RÉPUBLIQUE DU NIGER
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COUR DE CASSATION
CHAMBRE CRIMINELLE
La Cour de Cassation, Chambre Criminelle, statuant pour les affaires Pénales en son audience publique ordinaire du mercredi Treize Avril deux mille seize, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
ENTRE
-Ministère Public ;
-Dame D., née le XXX à XXX, cadre de Banque XXX, mandataire de la succession B. épouse B., domiciliée au XXX, assistée de Me D., avocat à la Cour au Barreau de Niamey ;
DEMANDEURS
D’une part ;
ET
Monsieur M. et de XXX, né le XXX à XXX, domicilié à XXX, assistés de Me L., Me K., Me Y., tous avocats à la Cour au Barreau de Niamey ;
DÉFENDEUR
D’autre part ;
La Cour
Après la lecture du rapport par Monsieur Salissou OUSMANE, conseiller rapporteur, les conclusions du Ministère public et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur les pourvois formés suivant déclarations faites au greffe de la Cour d’Appel de Niamey en dates des 16 et 17 septembre 2013 respectivement par Maitre D. avocat au barreau de Niamey, conseil constitué de la partie civile Dame D. au nom et pour le compte elle agit et par Monsieur le Procureur Général près la dite Cour, contre l’arrêt contradictoire N°106 du 16 septembre 2013, la chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de Ab qui a :
-Reçu le conseil du prévenu en son appel régulier en la forme ;
-Au fond, annulé le jugement attaqué pour violation de la loi (insuffisance de motifs) ;
-Évoqué et statué à nouveau ;
-Déclaré le prévenu non coupable des faits qui lui sont reprochés ;
-L’a renvoyé des fins de la poursuite ; condamné la partie civile aux dépens ;
Vu la loi organique N°2013-003 du 23 janvier 2013, déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour de Cassation ;
Vu la loi organique N° 2004-50 du 22 juillet 2004, fixant l’organisation et la Compétence des juridictions en République du Niger ;
Vu le code de procédure pénale en ses articles 2, 444 alinéa 2, 445 alinéa 2, 456, 471, 509, 563, 564, 572, 580, 586 et 605 ;
Vu le code pénal en ses articles 152, 153 et 154 ;
Vu le code civil en ses 731 et 733 ;
SUR LA RECEVABILITÉ:
Attendu que le défendeur au pourvoi par la voix de ses conseils demande à la Cour de déclarer irrecevables les pourvois introduits par les demandeurs aux motifs que ces derniers n’ont pas produit de mémoire sur le fondement de l’article 580 du code de procédure pénale et d’une jurisprudence aux termes de laquelle : « passé le délai de dix jours prévus , la partie civile ne peut plus déposer sa requête et ses moyens au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée » ;
Attendu que d’une part, aux termes de l’article 580 du code de procédure pénale : « le demandeur en cassation soit en faisant sa déclaration, soit dans les dix jours suivants peut déposer, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire, signé par lui ou son avocat-défenseur, contenant ses moyens de cassation. Le greffier lui en délivre reçu »
Attendu que ce texte, ne prescrit qu’une simple faculté pour le demandeur en cassation ; par conséquent l’absence de dépôt de son mémoire dans les délais prévus par ce texte ne saurait constituer une cause d’irrecevabilité alors même qu’en matière pénale l’obligation de contrôle de la régularité de la décision s’impose même sans mémoire des parties ;
Attendu que d’autre part, au sens de la jurisprudence invoquée ce sont les moyens déposés tardivement qui sont déclarés irrecevables et non le pourvoi qui lui, a été introduit conformément à la loi ; d’où il suit que ce moyen doit être rejeté ;
Attendu qu’ainsi ces pourvois ayant été introduits dans les forme et délai prescrits par la loi ; Il y a lieu de les déclarer recevables
AU FOND:
1°) SUR LE POURVOI DU MINISTERE PUBLIC
Attendu que le ministère public n’a soulevé aucun moyen de cassation au soutien de son recours ; qu’il y a lieu de le rejeter ;
2°) SUR LE POURVOI DE DAME D.
Attendu qu’au soutien de son pourvoi Dame D. invoque deux moyens de cassation tirés l’un de la violation de la loi article 2 alinéa 2 de la loi organique 2004 -50 du 22 juillet 2004 fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger insuffisance et contradiction de motifs et l’autre de la dénaturation des faits ;
A°) Sur le premier moyen tiré de la dénaturation des faits en ce que les juges d’appel ont énoncé que : « l’appelant justifie avoir accompli sa tâche de notaire sans aucune altération de la vérité » alors qu’en l’espèce, il y a d’une part supposition de personne dans le fait de considérer la défunte épouse H.B. comme auteur du rappel inséré dans le testament, d’autre part simulation ayant permis de causer un préjudice et que le dol général est bien effectif ;
Attendu que le défendeur au pourvoi demande le rejet de ce moyen en ce que la dénaturation des faits ne fait pas partie des cas d’ouverture à cassation ou d’annulation prévus par l’article 36-1 de la loi organique 2013-003 du 23 janvier 2013 sur la Cour de Cassation ;
Attendu que cet article prévoit que la Cour de Cassation se prononce sur : 1- les pourvois en cassation pour incompétence, violation de la loi ou de la coutume, omission de statuer, défaut, insuffisance ou obscurité de motifs ……..
Attendu qu’en outre les articles 585 et 586 du code de procédure pénale qui énumèrent les cas d’ouverture à cassation ne font pas état de la dénaturation des faits ; D’ où il suit que ce moyen doit être rejeté ;
B°) Sur le second moyen tiré de la violation de la loi article 2 alinéa 2 de la loi 2004-50 du 22 Juillet 2014 fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger insuffisance et contradiction de motifs en ce la cour d’appel a déclaré non établie l’infraction en se contentant non seulement de soutenir que « le rajout ou l’insertion supposée dans l’acte testamentaire ne saurait constituer le délit de faux et usage de faux » et d’ajouter que « c’est à bon droit que le prévenu Monsieur M. a soutenu n’avoir pas établi le testament de feu H.B. en raison d’un voyage précipité en France » mais aussi et surtout de s’être basée sur un motif d’ordre général lorsqu’elle conclut qu’il n’ y a pas eu dol général portant atteinte aux héritiers alors qu’elle doit discuter et confronter les prétentions des deux parties ;
Attendu que le défendeur au pourvoi conclut au rejet de ce moyen en ce que l’arrêt attaqué est motivé même si cette motivation ne satisfait pas la demanderesse ;
1°) Sur l’insuffisance de motifs
Attendu que selon l’article 2 alinéa 2 de la loi 2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger, les jugements et arrêts doivent être motivés sous peine de nullité sauf en ce qui concerne les arrêts des cours d’assises ;
Attendu qu’en outre, en application des articles 444 alinéa2 et 445 alinéa2 le tribunal est tenu d’examiner la prévention énoncée dans l’acte qui le saisit ainsi que les moyens proposés dans les réquisitions écrites du ministère public et les conclusions écrites des autres parties ;
Attendu qu’il résulte aussi des dispositions de l’article 586 du code de procédure pénale que les arrêts de la chambre d’accusation ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s’ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la cour de cassation d’exercer son contrôle et de connaître si la loi a été respectée dans le dispositif. Qu’ Il en est de même lorsqu’il a été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes des parties, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public ;
Attendu qu’enfin selon l’article 471 du code de procédure pénale tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif. Les motifs constituent la base de la décision. Le dispositif énonce les infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables ainsi que les textes de loi appliquées et les condamnations civiles ;
Attendu qu’il résulte de la combinaison de ces textes que le tribunal a l’obligation non seulement d’apprécier les moyens proposés au soutien des conclusions tendant à faire obstacle à l’examen de la prévention, mais aussi d’ examiner tous les éléments de la prévention et enfin de se prononcer sur les moyens proposés par la partie civile ;
Attendu que toutefois, si le tribunal a l’obligation de motiver sa décision, les motifs qu’il donne doivent être suffisants et il y a insuffisance de motifs chaque qu’il manque au jugement un élément essentiel à la constatation de sa légalité à savoir la constatation des faits leur qualification et l’application de la loi pénale ;
Attendu qu’Il résulte des pièces du dossier de la procédure que le 26 novembre 2007, Monsieur M., notaire à Ab a été requis par le Général D. pour lui dicter ses volontés ;
Qu’au cours de la dictée le notaire rappelait au général les volontés de sa défunte épouse à lui confiées en octobre 2006 mais qu’il n’a pu transcrire en raison du voyage qu’il a entrepris le même jour ; Qu’alors qu’il transcrivait le testament du général il y fait apparaître les volontés de sa défunte épouse ; Que nommé exécuteur testamentaire le notaire, après la mort du général réunissait un conseil de famille auquel il donna lecture du testament qu’il avait établi au nom du général ; Qu’un partage à l’amiable de l’immeuble objet de la volonté de la défunte épouse du général a été fait et dont l’exécution a conduit la demanderesse au pourvoi Dame D. tutrice légale de ses deux enfants héritiers en partie de cet immeuble à déposer plainte pour faux et usage de faux en écriture publique contre le soussigné notaire ; Que le premier juge ayant déclaré le notaire coupable des faits qui lui sont reprochés et condamné celui-ci à( 5) cinq ans d’emprisonnement, a reçu la partie civile en sa constitution et constaté l’annulation du testament ; Que le prévenu a relevé appel de cette décision laquelle a été annulée par les juges d’appel qui après évocation l’ont relaxé ;
Attendu que pour justifier leur décision les juges d’appel énoncent d’abord sur la nullité du jugement attaqué que : « le premier juge a suffisamment motivé sa décision quant au rejet des exceptions soulevées devant lui……mais insuffisamment motivé quant au fond en ce sens qu’il n’a pas caractérisé l’infraction reprochée au dit prévenu, qu’il n’a pas non plus motivé sa décision sur le point précis relatif au testament dénaturé et falsifié de feu le Général D. ; Qu’il a juste fait ressortir que le prévenu a commis un faux en insérant dans le testament incriminé la volonté de feue H.B. décédée avant son époux…… », ensuite sur le fond après évocation décident « que le premier juge n’a pas rapporté la preuve de l’addition de volonté et que l’ajout ou l’insertion supposée dans le testament ne saurait constituer le délit de faux ; que c’est à bon droit que le prévenu a soutenu n’avoir pas établi le testament de feu H.B. en raison d’un voyage précipité en France ; Qu’un rappel de volonté ne saurait être assimilé à une dénaturation de la substance d’un acte ; Qu’il s’en suit que la dénaturation du contenu de l’acte, la constatation des faits inexacts exposés par Dame D. ne sont pas établis au regard des pièces versées au dossier » ;
Mais attendu que , lorsque la Cour d’appel se trouve en vertu du droit d’évocation que lui confère l’article 509 du code de procédure pénale , tenue de remplir directement le rôle du premier juge c'est-à-dire investie comme lui de la mission de statuer sur l’action publique et sur l’action civile, elle doit constater les faits et leur donner leur qualification exacte avant de conclure à l’existence ou non de l’infraction après analyse de l’élément légal matériel et moral ; Que spécialement lorsqu’elle relaxe un prévenu sa décision doit contenir un exposé des faits dont elle déduira l’un des cas énoncés à l’article 456 du code de procédure pénale en particulier elle doit préciser si elle fonde sa décision sur des motifs de pur fait(insuffisance de preuve, bénéfice du doute ) , dont la constatation est souveraine ou sur des motifs de droit(l’absence de commission d’infraction ), soumis au contrôle de la Cour de Cassation ( Crim. 7novembre 1956, Bull. Crim. N° 720) ;
Attendu qu’ en l’espèce la motivation de la décision attaquée consistant en une simple dénégation des faits poursuivis n’est pas fondée sur une analyse des dispositions des articles 152, 153 et 154 du code pénal , des textes régissant la profession de notaire( art 24, 34 de la loi 98-06 du 29 avril 1998 portant statut des notaires et son décret d’application N°2004-198 PRN/MJ du 9/07/2004 en son article 37 et de ceux du code civil(art 731 et 733) relatifs à la rédaction des testaments invoqués par la partie civile ; Qu’il y a lieu de dire dans ces conditions que la cour de céans n’est pas en mesure de contrôler non seulement si ces textes ont été respectés mais aussi si les prescriptions de l’article 456 susvisé ont été observées ; Que de ce fait l’arrêt attaqué est insuffisamment motivé et que le moyen doit être accueilli ;
Attendu qu’au surplus il y a lieu de relever que les juges d’appel bien qu’ayant fait état de ce que la demanderesse au pourvoi avait conclu non seulement au bien fondé de son action (plainte)en application des articles 2 et 605 du code de procédure pénale mais aussi à la constatation qu’il y a deux volontés dans le testament authentique du général D., et donc à la culpabilité du prévenu des faits de faux et usage de faux tel que défini aux articles 152, 153 et 154 du code pénal ,ne s’est pourtant prononcée que sur les seules conclusions relatives à la culpabilité laissant sans réponse les conclusions portant sur l’action civile ; Qu’il y a là un défaut de réponses à conclusions et en application de l’article 586 susvisé, cette décision encourt annulation ;
2°)Sur la contradiction des motifs
Attendu qu’au soutien de ce moyen la demanderesse au pourvoi relève que l’arrêt, a énoncé d’un côté que les héritiers de feu le Général D. avaient eu gain de cause relativement aux biens laissés par la défunte H.B. et de l’autre qu’il n’y a pas eu dol général portant préjudice aux héritiers.
Attendu qu’en réponse, le défendeur rappelle que le dol général auquel faisait état la cour, signifiait qu’il n’avait pas connaissance au moment de l’établissement du testament authentique de feu Général D. que le rappel de la volonté qui y est insérée allait porter préjudice aux héritiers ;
Attendu qu’en droit il y a contradiction de motifs lorsque ceux—ci s’annulent.
Attendu qu’Il résulte de l’arrêt attaqué l’attendu ci-après : « attendu que lors des débats à l’audience, le conseil de la partie civile a demandé à la cour de céans d’être clémente à l’endroit du prévenu et que selon lui les deux orphelins laissés par feu le Général D. avaient eu gain de cause relativement aux biens laissés par la défunte H.B. ;
Qu’ainsi il n’y a pas eu dol général portant préjudice aux héritiers » ;
Attendu que cet attendu comprend deux parties dont la première est un exposé des prétentions de l’intimée qui demandait la clémence pour le prévenu tout en affirmant que le préjudice de ses enfants a été réparé et la seconde fait état de la conclusion de la cour relativement à l’absence du préjudice causé aux héritiers pour absence d’infraction elle-même due à l’absence du dol général qui est l’élément moral ; Qu’ainsi vu sous cet angle, les deux motifs ne s’annulent pas ; d’où le rejet de ce moyen ;
SUR LES CONCLUSIONS DU MINISTERE PUBLIC TENDANT A DEMANDER A LA COUR DE CONCLURE QU’IL MANQUE TELLEMENT MORAL:
Attendu que la cour de cassation est juge de droit et non des faits que l‘appréciation de l’existence ou non de l’élément moral d’une infraction est une question de fait qui relève du pourvoi souverain des juges de fond ; Qu’ainsi cette demande doit être rejetée ;
Attendu qu’il y a lieu de réserver les dépens ;
PAR CES MOTIFS
-Déclare recevables en la forme les pourvois du Ministère public et de Dame D. ;
-Casse et annule l’arrêt n°106 du 16 09-2013 de la Chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de Niamey
-Renvoie la cause et les parties devant la même juridiction mais autrement composée pour y être jugées conformément à la loi ;
-Réserve les dépens ;
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER.
Composition de la Cour :
Président :
Salissou Ousmane
Conseillers :
Ad Ae
Ac Aa
Ministère Public
Ibrahim B. Zakaria
Greffier
Mme Moumouni Haoua
Rapporteur :
Salissou Ousmane