrat, et non pas lors de la rupture, objet d'un préjudice distinct analysé ci-dessous. Il justifie en conséquence la condamnation de la S. A. R. L. B. à lui verser la somme de 2.500 euros de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
* Sur le licenciement
Madame l. A. a été licenciée par courrier du 19 décembre 2022 suite au refus d'embauchage de l'Inspection du Travail pour non-respect des critères de priorité.
Si un tel refus ne permettait pas la poursuite de la relation de travail, il convient d'analyser le comportement de l'employeur pour déterminer s'il a commis un abus.
Aux termes de l'article 1^er de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 « aucun étranger ne peut occuper un emploi privé à Monaco s'il n'est titulaire d'un permis de travail ». Par ailleurs, aux termes de l'article 4, l'employeur doit obtenir, préalablement à l'entrée en service, une autorisation écrite de la direction de la main-d'oeuvre et des emplois.
En employant Madame l. A. avant que celle-ci ne soit autorisée à travailler, l'employeur a créé les conditions ayant engendré le dommage. S'il n'est pas responsable du refus, aucun licenciement ne serait intervenu s'il avait procédé à l'embauche conformément aux dispositions légales. Au pire, il aurait rompu une promesse d'embauche.
En outre, contrairement à ce qu'il affirme, l'employeur n'a pas été particulièrement diligent. Il n'a commencé les démarches que le 1^er août 2022 et n'a pas à cette occasion rempli les conditions posées par la loi. Il s'est en effet alors contenté de demander « s'il est possible de vous faire parvenir les offres d'emploi et de demander les autorisations de travail pour les futurs salariés ». Or, la procédure lui imposait, chronologiquement, de déposer une offre d'emploi, d'attendre quatre jours francs les éventuels candidats à l'emploi, puis, à défaut, de présenter son candidat.
L'employeur n'ayant pas respecté les démarches d'embauchage, il ne peut valablement fonder le licenciement sur le refus d'autorisation de travailler et est en conséquence redevable de l'indemnité de licenciement. Il convient de condamner la société B. à lui verser la somme de 576,44 euros (2.882,18 euros / 25 x 5 mois d'ancienneté), à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Si le motif de licenciement n'est pas valable, il n'est pas établi qu'un quelconque motif fallacieux sous-tende la décision de licenciement ni que l'employeur ait eu l'intention de nuire à la salariée, celui-ci s'étant contenté de se conformer à la décision de l'administration.
En revanche, il a mis en oeuvre le licenciement de manière abusive, en ne remplissant la salariée que partiellement de ses droits avec un mois de retard.
Dans ces conditions le préjudice moral de la salariée doit être indemnisé. Il doit être tenu compte de son âge mais surtout de son ancienneté de moins de cinq mois. En revanche, aucun élément ne vient démontrer les conditions de vie personnelle qu'elle allègue (démission, déménagement…). Il convient en conséquence de condamner la société B. à lui verser la somme de 3.000 euros (trois mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
* Sur la clause de non-concurrence
Aux termes de l'article 12 du contrat de travail, une clause de non-concurrence était instituée.
Elle prévoit l'interdiction d'exercer auprès d'une entreprise concurrente pendant un délai de douze mois suivant le terme juridique du contrat, en contrepartie du versement d'une indemnité équivalente à 20 % du salaire mensuel brut fixe perçu au cours des douze derniers mois de présence effective ou au prorata temporis.
Elle permet également à l'employeur, dans un délai d'un mois suivant la réception de la lettre de licenciement, de notifier tout aménagement ou suppression de cette clause.
En l'espèce, la clause n'ayant pas été dénoncée dans le délai d'un mois, elle doit recevoir application. La société B. sera en conséquence condamnée à verser à Madame l. A. la somme de 3.600,18 euros à titre d'indemnité de la clause de non-concurrence, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation.
* Sur les autres demandes
La société B. devra régulariser l'ensemble de la documentation sociale conformément au présent jugement dans un délai de deux mois à compter du prononcé du jugement et, passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
La procédure de Madame l. A. étant partiellement fondée, la demande de dommages et intérêts de la société B. pour procédure abusive sera rejetée.
La société B. succombant, elle sera condamnée aux entiers dépens. Elle sera en outre condamnée à verser au Conseil de Madame l. A. la somme de 3.000 euros au titre des frais qu'elle aurait exposés si elle n'avait bénéficié de l'assistance judiciaire.
L'urgence de la situation n'étant aucunement documentée, il n'y a pas lieu de prononcer l'exécution provisoire.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Écarte des débats la pièce n° 27 produite par Madame l. A. ;
Rejette la demande de nullité de la pièce n° 8 produite par la société à responsabilité limitée B. ;
Rejette la demande de mesure d'instruction formée par Madame l. A. ;
Rejette la demande de paiement de la somme de 26.500 euros de Madame l. A. ;
Rejette la demande de 1.153,53 euros de rappel de salaire et indemnités journalières de Madame l. A.,
Rejette la demande de 2.581,26 euros de cotisations sociale prélevées des salaires de Madame l. A. ;
Rejette la demande de 405,35 euros de reliquat de congés payés de Madame l. A.,
Condamne la S. A. R. L. B. à verser à Madame l. A. la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Condamne la S. A. R. L. B. à verser à Madame l. A. la somme de 576,44 euros (cinq cent soixante-seize euros et quarante-quatre centimes) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Condamne la S. A. R. L. B. à verser à Madame l. A. la somme de 3.000 euros (trois mille euros) de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Condamne la S. A. R. L. B. à verser à Madame l. A. la somme de 3.600,18 euros (trois mille six cents euros et dix-huit centimes) à titre d'indemnité de non-concurrence, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation ;
Ordonner à la S. A. R. L. B. de procéder à la régularisation de la documentation sociale, dans un délai de deux mois à compter du prononcé du jugement et, passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
Rejette la demande de la S. A. R. L. B. de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la S. A. R. L. B. aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'assistance judiciaire ;
Condamne la S. A. R. L. B. à verser à Maître Sophie-Charlotte MARQUET la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles ;
Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Composition
Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Cédric CAVASSINO et Jean-Pierre DESCHAMPS, membres employeurs, Messieurs Cédrick LANARI et Silvano VITTORIOSO, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le quinze décembre deux mille vingt-trois.
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