REPUBLIQUE DU NIGER
----------------
COUR DE CASSATION
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES COUTUMIERES
La Cour de cassation, Chambre Sociale et des Affaires Coutumières, statuant pour les affaires coutumières en son audience publique ordinaire de vacation du quatre août deux mil seize , tenue au palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
ENTRE :
Consorts A.Z.N. ayants droit de M. Z.N., représentés par M. Ad, cultivateur demeurant à Tounfalis, coutume Af, assisté de Me D., Avocat à la Cour.
DEMANDEURS
D’UNE PART :
ET :
M.X., 50 ans, cultivateur à Tounfalis coutume Af.
DEFENDEUR
D’AUTRE PART :
LA COUR
Après la lecture du rapport par Monsieur Issiaka Djingareye, conseiller rapporteur, les conclusions du Ministère Public et en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur le pourvoi en cassation formé par M. Ad par déclaration au greffe du Tribunal de Grande Instance de Tillabéry le 30 avril 2014, sous le N° 18, enregistré au greffe de la Cour de Cassation le 05/08/2014, sous le n° 14-216, contre le jugement n° 14 rendu le même jour par cette juridiction qui a :
En la forme :
-Reçu M.X. en son appel régulier en la forme;
Au fond :
-Donné acte à M.X. de son serment Coranique
-Dit que le champ limité au Nord par une piste latéritique menant à Ac Ah et le champ du peulh Ag, à l’Est le champ de M. Z.N., au Sud le champ des nommés I.S. et celui de T. à lui prêté par E.. A.M et à l’Ouest le champ du nommé I.D.Y. intégrant le champ de M.H., petit frère de M.X., est la propriété de M.X..
-Dit n’avoir lieu à condamnation aux dépens s’agissant d’une affaire coutumière ;
Vu la loi n°63-18 du 22 février 1963 fixant les règles de procédure à suivre devant les justices de paix statuant en matière civile et commerciale ;
Vu la loi n°2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l’organisation et compétence des juridictions en République du Niger ;
Vu la loi organique n° 2013-03 du 23 janvier 2013 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour de Cassation ;
Vu la déclaration de pourvoi, ensemble les pièces du dossier ;
Vu les conclusions du Ministère Public ;
EN LA FORME
Attendu que le pourvoi de M. Ad est introduit dans les forme et délai prescrit par la loi ; qu’il y a lieu de le déclarer recevable ;
AU FOND
Attendu que seul le mémoire en défense des Consorts A.Z.N articulé en six moyens de cassation est produit au dossier ; Que M.X. qui en a reçu notification le 22 juillet 2014 au greffe du tribunal de grande instance de Tillabéry et le 02 mars 2015 au greffe du tribunal d’instance de Filingué n’y a pas répliqué ;
Attendu que ces moyens des Consorts A.Z.N peuvent être regroupés en trois moyens de cassation :
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION TIRE DE L’OMISSION DE STATUER :
Attendu que les demandeurs au pourvoi soutiennent que le juge d’appel n’a pas débattu de leurs conclusions écrites du 23 mars 2010 et que sa décision ne mentionne pas le nom de son Avocat ;
Mais attendu que l’effet du serment Coranique est de rendre celui qui l’a régulièrement prêté propriétaire de l’objet en litige ;
Attendu que le serment Coranique prêté par M.X., consentant, et après acceptation de la partie adverse est régulier ;
Attendu qu’en donnant acte à M.X. de son serment et en le déclarant propriétaire du champ litigieux, le juge d’appel a implicitement et nécessairement rejeté les moyens de défense des Consorts A.Z.N. ; qu’en effet dès lors que le serment Coranique est régulièrement prêté, il ne peut être fait grief au juge d’appel de n’avoir pas répondu aux conclusions à lui soumises par une partie, l’effet de ce serment entraînant la reconnaissance des droits et qualité de propriétaire à l’autre qui l’a prêté ;
Attendu que l’omission du nom du conseil des demandeurs dans le jugement attaqué est simplement susceptible de rectification ;
Attendu le moyen n’étant pas pertinent, il y a lieu de le rejeter.
SUR LE DEUXIEME MOYEN DE CASSATTION TIRE DE LA VIOLATION DU PRINCIPE DE DOUBLE DEGRE DE JURIDICTION :
Attendu que les demandeurs au pourvoi relèvent que ce principe a été violé en ce que le juge qui a connu de l’affaire devant le Tribunal d’Instance de Filingué l’a encore connue en appel à l’audience du Tribunal de Grande Instance de Tillabéry du 29 janvier 2014 pendant laquelle M. Ad représentant des Consorts A.Z.N. aurait reconnu que M.X. a prêté le serment Coranique et que le juge d’appel en a tiré argument pour motiver sa décision.
Mais attendu que ce juge d’appel n’a pas statué sur l’affaire en première instance ; que les débats ont eu lieu devant lui ; Qu’il a seul délibéré et rendu le jugement attaqué au vu des déclarations tenues devant le premier juge et reprises contradictoirement devant lui ;
Que dès lors le principe du double degré de juridiction n’a pas été violé ;
Qu’en conséquence, le moyen n’étant pas fondé, mérite d’être rejeté ;
SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION : Violation de la coutume, violation de la loi (articles 15 et 38 de la loi N° 63-18 du 22 février 1963 sur la procédure à suivre devant les justices de Paix statuant en matière civile et commerciale) :
Attendu que les demandeurs au pourvoi font grief au jugement attaqué d’avoir, au mépris de la coutume Haoussa des parties et des articles 15 et 38 visés au moyen, tranché le différend par le recours de manière systématique au serment Coranique, prêté d’ailleurs sans aucune mesure d’instruction préalable et d’avoir en outre limité les modes d’acquisition de la terre en coutume Haoussa des parties aux seuls succession, donation ou achat alors même que les dépositions de deux témoins neutres et étrangers aux parties révélant à suffisance que le champ litigieux avait été mis en valeur par leurs arrières grands-parents et la reconnaissance par le défendeur de l’existence en ce lieu des vestiges d’un puits foré par ces derniers rendent inopportun le recours au serment Coranique qui n’est, selon ladite coutume, envisagé qu’en dernier recours après l’échec ou la défaillance des autres éléments de preuve mais pourtant officié en l’espèce au mépris de l’arrêt N° 09-41 du 12 mars 2009 de la Cour Suprême, qui, conformément à la même coutume, en fait un élément de preuve ultime et alors encore d’une part qu’une nouvelle instruction de l’affaire est nécessaire s’agissant d’un délibéré rabattu, les parties étant contraires dans leurs déclarations et la question de la violation dudit serment étant alléguée, et que d’autre part dans la même coutume Haoussa des parties, la terre s’acquiert aussi par le défrichage ou la première mise en valeur ;
Mais attendu qu’aux termes des dispositions de l’article 15 susvisé « le juge avant de statuer au fond, peut ordonner toutes mesures d’instructions qu’il estime pour l’éclairer.
Si les parties sont contraires en faits de nature à être constatés par témoins, et dont le juge de Paix trouve la vérification utile et admissible, il ordonnera la preuve et en fixera l’objet » ;
Que de l’article 38 de la même loi il ressort que « plus particulièrement, en matière coutumière, les jugements indiqueront, sous peine de nullité, l’énoncé complet de la coutume appliquée » ;
Attendu que dans l’appréciation des moyens de preuve produits par les parties, le juge est souverain ;
Que dès lors que les parties conviennent, malgré les preuves qu’elles ont produites, de faire prêter le serment confessionnel pour mettre définitivement un terme à leur différend, il ne peut être fait grief au juge d’appel d’avoir violé la coutume des parties ou résisté à suivre un arrêt de la haute juridiction en laissant une partie prêter un serment déjà convenu et accepté par l’autre ;
Attendu que le juge d’appel n’a pas limité les modes d’acquisition de la propriété foncière rurale aux seuls successions, donation ou achat ; Qu’il est donc vain de lui reprocher d’avoir omis d’y inclure le défrichage ou la première mise en valeur ;
Qu’en tout cas il a satisfait dans sa décision à l’exigence d’indiquer l’énoncé complet de la coutume appliquée ;
Attendu sur les mesures d’instruction, que le juge d’appel a motivé sa décision sur la prestation du serment Coranique faite par M.X. et reconnue par M. Ad;
Que cette prestation de serment Coranique acceptée par les parties à pour finalité de mettre définitivement un terme à leur différend ; Que dès lors il est inopportun de procéder à toute autre mesure d’instruction après cette prestation de serment somme toute régulière, par l’audition notamment des témoins ; que les prescriptions de l’article 15 étant d’ailleurs facultatives et soumises à conditions, il n’y a pas lieu de reprocher au juge d’appel de n’y avoir pas procédé ;
Attendu que ce moyen de cassation est non pertinent et ne peut être accueilli ;
Attendu que, eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le pourvoi des Consorts A.Z.N. représentés par M. Ad contre le jugement n° 14 du 30 avril 2014 rendu par le Tribunal de Grande Instance de Tillabéri ;
Attendu qu’il n’y a pas lieu à condamnation aux dépens, s’agissant d’une affaire coutumière ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Reçoit le pourvoi des Consorts A.Z.N. régulier en la forme ;
Au fond le rejette ;
Dit qu’il n’y a pas lieu à condamnation aux dépens s’agissant d’une affaire coutumière.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique les jour, mois et an que dessus.
Ont signé le Président et le Greffier.
Composition de la Cour :
Président : Souleymane Amadou Maouli
Conseillers : Issiaka Djingareye et Emilien Abdouramane Bankolé
Assesseurs : Ae Aa et Ai Ab
Ministère Public : Alassane Moussa
Greffier : Younoussa Hamma
Rapporteur: Issiaka Djingareye