ARRÊT N° 05-168/C Du 30 juin 2005 MATIERE : Coutumière DEMANDEUR : Koumsa Malam Keldjou DEFENDEUR : Dioula Chaibou Magarmi PRESENTS : Bouba Mahamane Président Issaka Dan Déla ; Jeannette Adabra Conseillers Ali Karmazi ; Adamou Harouna Assesseurs Ousmane Oumarou Ministère Public Me Gado Fati Founou Greffier RAPPORTEUR Issaka Dan Déla République du Niger
Cour Suprême Chambre Judiciaire
La Cour Suprême, Chambre Judiciaire, statuant pour les affaires coutumières en son audience publique ordinaire du jeudi trente juin deux mille cinq, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l'arrêt dont la teneur suit : ENTRE : Koumsa Malam Keldjou, cultivateur demeurant à Rifilamiram (Gouré) ; D'une part ET : Dioula Chaibou Magarmi, cultivateur demeurant à Gouré ; D'autre part Après lecture du rapport de Monsieur Issaka Dan Déla, conseiller rapporteur, les conclusions de Monsieur le Procureur Général et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Statuant sur le pourvoi formé par déclaration au greffe du Tribunal de première instance de Zinder en date du 14 avril 1999, de Monsieur Koumsa Malam Keldjou, cultivateur à Rifilamiram (Gouré) contre le jugement n° 32/99 en date du 14 avril 1999 du Tribunal de Zinder statuant en matière coutumière et en dernier ressort qui a : -En la forme, reçu Koumsa Malam Keldjou en son appel ; -Au fond, confirmé le premier jugement en toutes ses dispositions, jugement qui a déclaré sergent Dioula Chaibou Magarmi, propriétaire du verger litigieux et débouté Koumsa Malam Keldjou de sa demande ;
Vu la loi 2000-10 du 14 août 2000 déterminant l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour Suprême ; Vu l’article 15 de l’ordonnance n° 93-28 du 30 mars 1993 portant statut de la chefferie traditionnelle ; Vu les articles 2, 15, 57 de l’ordonnance 59-113 du 11 juillet 1959 portant réglementation des terres du domaine privé ; Vu l’article 2 al 2 de la loi 62-11 du 16 mars 1962 ; Vu l’article 38 de la loi 63-18 du 22 février 1963 ; Vu la déclaration de pourvoi et les mémoires produits par les parties ; Vu les pièces du dossier ; Vu les conclusions du Procureur Général ; En la forme Attendu que par déclaration au greffe du Tribunal de première instance de Zinder en date du 14 avril 1999, Monsieur Koumsa Malam Keldjou s’est pourvu en cassation contre le jugement n° 32/99 en date du 14 avril 1999 du tribunal de première instance de Zinder statuant en matière coutumière et en dernier ressort ; que le pourvoi a été notifié le 15 avril au sergent Dioula Chaibou Magarmi ; Attendu que le pourvoi ainsi formé est intervenu dans les forme et délai prévus par la loi ; qu’il y a lieu de le déclarer recevable ;
Au fond Attendu que le demandeur au pourvoi soulève deux moyens de cassation à l’appui de sa déclaration de pourvoi ;
Sur le premier moyen de cassation tiré du défaut de base légale, violation de l’article 15 de l’ordonnance n° 93-28 du 30 mars 1993 portant statut de la chefferie traditionnelle et des articles 2, 15 et 57 de l’ordonnance 59-113/PCN du 11 juillet 1959 portant réglementation des terres du domaine privé ;
Attendu que Koumsa Malam Keldjou soutient que conformément à l’article 15 de l’ordonnance 93-28 du 30 mars 1993 portant statut de la chefferie traditionnelle, le chef traditionnel ne peut que prêter un terrain dont la propriété est reconnue ; qu’il ne peut en disposer, tout comme le sous préfet ne peut verbalement attribuer une concession quelle qu’en soit sa nature sans formalités conformément aux articles 2, 15 et 57 de l’ordonnance 59-113/PCN du 11 juillet 1959 portant réglementation des terres du domaine privé ; qu’il demande à la Cour de casser et annuler le jugement attaqué pour avoir attribué leur jardin à une tierce personne sans base légale ; Attendu que dans son mémoire en défense, le sergent Dioula Chaibou Magarmi, cultivateur à Gouré, soutient que Kouma Malam Keldjou présente de nouveaux moyens qu’il n’a jamais évoqués depuis le début de la procédure ; Qu’il relève qu’en coutume Béri-Béri, pour prouver sa propriété sur un bien immobilier (champs, jardins) le demandeur doit produire des témoins qui ont vu ou connu ses parents entrain d’exploiter le terrain, sinon il doit faire recours à la mémoire collective ; qu’à défaut, le serment coranique est déféré ; que le demandeur n’a produit aucun témoin et a refusé le serment coranique ; Attendu que le défendeur au pourvoi déclare avoir reçu le terrain litigieux du défunt chef de canton en compagnie du sous préfet de l’époque M. Intché au moment où l’endroit était abandonné, inondé et difficilement exploitable ; qu’il a beaucoup investi pour le récupérer ; qu’il est prêt à le laisser au véritable propriétaire qui se présentera avec des preuves et qui le dédommagera ; qu’il relève que l’ordonnance n° 59-113 invoquée par le demandeur au pourvoi parle de concession et non de terrains de culture pour l’attribution desquels il n’est nul besoin d’une procédure administrative ; Attendu que l’article 15 de l’ordonnance 93-28 du 30 mars 1993 portant statut de la chefferie traditionnelle stipule que « le chef traditionnel dispose du pouvoir de conciliation des parties en matière coutumière, civile et commerciale ; Il règle selon la coutume, l’utilisation par les familles ou les individus, des terres de culture et espace pastoraux sur lesquels la communauté coutumière dont il a la charge, possède des droits coutumiers reconnus ; Dans tous les cas, il dresse les procès verbaux de ces conciliations qui doivent être consignées dans un registre ad hoc dont extrait est adressé à l’autorité administrative et la juridiction compétente ; Les procès verbaux ainsi dressés et signés par les parties ne sauraient en aucun cas être remis en cause devant l’autorité administrative ou judiciaire » ; Attendu que les concessions des terres rurales obéissent aussi à des règles définies, conformément aux articles 2, 15 et 57 de l’ordonnance n° 59-113/PCN du 11 juillet 1959 ; Attendu que le sous préfet en collaboration avec le chef de canton de Gouré, aurait attribué le terrain litigieux au sergent Dioula Chaibou sans aucun respect des formalités requises ; Attendu que le jugement attaqué a déclaré le sergent Dioula Chaibou propriétaire de l’endroit litigieux sur la base de l’attribution verbale qui a été faite en violation de l’article 15 de l’ordonnance 93-28 du 30 mars 1993 et de l’ordonnance 59-113 du 11 juillet 1959 ; Attendu qu’en statuant comme il l’a fait, le juge d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; qu’il s’ensuit que le jugement attaqué encourt cassation ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l’article 2 alinéa 2 de la loi 62-11 du 16 mars 1962 obscurité de motifs ; attendu qu’il est reproché au jugement attaqué d’avoir attribué la propriété de l’endroit litigieux au sergent Dioula Chaibou alors qu’il a reconnu que celui-ci n’est pas propriétaire du lieu en énonçant que « l’appelant a sans ambages déclaré être dans l’impossibilité de dédommager le sergent Dioula pour récupérer le verger litigieux » ; Attendu que le sergent Dioula Chaibou déclare que le jugement attaqué n’a fait que répondre à ce qu’il a dit à savoir que si le vrai propriétaire apporte la preuve de sa propriété ; il le lui laisse à condition d’être remboursé ; Attendu que dans le deuxième attendu du jugement attaqué, le juge d’appel avait énoncé que « la coutume béri-béri largement influencée par la coutume Haoussa prépondérante dans le département de Zinder admet qu’un terrain abandonné durant des décennies et mis en valeur par une tierce personne ne saurait faire l’objet d’une réclamation fantaisiste de la part d’un soit disant héritier » ; que dans le quatrième attendu, il énonce « qu’en matière coutumière il est de principe que la terre appartient à celui qui la travaille » sans préciser s’il s’agit de la coutume des parties ou si ce principe s’applique à toutes les coutumes du Niger ; qu’il énonce enfin que « l’appelant a sans ambages déclaré être dans l’impossibilité de dédommager sergent Dioula pour récupérer le verger litigieux et qu’il a refusé en plus à ce que ce dernier jure pour attester que l’ex-commandant Intché lui avait attribué le terrain sans restriction » ; Attendu qu’il ressort de tout ce qui précède que le jugement attaqué ne fait pas ressortir clairement l’énoncé de la coutume appliquée pour trancher le litige comme l’exige l’article 38 de la loi 63-18 du 22 février 1963 ; Attendu qu’il y a encore obscurité ou contrariété de motifs lorsque le jugement admet que Koumsa Malam Keldjou est propriétaire du terrain mais l’attribue au sergent Dioula parce que Keldjou n’arrive pas à dédommager alors que cette solution ne procède pas de la coutume des parties ; Attendu que l’obscurité de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que le moyen doit être accueilli comme étant fondé ; qu’il s’ensuit que le jugement attaqué encourt cassation ;
Par ces motifs
Reçoit le pourvoi de Koumsa Malam Keldjou ; Au fond, casse et annule le jugement attaqué ; Renvoie la cause et les parties devant le même Tribunal mais autrement composé ; Dit qu’il n’y a pas lieu à dépens ; Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.