REPUBLIQUE DU NIGER
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Cour Suprême
Chambre Judiciaire
La Cour Suprême, Chambre Judiciaire, statuant pour les affaires coutumières en son audience publique ordinaire du jeudi treize juillet deux mille six, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
ENTRE :
Ab Ag, Aa Ad, Ao Ap et Ah Al, tous cultivateurs demeurant à An Ac, assistés de Maître Alidou Adam, avocat à la Cour ;
D'une part
ET :
Aj Ai, cultivateur demeurant à An Ac, assisté de Maître Mounkaila Yayé, avocat à la Cour ;
D'autre part
Après lecture du rapport de Monsieur Issaka Dan Déla, conseiller rapporteur, les conclusions de Monsieur le Procureur Général et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Statuant sur les pourvois formés par déclaration au greffe du Tribunal Régional de Niamey, enregistrés respectivement le 17 juin 2004 et 11 juin 2004 de Maître Mounkaila Yayé, avocat au barreau de Niamey conseil constitué de Aj Ai et de Ab Ag, cultivateur à An Af Ac, contre le jugement n° 051 du 11 juin 2004 du Tribunal Régional de Ak qui a:
-Reçu Aj Ai en son appel;
-Déclaré l'appel partiellement fondé;
-Infirmé le jugement attaqué;
-Ordonné le partage des terres litigieuses équitablement entre les deux parties;
Vu la loi n° 2000-10 du 14 août 2000 sur la Cour Suprême;
Vu l'article 2 alinéa 2 et 36 de la loi 62-11 du 16 mars 1962;
Vu l'article 38 de la loi 63-18 du 22 février 1963;
Vu l'article 65 de la loi 2004-50 du 22 juillet 2004;
Vu la requête de pourvoi et les mémoires produits par les parties;
Vu les pièces du dossier;
Vu les conclusions du Procureur Général;
EN LA FORME
Attendu que les pourvois de Aj Ai et de Ab Ag sont intervenus dans les forme et délai prévus par la loi; qu'il y a lieu de les déclarer recevables;
AU FOND
Attendu que chacune des parties est demanderesse et défenderesse au pourvoi;
Sur les moyens de cassation produits par Ab Ag à l'appui de sa déclaration et ceux produits en défense par Aj Ai;
Sur le premier et deuxième moyen de cassation tiré de la fausse qualification des faits, fausse application de la loi et contradiction des motifs, manque de base légale;
Attendu que Ab Ag reproche au juge d'appel d'une part d'avoir déclaré que le premier juge a attribué la propriété des champs litigieux aux ayants droit de Ae au seul motif que Aj Ai s'est opposé à toute prestation de serment alors que celui-ci s'est aussi appuyé sur des témoignages et d'autre part, d'avoir tranché en équité le litige qui lui a été soumis en partageant équitablement des champs litigieux entre les deux parties alors que l'équité n'est pas une source de droit;
Attendu que Aj Ai soutient sur ce point que la question de prestation de serment a été déjà tranchée par l'arrêt n° 04-100/C du 08 avril 2004 de la Cour Suprême de sorte que le juge de renvoi s'est référé aux témoignages et d'autres modes de preuve pour asseoir sa décision;
Attendu que pour trancher le litige en faveur des ayants droit Ae, le premier juge s'est référé non seulement à l'opposition de Aj Ai à toute prestation de serment mais aussi aux témoignages;
Attendu d'une part qu'après avoir rejeté la prestation de serment en disant que le serment n'est pas nécessaire, au profit du témoignage, le juge d'appel déclare par la suite que les témoignages ne sont pas crédibles à cause des liens de parenté qui existent entre les témoins et les parties; que d'autre part après avoir déclaré que Aq Am a pu transmettre valablement l'endroit litigieux à ses héritiers conformément à la coutume djerma des parties, le juge d'appel a procédé au partage équitable de l'endroit litigieux entre les parties;
Attendu que le juge d'appel n'a fondé ledit partage ni sur la loi ni sur la coutume des parties alors que conformément à l'article 38 de la loi 63-18 du 22 février 1963, il doit indiquer l'énoncé complet de la coutume appliquée; qu'en statuant comme il l'a fait, le juge d'appel n'a pas fait une saine application de la loiet n'a pas donné de base légale à sa décision; qu'il s'ensuit que le jugement attaqué encourt cassation;
Sur le troisième moyen de cassation tiré de la violation de l'article 2 alinéa 2 de la loi 62-11 du 16 mars 1962;
Attendu que le demandeur au pourvoi Aj Ai reproche au juge de n'avoir pas réglé définitivement et irrévocablement le litige entre les deux parties en violation de l'esprit et du sens de l'institution judiciaire en procédant au partage équitable des champs litigieux entre les deux parties; qu'il déclare n'avoir jamais accepté le principe du partage des terres litigieuses avec son adversaire car il n'y a aucun lien de communauté entre leurs auteurs Ae et Aq;
Attendu que Ab Ag soutient que Aj Ai a bel et bien déclaré qu'il consent que les champs litigieux soient partagés entre eux; que le jugement attaqué ayant statué en équité, il demande lui aussi qu'il soit cassé et annulé;
Attendu que les deux parties sont unanimes que le juge d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision en procédant au partage des champs litigieux; qu'en statuant comme il l'a fait, le juge d'appel n'a pas fait une saine application de la loi; que par conséquent le jugement attaqué encourt cassation;
Sur le quatrième moyen de cassation tiré de la violation des articles 36 de la loi 62-11 du 16 mars 1962 et 38 de la loi 63-18 du 22 février 1963;
Attendu que le demandeur au pourvoi reproche au jugement attaqué de n'avoir précisé ni la coutume des assesseurs, ni l'énoncé complet de la coutume des parties;
Attendu que Ab Ag soutient que le juge a bel et bien indiqué la coutume des assesseurs et des parties mais n'a pu faire application de l'article 38 de la loi 63-18 du 22 février 1963;
Attendu que le juge d'appel a bel et bien indiqué la coutume des assesseurs et des parties mais n'a pas indiqué l'énoncé complet de la coutume appliquée en violation de l'article 38 de la loi 63-18 du 22 février 1963 qui stipule que «plus particulièrement en matière coutumière, les jugements indiqueront, sous peine de nullité l'énoncé complet de la coutume appliquée»; que ce moyen doit être accueilli comme fondé; qu'il s'ensuit que le jugement attaqué encourt cassation de ce chef;
Sur le cinquième moyen de cassation tiré de la violation de l'article 65 de la loi organique n° 2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l'organisation et la compétence des juridictions en République du Niger;
Attendu que Aj Ai reproche au juge d'appel d'avoir rendu la décision critiquée en refusant de faire application de l'article 65 de la loi susvisée alors qu'il a reconnu que feu Sounna Nayé et sa suite avaient gardé le contrôle des champs litigieux pendant au moins 100 ans sans payer de dîme mais en percevaient plutôt et que son ancêtre était soit le premier à défricher les lieux, soit les a reçus à titre de donation irrévocable de feu Ae, grand-père de Ab Ag d'où il a pu les transmettre valablement à ses héritiers;
Attendu que Ab Ag relève que le juge a statué par décision coutumière n° 051 du 11 juin 2004 alors que la loi organique 2004-50 du 22 juillet 2004 n'existait pas; qu'il demande le rejet du moyen fondé sur l'article 65 de ladite loi;
Attendu que l'on ne peut reprocher au juge d'appel d'avoir violé la loi 2004-50 du 22 juillet 2004 alors que cette loi n'existait même pas au moment où il a statué; que ce moyen est mal fondé et mérite rejet;
PAR CES MOTIFS
Déclare le pourvoi de Ab Ag et 3 autres recevable;
Casse et annule le jugement n° 051 du 11-6-2004 du Tribunal Régional de Niamey;
Renvoie la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée;
Dit qu'il n'y a pas lieu aux dépens;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.
ARRÊT N° 06-201/C
Du 13 juillet 2006
MATIERE : Coutumière
DEMANDEUR :
Ab Ag Aa Ad Ao Ap et Ah Al
Me Alidou Adam
A :
Aj Ai
Me Mounkaila Yayé
PRESENTS :
Dillé Rabo
Président
Issaka Dan Déla ; Nouhou Diallo Mahamadou Albachir
Conseillers
Ali Karmazi ; Adamou Harouna
Assesseurs
Ousmane Oumarou
Ministère Public
Me Gado Fati Founou
Greffier
RAPPORTEUR
Issaka Dan Déla