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24/07/2024 | MONACO | N°30650

Monaco | Tribunal du travail, 24 juillet 2024, Monsieur j. A. c/ La société C.


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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 27 juillet 2022, reçue le 2 août 2022 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 10-2022/2023 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 18 octobre 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Monsieur j. A, en date du 12 octobre 2023 ;
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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 27 juillet 2022, reçue le 2 août 2022 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 10-2022/2023 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 18 octobre 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Monsieur j. A, en date du 12 octobre 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur au nom de la C, en date du 8 février 2024 ;

À l'audience publique du 6 juin 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 24 juillet 2024, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernières en ayant été avisées par Madame le Président ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur j.A a été embauché le 5 mai 2014 par la C pour une durée indéterminée en qualité de Vendeur confirmé véhicule neuf Rolls Royce statut cadre. Il a été licencié sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 par courrier du 16 février 2022.

Par requête déposée le 2 août 2022, Monsieur j. A a attrait la C devant le Bureau de Conciliation du Tribunal du travail afin d'obtenir :

* • 150.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* • 26.179 euros de rappel de commissions sur vente,

* • 2.617,90 euros de congés payés y afférents,

* • les intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,

* • la remise de la documentation sociale rectifiée sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,

* • 5.000 euros au titre des frais irrépétibles,

* • les dépens,

* • l'exécution provisoire.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 12 octobre 2023, Monsieur j. A prend acte du paiement des commissions sur ventes pour les dossiers B et D et ne sollicite plus de paiement à ce titre ni pour les congés payés y afférents. Il réclame en outre l'exécution provisoire. Il fait valoir pour l'essentiel que :

* • suite à la vente de la société la nouvelle Direction lui a soumis une nouvelle proposition de calcul de sa rémunération qui conduisait à une baisse substantielle de sa rémunération,

* • en outre les objectifs qui lui étaient désormais fixés n'étaient ni réalistes ni réalisables,

* • la Direction en profitait pour modifier et accroître ses responsabilités, alors qu'il n'a jamais souhaité occuper des fonctions de manager, ce que la société est dans l'incapacité de justifier,

* • il a alors fait part de ses réserves et a formulé des propositions auxquelles aucune réponse ne sera accordée,

* • en revanche, quelques jours plus tard, il sera brusquement convoqué à un entretien préalable,

* • le licenciement n'a été prononcé que parce que, alors qu'il approchait de la retraite, il avait légitimement décliné la proposition de modification de son contrat de travail,

* • il était autorisé de façon tout à fait légitime à refuser l'avenant qui lui était proposé,

* • il ne pouvait être valablement licencié suite à ce refus,

* • en outre, à ce jour, la société ne l'a toujours pas remplacé dans ses fonctions,

* • en définitive deux jeunes vendeurs inexpérimentés ont été recrutés dans des conditions de rémunération bien moins importantes,

* • en réalité, la proposition injustifiée de modification du contrat n'avait pour seul objectif que de permettre de l'évincer et de supprimer son poste,

* • en agissant ainsi la société a économisé près de 100.000 euros,

* • son préjudice financier et professionnel est indéniable,

* • il n'a toujours pas retrouvé d'emploi, ses chances de réinsertion étant compromises compte tenu de son âge,

* • il a été particulièrement affecté par le comportement de son employeur qui n'a même pas daigné répondre à ses propositions,

* • si les commissions de 1.110 euros et 2.500 euros ont été régularisées, elles résultent logiquement de l'amélioration de la marge par la réduction des charges salariales qui se répercutait sur le calcul des commissions.

Par conclusions récapitulatives du 8 février 2024, la C sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur j. A, 5.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* • au mois de décembre 2021 un avenant au contrat de travail était proposé à Monsieur j. A qui avait émis le souhait de transmettre son expérience à l'équipe commerciale avant de prendre sa retraite,

* • il s'agissait de lui proposer un poste valorisant,

* • ses fonctions et responsabilités demeuraient toutefois les mêmes,

* • Monsieur j. A ne démontre pas que les nouvelles conditions de rémunération de la partie variable conduisaient à une baisse importante de ses revenus,

* • en réalité, il aurait dû percevoir une augmentation de 27.000 euros,

* • il y a eu de nombreux échanges avec le Directeur général du groupe sur les modalités de calcul de la partie variable,

* • Monsieur j. A n'a pas été licencié quelques jours après, mais a été convoqué trois semaines plus tard à un entretien préalable,

* • les objectifs pour l'année 2022 étaient réalistes et réalisables, les perspectives de vente étant particulièrement prometteuses,

* • Monsieur j. A ne démontre pas que ce serait son refus de signer l'avenant proposé qui aurait motivé son licenciement,

* • si le poste créé pour Monsieur j. A n'a pas été pourvu après son départ c'est qu'il n'existe pas suffisamment de concessions Rolls-Royce en Europe pour prétendre pouvoir débaucher un salarié ayant le même profil que lui,

* • le licenciement n'a pas été abusif et n'a pas été prononcé avec brutalité,

* • subsidiairement Monsieur j. A ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'il invoque,

* • les commissions ont été réglées suite à la livraison des véhicules dont Monsieur j. A avait obtenu la commande,

* • elles ont été calculées sur les marges dans lesquelles les charges salariales n'ont aucun rapport.

SUR CE,

L'employeur dispose, sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, d'un droit autonome et unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celle-ci.

Ce texte n'instaurant toutefois pas un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier, non pas la cause de la rupture, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié, d'une part, et les circonstances ayant entouré la rupture, d'autre part.

Constitue ainsi un licenciement abusif, celui prononcé pour un faux motif ou avec intention de nuire ainsi que celui mis en oeuvre de manière abusive.

En l'espèce, Monsieur j.A, qui travaillait depuis sept ans au sein de la concession Rolls Royce Monaco s'est vu proposer une modification de son contrat de travail par un avenant du 16 décembre 2021. Le 10 janvier 2022, il formulait des contre-propositions, n'étant pas satisfait des modalités de calcul de sa rémunération variable, par un email auquel aucune réponse ne sera jamais apportée.

Dès le 2 février 2022, il était convoqué à un entretien préalable à licenciement.

L'enchaînement des faits et le comportement de l'employeur qui n'a pas daigné répondre à la respectueuse proposition de son salarié, démontre que la décision de licenciement n'était motivée que par le refus de modification du contrat de travail. Pour cette seule raison, le licenciement a été prononcé pour un autre motif que l'employeur a tenté de dissimuler.

En effet, il convenait de le dissimuler puisqu'il caractérisait l'intention de nuire de l'employeur. Ainsi, contrairement à ce que la C affirme, l'avenant proposé à Monsieur j. A lui était nettement défavorable et accroissait ses responsabilités tout en diminuant ses chances d'obtenir des commissions et donc de maintenir son niveau de rémunération.

Alors qu'il était attaché commercial et n'avait aucune autre mission que celle de vendre des véhicules, il était envisagé qu'il devienne manager et doive assumer de nombreuses missions d'animation et d'encadrement. Si sa rémunération fixe augmentait, ses chances d'obtenir une rémunération variable s'amoindrissaient. Elles ne relevaient plus de critères purement objectifs, l'employeur introduisant une notion totalement discrétionnaire de versement au regard de la qualité de la tenue du showroom selon l'appréciation du manager et du constructeur. Les pourcentages de rémunération variable étaient ramenés à un maximum de 5 % avec des conditions plus importantes à remplir qu'auparavant.

Surtout, tel que cela ressort de la propre estimation produite par la C, pour obtenir une rémunération équivalente à l'année précédente, Monsieur j. A aurait dû à lui seul vendre la quasi-totalité des véhicules de la concession (34 véhicules neufs, contre 1 seul pour un collègue, 15 véhicules d'occasion, contre 5 pour un collègue), ce qui démontre s'il le fallait encore les conséquences financières néfastes que l'avenant proposé avait sur sa rémunération.

En le licenciant pour avoir refusé une modification contractuelle qui lui nuisait particulièrement, l'employeur a commis un abus dans le principe du licenciement et doit en conséquence réparer le préjudice matériel et moral subi par Monsieur j. A.

Alors qu'il était âgé de 63 ans, disposait de 7 ans d'ancienneté et pouvait légitimement penser finir sa carrière au sein de la C au regard de la particulière satisfaction de ses clients et partenaires lui ayant témoigné de leur soutien, il s'est retrouvé au chômage et n'avait toujours pas retrouvé d'emploi en septembre 2023 malgré ses recherches au regard des justificatifs qu'il produit. Il subit une perte annuelle de 30.000 euros au regard du montant des allocations chômage dont il bénéficie. Ses chances de retrouver un emploi sont particulièrement faibles au regard de son âge et s'amenuisent au fur et à mesure que s'éloigne sa dernière expérience professionnelle.

Il a été traité avec brutalité par un employeur qui a voulu faire de drastiques économies en s'octroyant la possibilité de diminuer, voire supprimer, les importantes commissions de son salarié, qui n'a pas assumé sa position en tentant de la dissimuler et qu'il l'a méprisé en ne répondant même pas à sa contre-proposition, tentative infructueuse de conserver son emploi.

Pour l'ensemble de ces raisons et compte tenu de l'ampleur du préjudice matériel et moral de Monsieur j. A, la C est condamnée à lui verser la somme de 120.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

La C succombant, elle est condamnée aux entiers dépens.

Elle est en outre condamnée à verser à Monsieur j. A la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles.

Il n'y a pas lieu de rectifier la documentation sociale qui n'est pas affectée par les termes du présent jugement.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que le licenciement est abusif,

Condamne la C à verser à Monsieur j. A la somme de 120.000 euros (cent vingt mille euros) de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Condamne la C aux entiers dépens ;

Condamne la C à verser à Monsieur j. A la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles ;

Dit n'y avoir lieu à rectification de la documentation ;

Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Michel GRAMAGLIA et Jean-Pierre DESCHAMPS, membres employeurs, Madame Marie-Paule GARDY-LAVOGEZ et Monsieur Karim TABCHICHE, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le vingt-quatre juillet deux mille vingt-quatre.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30650
Date de la décision : 24/07/2024

Analyses

Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : Monsieur j. A.
Défendeurs : La société C.

Références :

article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 23/08/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2024-07-24;30650 ?

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