La Cour de Cassation, Chambre Criminelle, statuant pour les affaires Pénales en son audience publique ordinaire du mercredi quatre mars deux mille quinze, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
ENTRE
1°) C Z AH et de AICHATOU, né le 23/12/1959 à Zinder, notaire domicilié à Ae, assisté de Mes Y Ab AH et B Ab, tous avocats au Barreau de Ae ;
2°) ALI B X né vers 1973 à Guessa-Gougou-Torodi, Tâcheron domicilié à Ae, partie civile y demeurant Tél : 96 49 68 91
DEMANDEURS
D’une part ;
ET
MINISTERE PUBLIC
DEFENDEUR
D’autre part ;
La Cour
Après lecture du rapport par Monsieur Hassane Djibo, Conseiller rapporteur, les conclusions écrites et observation orale du ministère public et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur les pourvois formés par déclarations au greffe de la Cour d’Appel de Ae, enregistrées sous n° 21 du 14 avril 2014 et n° 22 du 16 avril 2014 respectivement par le prévenu Abdou Inazel Abderahamane et la partie civile Ali B, contre l’arrêt n° 30 du 14 avril 2014 de la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Ae qui a ainsi statué :
Reçoit le prévenu Abdou Inazel Abderahamane en son appel régulier en la forme ;
Au fond
Confirme la décision attaquée sur l’action publique ;
Constate que le nommé Ali B dit Yonli n’est qu’un prête nom ;
Dit que la radio canal espérance est la propriété de AG Af ;
Déboute en conséquence Ali B de toutes ses demandes ;
Condamne l’appelant aux dépens.
Vu la loi 2013-03 du 23 janvier 2013 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour de Cassation ;
Vu le code de procédure pénale en ses articles 450,564, 572, 573 et 586 ;
Vu le code pénal en ses articles 152 et 153 ;
Vu l’article 3 de l’ordonnance n°2010-035 du 4/06/2010 portant régime de la presse au Niger ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les conclusions et les observations orales du Ministère Public ;
SUR LA RECEVABILITE DES POURVOIS
Attendu qu’aux termes des dispositions combinées des articles 564, 572 et 573 du code de procédure pénale, le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après le prononcé de la décision attaquée pour se pourvoir en cassation ;
Que ce délai court à compter de la signification de la décision ;
Que le pourvoi est formé par déclaration au greffe de la juridiction ayant rendu la décision attaquée ou au greffe de la juridiction de résidence du demandeur en cassation ;
Que la déclaration est signée par le demandeur lui-même, un avocat défenseur ou un fondé de pouvoir spécial ….. ;
Attendu en l’espèce, que les pourvois de Abdou Inazel Abderahamane et de Ali B contre l’arrêt n° 30 du 14 avril 2014 de la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Ae ont été formés par déclaration au greffe de la Cour d’appel de Ae, respectivement le 14 avril 2014 par Me Abdourahamane Gali Adam, conseil constitué de Abdou Inazel Abderahamane et le 16 avril 2014 par Ad Ac, muni d’un pouvoir spécial donné par Ali B,; Que lesdits pourvois ont été formés dans les forme et délai prescrits par la loi, et sont recevables en la forme.
AU FOND
Attendu que B X n’a pas produit de mémoire ; Qu’il n’a donc soulevé aucun moyen de cassation
Attendu par contre que Me Abdou Inazel Abderahamane, par le biais de ses conseils constitués, a produit un mémoire à l’appui de son pourvoi dans lequel il invoque des moyens de cassation tirés de la violation des articles 152 et 153 du Code pénal, 586 du Code de procédure pénale ;
Sur le premier moyen de cassation, pris en la violation des articles 152, 153 et suivants du code pénal pour fausse interprétation, en ce que l’arrêt attaqué a jugé d’une part que … l’intention frauduleuse est établie dès lors que le notaire a eu conscience de commettre une altération de la vérité dans un acte authentique, et d’autre part que le préjudice est présumé, résultant d’office de la nature de l’acte altéré et de ce fait il n’a pas à être constaté.…, alors même qu’une bonne interprétation des articles 152 et 153 du code pénal aurait du permettre à la Cour de distinguer l’action du notaire selon qu’il s’agisse des actes portant manquement à son éthique professionnelle et lorsqu’il pose des actes contraires à la loi, d’une part et que l’article 152 du code pénal impose, pour établir le faux en écriture, de prouver l’existence d’un préjudice, d’autre part.
Sur la première branche du premier moyen de cassation, prise en la violation des articles 152 et 153 du Code pénal pour l’absence d’altération de la vérité,
Attendu que le mémorant soutient qu’il n’y a ni altération de la vérité ni conscience de sa part de commettre un acte contraire à la loi, les énonciations qualifiées de mensongères par la Cour n’étant pas frauduleuses en ce qu’elles sont conformes à l’acte caché entre Af AG et Ali B X, dont il n’a fait que respecter les dispositions ;
Mais attendu qu’il y a au sens des textes susvisés, altération de la vérité dès lors que l’acte dressé par le notaire ne reflète pas la réalité ; Que tel est le cas en l’espèce car il résulte des pièces du dossier de la procédure que l’acte incriminé (le contrat de cession des parts sociales de la radio Canal Espérance ) porte la mention avoir été établi en présence des sieurs Ali B X et des époux AW et qu’il a été signé par eux, alors même que ces derniers n’ont ni été présents au moment de son établissement ni signé celui-ci ;
Que par ailleurs la contre lettre (ou simulation) entre Af AG et Ali B invoquée par le demandeur au pourvoi pour soutenir que l’acte dressé correspond fidèlement à la volonté des parties contenue dans la convention cachée, ne saurait en rien retirer aux mentions de l’acte incriminé, leur caractère inexact ; Que cette branche du moyen n’est pas fondée ;
Sur la seconde branche du premier moyen de cassation, prise en la violation des articles 152 et 153 du Code pénal pour défaut d’intention frauduleuse.
Attendu que le demandeur au pourvoi soutient qu’en établissant l’acte incriminé, il n’avait pas eu conscience de commettre un acte contraire à la loi parce que selon lui les énonciations qualifiées de mensongères n’étant pas frauduleuses en ce qu’elles sont conformes à l’acte caché entre Af AG et Ali B X , aux termes duquel ce dernier n’est ni propriétaire ni promoteur de la radio « Canal Espérance », la société propriétaire étant créée sur instruction du pasteur Af AG, d’une part et que le fait pour lui de respecter les dispositions de la contre lettre ne peut tout au plus qu’être constitutif d’un manquement à ses obligations professionnelles, lequel manquement ne suffit pas à lui seul pour caractériser l’intention frauduleuse au sens des articles 152 et 153 du code pénal, d’autre part ;
Attendu qu’en ce qui concerne l’élément intentionnel du délit de faux en écriture de l’article 152 du Code pénal, l’arrêt attaqué est motivé comme suit : « qu’en matière d’acte authentique, l’intention frauduleuse est établie dès lors que le notaire a eu conscience de commettre une altération de la vérité susceptible de causer un préjudice ; Qu’en mentionnant dans l’acte de cession des parts sociales de la SARL Radio Canal Espérance, que le cédant, Ali B et les cessionnaires, les époux AW, avaient comparu et signé l’acte incriminé, alors même que ceux-ci n’avaient ni comparu et encore moins signé l’acte, Aa Inazel Abderahamane avait nécessairement conscience de la fraude qu’il commettait par l’inexactitude des énonciations…dans l’acte par lui dressé… » ;
Que par ce moyen la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Ae considère que le fait de porter dans un acte authentique des mentions que l’on sait inexactes, constitue en soit une intention frauduleuse ;
Mais attendu qu’au sens de l’article 152 du code pénal l’intention frauduleuse exige pour être établie, non seulement la conscience qu’a l’auteur de l’acte de commettre un fait qu’il savait prohibé, mais aussi la volonté de nuire ;
Qu’en l’espèce en soutenant qu’en mentionnant dans l’acte de cession des parts sociales de la SARL « Radio Canal Espérance que le cédant, Ali B et les cessionnaires, les époux AW, avaient comparu et signé l’acte incriminé, alors même que ceux-ci n’avaient ni comparu et encore moins signé l’acte, Aa Inazel Abderahamane avait nécessairement conscience de la fraude qu’il commettait par l’inexactitude des énonciations…dans l’acte par lui dressé… , l’arrêt attaqué a certes caractérisé l’intention frauduleuse dans son aspect violation de la loi ;
Qu’il n’a par contre fait état d’aucun fait ou acte caractéristique de la volonté de l’auteur de l’acte incriminé, de porter préjudice; Qu’il encourt cassation de ce fait pour insuffisance de motifs ;
Sur la troisième branche du premier moyen de cassation, prise en la violation des articles 152 et 153 du Code pénal, pour absence de préjudice.
Attendu que le pourvoi reproche à l’arrêt attaqué un manque de base légale en ce qu’il a décidé que le préjudice est en l’espèce présumé, résultant d’office de la nature même de l’acte altéré, alors même qu’en matière de faux en écriture l’article 152 du Code pénal impose la preuve de l’existence d’un préjudice, d’une part ; et que la constatation d’un préjudice est une exigence formelle et matérielle pour la constitution de l’infraction de faux, le juge répressif devant de ce fait et pour condamner, constater que la victime a apporté la preuve d’un préjudice au moins éventuel, d’autre part ;
Qu’il soutient par ailleurs qu’il n’y a pas en l’espèce de préjudice, du fait que la modification, des statuts de la société « canal espérance » n’a créé de lésion de quelque nature que se soit à Ali B parce qu’il est étranger à sa constitution et à sa gestion ;
Attendu que pour confirmer le jugement, sur l’action publique, l’arrêt attaqué énonce que « …le préjudice exigé pour la caractérisation de l’infraction de faux en écriture authentique….résulte indiscutablement de l’atteinte même portée par l’altération de la vérité à la foi publique et à l’ordre social commise par le notaire dont la mission est de sécuriser les actes publics qu’il dresse… » ;
Que la Cour d’appel soutient que dans les actes notariés le préjudice est présumé car résultant d’office de la nature de l’acte altéré et qu’il n’a pas à être constaté ; Qu’un tel préjudice dont l’existence doit être relevée d’office dès lors qu’il y a altération de la vérité dans un acte authentique sensé faire foi jusqu’à l’inscription de faux, existe nécessairement dès la commission de faux par le notaire et justifie à lui seul l’existence d’un préjudice exigé par la loi ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 152 du code pénal, « le faux en écriture est l’altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice et commise dans un écrit destiné ou apte à la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des effets de droit ».
Qu’au sens de ce texte, l’altération de la vérité doit pour être punissable, outre avoir un caractère frauduleux mais aussi être de nature à causer un préjudice ;
Que s’il est vrai qu’en matière de faux en écriture publique ou authentique, le préjudice résulte nécessairement de l’altération même de la vérité, en raison de l’atteinte à la foi publique ; Qu’il n’en demeure pas moins vrai que la juridiction de jugement se doit, lorsqu’il y a comme en l’espèce une partie civile à l’instance, de démontrer que l’acte incriminé a porté ou est susceptible de porter à celle-ci un préjudice personnel, actuel ou éventuel ;
Qu’en se bornant en l’espèce à déclarer que dans les actes notariés le préjudice est présumé et résulte indiscutablement de l’atteinte même portée par l’altération de la vérité à la foi publique et à l’ordre social, sans caractériser cette atteinte ni faire état de l’existence d’un préjudice personnel matériel ou moral, actuel ou éventuel qu’aurait subi ou est susceptible de subir la partie civile, la Cour n’a pas suffisamment motivé sa décision, laquelle encourt cassation de ce fait ;
Sur le second moyen de cassation, prise en la violation de l’article 586 du code de procédure pénale, contrariété et insuffisance de motifs, en ce que l’arrêt tout en reconnaissant que la radio appartient au Pasteur Af AG a condamné le prévenu pour faux, en l’absence de tout préjudice même éventuel pour la partie civile Ali B, alors même que la chambre correctionnelle ne peut en pareilles circonstances, retenir contre le notaire l’infraction de faux dont se plaint Ali B partie civile à l’instance et déclarer que la radio est non la propriété de celui-ci mais de Af AG ;
Attendu qu’aux termes de l’article 586 du code de procédure pénale, « les arrêts de la chambre d’accusation ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s’ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour Suprême (cour de cassation) d’exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif » ; Que la jurisprudence assimile la contrariété de motifs au défaut de motifs.
Attendu en l’espèce que, pour retenir l’infraction de faux contre Abdou Inazel Abderahamane, l’arrêt a relevé contre ce dernier l’ énonciation des mentions inexactes dans l’acte de cession des parts sociales de la SARL « Radio Canal Espérance », et ce abstraction faite de la propriété de la radio ; Qu’il n’y a de ce fait aucune contradiction de motifs ; Que ce moyen n’est donc pas fondé ;
Sur le moyen soulevé d’office pris de la violation de la loi, les articles 450 et 464 du code de procédure pénale, en ce que l’arrêt attaqué a statué sur la propriété la radio canal, en disant dans son dispositif que celle-ci est la propriété de AG Af, alors même qu’au sens de ces textes les juridictions répressives ne sont compétents que pour connaître de l’action civile en réparation des dommages causés par une infraction ou en restitution d’un objet placé sous mains de justice ;
Attendu qu’en énonçant que la radio canal est la propriété de AG Af, la chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de Ae a tranché une question ne relevant pas de sa compétence, mais de celle des juridictions civiles ; Que l’arrêt n° 30 du 14 avril 2014, encourt également cassation de ce fait ;
PAR CES MOTIFS
-Déclare recevables les pourvois des sieurs Abdou Inazel Abderahamane et Ali B ;
-Casse et annule l’arrêt n° 30 du 14 avril 2014 de la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Ae ;
-Renvoie la cause et les parties devant la même juridiction mais autrement composée pour être jugées conformément à la loi ;
-Réserve les dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jours, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER
PRESENTS
Ousmane Oumarou, Président
Mme Aissata Adamou & Hassane Djibo, Conseillers
Emilien A Bankolé, Ministère Public
Me Achirou Haoua Bizo, Greffier
RAPPORTEUR, Hassane Djibo