Arrêt n° 15-045/CC/CRIM du 24 Juin 2015
PRESENTS
Ousmane Oumarou Président
Salissou Ousmane & Hassane Djibo Conseillers
Alhassane Moussa Ministère Public
Me Chaibou Kadadé Greffier
RAPPORTEUR
Salissou Ousmane
COUR DE CASSATIONCHAMBRE CRIMINELLE
La Cour de Cassation, Chambre Criminelle, statuant pour les affaires Pénales en son audience publique ordinaire du mercredi huit Juillet deux mille quinze, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
ENTRE
ABDOUL-NASSER IBRAHIM alias MOUSTPHA et de SADRATA, né vers 1965 à Zinder, nigérien, commerçant domicilié à Ah, MD du 15/10/2012, assisté de Mes Harouna Abdou et Mahamadou Nanzir, avocats au Barreau de Ah ;
DEMANDEUR
D’une part ;
ET
MINISTERE PUBLIC ;
Défendeur
D'autre part
La Cour
Après la lecture du rapport par Salissou Ousmane, Conseiller rapporteur, les conclusions du Ministère Public et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur le pourvoi en cassation formé par déclaration au greffe de la Cour d’appel de Ah en date du 16 octobre 2014, par Maître Harouna Abdou, avocat à la Cour, conseil constitué du prévenu Af Ac Ag, contre l’arrêt N° 159 du 13 octobre 2014 de la Chambre correctionnelle de la dite Cour qui a :
-confirmé le jugement attaqué sur le quantum de la peine ;
-reçu la constitution de partie civile de Ab Ae Ab et condamné les prévenus à lui payer solidairement la somme de 1.750.000000 de francs CFA à titre de dommages-intérêts toutes causes de préjudice confondues.
Vu la loi organique N°2013-03 du23 Janvier 2013 déterminant la Composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour de cassation
Vu le code de procédure pénale en ses articles 70, 163,414,504 al2 et 3 et 586 .
Vu le code pénal en ses articles 135, 140 et 333 ;
Vu les conclusions de Madame le Procureur général
SUR LA RECEVABILITE
Attendu que le pourvoi tel qu’introduit est régulier en la forme et délai ; Qu’il doit être déclaré recevable.
SUR LE MOYEN UNIQUE DU POURVOI
Attendu qu’à l’appui de son pourvoi, Af Ac Ag soulève un moyen unique de cassation exposé en plusieurs branches, prise en la violation de la loi, ensemble les articles 70 et 163,414, 504 alinéa 2 et 3 du Code de procédure pénale, 135 et 140 du Code pénal ; insuffisance et fausseté de motifs ; fraude, dénaturation des faits et manque de base légale.
Sur la première branche du moyen, tirée de la violation des articles 70, 163 du Code de procédure pénale, en ce que la Cour a condamné le requérant pour contrefaçon de billets de banque sans preuve, sur la base d’une perquisition faite en son domicile, en son absence et sans son consentement mais avec un prétendu accord unanime de ses épouses, alors même qu’il ne résulte pas des pièces du dossier de la procédure la preuve formelle de la prétendue acceptation à l’unanimité de ses épouses ;
Mais attendu qu’il résulte des dispositions de l’arrêt attaqué que la perquisition qui a servi de fondement à la condamnation du demandeur au pourvoi est celle opérée non à son domicile mais dans une villa qu’il avait prise en location et où il logeait ses employés, lesquels ont consenti à la perquisition, les opérations étant par ailleurs menées en leur présence constante ; Que cette branche du moyen est mal fondée ;
Sur la seconde branche du moyen, prise en la violation de l’article 414 du code de procédure pénale, en ce la Cour a condamné le requérant pour escroquerie sans preuve, sur la base des enregistrements audio-visuel tournés en mode caméra cachée donc non seulement obtenus par fraude mais aussi et surtout non discutés contradictoirement, Ab Ae Ab leur auteur étant absent à l’audience ;
Attendu que pour le requérant il y a contradiction dans les débats que lorsque les faits sont discutés à l’audience et en la présence physique des parties ;
Mais attendu qu’en matière de procès la contradiction consiste au fait pour le juge de mettre les parties en état de discuter à l’audience et par devant lui, les faits et éventuellement la valeur des pièces produites ;
Qu’en l’espèce le demandeur au pourvoi avait discuté tant devant le juge d’instruction qu’à l’audience, les enregistrements audio-visuel qu’il dit avoir été obtenus par fraude ;
Que l’absence à l’audience de Ab Ae Ab auteur présumé desdits enregistrements n’enlève en rien au caractère contradictoire des débats dès lors que le requérant a été mis en mesure de les discuter et il s’en était pas privé ;
Que cette branche du moyen n’est pas fondée et doit être rejetée en conséquence ;
Sur la troisième branche du moyen prise en la violation des articles 135 et 140 du Code pénal, en ce que la Cour a condamné le requérant pour contrefaçon sans qu’une preuve directe le liant aux faits ait été rapportée ;
Attendu que cette branche du moyen relève des faits dont l’appréciation est du domaine exclusif de la compétence des juges de fond ; Qu’elle n’est de ce fait pas fondée ;
Sur la quatrième branche du moyen, prise en la violation de l’article 504 alinéa 2 et 3 de du Code de procédure pénale, en ce que la Cour a condamné le requérant à payer la somme de 1.750.000.000 de francs à titre de dommages-intérêts à Ab Ae Ab partie civile, alors même qu’il n’a été condamné en première instance qu’à l’emprisonnement et à l’amende, d’une part et qu’en accueillant la partie civile en sa demande, la Cour a non seulement aggravé le sort de celui-ci mais aussi reçu une demande nouvelle, en violation des dispositions du texte susvisé ;
Sur la violation de l’article 504 alinéa 2 du Code de procédure pénale, en ce qu’en condamnant le demandeur au pourvoi, au paiement des dommages-intérêts à la partie civile, sur son appel et en l’absence d’appel du ministère public, la Cour a aggravé son sort et violé de ce fait les dispositions du texte susvisé ;
Mais attendu que s’il est exact qu’aux termes de l’article 504 alinéa 2 « La Cour ne peut, sur le seul appel du prévenu … aggraver le sort de l’appelant », il n’en demeure pas moins vrais que les dispositions de ce texte ne concernent que les peines c'est-à-dire l’emprisonnement ou l’amende ;
Que la condamnation au paiement des dommages-intérêts à la partie civile ne saurait en soit constituer une aggravation du sort du prévenu ;
Qu’en l’espèce l’arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris sur le quantum de la peine et n’a de ce fait pas aggravé le sort du requérant ; Que cette branche du moyen n’est pas fondée et doit être rejetée en conséquence ;
Sur la violation de l’article 504 alinéa 3 du Code de procédure pénale, en ce que la Cour a reçu la constitution de partie civile de Ab Ae Ab et lui a alloué des dommages-intérêts, alors même que la demande est introduite pour la première fois en cause d’appel ;
Attendu qu’au regard de l’exposé du moyen ci-dessus, les dispositions de l’article 504 incriminées sont plutôt celles de l’alinéa 4 selon lesquelles « La partie civile ne peut en cause d’appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois elle peut demander une augmentation des dommages-intérêts pour le préjudice souffert depuis la décision de la première instance » ;
Attendu qu’en l’espèce la Cour d’appel de Ah a reçu pour la première fois en cause d’appel la demande en réparation des dommages-intérêts formulée par le conseil de Ab Ae Ab qui ne s’était par ailleurs constitué partie civile ni en première instance ni même devant le juge d’instruction ;
Qu’en statuant comme elle a fait, la Cour d’appel de Ah a violé les dispositions de l’alinéa 4 du texte susvisé au moyen et sa décision mérite cassation de ce fait ;
Sur la cinquième branche du moyen, tirée de la fausseté et l’insuffisance des motifs, dénaturation des faits et manque de base légale, en ce que la Cour a déclaré le requérant coupable d’escroquerie portant sur deux (2) caisses d’argent, sans preuve, sur la base des seules déclarations de la prétendue victime et du témoignage de son cousin et complice, un certain Af Ad Aa, alors même que personne n’a ni vu ces caisses encore moins l’argent qu’elles contenaient, ni même connu l’origine et la provenance de l’argent escroqué d’une part et que le prétendu témoin de la remise n’est pas crédible, d’autre part ;
Attendu qu’aux termes de l’article 586 du Code de procédure pénale : « Les arrêts de la Chambre d’accusation ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s’ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif…. » ;
Attendu qu’en matière pénale la motivation doit contenir la caractérisation de l’infraction poursuivie ;
Qu’il y a défaut de motifs dès lors qu’il ne résulte pas de l’exposé des faits et de motifs la qualification et tous les éléments constitutifs de l’infraction retenue ;
Qu’en l’espèce le demandeur au pourvoi est condamné entre autres pour escroquerie portant sur deux (2) caisses d’argent ;
Attendu qu’aux termes de l’article 333 du Code pénal « Quiconque, par des manœuvres frauduleuses quelconques se sera fait remettre ou délivrer, ou aura tenté de se faire remettre ou délivrer, des fonds, des meubles ou des obligations, dispositions, billets ou promesses, quittances ou décharges, et aura ainsi escroqué ou tenté d’escroquer tout ou partie de la fortune d’autrui, sera puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 20.000 à 200.000 francs…….. » ;
Qu’au sens de ce texte le délit d’escroquerie n’est constitué que lorsqu’il y a eu remise ou la délivrance ou la tentative de celles-ci, au moyen des manœuvres frauduleuses ; Qu’autrement dit les manœuvre frauduleuses doivent précéder et déterminer la remise ou la délivrance ou leur tentative ;
Attendu qu’il ressort de l’examen des dispositions de l’arrêt attaqué, notamment les déclarations de la victime et de son témoin qu’il est constant que la remise du reste sérieusement contestée des caisses d’argent a précédé les manœuvres frauduleuses reprochées au demandeur au pourvoi ;
Qu’au regard de ce constat et à supposer même qu’il ait eu remise de caisses d’argent, le délit d’escroquerie ne saurait en l’espèce être retenu contre le requérant, faute d’un de ses éléments constitutifs, le caractère antérieur et déterminant des manœuvres frauduleuses par rapport à la remise, les manœuvres frauduleuses retenues contre ce dernier n’ayant ni déterminé la remise présumée des caisses d’argent ni même précédé celle-ci ;
Qu’en conséquence, en confirmant le jugement qui a déclaré le demandeur au pourvoi coupable d’escroquerie portant sur des caisses d’argent, la Cour d’appel de Ah a non seulement insuffisamment motivé sa décision mais n’a pas aussi donné de base légale à celle-ci , laquelle encourt cassation de ce fait également ;
PAR CES MOTIFS
-Déclare recevable le pourvoi de Af Ac Ag alias Moustapha ;
-Casse et annule l’arrêt N° 159 du 13 octobre 2014 de la Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Ah ;
-Renvoie la causes et les parties devant la même juridiction mais autrement composée, pour être jugées conformément à la loi ;
-Met les dépens à la charge du trésor public.
Ainsi fait, jugé et prononcé, les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER