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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 7 décembre 2023, reçue le même jour ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 30-2023/2024 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 9 janvier 2024 ;
Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Clyde BILLAUD, avocat-défenseur au nom de Monsieur e N, en date du 14 novembre 2024 ;
Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Sophie-Charlotte MARQUET, avocat-défenseur au nom de la SAM L, en date du 16 janvier 2025 ;
À l'audience publique du 27 février 2025, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 22 avril 2025, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces derniers en ayant été avisées par Madame le Président ;
Vu les pièces du dossier ;
Motifs
Monsieur e N a été embauché par la SAM L à compter du 22 août 2005 suivant contrat à durée indéterminée en qualité de comptable. Il a été déclaré temporairement inapte le 5 mai 2023 puis placé en arrêt de travail à compter du 9 mai 2023 sans discontinuité. Il a été licencié pour faute grave par courrier du 4 août 2023.
Par requête déposée le 7 décembre 2023, Monsieur e N a attrait la SAM L devant le bureau de conciliation du Tribunal du travail aux fins de :
* • dire et juger que le licenciement de Monsieur e N n'est pas valable,
* • 7.598,62 euros brut au titre de l'indemnité de préavis (2 mois),
* • 759,86 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,
* • 22.795,86 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
* • dire et juger que le licenciement de Monsieur e N est abusif,
* • 100.000 euros au titre de dommages et intérêts,
* • ordonner à la SAM L la délivrance des bulletins de salaire (à compter du mois d'août 2023), certificat de travail, attestation pôle emploi et solde de tout compte conformes,
* • l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
* • les intérêts de droit au taux légal à compter de la présente citation et jusqu'à parfait paiement (mémoire),
* • 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le bureau de jugement.
Par conclusions considérées comme récapitulatives du 14 novembre 2024, Monsieur e N sollicite d'écarter des débats les pièces adverses n^os 4, 5, 6, 8 et 9 et augmente sa demande au titre des frais irrépétibles à la somme de 8.000 euros.
Il fait valoir pour l'essentiel que :
* • les attestations adverses ne respectent pas les prescriptions de l'article 324 du Code de procédure civile,
* • elles ne mentionnent pas les liens de subordination,
* • l'écriture de Monsieur j.M diffère entre deux attestations,
* • la signature de Madame a.A diffère entre l'attestation et sa carte d'identité,
* • le licenciement est nul,
* • la suspension du contrat de travail pendant un arrêt maladie d'une durée inférieure à six mois rend impossible tout licenciement,
* • dans la mesure où il n'était pas en arrêt maladie depuis plus de six mois, l'employeur ne pouvait procéder à son licenciement,
* • le motif de licenciement est faux,
* • les attestations émanent de salariés ayant un lien de subordination soit avec l'employeur soit avec le dirigeant en sorte qu'ils cherchent à leur être favorables,
* • il n'a jamais fait de commentaires désobligeants,
* • il n'a jamais divulgué la moindre information salariale ou comptable,
* • les éléments étaient conservés dans des classeurs accessibles à tous,
* • toutes les attestations relatent des propos mensongers et diffamatoires et n'ont été établies que pour les besoins de la cause et peut-être même sous la contrainte,
* • il a par ailleurs toujours respecté les délais de paiement dont il avait connaissance et sollicité confirmation des instructions de paiement lorsqu'elles étaient contraires aux conditions fixées par les fournisseurs,
* • la modification des délais de règlement a relevé de la seule décision des dirigeants, afin de ménager la trésorerie,
* • c'est dans ce contexte que Monsieur r.R a été informé que la trésorerie était tendue, sans qu'aucun détail sur la situation comptable ne lui soit donné,
* • la seule personne à avoir travaillé en étroite collaboration avec lui, Mademoiselle o.P témoigne en sa faveur,
* • il n'a jamais eu de comportement déloyal et dénigrant, de propos menaçants ou agressifs ou encore de manquements à ses devoirs de confidentialité et de secret professionnel,
* • à l'inverse, il est en mesure de démontrer le climat dans lequel il a été contraint de travailler,
* • Monsieur n.O utilisait un ton désobligeant,
* • il était en réalité une personne dérangeante de par son intégrité, son professionnalisme et son absence de soumission,
* • le licenciement n'a été en réalité que l'ultime étape du harcèlement qu'il a subi de la part de l'un de ses supérieurs, Monsieur n.O,
* • sa demande au titre de l'abus dans la mise en œuvre est recevable,
* • il a distingué l'indemnisation de son préjudice matériel lié à l'abus dans le principe de licenciement à savoir les indemnités de préavis et de licenciement, de l'indemnisation de son préjudice moral lié à l'abus dans la mise en œuvre du licenciement par l'allocation d'une somme de 100.000 euros,
* • il a été licencié pour faute grave pendant son arrêt maladie sans qu'aucun entretien préalable ne soit tenu alors que l'employeur a usé d'un faux motif de sort qu'il a subi un préjudice financier puisqu'il s'est vu priver du règlement de ses indemnités,
* • en outre, la mise en œuvre du licenciement a causé un important préjudice moral,
* • le contrat de travail a été exécuté de manière déloyale,
* • sa charge de travail s'est accrue au fil des années jusqu'à devenir insoutenable,
* • il lui était reproché un retard cumulé dans la gestion d'un site internet alors que cela ne faisait pas partie de ses attributions, mais de celles d'un webmaster,
* • si ce site avait pour but de faciliter son travail, sa création lui a engendré pendant de nombreux mois une surcharge de travail considérable,
* • l'employeur faisait montre d'un total manque de considération face à cette surcharge et à sa légitime demande d'augmentation, ce qui le plongeait dans un état psychologique déplorable et engendrait un épisode dépressif majeur,
* • suite au départ de sa collègue embauchée pour l'aider il se trouvait à nouveau débordé courant 2022 et oppressé par les demandes de ses supérieurs,
* • il a été placé en chômage partiel pendant le covid alors qu'il télétravaillait, ce qui lui a fait perdre des points de retraite,
* • ces conditions de travail ont été à l'origine de la dégradation de son état de santé,
* • il a subi du harcèlement dans le cadre de son travail,
* • il a vu sa charge de travail augmenter nettement au fil des années,
* • la comptable embauchée pour apporter une solution à la surcharge de travail ayant conduit à un premier arrêt maladie en 2019 a été licenciée après son congé maternité sans être remplacée,
* • face à sa détresse de devoir assumer seul une charge de travail importante, Monsieur n.O s'est montré méprisant, n'a eu de cesse de le réprimander, de minimiser et de dénigrer son travail,
* • suite aux faits de harcèlement, il a souffert d'un état dépressif majeur,
* • le licenciement a été brutal,
* • il a été annoncé par lettre recommandée alors qu'il se trouvait en arrêt maladie pour un épisode dépressif majeur dans le cadre d'un épuisement et d'un harcèlement moral au travail,
* • en outre, aucun entretien préalable n'a eu lieu, ce qui l'a privé d'une chance de s'expliquer sur les faits,
* • âgé de 63 ans il rencontre des grandes difficultés à retrouver un emploi,
* • il a été contraint de solliciter sa mise à la retraite.
Par conclusions considérées comme récapitulatives du 16 janvier 2025, la SAM L sollicite :
* • l'irrecevabilité des demandes au titre de l'abus dans la mise en œuvre et l'abus dans le principe de la rupture, celles-ci n'ayant pas été valablement soumises au préliminaire de conciliation à défaut d'avoir été chiffrées,
* • à titre subsidiaire, le débouté des demandes de Monsieur e N au titre de l'abus dans la mise en œuvre et l'abus dans le principe de la rupture, aucun abus n'étant caractérisé,
* • à titre infiniment subsidiaire, la limitation de la condamnation de la SAM L au titre du préjudice moral lié à un abus dans la mise en œuvre du licenciement à de plus justes proportions,
* • le débouté de Monsieur e N de l'ensemble de ses autres demandes,
* • 8.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
* • Monsieur e N s'était exprimé sur sa volonté de voir son contrat rompu en raison de son insatisfaction quant à son niveau de salaire,
* • c'est dans ce contexte qu'il a été arrêté pour maladie,
* • au cours de cette période la direction a dû organiser la poursuite de l'activité et s'est entretenue avec les autres salariés,
* • c'est à cette occasion que ces salariés ont fait part d'un certain nombre de manquements graves dont il s'était rendu responsable,
* • les témoignages ont permis d'établir de manière concordante une attitude de dénigrement à l'encontre de la direction,
* • il tenait des propos alarmistes sur la situation financière de la société, de nature à inquiéter les salariés et partenaires,
* • il a, à plusieurs reprises, divulgué des informations confidentielles, avec l'objectif manifeste de susciter la frustration de ses collègues, s'agissant des éléments de salaires relevés, mais également de porter préjudice à la société, en fournissant des informations erronées portant atteinte à son image,
* • il adoptait une attitude de dénigrement à l'encontre de ses collègues,
* • cette attitude est d'autant plus choquante qu'il avait été rappelé aux règles élémentaires de courtoisie et de discipline à l'occasion d'un premier avertissement,
* • les attestations mentionnent les liens avec les parties,
* • celles de Mesdames a.B, a.A et de Monsieur j.M ont bien été rédigées et signées par eux, qui se tiennent à la disposition du Tribunal pour en attester ou répondre dans le cadre de tout incident de vérification d'écriture, qui n'est d'ailleurs pas soulevé par Monsieur e N,
* • les accusations de Monsieur e N sont fausses, infondées et ne sont corroborées par aucun élément,
* • quant au turnover allégué il est fantasmé,
* • le licenciement n'est pas nul,
* • il ne peut y avoir de nullité sans texte,
* • en cas d'absence prolongée tirée d'une maladie, l'employeur reste libre de prendre toute mesure non liée à la maladie du salarié,
* • en droit, l'entretien préalable n'est aucunement obligatoire,
* • en l'espèce, la décision de ne pas en organiser n'a pas été motivée par une volonté de l'empêcher de s'expliquer sur les faits,
* • la matérialité des faits était établie à l'issue des entretiens avec les collaborateurs,
* • la direction a ensuite attendu de se voir adresser des attestations écrites, précises et concordantes permettant d'établir avec certitude les manquements,
* • l'organisation d'un entretien dans ce contexte, alors que Monsieur e N était arrêté pour maladie, aurait été dépourvue d'objet,
* • les attestations versées au débat par Monsieur e N ne permettent pas de remettre en cause la matérialité des griefs,
* • Monsieur e N ne respectait en outre pas les délais de paiement convenus avec les fournisseurs,
* • le comportement fautif de Monsieur e N ayant été établi au moyen d'attestations précises et concordantes de 80 % de l'effectif, le licenciement pour faute grave était justifié,
* • Monsieur e N ne justifie aucunement de ce qu'un autre motif aurait présidé à la décision,
* • les demandes relatives à l'abus dans le principe et dans la mise en œuvre sont irrecevables pour ne pas avoir fait l'objet d'une tentative préalable de conciliation,
* • cette obligation de conciliation porte tant sur la nature que sur le quantum des demandes,
* • il est donc nécessaire que chaque demande soit présentée individuellement et distinctement,
* • à défaut, les demandes globales sont irrecevables,
* • les demandes liées à l'abus dans le principe et l'abus dans la mise en œuvre ne procèdent pas des mêmes causes et n'indemnisent pas le même préjudice,
* • à défaut de présentation individuelle, il ne peut être considéré que le défendeur aurait été pleinement informé de l'étendue de chacune des prétentions et en mesure d'apprécier l'opportunité de parvenir à une conciliation,
* • il est donné acte à Monsieur e N de ce qu'au terme de ses dernières écritures il précise que la demande de dommages et intérêts ne concerne que le préjudice moral,
* • le licenciement est exempt de tout abus,
* • Monsieur e N échoue à démontrer l'existence d'un faux motif ou d'un motif illicite,
* • Monsieur e N ne démontre aucunement la prétendue exécution déloyale du contrat pas plus que l'existence d'une situation de harcèlement, pour lesquelles il ne forme d'ailleurs aucune demande financière,
* • ses missions avaient été précisément définies,
* • il ne lui a pas été confié la gestion d'un site internet,
* • les missions de modernisation des outils de la société correspondaient à la nature de ses fonctions de comptable,
* • il lui a été demandé un travail très temporaire de mise à jour des fiches produits, qu'il a d'ailleurs souhaité monnayer par une augmentation de salaire conséquente,
* • en 2019, il n'a pas participé à la nouvelle mise à jour, étant arrêté pour maladie,
* • l'augmentation d'activité entre 2018 et 2023 n'a pas donné lieu à réalisation d'heures supplémentaires et avait été anticipée par la mise en place d'un logiciel facilitant le travail et par le recrutement d'un comptable supplémentaire,
* • en 2022, alors qu'il soutient que sa charge de travail se serait accrue en raison du congé maternité de Madame o.P, le nombre total de factures traitées diminuait en réalité,
* • en outre Madame c.E a été embauchée à cette période,
* • le licenciement de Madame o.P résultait d'une restructuration de la société, la gestion comptable des opérations liées au secteur automobile était confiée aux centres de réalisation, diminuant drastiquement le volume d'activité,
* • les deux échanges de courriels isolés et dont la teneur était justifiée ne permettent pas d'établir que Monsieur e N aurait été victime de dénigrement,
* • les périodes de CTTR n'entraînent aucune perte en termes de points retraite,
* • en tout état de cause, Monsieur e N ne forme aucune demande quant à cette période de trois mois,
* • à supposer qu'une mauvaise application du dispositif de chômage partiel ait été faite, ce qui est contesté, cela n'est pas de nature à caractériser un abus dans la mise en œuvre ou le principe d'un licenciement intervenu près de trois années plus tard,
* • au soutien d'un prétendu harcèlement, il fait état des mêmes griefs que ceux évoqués pour établir une exécution déloyale du contrat de travail, tout autant infondés,
* • la direction n'a fait preuve d'aucune légèreté blâmable ou précipitation dans la mise en œuvre du licenciement,
* • la faute grave commise contraignait à une rupture immédiate,
* • au surplus, Monsieur e N peut difficilement soutenir qu'il aurait été surpris de la rupture alors qu'il avait sollicité la rupture amiable de son contrat,
* • Monsieur e N ne peut se prévaloir pour soutenir l'existence d'un abus dans la mise en œuvre du licenciement de prétendus faits qui ne seraient pas contemporains de la rupture,
* • à titre subsidiaire, il est demandé de ramener la condamnation de la société à de plus justes proportions, la demande fixée à 100.000 euros ne concernant que le préjudice moral.
SUR CE,
* Sur la recevabilité des demandes
Aux termes des articles 1er et 42 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, le bureau de jugement du Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative obligatoire de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum.
En l'espèce, Monsieur e N a saisi le bureau de conciliation de demandes de paiement des indemnités de préavis et de licenciement et d'une demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif. Il limite aux termes de ses conclusions considérées comme récapitulatives du 14 novembre 2024 sa demande relative à l'abus dans le principe du licenciement aux indemnités de préavis et de licenciement, et sa demande relative à l'abus dans la mise en œuvre du licenciement à sa demande de dommages et intérêts. La nature et le quantum des demandes ayant été soumis au bureau de conciliation, elles sont recevables.
En outre, la décision visée par la SAM L au soutien de sa demande d'irrecevabilité n'a rien à voir avec le cas d'espèce. Il s'agissait alors d'une demande indemnitaire globale pour des préjudices de nature différents, l'un lié à l'exécution du contrat de travail et l'autre trouvant son origine dans la procédure judiciaire. Or, en l'espèce, la demande de Monsieur e N se rapporte uniquement à son licenciement.
En revanche, aux termes de ses conclusions considérées comme récapitulatives du 14 novembre 2024, Monsieur e N sollicite la nullité du licenciement. Or, la nature de cette demande diffère de celle relative au caractère abusif du licenciement et elle est en conséquence irrecevable.
* Sur les pièces
La pièce n° 4 produite par la SAM L est une attestation reprenant l'ensemble des mentions légales qui n'encourt aucune nullité.
La pièce n° 5 produite par la SAM L est une attestation reprenant l'ensemble des mentions légales. Monsieur e N soutient que l'écriture ne serait pas la même que celle portée par la même personne sur la pièce n° 10. Or, non seulement il n'a pas entamé de procédure en inscription de faux mais la prétendue différence d'écriture n'apparaît pas aux yeux du tribunal. La pièce n'est en conséquence pas nulle.
La pièce n° 6 produite par la SAM L est une attestation sur laquelle la signature diffère de celle de la carte d'identité. Elle doit en conséquence être annulée.
La pièce n° 8 produite par la SAM L est une attestation d'une salariée pour laquelle le lien de subordination apparaît clairement en sorte qu'elle n'encourt pas de nullité.
La pièce n° 9 produite par la SAM L est une attestation d'un prestataire pour lequel ce lien apparaît clairement en sorte qu'elle n'encourt pas de nullité.
* Sur le licenciement
Monsieur e N a été licencié par courrier du 4 août 2023 pour faute grave pour les motifs suivants : « comportement déloyal et dénigrant à l'égard de la Société et de ses dirigeants, propos menaçant et agressif à l'égard de vos collègues de travail et manquements à vos devoirs de confidentialité et de secret professionnel.
Recruté le 22 août 2005 en qualité de comptable, vos fonctions imposent une discrétion absolue concernant les données financières que vous devez traiter pour le compte de la Société.
Courant juin 2023, à la suite de votre arrêt de travail pour maladie, nous avons été amenés à prendre le relais sur un certain nombre de sujet compte tenu des dysfonctionnements constatés.
 cette occasion, nous avons eu connaissance de votre comportement dénigrant et déloyal qui vous est personnellement imputable et qui se traduit par :
* • Des fausses informations alarmantes sur la situation de la trésorerie de la Société auprès de certains de nos fournisseurs et prestataires.
* À titre d'exemple, certains prestataires nous ont rapporté que vous teniez des propos alarmants sur la situation financière de l'entreprise. Des collaborateurs ont été témoins du fait que vous aviez communiqué à plusieurs reprises des éléments comptables et financiers de la Société à des tiers, que vous faisiez des commentaires dénigrants sur les frais, les achats,… et que vous communiquiez en interne et en violation de votre devoir de discrétion les salaires et primes des autres collaborateurs dans le seul but de créer un climat délétère au sein de l'entreprise.
* • Des paiements de factures qui ne respectent pas les conditions octroyées par les fournisseurs et dont les délais sont de nature à fragiliser délibérément la trésorerie de la SAM L ;
* • Du dénigrement permanent de la Société et de ses dirigeants auprès des collaborateurs ;
À titre d'exemple, l'un de nos collaborateurs nous a fait part du fait que vous n'avez eu de cesse de dénigrer l'entreprise et ses dirigeants depuis son arrivée en ces termes :
« tu finiras sous antidépresseurs d'ici peu », « c'est quand que tu démissionnes », « tu es tombé dans une boîte de merde », « le patron est un enculé » (…).
Un autre collaborateur nous a indiqué que vous aviez adopté une attitude négative vis-à-vis de l'entreprise et que vous vous vantiez notamment auprès de lui de vouloir vous faire licencier pour toucher le maximum.
* • Des propos et comportements agressifs et menaçants à l'égard de certains collaborateurs.
À titre d'exemple, vous avez traité de « nul » à plusieurs reprises un collaborateur, lui donnant en permanence des ordres et contre ordres de nature à le déstabiliser dans les tâches qu'il avait à accomplir, lui faisant des remontrances systématiques et des remarques autoritaires sur le travail.
Vous ne faites preuve d'aucune remise en question dans la mesure où nous vous avions déjà alerté par le passé sur l'importance du respect de la confidentialité et de la discrétion attachées à l'exercice de vos fonctions.».
* Sur la validité du motif de licenciement
En vertu de l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, le contrat de travail est suspendu pendant une durée limitée à six mois en cas d'empêchement du travailleur dû à une maladie ou à un accident médicalement constatés. Autrement dit, un salarié absent pour maladie ne peut être licencié en raison de son absence avant que ce délai de six mois ne soit écoulé. En revanche, le pouvoir disciplinaire de l'employeur demeure en sorte qu'il peut l'exercer même pendant la période de suspension et ainsi prononcer toute mesure, notamment un licenciement, pour des faits qui surviendraient alors.
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée.
La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien, même pendant la durée du préavis.
Concernant les griefs objet du licenciement ils sont de l'ordre de 4 :
* • propos alarmistes sur la trésorerie auprès des clients,
* • paiements non conformes,
* • dénigrement de la direction auprès des collaborateurs,
* • agressivité et menace à l'égard de collaborateurs.
Ils sont dénoncés par cinq salariés et un prestataire qui donnent des exemples circonstanciés et détaillés, tels que :
* • Le dénigrement de Monsieur n.O relaté par Madame a.B (propos injurieux), par Monsieur j.M (propos désobligeants), par Madame p.Q (propos injurieux) et par Madame c.E (propos injurieux).
* • La divulgation d'informations sur les collègues de travail relatée par Madame a.B (qui touche des primes), par Monsieur j.M (informations confidentielles sur Monsieur b.C) et Madame p.Q (montant des rémunérations, des augmentations et primes).
* • La dénonciation d'une situation alarmiste relatée par Madame a.B (incitations à partir), par Monsieur j.M (annonce de risque de non-paiement des salaires) et Madame p.Q.
* • La divulgation d'informations confidentielles sur la société relatée par Madame p.Q (état de la trésorerie, informations confidentielles et privées communiquées à des franchisés).
La dénonciation de Madame c.E est par ailleurs corroborée quant au caractère autoritaire de Monsieur e N et aux nombreuses remontrances dont elle faisait l'objet. Ainsi, il est exact qu'il lui a envoyé 22 mails en 3 jours pour l'abreuver de reproches alors qu'elle avait dû reprendre son poste pendant un mois durant son absence. La lecture de ces mails confirme le caractère agressif de Monsieur e N et son absence de considération pour le travail de sa collègue, qu'il ne gratifie d'aucune formule de salut, de politesse ni d'un quelconque remerciement pour le travail fourni pendant son absence.
Ce tempérament se confirme à la lecture des divers échanges avec Monsieur c.F entre les mois de novembre 2022 et de février 2023, auquel il s'adresse de manière particulièrement sèche et autoritaire en listant des erreurs alors que ce dernier tente de justifier que l'équipe a fait du mieux qu'elle a pu en son absence.
Les affirmations des salariés quant à la volonté de Monsieur e N de se faire licencier sont également corroborées. En effet, il n'a pas démenti Monsieur n.O lorsque celui-ci a évoqué ses multiples demandes de licenciement dans un mail du 11 janvier 2023 et a au contraire indiqué qu'ils en reparleraient.
Dès lors, les témoignages d'anciens salariés favorables à Monsieur e N ne sont pas de nature à remettre en cause la crédibilité des propos des cinq salariés l'ayant dénoncé. Malgré un lien de subordination avec l'employeur, les détails des situations citées et leur recoupement à la fois entre eux et avec certains écrits permettent de confirmer leur véracité.
Concernant les propos alarmistes sur la trésorerie ils sont relatés par un prestataire, Monsieur r.R, qui indique qu'au 30 avril 2023 la trésorerie était tendue et qu'il y avait du retard de paiement des factures de la société New Media, et confirmés par Madame c.E qui a été informée de ces propos. La réalité d'une telle conversation est corroborée par les échanges tendus avec Monsieur n.O entre le 28 avril et le 2 mai 2023 qui sollicite que le paiement de Newmédia soit priorisé.
Les faits reprochés à Monsieur e N sont en conséquence caractérisés. Ils constituent manifestement un motif justifiant la rupture du contrat de travail en ce qu'ils portent atteinte à la réputation de l'employeur et aux conditions de travail de ses salariés.
Leur gravité, leur ampleur et leur multiplication rendaient intolérables le maintien de la relation de travail et nécessitaient une rupture immédiate. En effet, Monsieur e N créait des difficultés internes et externes. Vis-à-vis des prestataires, il insufflait de la défiance, qui pouvait conduire à de la perte de confiance. Au sein de la société, il créait des tensions à l'égard de la direction et entre collègues. Les conditions de travail n'étaient plus tenables pour les salariés, victimes de son agressivité, et pour la direction, dont la légitimité, voire la probité, était remise en question.
Le motif de licenciement est en conséquence valable et Monsieur e N est débouté de ses demandes d'indemnité de préavis, de congés payés y afférents et de licenciement. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu à rectification de la documentation sociale.
* Sur le caractère abusif du licenciement
Constitue un licenciement abusif celui prononcé pour un faux motif ou avec intention de nuire ainsi que celui mis en œuvre de manière abusive.
En l'espèce, Monsieur e N ne formule aucune demande indemnitaire au titre de l'abus dans le principe du licenciement et il n'a dès lors pas lieu de statuer à ce sujet. En tout état de cause, aucun motif autre que celui énoncé ne sous-tend la décision de licenciement.
Concernant la mise en œuvre du licenciement, Monsieur e N a été licencié pour faute grave par courrier adressé à son domicile alors qu'il se trouvait en arrêt maladie. Ces circonstances sont brutales pour un salarié affaibli qui ne pouvait aucunement s'attendre à perdre son emploi sans aucune explication. Face à la gravité des accusations portées, l'employeur se devait de mettre son salarié face à la possibilité de se défendre.
Il convient en conséquence de condamner la SAM L à verser à Monsieur e N la somme de 7.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, afin de réparer la brutalité du licenciement d'un salarié disposant de 13 ans d'ancienneté et âgé de 63 ans.
* Sur les autres demandes
Monsieur e N formule de nombreux griefs à l'endroit de son employeur relatifs à des mauvaises conditions de travail et du harcèlement. Il produit de nombreuses pièces relatives aux conditions d'exécution du contrat de travail, à la charge de travail qui aurait été à la sienne. Or, il ne formule aucune demande à ce titre. Dans ces conditions ces éléments n'ont pas à être analysés plus avant.
Il en va de même quant à ses prétentions relatives au travail qu'il aurait réalisé pendant le confinement, largement documenté, et à la perte de points retraite qui aurait été la sienne, dont il ne tire aucune conséquence indemnitaire.
Chacune des parties succombant partiellement elles conserveront la charge de leurs propres dépens. Dans ces conditions, les demandes au titre des frais irrépétibles sont rejetées.
La nécessité que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas caractérisée il n'y a pas lieu de la prononcer.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Déclare recevables les demandes de Monsieur e N relatives au licenciement abusif ;
Déclare irrecevable la demande de Monsieur e N de nullité du licenciement ;
Rejette les demandes de nullités des pièces nos 4, 5, 8 et 9 produites par la SAM L ;
Prononce la nullité de la pièce n° 6 produite par la SAM L ;
Dit que le motif de licenciement est valable ;
Rejette la demande d'indemnité de préavis et de congés payés afférents de Monsieur e N ;
Rejette la demande d'indemnité de licenciement de Monsieur e N ;
Dit que le licenciement a été mis en œuvre de manière abusive ;
Condamne la SAM L à verser à Monsieur e N la somme de 7.000 euros (sept mille euros) de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;
Rejette les demandes des parties au titre des frais irrépétibles ;
Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Composition
Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs f.AA et e.AB, membres employeurs, Messieurs b Z et f.J, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le vingt-deux avril deux mille vingt-cinq.
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