REPUBLIQUE DU NIGER
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COUR DE CASSATION
CHAMBRE CRIMINELLE
La Cour de Cassation, Chambre Criminelle, statuant pour les affaires Pénales en son audience publique ordinaire du mercredi vingt six avril deux mille dix sept, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
ENTRE
MINISTÈRE PUBLIC ;
DEMANDEUR
D’une part ;
ET
1°) Monsieur Ae et de XXX, né vers XXX à XXX, commerçant demeurant à XXX, nigérien, marié, assisté de Me C., avocat au Barreau de Aa ;
2°) ETAT DU NIGER (Partie civile), assisté de Me I., avocat au Barreau de Aa ;
DÉFENDEURS
D’autre part ;
LA COUR
Après lecture du rapport par Mr Emilien A Bankolé, conseiller rapporteur, les conclusions du Ministère public et après en avoir délibéré conformément à la Loi ;
Statuant sur le pourvoi formé par déclaration au greffe de la cour d’appel de Aa en date du17 août2016 par le procureur général près la dite cour contre l’arrêt n°310 en date du 16 août 2016 de la chambre d’accusation de Aa qui a confirmé l’ordonnance de non lieu à suivre pour prescription de l’action publique contre l’inculpé Monsieur Ae des faits de blanchiments de capitaux dont il est poursuivi ;
Vu la loi 2013-003 du 13 janvier 2013 déterminant l’organisation, la composition, le fonctionnement et les attributions de la cour de cassation ;
Vu la loi 2004-41 du 8juillet 2004 sur la lutte contre le blanchiment des capitaux en ses articles 2,37 et 39 ;
Vu le code de procédure pénale en ses articles 7,8, 74, 564, 572 et 586 ;
Vu le code pénal en ses articles 1er et 5 ;
Vu la déclaration de pourvoi ;
Vu les conclusions du ministère public, ensemble les autres pièces du dossier ;
SUR LA RECEVABILITÉ:
Attendu que le pourvoi est intervenu dans les forme et délai prévus par la loi, il y a lieu de le déclarer recevable ;
AU FOND:
Attendu qu’à l’appui de son pourvoi, le Procureur Général, dans son mémoire ampliatif en date du 19 septembre 2016, soulève trois moyens de cassation tous tirés de violation de la loi ;
Attendu que le défendeur au pourvoi, Monsieur Ae, assisté de Me C., avocat à la cour, conclut quant à lui, au principal, à l’irrecevabilité du mémoire ampliatif du Procureur Général en application des dispositions des articles 580 et 581 du CPP, subsidiairement au rejet des moyens soulevés par le demandeur au pourvoi au cas où la cour passait outre et déclarait recevable le mémoire querellé ;
Sur la recevabilité du mémoire ampliatif:
Attendu que le défendeur au pourvoi soutient que le mémoire ampliatif du Procureur Général en date du 19 septembre 2016 a été déposé plus de 10 jours après la déclaration de pourvoi qui date du 17 août 2016, qu’en conséquence il doit être déclaré irrecevable ;
Attendu qu’en réplique le demandeur au pourvoi, soutient d’une part que le délai de 10 jours prévu par l’article 580 du CPP, n’est pas un délai impératif c’est-à-dire d’ordre public et dont le non-respect soit sanctionné par l’irrecevabilité du mémoire, d’autre part que les dispositions des articles 72 à 77 de la loi organique n° 2013-3 du 23 janvier 2013 sur la cour de cassation, qui complètent les dispositions de l’article 580 du CPP, ne prévoient comme seul cas de forclusion, celui des mémoires produits après le délai imparti par le conseiller rapporteur de la chambre, pendant la mise en état du dossier ;
Attendu qu’aux termes de l’article 580 du CPP, « le demandeur en cassation, soit en faisant sa déclaration, soit dans les dix jours suivants, peut déposer, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire, signé par lui ou par son avocat défenseur, contenant ses moyens de cassation. Le greffier lui en délivre reçu » ;
Qu’aux termes de l’article 581 du CPP, « après l’expiration de ce délai, le demandeur condamné pénalement peut transmettre son mémoire directement au greffe de la chambre judiciaire de la cour suprême » ;
Attendu qu’il ressort de la lecture combinée desdites dispositions, que le Procureur Général en cas de pourvoi, peut déposer un mémoire contenant ses moyens de cassation dans les dix jours suivant son pourvoi, que passer ce délai seul le demandeur condamné pénalement, peut transmettre directement à la chambre judiciaire de la cour suprême, son mémoire ;
Attendu que le délai prévu par ce texte, tout comme le délai d’appel, est un délai d’action, c’est-à-dire de diligence, délai avant l’expiration duquel l’acte ou la formalité doit être accomplie sous peine d’irrecevabilité ou de forclusion comme en a décidé la cour de céans dans ses arrêts en date des 20 janvier 1977, 25 janvier 1979 et 23 novembre 2006 ;
Attendu qu’en l’espèce, le mémoire du Procureur Général est parvenu à la cour au-delà de 10 jours, qu’il y a lieu d’accueillir le moyen et de déclarer ledit mémoire irrecevable ;
Sur le moyen soulevé d’office tiré de la violation de la loi articles 7, 74, 586, du code de procédure pénale, 1er et 5 du code pénal et 39 de la loi 2004-41 du 8 juillet 2004 portant sur la lutte contre le blanchiment des capitaux / insuffisance de motif et manque de base légale, en ce que la chambre d’accusation a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction déclarant n’y a avoir pas lieu à suivre davantage contre Monsieur Ae du chef de blanchiment de capitaux pour prescription de l’action publique, au motif que l’infraction de blanchiment de capitaux est un délit dans notre ordonnancement juridique que les faits poursuivis semblent remontés à l’année 1992, qu’ils ont été portés à la connaissance de l’Etat depuis au moins 2009, que l’ouverture de l’information n’est intervenue que le 25 juillet 2015 et le premier acte d’instruction date du 13 janvier 2016 et qu’il s’est manifestement écoulé plus de trois années (délai de prescription des délits selon l’article 8 du CPP) entre le 10 novembre 2009 et le 25 juillet 2015, alors que notre ordonnancement juridique prévoit aussi une infraction criminelle du blanchiment des capitaux, et que l’inculpation posée par le juge d’instruction est criminelle ;
Attendu qu’aux termes de l’article 74 du CPP « le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes qu’il juge utile à la manifestation de la vérité » ; qu’étant saisi in rem et non in personam, il doit étendre ses investigations à toutes les circonstances aggravantes, même si elles ne sont pas visées par l’acte de poursuite ;
Attendu qu’aux termes de l’article 7 du CPP « en matière de crime, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite » ;
Attendu qu’il est de principe, que les prescriptions de l’action publique se calculent au regard de la nature, (contravention, délit ou crime), et du caractère de temporalité de l’infraction (infraction instantanée ou continue) ;
Attendu que selon les articles 1er et 5 du code pénal l’infraction que les lois punissent d’une peine afflictive et infamante est un crime et que les peines afflictives et infamantes sont l’emprisonnement de dix à trente ans ;
Attendu qu’aux termes de l’article 37 de la loi 2004-41 susvisée « Les personnes physiques coupables d’une infraction de blanchiment de capitaux, sont punies d’un emprisonnement de trois (3) à sept (7) ans et d’une amende égale au triple de la valeur des biens ou fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment……. » ;
Attendu qu’aux termes de l’article 39 de la loi 2004-41 susvisée au moyen 1. « Les peines prévues à l’article 37 sont portées au double :
-Lorsque l’infraction de blanchiment de capitaux est commise de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle ;
……………
…………….
2.Lorsque le crime ou le délit dont proviennent les biens ou les sommes d’argent sur lesquels a porté l’infraction de blanchiment est puni d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à celle de l’emprisonnement encouru en application de l’article 37, le blanchiment est puni des peines attachées à l’infraction d’origine dont son auteur a eu connaissance, et si, cette infraction est accompagnée de circonstances aggravantes, des peines attachées aux seules circonstances dont il a eu connaissance »
Attendu qu’aux termes de l’article 586 du CPP « les arrêts de la chambre d’accusation ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s’ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la cour suprême d’exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif » ;
Attendu que par cette disposition la cour de cassation se doit d’exercer son contrôle sur l’existence et la qualité des motivations des décisions des juridictions répressives et au besoin à soulever même d’office le moyen permettant un tel contrôle ;
Attendu que sont considérés comme insuffisants les motifs dubitatifs, hypothétiques et contradictoires ;
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier que suivant réquisitoire introductif en date du 25 juillet 2015, Monsieur Ae et tous autres a été poursuivi pour blanchiment de capitaux fait prévu et puni par les articles 2et 37 de la loi 2004-41 visée au moyen ; que suivant procès-verbal de première comparution en date du 13janvier 2016 il a été inculpé pour avoir à Aa courant année 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription par dissimulation…………blanchi la somme de 1.250.000.000 FCFA qu’il sait provenir d’un crime ou d’un délit ;
Que par ordonnance en date du 14 mars 2016 le juge déclarait n’y a avoir pas lieu à suivre pour prescription de l’action publique les faits remontant à 1992 et qu’à supposer même qu’il remonte à 2006 c'est-à-dire le jour même où l’inculpé a porté pour la première fois cette affaire devant le tribunal de DAKAR , il s’est écoulé plus de trois ans entre cette date et celle du réquisitoire introductif ;
Attendu que pour confirmer cette ordonnance la chambre d’accusation de Aa tout en déclarant que les faits poursuivis semblent remonter à 1992 ce qui signifie qu’elle n’est pas certaine, a par suite énoncé que l’Etat du Niger ayant été attrait devant la cour de justice de la CEDEAO le 10 novembre 2009 le point de départ de la prescription doit être celui de cette date, avant de constater qu’aucun acte de poursuite ou d’instruction n’est intervenu entre cet intervalle et de conclure au non lieu pour prescription de l’action publique ;
Attendu qu’en outre, bien que saisi d’un réquisitoire introductif visant le délit de blanchiment de capitaux prévu et puni par les article 2 et 37 de la loi 2004-41 du 8 juillet 2004 sur la lutte contre le blanchiment de capitaux, le juge d’instruction a, lui posé une inculpation visant l’infraction de blanchiment de capitaux aggravée prévue et punie par les articles 2 et 39 de la même loi notamment en indiquant « …. dont il sait qu’ils proviennent d’un crime ou d’un délit » ;
Qu’ or en visant une provenance d’un crime ou d’un délit, il se doit de démontrer que l’infraction d’origine est un crime ou un délit ; que dans le premier elle est prescrite lors du déclenchement des poursuites, et qu’il ne peut être reproché à l’inculpé les faits de blanchiment afférents à la période visée dans le réquisitoire introductif ; que dans le second cas le délit de blanchiment de capitaux est un délit autonome distinct de l’infraction d’origine et que sa prescription est aussi indépendante de celle qui s’applique à l’infraction d’origine ;
Attendu qu’en statuant comme elle l’a fait notamment par l’emploi des formules évoquant un doute genre « les faits poursuivis semblent remontés à 1992 » d’une part, en affirmant que l’infraction de blanchiment de capitaux est délictuelle dans notre ordonnancement juridique alors qu’elle est aussi criminelle ( voir article 39 susvisé) d’autre part, en ne relevant pas enfin que le juge d’instruction est tenu d’instruire sur toutes les circonstances aggravantes même si celles-ci n’ont pas été prévues dans le réquisitoire introductif et qu’ en conséquence la prescription pourra être décennale telle que prévue à l’article 7 et non triennal comme prévue à l’article 8du code pénal, la chambre d’accusation, a non seulement méconnu les dispositions légales visées au moyen, mais aussi n’a pas mis la cour de céans en mesure d’exercer son contrôle si les dispositions légales ont été respectées ; D’où il suit que l’arrêt attaqué encourt annulation de ce chef ;
Attendu qu’il convient de réserver les dépens
PAR CES MOTIFS
-Déclare recevable le pourvoi du procureur général près la Cour d’appel de Aa ;
-Au fond casse et annule l’arrêt n°310 du 16/08/2016 de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Aa ;
-Renvoie la cause et les parties devant la même juridiction mais autrement composée ;
-Réserve les dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé, les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRÉSIDENT ET LE GREFFIER
Composition de la Cour :
Président :
Salissou Ousmane
Conseillers :
Mme Ab Ad
Af Ac
Ministère Public :
Alhassane Moussa
Greffière :
Mme Moumouni Haoua
Rapporteur :
Emilien A Bankolé