La Cour de Cassation, Chambre Civile et Commerciale, statuant pour les affaires civiles en son audience publique ordinaire du mardi dix sept juin deux mil quatorze, tenue au Palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
ENTRE :
MOUHA IBRAHIM, Greffier demeurant à Ab, assisté de Me Patrick Mazet et de la SCPA MANDELA, avocats associés au Barreau de Ab ;
Demandeur
D’une Part ;
ET :
BANQUE CENTRALE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (BCEAO), représentée par son Directeur National, assisté de Me Marc Le Bihan avocat au Barreau de Ab ;
Défenderesse
D’autre Part ;
LA COUR
Après la lecture du rapport par Monsieur Mahamadou Albachir Nouhou Diallo, conseiller rapporteur, les conclusions du Ministère Public et en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur les pourvois formés par requêtes dont le 1er en date du 20 mars 2008 par Me Patrick Mazet, Avocat à la Cour pour le compte de Ac Aa et le 2ème en date du 18 juin 2008 par Me Moussa Yankori, Avocat à la Cour toujours pour le compte de Ac Aa, contre l’arrêt n° 30 du 04 février 2008 de la Cour d’Appel de Ab qui, après avoir annulé le jugement civil n° 169 du 11 avril 2007 du TGI/HC/NY, décidait que la BCEAO jouissait de l’immunité de juridiction, et par conséquent se déclarait incompétente et renvoyait Ac Aa à mieux se pourvoir ;
Vu la Constitution du 25 novembre 2010 ;
Vu la loi n° 2004-50 du 22 juillet 2004 sur l’organisation judiciaire en République du Niger ;
Vu la loi n° 2000-10 du 14 août 2000 sur la Cour Suprême ;
Vu la loi organique n° 2013-03 du 23 janvier 2013 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour de Cassation ;
Vu les textes régissant la BCEAO, notamment l’article 17 du traité de l’UEMOA, l’article 4 des statuts de la BCEAO et l’article 8 du protocole relatif aux immunités et privilèges de la BCEAO ;
Vu l’article 14 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques de 1966 ;
Vu les articles 8 et 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 ;
Vu l’article 7 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 ;
Vu l’arrêt n° 30/CA/Ny du 04 février 2008 ;
Vu les requêtes de pourvoi en date des 20/3/2008 et 18/6/2008 ;
Vu l’exploit de signification du pourvoi en date du 30 avril 2008 relatif au pourvoi du 20/3/2008 ;
Vu les mémoires des parties ;
Vu les conclusions du Ministère Public ; Ensemble avec les autres pièces du dossier ;
I- Sur la recevabilité
Attendu que le pourvoi en date du 20 mars 2008 de Me Patrick Mazet, Avocat à la Cour pour le compte de Ac Aa a été régulièrement formé ; qu’il y a lieu de le déclarer recevable ;
Attendu par contre que le pourvoi en date du 18 juin 2008 introduit par Me Moussa Yankori, Avocat à la Cour, conseil de Ac Aa doit être déclaré irrecevable conformément à une jurisprudence constante dite de la « connaissance acquise » selon laquelle, en l’espèce Ac Aa ayant eu connaissance de l’arrêt querellé dès le jour du pourvoi qu’il a formé le 20/3/2008 contre ledit arrêt, date qui constitue le point de départ du recours, le pourvoi du 18/6/2008 soit trois (03) mois plus tard est hors délai ;
II- Au fond
Sur le moyen unique tiré de la nullité pure et simple de l’arrêt querellé pour défaut d’immunité de juridiction de la BCEAO
Attendu que le demandeur au pourvoi reproche à l’arrêt attaqué d’avoir décidé qu’ « aux termes de l’article 8 du protocole relatif aux privilèges et immunités de la BCEAO, celle-ci jouit en toutes matières de l’immunité de juridiction et d’exécution, sauf renonciation expresse de sa part dans un cas particulier notifié par le Gouverneur ou son représentant » ; que le requérant reproche donc à l’arrêt qu’il querelle d’avoir appliqué ce texte et d’avoir ainsi décidé que la BCEAO jouit de l’immunité alors même qu’il explique qu’en décidant de l’attraire en justice, la BCEAO s’est dépouillée elle-même de cette immunité et s’exposait à être condamnée en justice ; que le requérant estime qu’il serait dangereux de permettre à la BCEAO, se prévalant de son immunité de juridiction, d’attraire un citoyen nigérien devant les juridictions nationales et d’invoquer son immunité de juridiction et d’exécution pour se soustraire le cas échéant à sa condamnation ; ce qui, selon le requérant aboutit à une situation de non droit au profit de la BCEAO en violation de la Constitution de la République qui stipule que « tout citoyen nigérien a droit à un tribunal afin que sa cause soit entendue et discutée » ;
Attendu que pour la BCEAO, agissant par l’organe de Me Marc LeBihan, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier, il n’a nullement été soutenu que la BCEAO jouit d’une immunité absolue puisqu’il est possible à celle-ci d’y renoncer au cas par cas conformément à l’article 8 du protocole relatif aux privilèges et immunités de la BCEAO ; que cette disposition instituant la procédure suivant laquelle la BCEAO peut renoncer à son immunité, il faut une renonciation expressément notifiée par le Gouverneur ou son représentant et au cas par cas ; ce qui exclut toute possibilité de renonciation implicite ou déduite de son immunité par la BCEAO ;
Attendu en effet qu’il résulte des textes régissant la BCEAO que l’article 17 du traité de l’UEMOA et l’article 4 des statuts de la BCEAO disposent qu’ « en vue de permettre à la Banque Centrale de remplir les fonctions qui lui sont confiées, les immunités et privilèges habituellement reconnus aux institutions internationales lui seront concédés sur le territoire de chacun des Etats membres de l’union… » et l’article 8 du protocole relatif aux immunités et privilèges de la BCEAO édicte que celle-ci « jouit en toutes matières de l’immunité de juridiction et d’exécution sauf renonciation expresse de sa part, dans un cas particulier notifié par le gouverneur ou son représentant » ;
Attendu que la Constitution du 25 novembre 2010 (et même celles qui lui sont antérieures) proclame dans son préambule son attachement aux droits humains tels que définis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et à tous les instruments juridiques régionaux et internationaux de protection et de promotion des droits humains tels que signés et ratifiés par le Niger ;
Attendu que l’article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 énonce que « toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi » ; que son article 10 dispose que « toute personne a droit, en pleine égalité à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; que l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 dispose que « tous sont égaux devant les tribunaux et les Cours de justice.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil… » ; que la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 affirme dans son article 7 que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ; ce qui comprend :
a)-le droit de saisir les juridictions compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, les règlements et coutumes en vigueur ; …
Attendu que l’application en l’espèce, de l’immunité de juridiction au litige opposant Ac Aa à la BCEAO aura pour effet de porter atteinte à la substance même du droit de celui-ci à un tribunal ; que l’intéressé sera alors victime d’un déni de justice ; que par ailleurs, le fait que la Banque Centrale soit contrainte de se défendre devant la juridiction nationale sur le fond du litige relatif à la demande de dédommagement formulée par Ac Aa née de son recours en dénonciation calomnieuse contre la BCEAO, n’est pas de nature à entraver le bon fonctionnement de celle-ci ;
Attendu que la Cour d’Appel s’est contentée de dire que la BCEAO jouit de l’immunité de juridiction et s’est déclarée incompétente pour trancher le litige à elle soumis sans indiquer que Ac Aa disposait d’une autre voie raisonnable pour protéger ses droits ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’Appel a violé les textes ci-dessus visés ; qu’il y a lieu de casser et d’annuler l’arrêt n° 30 de la Cour d’Appel de Ab en date du 04 février 2008 et de renvoyer la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée ;
Attendu que la BCEAO a succombé dans l’instance, qu’il ya lieu de la condamner aux dépens ;
Par ces motifs
En la forme :
- déclare le pourvoi du 20 mars 2008 recevable ;
- déclare le pourvoi du 18 juin 2008 irrecevable ;
Au fond :
-casse et annule l’arrêt n° 30 en date du 04 février 2008 de la Cour d’Appel de Ab, et renvoie la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée ;
-condamne BCEAO aux dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé, les jour, mois et an que dessus. ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER.
PRESENTS
Mahamadou Albachir Nouhou Diallo, Président
Mme Daouda Mariama et Sékou Boukar Diop, Conseillers
Maazou Adam, Ministère Public
Mme Adamou Habbi Adoum, Greffière
RAPPORTEUR, Mahamadou Albachir Nouhou Diallo