ARRET N°21-016/Cout DU 11-02-2021
MATIERE :
Coutumière
DEMANDEURS
Mme Ah Ag Ad
ayant pour conseil
Me Chaibou
Abdourahamane
AD H. H rep. par Dj
H. H ayant pour
conseil Me Djibo
Ibrahim
B
H. D. S rep. Héritiers
D. S dit Ai ayant pour conseil Me
Sidikou Harouna
PRESENTS :
Souleymane À. Maouli X
IssaBouro
Oumarou Hassimiou
CONSEILLERS
Ibrahim Boubacar
Zakaria
MINISTERE
PUBLIC
Mme Aboubacar
Zeïnabou
C
RAPPORTEUR
ISSA BOURO
REPUBLIQUE DU NIGER
COUR DE CASSATION
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES COUTUMIERES
La Cour de Cassation, Chambre Sociale et des Affaires Coutumières, statuant en matière coutumière, en son audience publique ordinaire du jeudi onze février deux mille vingt un, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
ENTRE :
Dame S. H B. A. Y, gestionnaire demeurant à Ap Acoutume AfY, assistée de Me Chaibou Abdourahamane Avocat à la Cour ;
AD H. H, représentés par D. H H (coutume Af),
assisté de Me Djibo Ibrahim, Avocat à la Cour ;
Demandeurs
D’une part ;
Dame H. D. D, représentant les héritiers D. S, demeurant à Ap Acoutume AfY, assistée de Me Sidikou Harouna, Avocat à la Cour ;
Défenderesse
LA COUR
Après lecture du rapport par Issa Bouro conseiller rapporteur, les conclusions du Ministère Public et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur le pourvoi en cassation formé par déclaration au greffe du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Ap du 2 janvier 2019 des ayants droit H. H et sur celui formé par Dame S. H. B assistée de Me Chaïbou Abdourahamane le 4 janvier 2019 contre le jugement coutumier n°36 du 28 décembre 2018 dont la teneur suit :
En la forme reçoit l’appel des héritiers H. H comme régulier ;
Au fond infirme le jugement attaqué en ce qu’il a dit que le
reliquat du champ sis à Ae Al et l’intégralité de celui sis à Ae Aj est la propriété des héritiers H. H et de Ao Aa Ab ;
Dit que ces champs sont la propriété des héritiers H. H ;
Confirme le jugement attaqué dans ses autres dispositions ;
Dit n’y avoir lieu aux dépens ;
Avis de pourvoi : un (1) mois ;
Vu la loi n°63-18 du 22 février 1963 fixant les règles de procédure à suivre devant les justices de paix statuant en matière civile,
commerciale et coutumière ;
Vu la loi n°2018-37 du 1“ juin 2018 fixant l’organisation et la
compétence des juridictions en République du Niger ;
Vu la loi organique n°2013-03 du 23 janvier 2013 sur la Cour de
Cassation ;
Vu les pièces du dossier de la procédure ;
Vu les conclusions du Ministère Public ;
EN LA FORME
Attendu que les pourvois des ayants droit H. H et
de Dame Ah Ag B. À ont été introduits dans les forme et délai prescrits par les articles 66 et 68 de la loi n°2013-03 du 23 janvier 2013 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour de Cassation ; qu’il y a lieu par conséquent de les recevoir ;
AU FOND
Attendu qu’à l’appui de leur pourvoi les demandeurs ont soulevé
plusieurs moyens qu’il convient de regrouper en quatre dont le premier est tiré de la violation de la coutume des parties, le second tiré de la violation de la loi (article 102 de la loi n°2018-37 du 1“ juin 2018), le troisième de la violation des articles 544 et 545 du code civil et le
quatrième tiré de la violation de l’article 2 alinéa 2 de la loi n°2018-37 du 1“ juin 2018 pour insuffisance de motifs et violation de l’article 385 du code de procédure civile ;
Sur le premier moyen de cassation tiré de la violation
de la coutume des parties
Attendu que les héritiers H. H, demandeurs au
pourvoi, font grief au jugement attaqué d’avoir validé la prestation de serment de Dame H. D. S faite hors leur présence alors qu’en coutume djerma islamisée applicable en l’espèce il est de principe que le serment décisoire est consensuel et dès lors qu’une partie au procès n’est pas d’accord sur le principe, les conditions et les modalités l’autorité coutumière ou religieuse doit surseoir au rituel, or en l’espèce bien qu’ayant dans un premier temps acquiescé à l’offre de serment de Dame H. D.S, ils s’étaient rétractés par la suite et l’avaient notifié au président de l’association islamique chargé par le juge d’officier le rituel en exigeant au préalable l’identification précise de l’objet du litige , ce qui n’a pas été fait leur adversaire avouant ne pas connaître personnellement la partie du champ réclamée mais que ce sont plutôt ses témoins qui la connaissent ; que selon les héritiers H. H il n’appartient pas à une partie d’imposer le serment aux autres ;
Attendu que les héritiers Ao Aa représentés par Dame
S. H. B soutiennent pour leur part que le juge d’appel a validé une prestation de serment coranique alors même que la coutume des parties exige pour y procéder la présence de toutes les parties au cérémonial et le consensus sur les termes du serment ; qu’ils prétendent que la prestation de serment doit être le dernier recours et elle ne peut donc être permise en présence des témoins qui ont déposé régulièrement pour appuyer les prétentions des parties ;
Attendu qu’en réponse les ayants droit D. S
représentés par H. D. S, assistés de Me Boubacar Sidikou, prétendent que l’appréciation de l’opportunité de se référer au serment ou au témoignage pour asseoir sa décision est une question de pur fait souverainement appréciée par les juges du fond et échappe au contrôle de la cour de cassation ; qu’ils soutiennent que c’est par mauvaise foi que les héritiers H. H ne se sont pas présentés à la cérémonie de prestation de serment alors même qu’ils ont accepté le principe devant le juge et leur acceptation est mentionnée dans le compte rendu d’audience ;
Mais attendu qu’il est de principe que le serment décisoire doit
obéir à certaines conditions de forme et de fond à savoir notamment
qu’il doit être déféré ou référé, recueillir l’acceptation par toutes les parties du principe de régler leur litige par la prestation de serment, un consensus sur la formule et l’objet sur lequel il porte et la présence effective de toutes les parties au moment du rituel afin d’éviter toute contestation éventuelle, étant entendu qu’une fois prêté il équivaut à une conciliation et le procès verbal dressé à cet effet aura force exécutoire ;
Attendu qu’en l’espèce il résulte de l’examen des pièces du dossier de la procédure que les demandeurs au pourvoi n’ont jamais déféré le serment à Dame Ag Am Ak qui plutôt avait offert de le prêter et certes les héritiers H. H avaient dans un premier temps donné leur accord avant de se rétracter et malgré plusieurs tentatives de les ramener à accepter ce mode de règlement du litige ils l’ont rejeté exigeant avant tout la détermination claire de l’objet du litige et surtout que les témoins de leur adversaire soient aussi soumis au serment ; que plusieurs convocations ont été adressées aux héritiers H. H mais ils n’ont jamais voulu répondre demandant à être renvoyés devant le juge lequel a estimé que leur accord était irrévocable et a instruit l’association islamique à faire procéder au serment même en l’absence d’une des parties ; qu’un serment prêté dans de telles conditions ne saurait valoir conciliation et être opposé à la partie défaillante, dès lors le juge d’appel en confirmant la décision du premier juge, a violé la coutume des parties et expose ainsi sa décision à la censure de la cour de céans, qu’il y a lieu par conséquent d’accueillir le moyen comme étant pertinent ;
Sur le deuxième moyen de cassation tiré de la
violation de l’article 102 de la loi n°2018-37 du 1"
juin 2018 sur l’organisation judiciaire
Attendu que les héritiers H. H font grief au jugement
attaqué de ne pas comporter la délimitation précise de l’objet du litige et ce en violation des dispositions de l’article 102 de la loi n°2018-37 du 1" juin 2018 sur l’organisation judiciaire au Niger qui dispose que « Sous peine de nullité les décisions rendues en matière foncière doivent comporter la délimitation précise de l’objet du litige»; qu’ils soutiennent qu’en matière coutumière c’est le juge chargé du dossier qui se transporte sur les lieux aux fins de la délimitation du terrain litigieux en présence de toutes les parties au procès et accompagné d’un technicien désigné par lui, lequel sur indication des parties matérialise la délimitation ; que selon les demandeurs au pourvoi en l’espèce s’agissant du champ sis à Ae Al et réclamé par Dame H. D. S le premier juge ne s’est pas déplacé et s’est contenté de la délimitation faite par cette dernière en l’absence des autres parties alors que le juge d’appel a quant à lui retenu une autre délimitation faite par un technicien ; que les héritiers H. H prétendent qu’il n’appartient pas au juge de faire la délimitation en substituant une autre à celle donnée par la requérante dans ses conclusions introductives d’instance ; qu’ils reprochent en outre au juge d’appel d’affirmer que la délimitation retenue par lui résulte des pièces du dossier alors qu’il ressort des dites pièces au moins trois délimitations et nul ne peut savoir avec précision laquelle a été retenue par lui ; que les demandeurs concluent qu’en procédant ainsi le
juge d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 102 de la loi sur l’organisation judiciaire ;
Attendu que Dame S. H. B. À, reprenant le
même moyen soutient que nulle part dans la décision attaquée il ne ressort la délimitation des champs litigieux alors même qu’il a été contesté avec virulence la délimitation de la portion du champ accordée à Dame H. D. S par les héritiers H. H et que le reliquat accordé à eux par le juge d’appel n’est pas délimité aussi ; que Dame S. H prétend que le fait de rappeler la superficie ou le périmètre ne suffit pas à satisfaire les exigences de l’article 102, or en l’espèce le jugement attaqué ne comporte qu’une seule référence celle relative à la superficie de 8,92 ha mentionnée dans le dispositif de la décision ;
Attendu qu’en réponse les ayants droit D. S
défendeurs au pourvoi soutiennent que la décision attaquée a tout simplement confirmé le jugement de première instance dans le quel il a été procédé à la délimitation précise du champ leur appartenant et déterminé la superficie en son dispositif et mieux le croquis dressé par le topographe fait ressortir clairement la superficie et les limites des deux champs ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 102 de la loi n°2018-37 du 1“ juin 2018 fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger « Sous peine de nullité les décisions rendues en matière foncière doivent comporter la délimitation précise de l’objet du litige » ; que cette délimitation s’entend de l’identification précise de l’objet du litige c’est-à-dire qu’il soit fixé en ses quatre points cardinaux en indiquant les propriétaires des terrains limitrophes ; que cette exigence d’ordre public ne peut être satisfaite par le simple renvoi au levé topographique ou à la détermination de la superficie ou du périmètre ; qu’en l’espèce il résulte de l’examen du jugement querellé que nulle part le juge d’appel n’a indiqué la délimitation précise des terrains discutés se contentant d’énoncer que « il ressort des pièces du dossier qu’une délimitation a été régulièrement faite par un technicien... », et ce en violation des dispositions d’ordre public de l’article 102 cité ci-dessus ; qu’il s’en suit dès lors que le moyen est fondé, il y a lieu par conséquent de l’accueillir ;
Sur le troisième moyen de cassation tiré de la
violation des articles 544 et 545 du code de procédure
civile
Attendu que les demandeurs au pourvoi reprochent au jugement
attaqué d’avoir confirmé dans ses dispositions notamment celles leur ayant donné acte de leur volonté de donner une parcelle aux héritiers feu B. A. Y dans le dédommagement par eux obtenu sur le jardin de Ap Ac alors même qu’ils ont sans équivoque dit au juge de première instance avoir renoncé à ladite donation ; qu’ils prétendent que le juge d’appel ne saurait les contraindre à donner leur bien sans violer les articles 544 et 545 du code civil, surtout qu’ à ce jour ils n’ont accompli aucune formalité qui consacrerait la donation ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 527 du code de procédure civile « l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction du second degré pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit » ;
Que l’article 28 alinéa 2 dispose que « La dévolution s’opère pour
le tout lorsque l’appel n’est pas limité à certains chefs, lorsqu’il tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible » ;
Attendu qu’en l’espèce les héritiers H. H, dans leurs
écritures en date du 25/7/2018 ont entre autres demandé au juge d’appel de constater l’annulation de la donation faite d’une parcelle dans le quartier Boukoki ; que le juge d’appel après avoir infirmé le premier jugement en ce qu’il a dit que le reliquat du champ sis à Ae Al et l’intégralité de celui sis à Ae Aj est la propriété des héritiers feu H. H et feu B. A. Y, sans discuter ce moyen, a confirmé le jugement attaqué dans ses autres dispositions ; qu’en procédant ainsi il commet un défaut de réponse à conclusions écrites équivalant à un défaut de motifs sanctionné par la nullité de la décision, dès lors le moyen est fondé il y a lieu par conséquent de l’accueillir ;
Sur le quatrième moyen de cassation tiré de la
violation de l’article 2 alinéa 2 de la loi n°2018-37 1u
1” juin 2018 pour insuffisance de motifs et de la
violation de l’article 385 du code de procédure civile
Attendu que Dame S. H. B, représentant les
héritiers Ao Aa Ab, reproche au jugement attaqué d’avoir infirmé la décision du premier juge sans préciser les éléments de fait et de droit sur lesquels il se fonde pour dire qu’il y a autorité de la chose jugée et défaut de réponse à conclusions alors que le premier juge n’a fait que trancher la contestation par les héritiers H. H quant à la qualité d’héritiers de Dame S. H et consorts et non sur le fond ; qu’elle prétend qu’en statuant ainsi le juge d’appel a violé l’article 385 du code de procédure civile qui dispose que « la décision qui statue sur tout ou partie du principal, sur une exception de procédure, une fin de non
recevoir ou tout autre incident, a l’autorité de la chose jugée relativement
à la contestation qu’elle tranche.…. » ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 1351 du code civil
« L'autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet
de jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la
demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les
mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité » ;
Attend endu qu’en en? l’espèce il l résulte Îte de de l’ l’examen d des pièces du du d dossier
que les conditions tenant à l’identité d’objet et de qualité des parties ne
sont pas réunies en ce que dans le premier procès ayant abouti au jugement confirmatif n°07 du 24 février 2017 l’instance avait pour objet
la contestation par les héritiers H H, de la qualité d’héritiers des ayants droit roit Boub: Ao An ou à 1 la succession de de feu feu H. H. H. H. À al ors que dans dans | la
présente instance ce sont .ement Communal d’une action en
réclamation de biens successoraux ; que dès lors non seulement les deux
instances n’ont pas le même objet mais aussi les parties n’agissent pas
en les mêmes qualités puisque dans la première les héritiers Ao
An ou étaient taient défend défendeurs alors le que que d dans la la d deuxième ils : son t
demandeurs ; que le juge d’appel en disant qu’il y a autorité de la chose
jugée, sans vérifier si les conditions fixées par l’article 1351 du code civil
sont réunies, n’a pas suffisamment motivé sa décision, qu’il s’en suit dès
lors que le moyen est fondé il y a lieu par conséquent de l’accueillir ;
Attendu qu’il résulte de l’ensemble des énonciations qui précèdent
que les pourvois des ayants droit H. H et de Dame S. H B sont fondés
en droit, il y a lieu par conséquent de casser et annuler le jugement
attaqué et de renvoyer la cause et les parties devant la même juridiction
mais autrement composée ;
Attendu enfin qu’il y a lieu de dire qu’il n’y a pas à
condamner aux dépens s'agissant d’une affaire coutumière ;
PAR CES MOTIFS
-Reçoit Dame S. H. B. À et les ayants droit
H. H en leurs pourvois réguliers en la forme ;
-Au fond casse et annule le jugement n°36 du 28 décembre 2018
du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Ap ;
-Renvoie la cause et les parties devant la même juridiction mais
autrement composée ;
-Dit n’y avoir lieu à condamnation aux dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique les jour,
mois et an que dessus ;
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LA GREFFIERE./.