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07/02/2025 | MONACO | N°30843

Monaco | Tribunal du travail, 7 février 2025, Monsieur g D c/ La société anonyme monégasque dénommée SAM F (MONACO) SA


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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 27 octobre 2023, reçue le 31 octobre 2023 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 21-2023/2024 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 13 novembre 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur au nom de Monsieur g D, en date du 13 juin 2024 ;

Vu

les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat-défenseur au no...

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 27 octobre 2023, reçue le 31 octobre 2023 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 21-2023/2024 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 13 novembre 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur au nom de Monsieur g D, en date du 13 juin 2024 ;

Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat-défenseur au nom de la SAM F (MONACO) SA, en date du 14 novembre 2024 ;

À l'audience publique du 5 décembre 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 7 février 2025, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces derniers en ayant été avisées par Madame le Président ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur g D a été embauché par le AB (MONACO), devenu la SAM F (MONACO) SA, à compter du 23 novembre 2015 en qualité de gestionnaire de fortune. Il a été licencié pour insuffisance professionnelle par courrier daté du 18 avril 2023.

Par requête déposée le 31 octobre 2023, Monsieur g D a attrait la SAM F (MONACO) SA devant le bureau de conciliation du Tribunal du travail afin d'obtenir :

* • 100.000 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* • 170.000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* • les intérêts légaux de droit sur ces sommes à compter de la convocation devant le bureau de conciliation du Tribunal du travail,

* • l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel ou assignation.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 13 juin 2024, Monsieur g D sollicite 15.000 euros au titre des frais irrépétibles et les entiers dépens. Il fait valoir pour l'essentiel que :

* • les pièces n^os 21 à 24 sont parfaitement lisibles et remplissent les conditions de forme prévues,

* • la procédure de licenciement est irrégulière,

* • en application de la convention collective monégasque du travail du personnel des banques (ci-après CCMTPB), l'insuffisance de travail requiert la réunion du conseil de discipline préalablement au licenciement, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce,

* • en outre, l'employeur l'a licencié brutalement sans l'informer des griefs, le convoquer à un entretien préalable, l'informer de la possibilité de se faire assister,

* • il lui a notifié le licenciement le jour même de son entrevue avec les membres de la direction,

* • cette entrevue n'a duré que quelques minutes et lui avait été présentée en amont comme une simple réunion de travail,

* • il s'est vu enjoindre de récupérer immédiatement ses affaires situées à son poste de travail dans l'open space, avec interdiction formelle de saluer et de parler à ses collègues de travail,

* • il a bien formulé une demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* • le licenciement est illégitime,

* • l'employeur n'apporte la preuve d'aucune remarque, proposition, conseil ou autre élément permettant de démontrer qu'il lui a été signalé que son niveau professionnel était insuffisant et qu'il aurait été accompagné,

* • il donnait entière satisfaction,

* • il a toujours obtenu des résultats globaux d'évaluation conformes aux attentes de la direction,

* • aucune remarque négative ou point d'amélioration n'ont jamais été émis,

* • il a perçu des bonus exceptionnels chacune des deux dernières années,

* • il n'a jamais été alerté sur une prétendue insuffisance professionnelle,

* • il n'a jamais bénéficié d'entretiens réguliers et de mesures de soutien et n'a plus été évalué depuis 2019,

* • aucun entretien n'a eu lieu en 2022,

* • le document communiqué par l'employeur n'est pas daté ni signé, aucun entretien de fixation d'objectifs ni d'entretien de mi-période n'avait été réalisé,

* • les prétendues mesures de soutien reposent sur un seul et unique e-mail datant du 9 juillet 2019,

* • aucune faute ou insuffisance de travail ne peut lui être reprochée,

* • si un client (et non plusieurs comme allégué fallacieusement) a transféré ses actifs sous gestion au profit de deux autres établissements, c'est en l'état du refus de la banque de réaliser des opérations sur titres dudit client,

* • cet événement, qui n'est pas de sa responsabilité, ne peut le placer après vingt-cinq années d'expérience dans une situation d'insuffisance de travail,

* • au sujet de l'absence de développement commercial, c'est le rachat du AB par la F (MONACO) SA qui a été une faillite sans égale,

* • sur 7 milliards d'euros de fortune détenue, seulement 2,7 milliards ont été absorbés, plus de la moitié des clients ayant préféré confier leur patrimoine à d'autres établissements,

* • en outre, aucun développement commercial ne constituait d'objectif contractualisé,

* • aucun objectif ne lui a jamais été fixé aux termes de son contrat de travail ou de ses évaluations,

* • en outre, il générait bien des commissions importantes,

* • le motif de licenciement n'est en conséquence pas valable,

* • l'employeur a avancé un faux motif à l'appui du licenciement et s'est volontairement affranchi du respect des dispositions de la convention collective démontrant une volonté délibérée de le licencier coute que coute,

* • l'employeur a indéniablement démontré une volonté de nuire à ses intérêts,

* • cette mesure a été prise afin de procéder à la suppression de son poste sans avoir à justifier des difficultés économiques ni à respecter l'ordre légal des licenciements,

* • les anciens salariés du AB étaient dans l'oeil du cyclone,

* • le listing des employés nouvellement embauchés n'est d'aucune utilité en l'absence du listing des salariés l'ayant quitté,

* • il convient que l'employeur communique les procès-verbaux des réunions des délégués du personnel de 2022 et 2023 et le registre du personnel du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2023 pour le démontrer,

* • il n'a pas été remplacé par Monsieur a.A, qui a été affecté à l'équipe de Monsieur g.E et non dans l'équipe AC (AC),

* • les conditions du licenciement ont été particulièrement vexatoires et brutales,

* • il a été licencié à l'issue d'une entrevue de quelques minutes présentée en amont comme une simple réunion de travail,

* • il n'a pu bénéficier de l'assistance d'un représentant du personnel alors que la banque était représentée par trois personnes,

* • en agissant ainsi, l'employeur a manifestement souhaité rompre l'équilibre des forces entre les parties,

* • un lieu plus confidentiel et un horaire plus adapté auraient été préférables pour qu'il puisse récupérer dignement ses affaires sans que le discrédit soit jeté sur lui,

* • la dispense de préavis intervenue dans ce contexte est également de nature à jeter l'opprobre sur lui,

* • tout cela a généré un état de stress et d'angoisse,

* • il a souffert d'un état dépressif réactionnel,

* • le choc se comprend aisément alors qu'il avait toujours fait preuve de dévouement, de professionnalisme, était respecté et apprécié et n'avait jamais fait l'objet du moindre reproche,

* • il a subi une perte de chance de poursuivre sa carrière au sein de la F (MONACO) SA,

* • lors de l'exécution du contrat de travail il avait été contraint de subir de mauvaises conditions de travail,

* • il a enduré une précarité organisationnelle compte tenu de la désorganisation structurelle et permanente de l'employeur,

* • il a été contraint de changer de département tous les ans et donc de supérieur hiérarchique et d'équipe support dédiée,

* • en outre, il constatait que la Direction cautionnait certaines pratiques déloyales pratiquées par des salariés historiques à l'encontre des anciens salariés du AB,

* • il avait de grandes difficultés à concrétiser l'entrée en relation avec ses prospects,

* • à titre d'exemple avec un prospect, Monsieur L a annulé deux rendez-vous fixés, puis la Direction ne lui a pas donné l'autorisation de se déplacer pour rencontrer le prospect,

* • la Direction faisait volontairement preuve d'inertie fautive dans les procédures d'ouverture de comptes de ses prospects,

* • elle refusait ses demandes sans la moindre explication, le forçait à vexer des clients,

* • ainsi, les clients se tournaient vers d'autres établissements.

Par conclusions considérées comme récapitulatives du 14 novembre 2024, la SAM F (MONACO) SA sollicite le débouté des demandes de Monsieur g D, 15.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* • aucune faute volontaire n'est reprochée à Monsieur g D, de sorte que son licenciement ne revêt aucun caractère disciplinaire,

* • sont identifiés des carences, un niveau de compétence, de connaissance et de résultats en deçà des attentes, une absence d'amélioration,

* • la référence à l'implication que ses fonctions engendrent ne caractérise aucunement une insuffisance de travail mais vient simplement clarifier au salarié les attentes raisonnables de la Banque,

* • en d'attitude volontaire ou fautive l'avis du conseil de discipline n'était à l'évidence pas requis,

* • de même, les dispositions de la CCMTPB relatives aux sanctions disciplinaires n'avaient pas vocation à s'appliquer pour un licenciement ne présentant aucun caractère disciplinaire,

* • les développements relatifs au motif de licenciement ne présentent aucun intérêt compte tenu du fait que le salarié ne présente aucune demande financière à ce titre,

* • toutefois, l'insuffisance professionnelle est justifiée,

* • chaque année le salarié a bénéficié d'un entretien individuel au cours duquel sa performance était abordée,

* • à cette occasion, il a été alerté sur son niveau de performance particulièrement bas au regard de sa faible notation,

* • cette notation s'explique notamment par des résultats très en-dessous des objectifs fixés,

* • en sus des alertes sur ses résultats, il avait accès à un outil interne de suivi des performances,

* • l'évaluation de 2022 a été remplie et signée par son supérieur de sorte que ses conclusions ne sauraient être péremptoirement remises en question,

* • ses résultats étaient en deçà des autres gestionnaires disposant d'un niveau de séniorité et d'une expérience analogue,

* • le développement commercial de son portefeuille ne faisait que stagner,

* • même la conservation et la fidélisation des clients placés sous sa gestion constituaient une difficulté,

* • ses insuffisances se reflétaient également au niveau des bonus qui n'ont cessé de diminuer au fil des ans,

* • la Banque a mis en œuvre un management personnalisé et des mesures concrètes accompagnées d'un suivi personnalisé destiné à pallier ses insuffisances et à l'aider à améliorer ses capacités et performances,

* • c'est pourquoi deux changements d'affectation ont été mis en œuvre en 2018 et 2019, sans impact sur la qualité de son travail,

* • les attestations n^os 21, 22 et 23 sont irrecevables sur le fond et la forme,

* • Monsieur g D ne démontre pas le motif fallacieux qu'il allègue,

* • la Banque ne s'est pas affranchie des dispositions conventionnelles, encore moins pour lui nuire,

* • tous les salariés dont le contrat a été rompu au cours de l'exercice 2023 ont été remplacés, y compris Monsieur g D par Monsieur a.A au même poste de gestionnaire clientèle privée,

* • quant à la cabale contre les anciens salariés du AB, aucun élément objectif ou commencement de preuve n'est apporté,

* • s'agissant de la mise en œuvre du licenciement aucune faute n'a été commise,

* • le salarié était averti depuis 2018 de l'insatisfaction sur son travail,

* • la dispense de préavis et la récupération des biens et accès à compter de la notification du licenciement n'a aucun caractère vexatoire mais a simplement vocation à préserver le secret bancaire et les intérêts de la Banque,

* • la demande de dommages et intérêts est infondée et totalement injustifiée en son quantum, le salarié ne produisant aucun élément à part un certificat inopérant et illisible,

* • il a retrouvé un emploi au sein de la Banque privée AE,

* • la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail est infondée,

* • il produit des attestations non conformes et illisibles (n^os 21 à 24),

* • le visa pour le Nigéria n'a rien de probant puisqu'il s'agissait d'un visa visiteur et non d'un déplacement professionnel,

* • dans le cadre de son argumentation, il reproche en réalité à la Banque d'avoir exercé son pouvoir de Direction et de gestion,

* • la demande au titre de l'exécution provisoire n'est ni argumentée ni justifiée,

* • la Banque qui a été attraite de manière abusive à la procédure ne devrait pas avoir à supporter les faits qu'elle a été contrainte d'engager pour supporter sa défense.

SUR CE,

* Sur les pièces

Les pièces n^os 21 à 24 produites par Monsieur g D sont conformes aux dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile. Elles sont par ailleurs lisibles. Dans ces conditions, elles sont recevables.

* Sur la procédure de licenciement

Aux termes de l'article 32 de la convention collective nationale du travail du personnel des banques, « Les motifs de licenciement sont, indépendamment de l'application des dispositions relatives aux sanctions disciplinaires, la suppression d'emploi, l'insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle, à moins qu'il ne soit démontré, par une consultation médicale que cette incapacité n'est due qu'à un mauvais état de santé passager ».

En revanche, en application de l'article 25.3 et .4 de la convention susvisée, « Pour toute insuffisance de travail résultat de la mauvaise volonté de l'intéressé, pour tout manquement aux règles de la discipline ou pour toute faute, y compris les fautes professionnelles, la Direction applique l'une des sanctions qu'elle juge proportionnée à la gravité du cas… L'insuffisance de travail, les manquements à la discipline et d'une manière générale, les fautes professionnelles commises pas un agent sont passibles de sanctions disciplinaires… ». Or, les sanctions de second degré, dont la révocation, nécessitent le respect d'une procédure idoine.

La lettre de licenciement, dont les termes précis seront repris lors de l'analyse de la validité du motif, ne fait à aucun moment référence à une quelconque action volontaire du salarié, seule à même de caractériser une mauvaise volonté ou une faute et donc une insuffisance de travail, un manquement à la discipline ou une faute professionnelle. Dans ces conditions, le licenciement n'étant pas de nature disciplinaire, il n'avait pas à respecter la procédure prévue en la matière.

* Sur la validité du motif de licenciement

Si Monsieur g D ne formule aucune demande financière puisqu'il n'est pas en droit de bénéficier d'une indemnité de licenciement (celle de congédiement versée étant supérieure), le Tribunal est tout de même compétent pour statuer sur la validité du motif de licenciement, cela relevant de son office même.

Monsieur g D a été licencié par courrier du 18 avril 2023 pour les motifs suivants :

« nous constatons depuis plusieurs exercices un certain nombre de carences dans l'exercice de vos mission, carences qui se reflètent dans vos résultats, insuffisants au regard de ce qui est attendu d'un salarié bénéficiant de votre niveau de responsabilité.

Au cours de l'exercice 2022, nous avons attiré votre attention à plusieurs reprises sur le fait que vous ne démontriez pas le niveau de compétences, de connaissances et de résultats qui était attendu d'un gestionnaire de fortune de votre expérience au sein de notre Etablissement.

En particulier, nous vous avons insisté sur la nécessaire implication que vos fonctions engendre, notamment dans la qualité du service rendu à notre clientèle.

À cet égard, nous regrettons que vos résultats commerciaux ne soient pas à la hauteur de nos attentes notamment depuis 2019 : nous avons ainsi constaté l'absence quasi-totale du développement exigé par votre poste. En outre, certains clients de la Banque dont vous avez la charge ont récemment procédé à d'importants transferts de fonds, entrainant une très forte baisse des actifs sous gestion de votre portefeuille.

En dépit de ces mises en garde notamment à l'occasion de divers entretiens de milieu d'année organisés avec votre responsable, du soutien que nous vous avons accordé pour pallier aux insuffisances constatées, nous n'avons pas observé d'amélioration suffisante, que ce soit dans vos prises de décisions, dans l'identification des risques critiques ou encore dans la connaissance des produits, nécessaire au conseil de nos clients, et vos résultats s'en sont trouvés impactés et très nettement inférieurs à ce qui était attendu.

À l'occasion du dernier entretien de fin d'année, ces carences vous ont à nouveau été signalées par votre Manager.

À ce jour, nous regrettons l'absence d'amélioration dans l'exécution de votre travail et vos résultats restent en deçà des performances que notre Etablissement peut légitimement attendre compte tenu de votre profil, pour le poste que vous occupez.

Les explications que vous nous avez fournies lors de nos échanges ne nous permettent pas de modifier notre appréciation, de sorte que nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour insuffisance professionnelle. ».

Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement.

Pour constituer une cause de licenciement, l'insuffisance professionnelle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Il revient au Tribunal de vérifier l'incompétence alléguée par l'employeur, laquelle ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de celui-ci, mais doit reposer sur des éléments concrets. Elle est constituée par l'inaptitude du salarié à exercer sa prestation de travail dans des conditions que l'employeur pouvait légitimement attendre en application du contrat de travail.

En l'espèce, l'employeur fournit comme justificatifs les éléments suivants :

* • des évaluations,

* • le récapitulatif des bonus,

* • une pièce intitulée « objectifs » en langue anglaise non traduite,

* • un e-mail du 9 juillet 2019.

Par ailleurs, il est acquis qu'au moment du licenciement un client très important relevant du portefeuille de Monsieur g D venait de transférer ses fonds dans une autre banque, diminuant de manière considérable les actifs sous gestion du salarié.

Ces éléments ne caractérisent toutefois pas à suffisance la prétendue incompétence. En effet, les évaluations contemporaines du licenciement faisant apparaître une faible notation ne sont pas accompagnées d'éléments matériels vérifiables permettant au Tribunal de s'assurer de l'objectivité de l'appréciation. En outre, n'ayant pas été soumises au contradictoire du salarié, cet écueil ne peut être surmonté par la reconnaissance qu'il aurait eu de ses faibles performances et compétences. Dans ces conditions, l'évaluation de 2020 signée par personne et celle de 2022 signée par le seul manager ne permettent pas de démontrer l'insuffisance professionnelle alléguée. Quant aux évaluations remontant pour la plus récente à quatre ans avant le licenciement, elles ne peuvent justifier l'insuffisance alléguée en 2023.

Le document qui démontrerait que les performances de Monsieur g D seraient en-deçà des légitimes attentes d'un employeur étant en langue anglaise, il ne peut être retenu par le tribunal.

Les prétendus changements de service pour pallier les insuffisances de Monsieur g D ne sont aucunement documentés. L'employeur produit un seul e-mail précédant de quatre ans le licenciement et ne mentionnant à aucun moment que la réorganisation des équipes front office serait liée à l'incompétence du salarié. Cela est d'autant moins probable que la réorganisation concerne de nombreuses personnes et qu'elle est proche de l'allocation à Monsieur g D d'une prime discrétionnaire de 50.000 euros, preuve de la satisfaction de l'employeur.

Il demeure la baisse des bonus et le départ d'un client. Sur le second volet, rien ne démontre que ce départ aurait été causé par une quelconque insuffisance du salarié. Au contraire, la banque, sur laquelle la preuve de la validité du motif repose, ne contredit pas utilement Monsieur g D lorsqu'il évoque un choix causé par une décision de la Direction. Quant au premier volet, la diminution, même significative, des bonus ne peut caractériser la réalité d'une incompétence à défaut d'être corroborée par des éléments matériels vérifiable par le Tribunal.

Le motif de licenciement, non démontré par l'employeur, n'est en conséquence pas valable.

* Sur le caractère abusif du licenciement

En application des dispositions de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts. Il appartient au salarié qui prétend avoir été victime d'une rupture abusive de son contrat de travail de prouver outre le préjudice subi, l'existence de la faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux, ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec laquelle le congédiement a été donné.

Constitue un licenciement abusif celui prononcé pour un motif fallacieux ou avec intention de nuire. Il appartient au Tribunal du travail d'apprécier si le licenciement n'est pas abusif à cet égard et ce peu importe que le salarié ne subisse pas de préjudice financier. En effet, d'une part, cela relève de l'office même de la juridiction et, d'autre part, le dédommagement d'un licenciement fallacieux ne comporte pas qu'un volet financier, mais recoupe également le préjudice moral.

En l'espèce, Monsieur g D prétend que son licenciement dissimulerait un licenciement économique et une discrimination à l'égard des anciens salariés du AB. Il procède par pure voie d'allégations et n'apporte strictement aucun élément en sorte que le licenciement n'est pas abusif à ce titre.

De manière superfétatoire, il peut être constaté que la banque a justifié du remplacement de Monsieur g D par l'embauche d'un nouveau salarié. Par ailleurs, la théorie de la cabale contre les anciens du AB ne recèle pas de crédibilité plus de six ans après l'absorption face à un salarié qui avait travaillé moins de deux ans pour la précédente entité.

Enfin, il n'y a aucunement lieu d'enjoindre à la banque de produire quoi que ce soit, cette dernière n'ayant pas à pallier les manquements du demandeur dans l'administration de la preuve qui lui incombe.

Constitue par ailleurs un licenciement abusif, celui mis en œuvre avec précipitation, brutalité ou légèreté blâmable.

Aux termes de l'article 25 .1 et .2 de la convention collective nationale du travail du personnel des banques, « Toute insuffisance de travail ou insuffisance professionnelle constatée chez un agent, donne lieu à une observation de la Direction. Si l'insuffisance persiste, la Direction en recherche la cause. Si cette insuffisance résulte d'une mauvaise adaptation de l'intéressé à ses fonctions, la Direction recherche le moyen de lui confier un travail qui réponde mieux à ses capacités ».

En l'espèce, Monsieur g D n'a fait l'objet d'aucune observation de la banque. Depuis 2019, il n'avait pas subi d'évaluation. En effet, en 2020 le document produit par l'employeur n'est signé par personne. En 2021, il n'en existe pas. En 2022, le document faisant prétendument office d'évaluation n'a pas été présenté au salarié. En outre, aucune mesure d'accompagnement n'a jamais été mise en œuvre par la banque. Elle a dès lors fait preuve de légèreté blâmable et a fait perdre une chance au salarié de conserver son emploi.

Monsieur g D déplore également la brutalité avec laquelle il a été congédié, au terme d'un entretien organisé sans délai de prévenance, sous un faux prétexte et au cours duquel il n'aurait pas pu être assisté d'un représentant du personnel. Or, l'organisation d'un entretien préalable n'est ni une obligation légale, ni une obligation conventionnelle. En l'espèce, en prenant la peine d'organiser un tel entretien, l'employeur est allé au-delà de ses obligations et il ne peut lui être reproché aucune faute.

Concernant le prétendu caractère vexatoire de son éviction, il n'est aucunement étayé. Le fait d'être dispensé d'exécution du préavis relève du pouvoir de direction de l'employeur et ne sous-entend nullement que le salarié ait pu commettre des fautes. Au contraire, dans le milieu bancaire, les employeurs ont recours à cette possibilité de manière habituelle et elle ne peut être interprétée aux yeux des collègues de travail comme une mesure disciplinaire alors qu'ils sont accoutumés à ce type de pratique. À défaut de circonstance particulière le licenciement n'est dès lors ni brutal ni vexatoire.

L'employeur ayant commis une légèreté blâmable dans la mise en œuvre du licenciement, en privant le salarié d'une chance de conserver son emploi, il convient en conséquence de réparer le préjudice moral en tenant compte d'une ancienneté de plus de sept ans, en condamnant la SAM F (MONACO) SA à verser à Monsieur g D la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

* Sur les mauvaises conditions de travail

Monsieur g D déplore avoir subi des comportements déloyaux de la part de la direction de la banque, visant à l'empêcher de développer sa clientèle au profit des salariés issus du groupe L.

Outre, le fait que la prétendue discrimination vis-à-vis des anciens du AB n'est pas documentée, les éléments relatifs aux prétendues pratiques déloyales ne sont pas probants. Le fait que la banque ne lui ait pas permis de donner suite à des initiatives qu'il a prises n'est pas suffisant à caractériser une mauvaise foi ou une volonté de nuire. En outre, en prenant connaissance des projets en question (un client au Nigéria et un autre propriétaire de casino) il ne peut être fait reproche à la banque d'avoir fait usage de son pouvoir de direction, cette clientèle nécessitant des précautions particulières.

Quant à la prétendue désorganisation qui l'aurait contraint de changer tous les ans de département, aucun début de commencement de preuve n'est produit.

La demande de dommages et intérêts pour mauvaises conditions de travail est en conséquence rejetée.

* Sur les autres demandes

Chacune des parties succombant partiellement, elles conserveront la charge de leurs propres dépens. Dans ces conditions, les demandes au titre des frais irrépétibles sont rejetées.

La nécessité que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas établie, il n'y a pas lieu de la prononcer.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Déclare recevables les pièces n^os 21 à 24 produites par Monsieur g D ;

Dit que le licenciement n'est pas à caractère disciplinaire ;

Dit que le motif de licenciement n'est pas valable ;

Dit que le licenciement n'est pas abusif ;

Dit que le licenciement a été mis en œuvre de manière abusive ;

Condamne la SAM F (MONACO) SA à verser à Monsieur g D la somme de 20.000 euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette la demande de dommages et intérêts de Monsieur g D pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;

Rejette les demandes des parties au titre des frais irrépétibles ;

Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Michel GRAMAGLIA et Maurice COHEN, membres employeurs, Messieurs Thierry PETIT et Maximilien AGLIARDI, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le sept février deux mille vingt-cinq.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30843
Date de la décision : 07/02/2025

Analyses

Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : Monsieur g D
Défendeurs : La société anonyme monégasque dénommée SAM F (MONACO) SA

Références :

article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 324 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2025-02-07;30843 ?

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