REPUBLIQUE DU NIGER
-----------------
Cour Suprême
Chambre Judiciaire
La Cour Suprême, Chambre Judiciaire, statuant pour les affaires pénales en son audience publique ordinaire du jeudi vingt sept juillet deux mille six, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
ENTRE :
B X et A Y, assistés de Maîtres Mounkaila Yayé et Moussa Coulibaly, Avocats à la Cour ;
D'une part
ET :
MINISTERE PUBLIC
D'autre part
Après lecture du rapport de Monsieur Albachir Nouhou Diallo, conseiller rapporteur, les conclusions de Monsieur le Procureur Général et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Statuant sur le pourvoi en date du 13 avril 2006 formé au greffe de la Cour d'Appel de Niamey par Maître Mounkaila Yayé avocat à la cour, conseil constitué des sieurs B X et A Y contre l'arrêt n°104 en date du 13 avril 2006 rendu par la Chambre d'Accusation de ladite Cour qui a d'une part infirmé l'ordonnance de mise en liberté provisoire du sieur A Y et d'autre part confirmé celle qui a refusé la liberté provisoire au sieur B X;
Vu la loi n°2000-10 du 14 août 2000 sur la Cour Suprême;
Vu la loi n°61-33 du 14 août 1961 portant institution du Code de procédure pénale modifiée par la loi n°2003-026 du 13 juin 2003 et la loi n°2004-21 du 16 mai 2004;
Vu l'acte de pourvoi n°17 en date du 13 avril 2006;
Vu le mémoire des demandeurs en date du 2 mai 2006;
Vu les réquisitions écrites de Monsieur le Procureur Général en date du 16 juin 2006;
Vu les pièces du dossier;
EN LA FORME
Attendu que le pourvoi a été introduit dans les forme et délai prévus par la loi; qu'il échet de le déclarer recevable;
AU FOND
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que les sieurs B X et A Y ont été respectivement inculpés, le premier d'usurpation de titre, d'émission de chèque sans provision et tous les deux d'abus de biens sociaux; qu'ils ont été placés sous mandat de dépôt le 28 septembre 2005 et incarcérés au camp pénal de Kollo; que le 3 mars 2006, les inculpés ont introduit une requête aux fins de solliciter leur mise en liberté provisoire; que le magistrat instructeur rendait alors deux ordonnances en date du 13 mars 2006 dont l'une accueillait la demande de mise en liberté provisoire du sieur A Y et la seconde rejetait celle formulée par le sieur B X; que ce dernier interjeta appel de cette ordonnance qui lui refusait la liberté provisoire pendant que le ministère public interjeta appel contre l'ordonnance qui a accordé la liberté provisoire au sieur A Y;
Attendu que la Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Niamey recevant les deux appels, a infirmé l'ordonnance de mise en liberté provisoire du sieur A Y et a confirmé celle qui a refusé la liberté provisoire au sieur B X;
Attendu que les requérants invoquent deux moyens à l'appui de leur pourvoi:
A/ Sur le premier moyen pris en ses deux branches
Sur la première branche tirée du défaut de réponse aux moyens soulevés dans la demande de mise en liberté provisoire
Attendu que les inculpés soutiennent que dans leur requête aux fins de mise en liberté provisoire et dans leur mémoire en défense en date du 6 avril 2006, ils ont invoqué les dispositions de l'article 131 bis al.2 du code de procédure pénale aux termes desquelles: «le juge d'instruction doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention préventive selon les modalités prévues par l'article 134 du code de procédure pénale dès que les conditions prévues à l'article 131 du code de procédure pénale et au présent article ne sont plus remplies»; mais que ni le juge d'instruction en charge de leur dossier, ni la Chambre d'Accusation n'ont répondu à ce moyen;
Attendu que l'arrêt querellé a visé ledit mémoire produit par le conseil des inculpés;
Attendu que conformément à un principe général du droit et à une jurisprudence bien établie (Cass. Crim 22 mars 1983 - 2 arrêts B 86 et 87, 1er oct 1984 B 276), le juge doit statuer sur toutes les demandes dont il est saisi;
Mais attendu que pour motiver sa décision, la Chambre d'Accusation s'est contentée de reproduire les dispositions de l'article 131 du code de procédure pénale en ses termes: «la détention d'un inculpé est nécessaire lorsqu'elle est l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher une pression sur les témoins ou les victimes.», alors même que, toujours selon les requérants aux termes de l'article 134 al.3 du code de procédure pénale «le juge d'instruction doit statuer sur ordonnance spécialement motivée»;
Attendu que s'agissant d'une décision se rapportant à la détention préventive, la loi et la jurisprudence exigent une motivation spéciale d'après les éléments mêmes de l'espèce; que cette exigence aussi bien légale que jurisprudentielle apparaît dans une abondante et rigoureuse jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation française qui casse «les arrêts insuffisamment motivés ou qui se bornent à reproduire, comme dans le cas d'espèce, les formules légales de l'article 144 du code de procédure pénale (équivalant à l'article 131 du code de procédure pénale nigérien) sans se référer aux circonstances de la poursuite propres à justifier la détention»(Cass. Crim 24 juin 1971 - D.S.71.546); qu'il en est de même de l'arrêt qui, après avoir reproduit les formules légales, ne fait qu'une vague allusion à la gravité des faits(Cass. Crim 15 juin 1972 Bull Crim n°207) ou qui indique que l'inculpé n'offre pas de garantie de représentation (Cass. Crim 20 déc 1972 Bull Crim n° 394- JCP 1973-II-17571) ou a de lourds antécédents (Cass. Crim 30 sept 1976 Bull Crim n°275 JCP 1976-IV-P342);
Attendu que de tout ce qui précède, que la juridiction d'appel n'a pas répondu au moyen dont il s'agit; qu'ainsi cette première branche est fondée et l'arrêt encourt cassation de ce chef;
Sur la deuxième branche du premier moyen tiré de l'irrecevabilité de la constitution de partie civile
Attendu que les requérants invoquent l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'Etat du Niger;
Attendu cependant qu'il y a lieu de relever qu'à l'examen des pièces du dossier de la procédure, ni la requête aux fins de mise en liberté provisoire en date des 9 janvier 2006 et 3 mars 2006, ni le mémoire en date du 6 avril 2006 produit devant la Chambre d'Accusation n'ont soulevé ce moyen; qu'en fait le mémoire daté du 6 avril 2006 n'a fait qu'effleurer la question de l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'Etat du Niger dans son développement, mais n'en a pas fait un moyen; que donc ce point n'a pas fait l'objet d'une demande expresse;
Attendu que si la constitution de partie civile peut avoir lieu à tout moment au cours de l'instruction conformément à l'article 82 du code de procédure pénale, il faut préciser cependant que les moyens tendant à rendre irrecevable la constitution de partie civile ne sont pas recevables pour la première fois devant la Cour de Cassation (Cass. Crim 29 mars 1955 Bull Crim n°188; 18 fév 1976 Bull Crim n°61);
Que dès lors ce moyen est inopérant et doit être rejeté;
B/- Sur le deuxième moyen de cassation tiré de la violation de l'article 132 al.2 du Code de Procédure Pénale
Attendu qu'aux termes de l'article 132 du code de procédure pénale «en matière correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur ou égal à trois (3) ans d'emprisonnement, l'inculpé domicilié au Niger ne peut être détenu plus de 6 mois après sa première comparution devant le juge d'instruction s'il n'a pas été déjà condamné soit pour crime soit pour délit à un emprisonnement de plus de 3 ans sans sursis;
Dans les cas autres que ceux prévus à l'alinéa précédent, l'inculpé ne peut être détenu plus de 6 mois renouvelables une seule fois par ordonnance motivée du juge d'instruction»;
Attendu que dans la présente affaire, les requérants soutiennent qu'à la date des débats devant la Chambre d'Accusation le 13 avril 2006, soit largement au-delà de six (6) mois après leur première comparution (survenue le 28 septembre 2005 avec placement sous mandat de dépôt) ni eux, ni leurs conseils n'ont eu connaissance de la prolongation de leur détention; que c'est seulement lorsqu'ils ont invoqué le bénéfice des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 132 du code de procédure pénale que la Chambre d'Accusation a fait état des ordonnances de renouvellement de leur détention en date du 27 mars 2006;
Attendu qu'aux termes de l'article 174 du code de procédure pénale «il est donné avis dans les 48 heures, soit par lettre recommandée, soit par notification administrative, aux conseils de l'inculpé et de la partie civile, de toutes ordonnances juridictionnelles»;
Attendu que les ordonnances du juge d'instruction en matière de détention préventive ont un caractère juridictionnel;
Attendu qu'il ne résulte du dossier de la procédure aucune preuve que l'ordonnance critiquée a été portée à la connaissance des inculpés ou de leur conseil; que la Chambre d'Accusation n'a pas non plus corrigé l'irrégularité en mettant en application l'article 199 du code de procédure pénale;
Attendu que dans de telles circonstances, la Cour de Cassation française considère le défaut total d'avis à conseil ou de notification à l'inculpé comme une violation flagrante du droit de la défense emportant nullité desdites ordonnances;
Attendu qu'il y a lieu dès lors de constater que les ordonnances de prolongation de la détention des inculpés B X et A Y sont nulles; qu'en conséquence l'arrêt entrepris sur la base des ordonnances incriminées encourt cassation et annulation;
Attendu qu'au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de casser et annuler l'arrêt attaqué et de renvoyer la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée;
PAR CES MOTIFS
Reçoit le pourvoi de B X et A Y recevable en la forme;
Au fond, casse et annule l'arrêt n°104 du 13 avril 2006 de la Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Niamey;
Renvoie la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée;
Réserve les dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.
ARRÊT N° 06-213/P
Du 27 juillet 2006
MATIERE : Pénale
DEMANDEUR :
B X et A Y
Me Mounkaila Yayé et Moussa Coulibaly
C :
MINISTERE PUBLIC
PRESENTS :
Mme Jeannette Adabra
Président
Abdourahamane Ghousmane ; Albachir Nouhou Diallo
Conseillers
Ousmane Oumarou
Ministère Public
Me Illiassou Amadou
Greffier
RAPPORTEUR
Albachir Nouhou Diallo