REPUBLIQUE DU NIGER
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COUR DE CASSATION
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
La Cour de Cassation, Chambre Civile et Commerciale, statuant pour les affaires civiles, en son audience publique ordinaire du mardi vingt quatre octobre deux mil dix sept, tenue au Palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
ENTRE :
Société X, S.A. dont le siège social est à Ab, Rue de … le Directeur Général, assistée de Maître I.T, Avocat au Barreau de Ab ;
Demanderesse
D’une Part
ET :
Société Y, S.A. dont le siège social est à Ab, quartier …, prise en la personne de son Directeur Général Mr. M.W assistée SCPA M., Avocats associés au Barreau de Ab ;
Défenderesse
D’autre Part ;
LA COUR
Après la lecture du rapport par Monsieur Ad Ae, conseiller-rapporteur, les conclusions du Ministère Public et en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur le pourvoi en cassation de la Société X, assisté de la SPCA L. son conseil constitué, formé par requête écrite déposée au greffe du Tribunal de Commerce de Ab le 29 août 2016, enregistrée au greffe de la Cour de Cassation le 30 août 2016, contre le jugement n° 24 rendu le 28 juillet 2016 par le Tribunal de Commerce de Ab, qui statuant en premier et dernier ressort dans la cause l’opposant à la Société Y, a déclaré recevable la demande de la Société Y régulière en la forme, puis au fond, a condamné la Société X à lui restituer la quantité du ballast fourni et dont il conteste la qualité, où à défaut à lui payer la somme de 75.199.400 F correspondant au montant de la facture, rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par la Société Y, ordonné l’exécution provisoire et condamné la Société X aux dépens.
Vu la loi n° 2004-50 du 22 juillet 2004, portant organisation judiciaire en République du Niger ;
Vu la loi n° 2013-03 du 23 janvier 2013, déterminant l’organisation, la composition, les attributions et le fonctionnement de la Cour de Cassation ;
Vu l’article 2 alinéa 2 de la loi n° 2004-50 du 22 juillet 2004, portant organisation judiciaire en République du Niger ;
Vu les articles 1644 et 1645 du code civil ;
Vu la requête de pourvoi ;
Vu les mémoires des parties ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les conclusions du Ministère Public ;
Sur la recevabilité:
Attendu qu’aux termes de l’article 46 de la loi n° 2013-03 du 23 janvier 2013 sur la Cour de Cassation, pour être déclaré recevable, le pourvoi en matière civile qui inclut aussi la matière commerciale comme en l’espèce, doit être formé par requête écrite à déposer obligatoirement au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée dans un délai d’un mois à compter du jour de la signification de ladite décision, lorsque cette signification a été faite à personne ou à domicile, ou du jour où l’opposition ne sera plus recevable lorsqu’il s’agit d’un jugement rendu par défaut ;
Attendu que dans son mémoire en défense, la Société Y a conclu à l’irrecevabilité du pourvoi de la Société X, en ce que celle-ci aurait déposé sa requête directement au greffe de la Cour de Cassation ;
Mais attendu qu’il est constant comme cela ressort de l’acte de pourvoi n° 03/2016, que la demanderesse au pourvoi par l’entremise de son conseil constitué la SPCA L., a bien déposé sa requête au greffe du Tribunal de Commerce de Ab qui a rendu le jugement attaqué ;
Attendu par ailleurs, que pour se conformer aux dispositions de l’article 48 du même texte, elle a par la suite signifié son pourvoi au défendeur la Société Y par exploit d’huissier daté du 19 septembre 2016, mais non du 05 septembre 2016 comme allégué par ce dernier dans son mémoire en défense ;
Que le pourvoi ayant ainsi été introduit dans les forme et délai prescrits par la loi, doit être déclaré recevable.
Sur le fond:
Attendu qu’à l’appui de son pourvoi, la Société X a soulevé deux moyens tirés respectivement de la violation de la loi par fausse interprétation et fausse application des articles 1644 et 1645 du code civil, d’une part, et de l’omission de statuer sur un chef de demande, dénaturation et méconnaissance des termes du litige (ultra petita), d’autre part ;
Sur le moyen de cassation, pris de la violation par fausse interprétation et fausse application des articles 1644 et 1645 du code civil.
Attendu que le demandeur au pourvoi fait grief au jugement attaqué de l’avoir par fausse interprétation et fausse application des articles 1644 et 1645 du code civil, condamné à payer à la Société Y l’intégralité du prix de 75.199.400 F correspondant aux 3759, 97 tonnes de matériaux jugés non conformes des dires d’expert, alors même qu’il avait le droit d’opter soit pour leur restitution, soit pour une diminution conséquente du prix ;
Attendu en revanche, que selon la Société Y, en le condamnant au payement intégral du prix, le juge de fond a fait une bonne application du texte de l’article 1644 du code civil puisse que la Société X avait le choix entre le refus de prendre livraison des marchandises qu’il estime non conformes, leur restitution au fournisseur, ou la fixation d’un nouveau prix, mais non les garder, puis les utiliser, et refuser tout paiement ;
Qu’elle soutient également, que le moyen tiré de la violation de l’article 1645 du code civil soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation, ne saurait être opérant, d’autant qu’aucun contrat spécifiant la nature du ballast à fournir ne liait les parties ;
Attendu qu’aux termes des textes visés au moyen qui font suite aux articles 1641, 1642 et 1643 du code civil, qui disposent qu’en en matière de vente non seulement que « la garantie du vendeur pour défauts cachés de la chose vendue, qui sont de nature à la rendre impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement son usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il les avait connues », mais aussi que sa « responsabilité contractuelle pour vices cachés, quand bien même il ne les aurait pas connus, sauf stipulation contraire du contrat » ;
Attendu en effet, qu’aux termes des dispositions combinées des articles 1644 et 1645, les parties au contrat ont des droits et obligations réciproques, dont concernant l’acheteur, « le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de la garder et de se faire rendre une partie du prix, telle que sera arbitrée par experts », et pour ce qui est du vendeur qui connaissait les vices de la chose vendue, l’obligation de « restituer le prix qu’il en a reçu et de réparer tous dommages et intérêts à l’acheteur » ;
Attendu en l’espèce, que déjà dans ses conclusions responsives du 22 juin 2016, la Société X a rappelé à la Société Y les termes du contrat contenant les caractéristiques physiques et techniques de la marchandise à fournir, dont notamment « la catégorie de la roche d’où elle sera extraite, la nature du sol, c’est à dire de la carrière, certains renseignements techniques à communiquer par le fournisseur, la teneur en ‘’granularité’’ de 25/50 avec quelques réserves tolérables, ainsi que la forme qui doit être polyédrique et à arrêtes vives.
Attendu qu’il était également précisé que « le fournisseur devait avant toute livraison, établir et mettre à la disposition de son client un document technique d’analyse pétrographique et chimique de la matière, tout en reconnaissant à ce dernier, le droit d’effectuer des inspections et des essais avant, pendant et ou après livraison pour acceptation finale ».
Attendu qu’en tranchant le litige, tout en ignorant ces clauses du contrat, le juge de fond n’a pas fait une bonne application de l’article 1645 du code civil ;
Attendu par ailleurs, qu’il résulte des pièces du dossier et notamment de l’acte introductif d’instance tel que rapporté en entête du jugement attaqué, qu’en fait de refus, la Société X qui jusque-là payait les factures au fur et à mesure des livraisons faites, a conformément à la clause du contrat sus rappelée, différé ledit paiement jusqu’au résultat d’une expertise technique.
Attendu que différer l’exécution d’une obligation jusqu’aux conclusions d’un expert ou arbitre, ne peut être assimilé à un refus ;
Attendu en outre que conformément au contrat, l’acheteur la Société X a le droit de procéder à des inspections et des essais, et même d’émettre des réserves avant toute acceptation définitive, ce qui suppose que s’il a fait usage de la marchandise avant les résultats de l’expertise technique, il a plutôt opté pour la deuxième possibilité, celle de garder la chose et d’en demander une diminution du prix conformément à l’article 1644 ;
Attendu que lesdites conclusions d’expert ayant révélé une non-conformité détectable à l’œil nu avec un taux de granularité de 50/80 au lieu de 25/50, soit largement supérieure à la limite des 15% tolérables ;
Attendu qu’en conséquence de ce qui précède, en condamnant le requérant la Société X au versement de l’intégralité du prix de 75.199.400 F, nonobstant les résultats de l’expertise technique de la marchandise avéré non conforme, le premier juge a fait une mauvaise application l’article 1644 du code civil ;
Qu’il y a lieu de casser et annuler sa décision de ce chef ;
Sur le moyen pris de l’omission de statuer sur un chef de demande, dénaturation et méconnaissance des termes du litige (ultra petita) ;
Attendu à propos, que le demandeur au pourvoi reproche au juge de fond d’avoir manqué d’assoir sa décision sur des motifs valables, d’autant qu’en dépit des termes de ses conclusions en date du 22 juin 2016 demandant de tenir compte de l’acompte de 14.064.600 F déjà versé à la défenderesse, il l’a condamné à payer l’intégralité du prix de 75.199.400 F réclamé ;
Attendu que pour la Société Y ce problème ayant été soulevé de manière laconique devant le premier juge et elle-même ayant démontré le non fondé dans ses conclusions du 27 juin 2016 en défiant la Société X d’apporter la preuve d’un quelconque paiement partiel sur le montant de ladite facture, c’est à bon droit que celui-ci s’est limité au cadre du litige en le condamnant au versement de l’intégralité de la somme de 75.199.400 F ;
Mais attendu que l’obligation de motivation des arrêts et jugements édictée par l’article 2 alinéa 2 de la loi organique du 22 juillet 2004, suppose que de quelque manière elles lui aient été présentées, le juge ne saurait faire l’impasse sur certains chefs de demandes ou conclusions des parties ;
Attendu qu’en l’espèce, il est constant que dans ses conclusions du 22 juin 2016, le requérant a effectivement fait cas d’un acompte de 14.064.600 F perçu par la Société Y sur le montant réclamé de la facture, ce qu’elle réfutait à travers ses conclusions du 27 juin 2016 ;
Attendu cependant, qu’il ne ressort pas des motifs de la décision attaquée, preuve que le Tribunal de Commerce de Ab ait évoqué ce point malgré l’incidence qu’il peut avoir sur le règlement du litige en favorisant ou lésant l’une ou l’autre des parties selon qu’il ait été accepté ou rejeté ;
Qu’en ainsi procédant, il n’a donc pas donné de base légale à sa décision qui doit en conséquence encourir cassation et annulation ;
Attendu en tout qu’il y a lieu de déclarer le pourvoi en cassation de la Société X recevable en la forme, puis au fond de casser et annuler le jugement n° 24 du 28 juillet 2016 rendu en dernier ressort par le Tribunal de Commerce de Ab, de renvoyer la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée et de condamner la Société Y aux dépens ;
PAR CES MOTIFS:
-Déclare le pourvoi en cassation de la Société X recevable en la forme,
-Au fond, casse et annule le jugement n° 24 du 28 juillet 2016 rendu en dernier ressort par le Tribunal de Commerce de Ab,
Renvoie la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée ;
-Condamne la Société Y aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé, les jour, mois et an que dessus ;
Ont signé, le Président et le Greffier.
Composition de la Cour :
Président :
Issaka Dan Déla
Conseillers :
Aa Ac
Ad Ae
Ministère Public :
Ibrahim Malam Moussa
Greffier :
N. Soumana Gaoh
Rapporteur :
Ad Ae