NICSC1994040
Cour Suprême
Chambre Administrative
Arrêt n° 40 de 1994-06-02
Association des Chefs Traditionnels du Niger
LA COUR Suprême, statuant en matière judiciaire pour les affaires-administratives, en son audience publique tenue au palais de ladite-Cour le deux juin 1994, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
LA COUR
Sur le rapport de Monsieur le Conseiller Mahamane Boukari, les-conclusions de Monsieur le Procureur Général et après en avoir-délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur le recours pour excès de pouvoir introduit le 20 mars-1993 par l'Association des Chefs Traditionnels du Niger, agissant au-nom de Messieurs :Sambo Hama, chef de village de kono kinto, Boureima-Bassarou, chef de village de Django, Amadou Soumaye, chef de village-de Ouro Dollé, contre la décision n 15/SP/S du 26 novembre 1992 du-sous-préfet de Say prononçant la révocation des (3) chefs de village-sus-nommés et tendant à l'annulation de celle-ci aux motifs que cette-" décision est arbitraire et attentatoire à la liberté individuelle et-aux droits civiques " ;
EN LA FORME
Considérant que par requête en date du 20 mars 1993, l'Association des-Chefs Traditionnels du Niger formait un recours en annulation contre-la décision n 15/SP/S du 26 novembre 1992 du sous-préfet de Say qui-prononçait la révocation pour " insubordination grave " de trois (3)-chefs de village du canton de Tamou (arrondissement de Say), les-sieurs Sambo Hama, Boureima Bassarou et Amadou Soumaye ;
Considérant qu'en cours de procédure, soit le 6 avril 1993 la-requérante a introduit une requête aux fins de voir prononcer le-sursis à l'exécution de cette décision en application à l'article 147-de la loi 90-10 du 13 juin 1990 sur la Cour Suprême ; que par arrêt n-934/A du 6 mai 1993, la Cour a rejeté cette requête ;
Considérant, sur la recevabilité du recours en annulation, que les-formes et délai de ce recours, sont prévus par les articles 127, 128-et 129 de la loi 90-10 du 13 juin 1990 ainsi conçus :
Article 127 : Les recours en annulation pour excès de pouvoir formés-contre les décisions des autorités administratives ne sont recevables-que s'ils ont été précédés d'un recours hiérarchique porté devant-l'autorité administrative immédiatement supérieure ou, à défaut d'une-telle autorité, d'un recours gracieux adressé à l'auteur de la-décision.
Ce recours administratif préalable doit être formé dans le délai de-deux (2) mois, selon le cas, à compter de la publication ou de la-notification de la décision attaquée.
Article 128 : Toute demande ou recours administratif dont son auteur-justifie avoir saisi l'administration, et à laquelle il n'a pas été-répondu par cette dernière dans un délai de quatre (4) mois, est-réputée rejetée à la date d'expiration de ce délai.
Si l'autorité administrative est un corps délibérant, le délai de (4)-mois est prolongé, le cas échéant, jusqu'à la fin de la première-session légale qui suivra le dépôt de la demande.
Article 129 : Le recours à la Cour Suprême doit être introduit dans le-délai de deux (2) mois à compter de la notification de la décision de-rejet total ou partiel du recours administratif ou de l'expiration du-délai prévu à l'article 128.
Considérant qu'aussitôt intervenue la décision de révocation,-l'Association des Chefs Traditionnels du Niger a, par lettre n-20/92/ACTN du 23 décembre 1992, demandé au préfet de Tillabéry-(recours administratif), autorité immédiatement supérieure,-l'annulation de ladite décision ; que cette lettre étant demeurée sans-suite, l'association introduisant le 20 mars 1993 un recours en-annulation devant la Cour Suprême ;
Considérant qu'il ressort de ces deux (2) correspondances, la première-datée du 23 décembre 1992 (le recours hiérarchique) la seconde du 20-mars 1993 (le recours en annulation devant la Cour Suprême) qu'un-délai de seulement deux (2) mois et vingt sept (27) jours s'est écoulé-alors que le texte de l'article 128 prévoit un délai de (4) mois ;
Considérant qu'il s'agit ici de ce qu'on peut qualifier de recours-prématuré, c'est-à-dire le recours exercé par la victime de l'acte-administratif avant l'expiration du délai imparti à l'auteur de l'acte-ou à son supérieur pour réagir ; qu'un tel recours doit être déclaré-recevable afin d'éviter que l'inertie de l'administration ne porte-préjudice aux droits et intérêts de la partie à laquelle l'acte en-cause ferait grief ; qu'il serait également injuste de pénaliser un-plaideur qui a fait preuve de diligence ;
AU FOND
Sur les moyens invoqués par les requérants
Considérant que dans sa lettre n 01/93/ACTN/SG du 29 mars 1993, le-Secrétaire Général de l'Association des chefs Traditionnels du Niger,-agissant pour le compte des trois (3) chefs de village révoqués,-demande l'annulation de la décision de révocation aux motifs que-celle-ci était " arbitraire et attentatoire à la liberté individuelle-et aux droits civiques " ;
Considérant que les requérants soulèvent en fait l'illégalité de la-décision du sous-préfet de Say en date du 26 novembre 1992 qui indique-en substance que Sambo Hama, Boureima Bassarou et Amadou Soumaye-respectivement chefs de village de Kino-Kinto, Django, Ouro Dollé sont-révoqués de leurs fonctions pour " insubordination grave " ;
Considérant que le défendeur, l'Etat du Niger, par le biais de son-conseil, Maître Noël Santoni, avocat à la Cour, déclare s'en rapporter-à droit et à justice ;
Considérant que les requérants ont, par l'organe de leur conseil Me-Marc Lebihan, avocat à la Cour, déposé un mémoire le 23 mai 1994, soit-après le dépôt du rapport ; que ce mémoire ne vaudra que comme simple-renseignement ;
Considérant que la décision attaquée est une mesure disciplinaire (la-plus grave dans l'échelle des sanctions) infligée par les autorités-administratives, ici un sous-préfet, à un auxiliaire de-l'administration, des chefs de village, relevant de l'autorité et de-la tutelle du ministre de l'intérieur ; que ce dernier agit par-l'intermédiaire de son représentant local à qui il délègue certains de-ses pouvoirs ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment le-procès-verbal d'enquête préliminaire n 406 du 25 novembre 1992 de la-Brigade de gendarmerie de Say, transmis au parquet de Niamey, et le-rapport du sous-préfet de Say en date du 10 mai 1993, que la faute,-voire l'infraction selon la gendarmerie, qualifiée d'insubordination-grave, reposait sur le refus des trois (3) chefs de village de-répondre aux convocations de l'autorité administrative et d'agir-suivant les instructions données par celles-ci, lesquelles les-instructions consistaient pour les chefs de village à rassembler leurs-administrés à une date donnée en vue d'une rencontre entrant dans le-cadre de l'élection du futur chef de canton de Tamou ; qu'interrogés-sur les raisons de ce manquement les trois (3) chefs de village ont-affirmé s'être rendus à Niamey en compagnie de l'un des candidats, en-fait, leur candidat, et ce, chaque fois qu'il s'était agit d'exécuter-les instructions de l'autorité ;
Considérant en l'espèce que si la faute disciplinaire est bien-constituée, la sanction subséquente appliquée sur la révocation paraît-disproportionnée, notamment du fait de l'enjeu, ici des élections-auxquelles doivent prendre part les trois chefs de village sanctionnés-et ce en qualité d'électeurs et du fait que l'on se trouvait à la-veille desdites élections ; qu'il y a tout lieu de craindre que-l'administration n'ait agi ainsi que dans le seul but de priver des-électeurs de leur droit de vote et de favoriser ainsi le ou les-candidats adverses ;
Qu'il y a lieu par conséquent d'annuler l'acte ainsi entrepris,-c'est-à-dire la décision n 15/SP/S du 26 novembre 1992 ;
PAR CES MOTIFS
Vu les articles 30 alinéa 2, 122, 123 et suivants de la loi 90-10 du-13 juin 1990 sur la Cour Suprême ;
Décide
Article premier : Annule la décision n 15/SP/S du 26 novembre 1992 du-sous-préfet de Say et portant révocation des chefs de village Boureima-Bassarou, Sambo Hama et Amadou Soumaye.
Article 2 : Met les dépens à la charge du trésor public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour Suprême, Chambre-Administrative, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents, MM. : Mahamne Boukari, Président ; Amadou Hama-Alginy et Any Youssouf, Conseillers ; Soly Abdourhamane, Procureur-Général ; et Maître Ali Maïga, Greffier en chef.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président et le-Greffier en chef.
Président : Mahamne Boukari
Conseillers : Amadou Hama Alginy Any Youssouf
Parquet : Soly Abdourhamane
Greffe : Maître Ali Maïga
Avocats : Marc Lebihan
Noël Santoni