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22/04/2025 | MONACO | N°30888

Monaco | Tribunal du travail, 22 avril 2025, Monsieur j E c/ La société à responsabilité limitée dénommée AA et autres


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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 13 novembre 2023, reçue le 14 novembre 2023 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 24-2023/2024 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 28 novembre 2023 ;

Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Sarah CAMINITI-ROLLAND, avocat au nom de Monsieur j E, en date 30 janvier

2025 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur aux noms de l...

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 13 novembre 2023, reçue le 14 novembre 2023 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 24-2023/2024 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 28 novembre 2023 ;

Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Sarah CAMINITI-ROLLAND, avocat au nom de Monsieur j E, en date 30 janvier 2025 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur aux noms de la SARL AA et Monsieur b.F, en date du 13 février 2025 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Patricia REY, avocat-défenseur au nom de la SAM AB (AB.), en date du 16 janvier 2025 ;

À l'audience publique du 27 février 2025, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 22 avril 2025, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces derniers en ayant été avisées par Madame le Président ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur j E a saisi par requête déposée le 14 novembre 2023, le bureau de conciliation du Tribunal du travail à l'encontre de la SARL AA, Monsieur b.F et la SAM AB (ci-après société AB.) aux fins de :

* • dire et juger que la promesse d'embauche formée le 19 août 2022 par Monsieur b.F au nom de la SARL AA et acceptée le même jour par Monsieur j E est ferme, adressée à une personne déterminée, et précise l'emploi proposé, la rémunération, la date et le lieu d'entrée en fonction,

* • dire et juger que cette promesse d'embauche a été suivie d'un commencement d'exécution, sans que ne lui soient réglés les salaires des mois de septembre et octobre 2022,

* • dire et juger que l'intervention, le 24 novembre 2022, de la SAM AB (SAM AB.) afin de faire signer une demande d'autorisation d'embauchage avec une date d'entrée au 6 novembre 2022 est destinée à frauder les droits de Monsieur j E qui bénéficiait d'un contrat de travail ayant fait l'objet d'un commencement d'exécution,

En conséquence,

* • à titre principal, dire et juger qu'est établie l'existence d'un contrat de travail et que la cessation de fonctions dont Monsieur j E a été informé le 23 décembre 2022 à effet immédiat, sans aucun formalisme et sans indemnité est abusive et vexatoire,

* • condamner in solidum la SARL AA, Monsieur b.F et la SAM AB à payer à Monsieur j E les sommes suivantes :

* salaire non perçu des mois de septembre et octobre 2022 : 2.900 euros net,

* indemnité de licenciement : 290,68 euros net,

* préjudice moral : 50.000 euros,

* • à titre subsidiaire, dire et juger que la SARL AA et Monsieur b.F ont rompu la promesse d'embauche qui était ferme, adressée à une personne déterminée et détaillée quant aux conditions d'embauche,

* • dire et juger que cette rupture engage la responsabilité de la SARL AA et de Monsieur b.F,

* • en conséquence, condamner la SARL AA et Monsieur b.F à payer à Monsieur j E la somme de 50.000 euros en réparation des préjudices subis,

* • le tout avec intérêts légaux sur lesdites sommes à compter de la convocation à venir devant le bureau de conciliation,

* • condamner la SARL AA, Monsieur b.F et la SAM AB aux entiers dépens,

* • prononcer l'exécution provisoire pour l'ensemble de la décision à intervenir.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le bureau de jugement.

Par conclusions considérées comme récapitulatives du 30 janvier 2025, Monsieur j E sollicite en outre de dire et juger que les manoeuvres de la SAM AB visant à masquer les agissements illégaux de Monsieur b.F et de la SARL AA et à précariser la situation de Monsieur j E ont largement préjudicié à ce dernier et de débouter la SARL AA, Monsieur Bertrand E et la société SAM AB de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

Il fait valoir pour l'essentiel que :

* • suite à un entretien d'embauche le 19 août 2022, il s'est vu adresser par Monsieur b.F, à l'en-tête de AA, une promesse d'embauche détaillée, pour occuper un poste de rayonniste,

* • il était en outre stipulé qu'en cas d'accord de sa part son entrée en fonction débuterait le 5 septembre 2022 à 8 heures,

* • il a aussitôt accepté cette promesse et l'a retournée signée ce dont il lui était accusé réception,

* • nonobstant cette promesse particulièrement détaillée et circonstanciée, il n'était pas invité à intégrer son poste à la date de début d'embauche qui lui avait été communiquée,

* • il ne débutait son travail que le 4 novembre 2022, sans qu'aucun contrat de travail ne lui soit proposé,

* • le 24 novembre 2022, alors qu'il était en fonction depuis 20 jours, il était contacté par un représentant de l'agence AB., vraisemblablement à la demande de Monsieur b.F ou de la société AA, afin de signer une demande d'autorisation d'embauchage et un permis de travail mentionnant des informations ne correspondant absolument pas à la réalité des fonctions exercées et encore moins à la promesse d'embauche,

* • sous pression il n'a eu d'autre choix que de signer,

* • le 23 décembre 2022 en fin de journée, le responsable de la boutique lui a indiqué de manière particulièrement brutale mettre fin unilatéralement à la relation de travail sans ne justifier d'aucun motif,

* • l'acceptation sans restriction ni réserve de la promesse unilatérale d'embauche a emporté la conclusion définitive d'un contrat de travail,

* • en l'espèce, la promesse précisait le poste concerné, la nature du contrat, la période d'essai, le montant du salaire, la date d'entrée en fonction, le temps de travail et le lieu d'exécution du contrat,

* • elle valait donc contrat de travail,

* • il a commencé à travailler avec l'intervention de la société AB. pour lui faire signer une autorisation d'embauchage, qui n'équivaut nullement à un contrat de travail, sur la base d'une prétendue offre d'emploi datée du 16 novembre,

* • il était déjà en poste le 4 novembre sans que ne soit signé de contrat de travail, sous la direction et le contrôle de la société AA,

* • en l'absence de contrat écrit c'était bien un contrat à durée indéterminée qui le liait à la société AA,

* • rien ne démontre que la société AB. le connaissait avant le 24 novembre 2022 ni qu'elle l'aurait mis à disposition d'une entreprise utilisatrice dès le 4 novembre,

* • la société AB. dont les services ont été requis par la société AA et qui n'avait jamais échangé avec lui ne pouvait en toute intelligence ignorer, au moment de sa venue sur site pour lui faire signer une autorisation, qu'il travaillait déjà pour la société AA et qu'en lui faisant signer cette autorisation la société AA avait pour dessein de tenter de faire échec à un contrat de travail existant,

* • l'intention de la société AB. résulte de la chronologie des faits,

* • elle reconnaît qu'elle prévoyait une date d'entrée rétroactive au 6 novembre,

* • la précarisation de sa situation se manifeste également par le choix des intitulés de poste, inscrivant un poste d'« agent de fin de chantier » ou de « manutentionnaire », qui sont des missions temporaires, alors qu'il réalisait en réalité un travail de « rayonniste », dont l'emploi a vocation à perdurer,

* • il a été contraint de signer l'autorisation sous pression, sous peine de ne pas être payé,

* • en l'état de l'offre acceptée et du commencement d'exécution du contrat, il ne pouvait faire l'objet d'un limogeage brutal et vexatoire sans aucune formalité,

* • il tenait ses instructions directement de Messieurs b.F et j.O, représentants de l'employeur, notamment concernant les horaires,

* • il était en outre pleinement intégré au planning des salariés de la parapharmacie,

* • la responsabilité de Monsieur b.F est engagée puisqu'il a lui-même établi et signé la promesse d'embauche,

* • le droit français n'a pas vocation à s'appliquer,

* • les agissements fautifs de la société AA, de Monsieur b.F et de la société AB. ont indifféremment contribué aux préjudices de sorte qu'ils sont coresponsables,

* • subsidiairement, la non-réalisation d'une promesse d'embauche engage la responsabilité délictuelle de son auteur,

* • si aucun contrat de travail ne pouvait être opposé, il bénéficiait tout de même d'une promesse d'embauche dont le non-respect est abusif et engage la responsabilité du promettant,

* • cette faute lui a causé un très important préjudice, d'autant qu'elle s'est accompagnée de manoeuvres frauduleuses visant à précariser sa situation,

* • à l'âge de 53 ans il avait mis beaucoup d'espoir et s'était pleinement investi dans le projet,

* • contrairement aux assertions de la société AA il n'a signé aucun contrat de travail avec la société AB., une demande d'autorisation d'embauche n'étant qu'un document administratif,

* • il n'a ainsi aucunement renoncé à se prévaloir de la promesse d'embauche,

* • en tout état de cause, la société AB. a largement participé par ses manoeuvres à son préjudice,

* • elle a établi un formulaire contenant de nombreuses contrevérités,

* • le document fait référence à une offre d'emploi du 16 novembre 2022 alors qu'il n'a jamais été en relation avec la société AB. auparavant,

* • ses informations personnelles ont été communiquées par Monsieur b.F, lequel les a sollicitées le 14 novembre,

* • elle s'est chargée d'émettre les bulletins de salaire en fraude de ses droits.

Par conclusions récapitulatives du 13 février 2025, la société AA et Monsieur b.F sollicitent le débouté des demandes de Monsieur j E, 3.000 euros au titre de l'article 238-1 du Code de procédure civile pour la société AA et les entiers dépens.

Ils font valoir pour l'essentiel que :

* • en prévision du démarrage de l'activité de la parapharmacie, Monsieur b.F, associé minoritaire de la société AA, a transmis le 19 août 2022 à Monsieur j E une promesse d'embauche à l'entête de la parapharmacie en qualité de « rayonniste » à compter du 5 septembre 2022,

* • les travaux ayant pris du retard, la SARL AA n'a pu embaucher Monsieur j E le 5 septembre 2022,

* • Monsieur j E a alors saisi l'opportunité de travailler pour une entreprise qui intervenait sur le chantier, l'entreprise AC, de début novembre 2022 jusqu'au 13 décembre 2022,

* • courant décembre 2022 lorsque la société AA a souhaité embaucher Monsieur j E celui-ci a alors précisé qu'il était lié à la société d'intérim AB. par un contrat à durée déterminée d'un an et que la collaboration ne pouvait se faire que par l'intermédiaire de cette dernière,

* • c'est ainsi qu'il a été mis à disposition de la SARL AA du 14 décembre 2022 au 31 décembre 2022,

* • au 31 décembre 2022 c'est la société MI qui a rompu le contrat de Monsieur j E,

* • Monsieur b.F doit être mis hors de cause,

* • lorsqu'il a établi la promesse d'embauche il l'a fait pour le compte de la société AA,

* • le droit monégasque étant silencieux sur les conditions dans lesquelles la responsabilité délictuelle des associés non-gérants d'une société à responsabilité limitée peut être engagée, il convient de se référer au droit français,

* • or, sa responsabilité délictuelle ne peut être engagée qu'à condition qu'il ait commis une faute intentionnelle d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des prérogatives associées à sa qualité d'associé,

* • l'existence d'une telle faute intentionnelle particulièrement grave n'est pas caractérisée,

* • la promesse d'embauche ne vaut pas contrat de travail dès lors qu'elle n'a pas reçu de commencement d'exécution et qu'aucun lien de subordination ne peut être caractérisé entre la société AA et Monsieur j E,

* • lors de la prestation de travail réalisée au sein de la parapharmacie entre le 6 novembre et le 31 décembre 2022 il était sous contrat de travail à durée déterminée avec la société d'intérim AB.,

* • de surcroît, du 6 novembre au 13 décembre il était mis à disposition de l'entreprise AC, et non de la société AA,

* • s'il a effectué une mission du 14 au 31 décembre 2022 c'est par l'intermédiaire de la société d'intérim, la SARL AA étant donc entreprise utilisatrice dont le statut n'est pas assimilable à celui d'employeur,

* • par ailleurs, Monsieur j E ne démontre pas que la société AA détenait un pouvoir de subordination juridique sur lui,

* • seule la société de travail temporaire figurait sur le contrat, a édité les fiches de paie et réglé la rémunération,

* • la seule production d'un seul échange d'e-mails avec Monsieur j.O ne saurait caractériser l'existence d'un quelconque lien de subordination ce d'autant qu'à cette date il était en mission auprès de l'entreprise AC,

* • les plannings ne sont d'aucune utilité faute de mentionner une quelconque date,

* • Monsieur j E ne justifie en rien de la collusion frauduleuse avec la société AB.,

* • la non-réalisation de la promesse d'embauche est justifiée par la conclusion par Monsieur j E d'un contrat à durée déterminée d'un an le 6 novembre 2022 avec la société AB., lequel a fait obstacle à la conclusion d'un contrat de travail avec la SARL AA,

* • en concluant ce contrat il a renoncé à se prévaloir de la promesse d'embauche,

* • Monsieur j E a librement consenti à la conclusion du contrat d'intérim,

* • or, il n'établit ni l'existence d'une pression, ni l'existence d'une crainte, ni le mal considérable auquel son refus de contracter l'aurait engagé,

* • et pour cause, les conditions financières sous contrat d'intérim étant nettement plus avantageuses,

* • en concluant un engagement à temps plein auprès de l'agence d'intérim il n'a pas manifesté sa volonté de nover l'obligation initiale, mais a renoncé à se prévaloir de la promesse d'embauche,

* • par ailleurs, le non-respect de la promesse d'embauche est imputable au salarié lorsque ce dernier est engagé par ailleurs,

* • en concluant un contrat à durée indéterminée à temps plein d'un an le 6 novembre 2022, il ne présentait plus la condition essentielle de disponibilité requise pour exécuter la prestation de travail envisagée,

* • la solidarité ne se présume point et doit être expressément stipulée ou résulter d'une disposition légale, ce qui n'est pas le cas en la matière,

* • la responsabilité contractuelle des sociétés AA et AB. résulterait de contrats distincts, de natures différentes,

* • Monsieur j E ne justifie en rien de la consistance de son préjudice.

Par conclusions récapitulatives du 16 janvier 2025, la SAM AB (AB.) sollicite le débouté de Monsieur j E, 5.000 euros au titre des frais irrépétibles et les entiers dépens. Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* • à compter du 6 novembre 2022, Monsieur j E a été embauché en qualité d'intérimaire, à la demande de la SARL AA et de Monsieur b.F, sans qu'elle ne soit informée de l'existence d'une promesse d'embauche,

* • à aucun moment elle n'a eu l'intention de tenter de faire échec au commencement d'exécution de la promesse d'embauche et à la relation contractuelle existante,

* • le permis de travail accordé par le service de l'emploi pour une durée d'une année n'est pas un contrat à durée déterminée,

* • il n'y a rien d'inhabituel à ce qu'un représentant se soit déplacé sur le lieu de travail, ce procédé permettant de limiter les déplacements des salariés intérimaires et de respecter les délais de signature,

* • Monsieur j E n'établit ni l'existence d'une pression de la part de la SAM AB. à contracter, ni l'existence d'une crainte de sa part,

* • il a été rémunéré pour la période du 6 novembre au 30 novembre 2022 puis du 1er décembre au 31 décembre 2022 et mis à disposition de l'entreprise utilisatrice, la SARL AA,

* • le 31 décembre 2022, à la demande de l'entreprise utilisatrice, il a été mis fin à la mission d'intérim,

* • pour se soustraire à ses obligations, la société AA soutient que Monsieur j E aurait signé un contrat à durée indéterminée avec elle le 24 novembre 2022,

* • or, Monsieur j E avait commencé à travailler dès le mois de novembre 2022 au sein de la société AA, il tenait directement ses instructions de Messieurs b.F et j.O, notamment concernant les horaires, il a été congédié le 23 décembre 2022 par le responsable de la société AA, la demande d'autorisation d'embauchage n'est qu'un document administratif ne valant pas contrat de travail,

* • elle n'avait aucune intention de frauder les droits de Monsieur j E puisque la précarité de sa situation est compensée par l'indemnité de fin de mission qui est versée,

* • la non-réalisation d'une promesse d'embauche lorsqu'elle n'est pas justifiée, engage la responsabilité délictuelle de son auteur, peu importe si l'intérimaire est lié avec l'entreprise de travail temporaire par un permis de travail,

* • quel que soit le terrain contractuel retenu (non réalisation d'une promesse d'embauche ou existence d'un contrat de travail), elle est totalement étrangère à la demande au titre des salaires non perçus pour les mois de septembre et octobre 2022,

* • si par extraordinaire elle devait être condamnée, elle entend être relevée et garantie par la SARL AA de toutes condamnations dès lors que cette dernière est responsable de la situation dans laquelle se trouve Monsieur j E et de la rupture des relations contractuelles,

* • il n'y a pas de solidarité avec la SARL AA et Monsieur b.F,

* • Monsieur j E ne justifie en rien de son préjudice, ni dans son principe ni dans son quantum.

SUR CE,

Par un courrier du 19 août 2022, la société AA, représentée par Monsieur b.F, a formalisé une promesse d'embauche au bénéfice de Monsieur j E, pour un poste de rayonniste, à durée indéterminée, avec période d'essai de 2 mois, prévoyant un salaire de 1.450 euros/net mensuel pour 39 heures par semaine. L'entrée en fonction était fixée le 5 septembre 2022.

Monsieur j E a accepté cette promesse en y mentionnant « bon pour accord » et en la retournant par mail à Madame a.C, agissant pour le compte de AA, qui en accusait réception.

En application des dispositions de l'article 2 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, le contrat de travail est soumis aux règles de droit commun et est donc valablement formé dès lors que les parties se sont mises d'accord sur ses éléments essentiels. Ainsi, l'acceptation, sans restriction ni réserve, d'une promesse unilatérale d'embauche dépourvue de toute équivoque emporte la conclusion définitive d'un contrat de travail.

Tel est le cas en l'espèce, de la promesse comportant l'indication des éléments essentiels du contrat de travail (durée du contrat, poste, période d'essai, salaire, horaires de travail), acceptée sans protestation ni réserve le jour même et emportant la conclusion définitive du contrat entre les parties.

Le contrat à durée indéterminée ne peut cesser que pour les causes légales : la volonté des parties (licenciement ou démission) ou la force majeure.

En l'espèce, s'il est constant que Monsieur j E n'a pas commencé à travailler le 5 septembre 2022, aucune des causes d'extinction du contrat de travail n'était en présence. En effet, il n'a pas démissionné ni a été licencié. Aucune cause de force majeure n'existait, un « retard indépendant de sa volonté pris dans les travaux » ne répondant pas à la définition d'un événement extérieur imprévisible et irrésistible.

Quant au prétendu fait que les parties auraient convenues d'un commun accord de reporter la date d'entrée, elle ne ressort d'aucun élément et n'est pas confirmée par Monsieur j E.

Si Monsieur j E n'a pas exécuté de prestation de travail entre le 5 septembre et le 5 novembre, cela ne résulte que de la défaillance de l'employeur à lui fournir un lieu de travail. Malgré cela, la société AA n'a pas faire part de sa volonté de faire cesser le contrat. Elle n'a pas non plus mis en oeuvre de dispositif tel que le chômage temporaire pour pallier son inexécution. Dans ces conditions, elle ne peut se dégager de son obligation de verser les salaires, étant la seule responsable de l'inexécution contractuelle par la non fourniture des moyens de travail.

La SARL AA est en conséquence condamnée à verser à Monsieur j E la somme de 2.900 euros net à titre de salaire du 5 septembre au 5 novembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

La SARL AA prétend par ailleurs que le contrat de travail aurait cessé du fait de la conclusion par Monsieur j E d'un contrat d'intérim avec la SAM AB. au bénéfice de la société AC, ayant procédé à une novation du contrat de travail.

En l'espèce, la documentation remise par la SAM AB. confirme que Monsieur j E a travaillé à son bénéfice à compter du 6 novembre. Si le nom de la société bénéficiaire n'est pas mentionné, il semble qu'il y ait eu trois contrats distincts : le n° 001/134503 du 6 au 30 novembre, le n° 001/135003 du 1er au 13 décembre et le n° 001/135121 du 14 au 31 décembre 2022 tel que cela résulte des bulletins de salaire. Si seul le dernier peut être relié de manière directe à la SARL AA, puisque son numéro correspond au numéro sur la facture émise par la SAM AB. pour la période du 14 au 31 décembre 2022, en réalité il est démontré que Monsieur j E travaillait sous sa direction avant.

En effet, le 7 décembre 2022, Monsieur j E recevait des instructions quant à ses jours de travail d'un salarié de la SARL AA qui lui demandait de se présenter le lendemain malgré le fait que ce soit un jour férié.

Si au moins le 7 décembre 2022, Monsieur j E travaillait pour le compte et sous les directives de la SARL AA c'est que le contrat d'intérim n° xxx ne concernait pas la société AC, comme le prétend faussement la SARL AA.

Si Monsieur j E ne travaillait pas pour cette société AC c'est qu'il exerçait pour le compte de la SARL AA. En effet, à supposer qu'il y ait eu interposition d'une tierce société au 6 novembre 2022, cela n'était destiné qu'à frauder les droits du salarié, puisque la SARL AA n'a jamais eu l'intention de mettre fin au contrat de travail. Cela est démontré par les directives qui lui ont été données et la prestation de travail qu'il a exécuté pour son compte jusqu'au 31 décembre 2022. Mais cela ressort surtout et de manière indiscutable du mail du 14 novembre 2022. En effet, à la demande de la SARL AA, Monsieur j E adresse sa carte d'identité, démarche nécessaire à l'établissement des formalités d'embauchage (qui seront faussement établies par la SAM AB.), puis se rend sur le lieu de travail le lendemain.

Quant à la prétendue rupture du contrat par Monsieur j E elle n'est matérialisée par aucun élément. Il a toujours exercé sous les directives de la SARL AA, obéissant à ses instructions entre le 5 septembre et le 31 décembre. S'il a signé un engagement auprès de la SAM AB. le 24 novembre 2022 cela ne correspond pas à la réalité. Cet engagement ne peut dès lors prévaloir sur le contrat à durée indéterminée qui était en cours.

Surtout, comme rappelé ci-dessus, le contrat de travail à durée indéterminée ne peut cesser par la volonté du salarié que par la démission. Or, une telle démission ne se présume pas. En outre, aucun élément ne permet ne serait-ce que de supposer que Monsieur j E ait eu l'intention de démissionner. Au contraire, il résulte de l'intégralité de ses agissements qu'il a toujours souhaité exercer pour la SARL AA et qu'il l'a d'ailleurs fait. Dès lors, le contrat à durée indéterminée continuait à produire ses effets.

Dans ces conditions, la rupture des relations contractuelles au 31 décembre 2022 s'analyse en un licenciement. Ce licenciement ayant eu lieu sans motif, il ouvre droit au versement d'une indemnité de licenciement et la SARL AA est en conséquence condamnée à payer à Monsieur j E la somme de 290,68 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de l'audience de conciliation.

La rupture du contrat de travail a eu lieu pour un motif fallacieux et de manière abusive. En interposant faussement un tiers la SARL AA a tenté de se dégager de ses obligations contractuelles et a mis fin au contrat sous un faux motif, celui de la fin d'une mission d'intérim, alors que le salarié bénéficiait d'un contrat à durée indéterminée et que des dispositions protectrices de ses droits devaient être respectées. Elle a par ailleurs agi de manière vexatoire, en refusant de reconnaître le statut de son salarié. Elle a enfin été brutale, Monsieur j E pouvant légitimement se penser protéger par l'existence d'un contrat à durée indéterminée. La SARL AA a poursuivi dans son comportement abusif en refusant de remplir le salarié de ses droits.

Monsieur j E a subi un préjudice important. Le préjudice financier est constitué par l'absence de rémunération fixe pendant plus d'un an après la rupture. Quant au préjudice moral, il est caractérisé par la fraude que la SARL AA a exercée à son encontre et par le caractère infamant du refus de reconnaissance du contrat de travail et des circonstances de rupture sans assumer de responsabilités.

La SARL AA est en conséquence condamnée à verser à Monsieur j E la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Monsieur b.F, associé non-gérant de la SARL AA, est le signataire de la promesse d'embauche. Il est mis en cause par Monsieur j E à ce titre. En application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, le Tribunal du travail connaît des différends entre les employeurs et leurs représentants, d'une part, et les salariés qu'ils emploient de l'autre. En l'espèce Monsieur b.F n'est pas le représentant légal de la SARL AA. Il n'est par ailleurs pas l'employeur. Dans ces conditions il doit être mis hors de cause et les demandes de condamnations solidaires à son encontre sont rejetées.

Monsieur j E reproche à la SAM AB. d'avoir participé aux manoeuvres de la SARL AA et ainsi concouru à son préjudice. La fraude, ou la mauvaise foi, ne se présume pas et doit être prouvée par celui qui l'invoque. En l'espèce, rien ne démontre que la SAM AB. avait connaissance de l'existence d'un contrat à durée indéterminée entre les parties. Si la SAM AB. a fait preuve d'une grande légèreté, en signant un engagement d'intérim rétroactif sur le lieu de travail, sans s'interroger sur l'existence d'un contrat de travail à tout le moins pour la période qu'elle entendait couvrir, cela n'est pas suffisant à démontrer la connaissance de l'absence d'accord des parties pour collaborer sous la forme de l'intérim. D'ailleurs, Monsieur j E ne soutient même pas avoir alerté la SAM AB. sur l'existence du contrat le liant à la SARL AA, encore moins remontant à plusieurs mois auparavant. En conséquence, les demandes de condamnation de la SAM AB. sont rejetées.

Il convient d'ordonner la rectification de la documentation sociale dans le sens de la présente décision et ce sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

La SARL AA succombant, elle est condamnée aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'assistance judiciaire. Les demandes des SARL AA et SAM AB. au titre des frais irrépétibles sont rejetées.

La nécessité que l'exécution provisoire soit prononcée n'étant pas documentée, il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit qu'un contrat à durée indéterminée a été conclu entre la SARL AA et Monsieur j E le 19 août 2022 avec prise d'effet au 5 septembre 2022 ;

Condamne la SARL AA à verser à Monsieur j E la somme de 2.900 euros net (deux mille neuf cents euros) à titre de salaire pour la période du 5 septembre au 5 novembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter de l'audience de conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Dit que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans énonciation de motif réalisé par la SARL AA avec prise d'effet au 31 décembre 2022,

Condamne la SARL AA à verser à Monsieur j E la somme de 290,68 euros (deux cent quatre-vingt-dix euros et soixante-huit centimes) au titre de l'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de l'audience de conciliation ;

Dit que le licenciement est abusif dans son principe et dans sa mise en oeuvre ;

Condamner la SARL AA à verser à Monsieur j E la somme de 20.000 euros (vingt mille euros) au titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Met hors de cause Monsieur b.F ;

Rejette les demandes de condamnation de Monsieur b.F ;

Rejette les demandes de condamnation de la SAM AB. ;

Ordonne la rectification de la documentation sociale dans le sens du présent jugement, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Condamne la SARL AA aux entiers dépens de l'instance, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'assistance judiciaire ;

Rejette les demandes de la SARL AA et de la SAM AB. au titre des frais irrépétibles ;

Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire pour le surplus ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs f.N et e .T, membres employeurs, Messieurs b.G et f.M, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le vingt-deux avril deux mille vingt-cinq.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 30888
Date de la décision : 22/04/2025

Analyses

Contrats de travail ; Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : Monsieur j E
Défendeurs : La société à responsabilité limitée dénommée AA et autres

Références :

article 238-1 du Code de procédure civile
article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946
article 2 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2025-04-22;30888 ?

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