Abstract
Demande de paiement de salaires - demande non soumise au préalable de la conciliation - Irrecevabilité de cette demande - Harcèlement moral (non)
Licenciement pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement - nullité du licenciement (non) -validité du licenciement (oui) - caractère abusif du licenciement (non) - dommages et intérêts (non)
Résumé
Il y a lieu de déclarer irrecevable la demande de la salariée, engagée en qualité de conseillère en gestion de patrimoine, tendant au versement du salaire net mensuel qu'elle aurait perçu depuis la rupture du contrat de travail jusqu'à la décision à intervenir, bonus inclus, dès lors que cette demande n'a pas été soumise au préalable obligatoire de la conciliation. Si le quantum des demandes est identique, elle a modifié la nature de sa demande principale, dès lors que le paiement de salaire ne peut être assimilé à l'allocation de dommages et intérêts, sollicitée lors de la phase de conciliation.
La salariée allègue avoir été victime de harcèlement moral. Il existait certes un contexte de tension mais il ne répond pas à la définition du harcèlement, qui nécessite des actions ou omissions répétées et commises volontairement. Or, son manager n'a jamais focalisé sur elle et n'a formulé que des exigences légitimes. En outre, elle n'a jamais communiqué le moindre élément vérifiable (faits précis, liste de témoins annoncée…) lorsque la direction l'a reçue à la suite de son signalement, ni lors d'échanges au sujet de l'absence de caractérisation de faits de harcèlement. Le harcèlement invoqué n'est donc pas établi.
En l'absence de harcèlement moral, son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement n'est pas nul. Par ailleurs, l'employeur a formulé une proposition de reclassement conforme aux compétences de la salariée. Le délai écoulé entre l'avis d'inaptitude et la décision de licenciement est lié à la recherche active de solutions de reclassement, puis à la nécessité de réunir deux commissions pour obtenir l'autorisation de licenciement. Il ne peut en conséquence être reproché à l'employeur. Le licenciement litigieux ne revêt ainsi aucun caractère abusif. Le Tribunal déboute en conséquence la salariée de ses prétentions indemnitaires à ce titre.
Faute pour elle de justifier tant du quantum demandé que de la réunion des conditions d'attribution d'un bonus, cette demande est également rejetée. Elle ne justifie pas davantage qu'une somme lui serait due au titre de la prime d'intéressement et de participation.
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 10 JANVIER 2024
N° 7-2021/2022
* En la cause de Madame c. A., née le jma à MONACO (98000), de nationalité franco-italienne, demeurant x1 à LA TURBIE (06320) ;
Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice, substituée par Maître Ludiwine AUBERT, avocat en ce même barreau ;
d'une part ;
Contre :
* 1) La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe « x2 », x2 à MONACO (98000) ;
* 2) La société anonyme de droit français dénommée C., dont le siège social se situe x3 à PARIS (75009), représentée par ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité, partie intervenante volontaire, ladite société venant aux droits et obligations de la B., suite à la dissolution anticipée sans liquidation de cette dernière et de la transmission universelle de son patrimoine au profit de la C., intervenues en date du 1^er janvier 2023 ;
Défenderesses, ayant toutes deux élu domicile en l'étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
Visa
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
* Vu la requête introductive d'instance en date du 28 juin 2021, reçue le même jour ;
* Vu la procédure enregistrée sous le numéro 7-2021/2022 ;
* Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 13 juillet 2021 ;
* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Madame c. A., en date du 15 juin 2023 ;
* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur aux noms de la S. A. M. B. et de la société anonyme de droit français C., en date du 9 février 2023 ;
* À l'audience publique du 30 novembre 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 10 janvier 2024, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernières en ayant été avisées par Madame le Président ;
* Vu les pièces du dossier ;
Motifs
Madame c. A. a été embauchée par le D., devenu société anonyme monégasque B. (ci-après B.), en qualité de Conseiller en Patrimoine par contrat à durée indéterminée du 11 juillet 2007 à compter du 29 octobre 2007. Elle était placée en arrêt de travail du 30 décembre 2019 au 13 janvier 2020, puis à compter du 13 mars 2020. Elle faisait l'objet d'une inaptitude définitive à son poste de travail le 18 mai 2020. Elle était licenciée pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement par courrier du 23 octobre 2020.
Madame c. A. a saisi le Bureau de Conciliation du Tribunal du travail par requête reçue le 28 juin 2021, aux fins d'obtenir :
À titre principal :
* la reconnaissance d'un harcèlement moral,
* la nullité du licenciement,
À titre subsidiaire :
* la reconnaissance du caractère non valable et abusif du licenciement,
En toutes hypothèses :
* 10.000 euros de rappels de salaire au titre du bonus 2020,
* 1.000 euros d'indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaires,
* 9.520 euros de prime d'intéressement et participation,
* 282.636 euros de dommages et intérêts (36 mois),
* la régularisation de la documentation sociale,
* l'exécution provisoire,
* les frais et dépens,
* les intérêts à compter de la saisine du Bureau de Conciliation.
À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.
La C. intervenait volontairement aux droits et obligations de la B. le 9 février 2023.
Par conclusions récapitulatives du 15 juin 2023, Madame c. A. prend acte de l'intervention volontaire de la C. et sollicite :
À titre principal :
* dire et juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,
* dire et juger que le contrat de travail n'a pas été exécuté de bonne foi par l'employeur,
* prononcer la nullité du licenciement,
En conséquence :
* le versement du salaire net mensuel qu'elle aurait perçu depuis la rupture de son contrat de travail jusqu'à la décision à intervenir, bonus inclus et à minima la somme de 282.636 euros soit 36 mois de salaire,
À titre subsidiaire :
* dire et juger que le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable et qu'il revêt un caractère abusif,
En conséquence :
* 282.636 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,
En toutes hypothèses :
* 10.000 euros à titre de rappels de salaire au titre du bonus 2020,
* 1.000 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaires,
* 9.520 euros au titre de la prime d'intéressement et de participation,
* ordonner la régularisation de la documentation sociale,
* 5.000 euros au titre des frais irrépétibles,
* l'exécution provisoire,
* les dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel, ainsi qu'Ã l'audience de plaidoirie, que :
* la demande de versement du salaire net mensuel découlant des effets de la nullité a bien été présentée « en toutes hypothèses » devant le Bureau de Conciliation et n'est pas une demande additionnelle,
* en matière de harcèlement les demandes peuvent être soumises directement devant le Bureau de Jugement,
* elle a été victime d'agissements protéiformes caractéristiques de harcèlement,
* au quotidien elle a essuyé des remarques d'un ton inapproprié, des critiques injustifiées et de nombreuses agressions verbales du Directeur du Patrimoine, Monsieur j. E.,
* elle a dénoncé la dégradation de ses conditions de travail dès fin 2013, sans que la banque ne réagisse,
* en 2016 la situation a basculé, en représailles à son opposition au licenciement d'un collègue,
* l'environnement de travail est alors devenu véritablement toxique,
* elle était humiliée auprès de ses assistants,
* une enquête n'a eu lieu qu'en 2020, alors même que la salariée était déjà déclarée inapte et que les agissements étaient dénoncés depuis près de trois ans,
* Monsieur j. E. a abusé de son pouvoir d'organisation et de direction, en faisant saboter son travail par l'assistante, en supprimant son binôme, en obstruant ses dossiers, en lui interdisant d'ouvrir des mandats, en la privant de moyens,
* il a également abusé de son pouvoir disciplinaire,
* malgré la satisfaction de ses objectifs, elle ne bénéficiait d'aucun avancement,
* plus grave, ses évaluations étaient soudainement dégradées lorsque des perspectives professionnelles se profilaient,
* Monsieur j. E. a réduit les bonus annuels de la salariée alors que sa performance était constante,
* elle se voyait assigner des objectifs inatteignables,
* la banque n'a pris aucune mesure, diligenté aucune procédure harcèlement, si ce n'est après sa déclaration d'inaptitude,
* les symptômes de la salariée se sont progressivement aggravés, débutant par des tensions nerveuses et douleurs lombaires puis cervicales, avant qu'elle ne développe des pathologies invalidantes plus graves,
* elle n'a pas eu l'usage de ses membres supérieurs pendant près de deux ans et poursuit encore ses soins,
* à l'issue du processus de harcèlement, le Médecin du Travail a attesté que tout maintien dans l'entreprise était préjudiciable à son état de santé,
* la banque est défaillante à établir que les faits allégués sont étrangers à toute situation de harcèlement,
* le licenciement étant la conséquence du harcèlement il est nul,
* la nullité entraînant l'anéantissement rétroactif de la mesure, les parties doivent être rétablies en l'état antérieur à la mesure et la salariée doit percevoir le montant des salaires net qu'elle aurait dû percevoir si le licenciement n'était pas intervenu,
* en l'espèce son préjudice est colossal,
* brisée en pleine carrière, sa capacité de rebondir nécessitera un temps de reconstruction important et des frais médicaux réguliers pour pallier son état de santé fragilisé,
* en tout état de cause, le motif de licenciement n'est pas valable et repose sur un motif fallacieux,
* le désintérêt et l'attitude humiliante de la B. ont perduré jusqu'au bout, en ne procédant au licenciement qu'en octobre 2020 alors que l'inaptitude datait de mai,
* son préjudice physique réside dans les pathologies invalidantes développées,
* le préjudice moral est lié à l'effondrement psychologique de la demanderesse qui a perdu tous ses repères,
* elle a subi un préjudice de carrière, celle-ci étant anéantie à 54 ans,
* il a conduit à un préjudice financier, par la privation d'avancements et de bonus, et à la limitation de son revenu aux seules allocations chômage,
* elle n'a pas perçu son bonus sur l'année 2020, alors qu'il devait être calculé sur les résultats de l'année réalisée et qu'elle a pleinement occupé son poste jusqu'au 13 mars 2020 contrairement aux affirmations mensongères de l'employeur,
* elle est par ailleurs bien fondée à réclamer la prime d'intéressement et de participation, puisqu'elle était présente aux effectifs jusqu'au 25 janvier 2021,
Par conclusions récapitulatives du 9 février 2023, la C., venant aux droits et obligations de la B., sollicite du Tribunal de la voir déclarer recevable et bien fondée en son intervention volontaire et sollicite l'irrecevabilité de la demande de versement des salaires et le débouté de Madame c. A., outre 15.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
* la demande de paiement du salaire entre la date de rupture et le jugement est irrecevable pour ne pas avoir été présentée devant le Bureau de Conciliation,
* la procédure spéciale en matière de harcèlement n'a pas été actionnée, le Bureau de Jugement n'ayant pas été saisi par voie de requête,
* Madame c. A. n'a pas été victime de harcèlement,
* elle échoue à apporter les éléments nécessaires à l'établissement d'une présomption suffisante,
* les échanges d'e-mails ne font ressortir que des sollicitations d'ordre professionnel ou des interrogations légitimes sur son travail par son supérieur hiérarchique, qui ne manque pas de politesse à l'égard de sa subordonnée et qui ne fait preuve d'aucune agressivité, menace, insulte ou moquerie,
* elle tente de rattacher à Monsieur j. E. toutes les difficultés qu'elle aurait pu rencontrer quand bien même il y serait totalement étranger, tel que les tensions avec son assistante ou les formations manquées pendant ses congés,
* les attestations ne relatent aucun fait de harcèlement de manière précise et concordante,
* l'enquête diligentée par la banque a établi que Madame c. A. avait eu elle-même un comportement inacceptable avec sa propre subordonnée, la dénigrant et la diffamant auprès des autres salariés,
* Monsieur j. E. avait pris lui-même l'initiative de chercher à apaiser les tensions en proposant un entretien avec le directeur de la banque et éventuellement un changement de lien hiérarchique,
* la diminution de la rémunération variable était justifiée par la baisse de ses performances,
* elle n'a néanmoins jamais reçu aucune forme de rappel à l'ordre et au contraire était encouragée,
* en outre, sa rémunération brute n'a cessé d'augmenter,
* les objectifs de la salariée étaient légitimes,
* n'étant pas partiellement remplis ils justifiaient le versement d'un bonus discrétionnaire inférieur,
* la banque a mis en oeuvre la procédure d'enquête interne suite au signalement harcèlement, qui a conclu à l'absence de harcèlement face aux nombreux témoignages concordants,
* si Madame c. A. conteste subsidiairement la validité du licenciement, elle ne conteste ni l'inaptitude, ni l'impossibilité de reclassement,
* la banque est allée au-delà des préconisations de l'Inspection du Travail en créant un nouveau poste pour la salariée, proposition qu'elle a déclinée,
* les conditions de travail de la salariée n'ont jamais été dégradées, comme en attestent les entretiens individuels,
* le seul document produit est une note que la salariée a établie elle-même et qui ne peut qu'être écartée des débats,
* la détérioration de l'état de santé de Madame c. A. est dépourvue de tout lien avec l'environnement de travail,
* les pathologies dont elle souffre sont d'ordre naturel et résultent du vieillissement de la colonne vertébrale,
* le préjudice n'est pas établi,
* Madame c. A. a perçu d'importantes indemnités lors de la rupture du contrat, outre des allocations chômage,
* elle a retrouvé du travail dans son secteur d'activité et se garde bien de le préciser,
* les demandes de rappel de salaire sont infondées,
* elle n'a réalisé aucune activité commerciale et a fortiori aucune performance individuelle justifiant l'allocation d'une rémunération variable en 2020,
* elle ne justifie aucunement d'un droit à la prime d'intéressement.
SUR CE,
* Sur l'intervention volontaire de la société anonyme de droit français dénommée C.
En application des dispositions de l'article 383 du Code de procédure civile, quiconque aura intérêt dans une instance suivie entre d'autres personnes aura le droit d'y intervenir.
En l'espèce, il est justifié de la dissolution anticipée sans liquidation de la B. et de la transmission universelle de son patrimoine au profit de la C..
Au vu de ces éléments, il convient de recevoir cette dernière en son intervention volontaire et de mettre hors de cause la B..
* Sur l'irrecevabilité
La défenderesse soulève l'irrecevabilité de la demande de versement du salaire net mensuel que Madame c. A. aurait perçu depuis la rupture du contrat de travail jusqu'à décision à intervenir, bonus inclus et, a minima, la somme de 282.636 euros, soit 36 mois de salaire, pour ne pas avoir été soumise au préliminaire de conciliation.
En application de l'article 1^er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, le Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum.
Si une procédure d'exception existe en matière de harcèlement, permettant une saisine directe du Bureau de Jugement en application des articles 7 et 8 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017, elle est soumise à un régime précis. D'une part, la saisine directe du Bureau de Jugement est une possibilité offerte à la personne qui allègue être victime de harcèlement, à moins qu'elle ne requière expressément la voie de la conciliation. D'autre part, le Tribunal est saisi par voie de requête adressée au Président du Bureau de Jugement.
En l'espèce, Madame c. A. a requis expressément la conciliation le 28 juin 2021 et n'a jamais saisi directement le Président du Bureau de Jugement, des conclusions récapitulatives ne valant pas requête. Elle ne peut en conséquence former aucune demande non soumise au préliminaire de conciliation.
Madame c. A. a formulé une demande de « dommages et intérêts » d'un montant de 282.636 euros, précisant « 36 mois », permettant de comprendre que cela correspond à l'évaluation de son préjudice à 36 mois de salaire.
Si le quantum des demandes est identique, force est de constater que Madame c. A. a modifié la nature de sa demande principale, dès lors que le paiement de salaire ne peut être assimilé à l'allocation de dommages et intérêts.
En conséquence, la demande de versement du salaire entre la date du licenciement et celle du prononcé du jugement est irrecevable, Madame c. A. ne l'ayant pas soumise au préliminaire de conciliation
* Sur le harcèlement
Aux termes de l'article 2 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017, nul ne doit se livrer au harcèlement au travail. Le harcèlement moral se définit comme le fait de soumettre, sciemment et par quelque moyen que ce soit, dans le cadre d'une relation de travail, une personne à des actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à sa dignité ou se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale.
En application de l'article 6, « il incombe à la personne qui allègue être victime d'un fait mentionné à l'article 2 d'établir, par tous moyens conformes à la loi, les faits qui permettent d'en présumer l'existence ».
Madame c. A. a dénoncé les agissements de son supérieur Monsieur j. E. comme constitutifs de harcèlement à compter de la fin de l'année 2019. En effet, au cours de l'évaluation du 23 décembre 2019, elle déplorait un climat de travail délétère et dénonçait le fait d'être sans cesse rabaissée et harcelée.
En parallèle, elle avait saisi, le 5 décembre 2019, le référent harcèlement en indiquant qu'elle était harcelée par Monsieur j. E. depuis plusieurs années. Elle relatait des situations portant atteinte à sa dignité, dont la teneur n'est pas rapportée, dénonçait de fréquentes humiliations en public et relatait la dégradation de sa santé au fil du temps, sur les plans physiques et psychologiques.
Le référent témoignait du fait que ce n'était pas la première fois que Madame c. A. arrivait en pleurs, signalant deux épisodes fin 2017 et courant 2018, et signalait une conduite abusive répétée de son manager.
À compter du 30 décembre 2019 et jusqu'au 13 janvier 2020, elle était placée en arrêt de travail pour syndrome anxieux généralisé. Elle était à nouveau placée en arrêt de travail à compter du 13 mars 2020 pour burn-out. Elle dénonçait alors au psychologue subir un harcèlement professionnel depuis 2013. Lors des entretiens avec le Médecin de Travail, qui se déroulaient par téléphone compte tenu de la crise sanitaire, celui-ci actait les doléances de Madame c. A. vis-à -vis de son manager, des pressions et conflits subis et de son incapacité à se rendre au travail.
Au soutien de ses allégations, Madame c. A. produit un certain nombre d'éléments dont il convient d'apprécier la force probante et le caractère constitutif de harcèlement.
Il apparaît ainsi que le climat de travail était dégradé depuis 2016, comme en témoignent les comptes rendus de réunion des délégués du personnel. Un ancien collaborateur, Monsieur F., atteste d'ailleurs des conditions déplorables dans l'équipe de Monsieur j. E. qui lui manquait de respect, lui criait dessus, le dénigrait.
Par ailleurs, Madame c. A. s'était plainte en mars 2017 de subir des attaques. En septembre 2017, il lui était reproché à tort de ne pas avoir finalisé son travail, alors que cela était fait depuis l'été. Le résultat de ses évaluations se dégradait à compter de 2016, pour finir en-dessous des attentes en 2019, alors que ses résultats demeuraient stables sur la période tandis que ses objectifs augmentaient. Il n'était pas satisfait à ses demandes de mobilité formulées à compter de 2018.
En revanche, un certain nombre d'éléments produits par Madame c. A. ne sont pas constitutifs de faits de harcèlement accomplis à son encontre. Il en va ainsi de :
* un mail courtois dans la teneur est dans l'objet,
* les désaccords survenus avec Madame e. G. en 2011 et 2015,
* le désaccord sur l'interprétation d'une clause, qui relève d'une relation normale de travail lorsqu'il est formulé dans des termes courtois comme c'était le cas en l'espèce,
Quant aux autres éléments, ils ne sont pas probants. En effet, les attestations de clients qui ne font que relater ce que Madame c. A. a pu leur dire, sans avoir assisté à quoi que ce soit, ne peuvent être retenues. À ce sujet, certains points de leurs témoignages sont au contraire contredits par la réalité : la photographie du nouveau bureau de la salariée ne démontrant rien de vexatoire ou punitif ; quant au prétendu refus de mutation à Bordeaux, la salariée a toujours refusé la moindre mobilité géographique comme le démontrent ses évaluations de 2013 à 2019.
Concernant les mails de novembre 2016, Madame c. A. les ayant produits de manière tronquée, sans les réponses faites à son manager, ils ne sont pas pertinents.
Quant aux SMS dont elle a fait des captures d'écran, à défaut de pouvoir identifier l'expéditeur, ou à tout le moins son numéro de téléphone, les dates et heures de manière certaine, ainsi que l'intégrité de la retranscription, ils ne peuvent être pris en compte.
Face au faisceau d'indices permettant de présumer l'existence de faits de harcèlement, en application de l'article 6 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017, « il incombe au défendeur de prouver que les faits ainsi établis ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que lesdits faits résultent d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
Si Madame c. A. allègue des faits de harcèlement depuis 2013, confortée par son ancien collègue ayant travaillé jusqu'en 2017, en réalité elle avait toujours bien évalué la qualité et l'ambiance au travail jusqu'en 2019, sauf à une exception en 2014, non maintenue les années suivantes.
Concernant ses objectifs, il convient de noter qu'ils étaient identiques à ceux de son collègue Monsieur Jean-l.G., la salariée n'étant pas victime d'un comportement différencié. Surtout, lorsque ses objectifs doublaient sur les OPCM et assurance-vie en 2018, ils étaient drastiquement diminués sur tous les autres critères d'évaluation. Par ailleurs, malgré des résultats plus qu'insatisfaisants, ses supérieurs, tant le N+1 que le N+2, lui maintenaient leur confiance et continuaient à l'encourager. En réalité, il ressort des commentaires que Madame c. A. ne s'adaptait pas à l'évolution du contexte, se plaignant de la lourdeur des tâches administratives alors qu'elles ne résultaient pas d'une lubie de la banque, mais d'une nécessité légale, et ne comprenait pas qu'une simple stabilité des résultats ne pouvait être satisfaisante, alors que la progression est l'objectif de toute entreprise.
Par ailleurs, des remarques de sa hiérarchie peuvent être légitimes, lorsqu'elles demeurent fondées et courtoises, ce qui ressort de l'ensemble des échanges produits en l'espèce. Ainsi, son manager pouvait parfaitement l'interroger sur l'utilisation de son téléphone portable, Madame c. A. reconnaissant qu'elle n'utilisait pas systématiquement le fixe. Il pouvait de même refuser qu'elle signe un mandat pour une dame de xxx ans compte tenu de son âge. Il pouvait enfin lui reprocher de ne pas lui avoir présenté des comptes, la salariée reconnaissant l'erreur et évoquant une incompréhension avec son assistante.
Quant à l'absence de réponse favorable à sa demande de mobilité fonctionnelle, il convient de rappeler qu'elle n'a été formulée pour la première fois qu'à la fin de l'année 2018, dans un contexte où ses performances étaient en dessous des attentes et où il lui était demandé de renouveler son fonds de commerce. Ces raisons objectives ne peuvent constituer des faits de harcèlement.
À l'issue de l'analyse de l'ensemble des éléments, si un contexte de tension existait, il ne répond pas à la définition du harcèlement, qui nécessite des actions ou omissions répétées et commises volontairement. Or, son manager n'a jamais focalisé sur elle et n'a formulé que des exigences légitimes.
Enfin, si Madame c. A. est en droit de douter de l'objectivité des témoignages recueillis au sein de l'équipe toujours en place, il convient de noter que, ni en février 2020 lorsque la direction l'a reçue suite à son signalement, ni en juillet 2020 au cours d'échanges au sujet de l'absence de caractérisation de faits de harcèlement, la salariée n'a communiqué le moindre élément vérifiable (faits précis, liste de témoins annoncée…).
Dans ces conditions, il est établi que Madame c. A. n'a pas subi de harcèlement.
En conséquence, la demande au titre de la nullité du licenciement sera rejetée.
* Sur le licenciement
Madame c. A. a été licenciée pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement. Les motifs de la dégradation de son état de santé n'étant pas liés à du harcèlement, le licenciement est valable. Aucun autre motif n'a sous-tendu la décision de rupture du contrat de travail.
Par ailleurs, les circonstances de mise en oeuvre du licenciement ont été exemptes de tout reproche. En effet, l'employeur a formulé une proposition de reclassement conforme aux compétences de la salariée. Quant au délai écoulé entre l'avis d'inaptitude et la décision de licenciement, il est lié à la recherche active de solutions de reclassement puis à la nécessité de réunir deux commissions pour obtenir l'autorisation de licenciement et ne peut en conséquence être reproché à l'employeur.
La demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif sera en conséquence rejetée.
* Sur les bonus et primes
Aux termes du contrat de travail du 11 juillet 2007, Madame c. A. était rémunérée sur la base d'un salaire annuel brut. Par ailleurs « sous réserve de donner entière satisfaction dans vos fonctions, vous bénéficierez d'une prime variable liée à votre performance individuelle, dont le montant pourra atteindre 5.000 euros pour la première année de pleine activité ».
Revendiquant le versement de 10.000 euros, Madame c. A. ne justifie pourtant ni du quantum ni du fait que les critères d'attribution soient réunis. Elle n'a en effet pas exercé une année pleine d'activité en 2020. Elle ne démontre par ailleurs, ni avoir donné entière satisfaction de ses fonctions, ni quelle serait la performance individuelle qu'elle aurait accomplie.
La demande au titre du paiement du bonus sera en conséquence rejetée.
Quant à la prime d'intéressement et de participation, Madame c. A. ne prend même pas la peine d'en justifier le fondement juridique et les pièces communiquées ne permettent pas de comprendre à quel titre elle serait due. Elle sera en conséquence déboutée de cette demande.
* Sur les autres demandes
Madame c. A. succombant dans l'intégralité de ses demandes, elle sera condamnée aux entiers dépens. Toutefois, en équité, la demande de la C. au titre des frais irrépétibles sera rejetée.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Reçoit la société anonyme de droit français dénommée C. en son intervention volontaire ;
Met hors de cause la société anonyme monégasque dénommée B. ;
Déclare irrecevable la demande de versement du salaire net mensuel qu'elle aurait perçu depuis la rupture de son contrat de travail jusqu'à la décision à intervenir, bonus inclus et à minima la somme de 282.636 euros soit 36 mois de salaire, de Madame c. A. ;
Rejette l'intégralité des demandes de Madame c. A. ;
Condamne Madame c. A. aux entiers dépens ;
Rejette la demande de la société anonyme de droit français C. au titre des frais irrépétibles ;
Composition
Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Leïla TRABÉ-CHIHA et Monsieur Jean-Sébastien FIORUCCI, membres employeurs, Messieurs Pierre-Franck CRESPI et Bruno AUGÉ, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le dix janvier deux mille vingt-quatre.
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