REPUBLIQUE DU NIGER
-----------------
Cour Suprême
Chambre Judiciaire
La Cour Suprême, Chambre Judiciaire, statuant pour les affaires coutumières en son audience publique ordinaire du jeudi vingt six octobre deux mille six, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
ENTRE :
Ae Af, chef de village de Bangou (Kokorou-Téra), assisté de Maître Keita Omar Michel, avocat à la Cour ;
D'une part
ET :
Aa Ab, chef de village de Kourégou-Téra ;
D'autre part
Après lecture du rapport de Monsieur Moussa Idé, conseiller rapporteur, les conclusions de Monsieur le Procureur Général et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Statuant sur le pourvoi en cassation fait par déclaration au greffe du Tribunal de Tillabéry en date du 15 avril 2005, enregistré au greffe de la Cour de céans le 7 novembre 2005, par le sieur Ad Ac, représentant du sieur Ae Af, contre le jugement n° 05 du 15 avril 2005 qui a en la forme reçu Ae Af; au fond, confirmé le jugement n° 22 du 26 mars 1998 de la Délégation Judiciaire de Téra;
Vu la loi 2000-10 du 14 août 2000 sur la Cour Suprême;
Vu l'acte de pourvoi;
Vu les pièces du dossier;
Vu les conclusions du Procureur Général;
EN LA FORME
Attendu que le pourvoi dont s'agit est intervenu dans les forme et délai prévus par la loi; qu'il échet en conséquence de le déclarer recevable;
AU FOND
Attendu que le demandeur au pourvoi, assisté de Maître Keita Omar Michel, avocat au barreau du Niger, soulève un moyen unique de cassation tiré de la violation de la coutume; de la contradiction et de l'obscurité des motifs qu'il a scindé en deux (2) branches;
Sur la première branche du moyen
Attendu que le sieur Ae Af fait grief au juge d'appel d'avoir fondé sa décision sur des allégations fallacieuses de l'entourage du défendeur au pourvoi plus même qu'il n'a procédé à aucune vérification;
Qu'il reproche également à ce magistrat d'avoir forgé sa conviction en se basant sur un serment coranique irrégulièrement intervenu;
Qu'à propos de la sincérité des témoignages, il importe de dire qu'il est unanimement admis que les juges du fond apprécient souverainement la valeur des éléments de conviction qui leur sont présentés et qui sont soumis à la libre discussion des parties. Qu'il leur est donc permis de retenir ceux qui leur paraissent pertinents et écarter les autres. Que c'est une question de fait qui échappe au contrôle de la Cour de céans;
Qu'en ce qui concerne les vices ayant entaché la prestation du serment coranique, sa validité est subordonnée à la réalisation de certaines conditions afférentes à la réalité de la volonté unique de l'une des parties à le déférer à l'autre, à la présence de témoins, à la purification du prestataire;
Que l'examen des éléments du dossier fait apparaître des irrégularités ayant affecté la prestation du serment coranique. Qu'ainsi l'on constate que les témoins sont des personnes intéressées par le litige qui se contredisent sur la présence effective du demandeur au pourvoi qui se serait selon certains d'entre eux, isolé pour prier. Que cet esprit est déterminant car le marabout qui officie doit au préalable s'assurer que c'est l'une des parties qui défère le serment à l'autre. Qu'en outre, il existe une discordance entre la date indiquée au jugement (un jeudi) et celle fournie par les témoins (un vendredi), ainsi que l'identité du marabout qui est l'iman selon le juge et un marabout autre que cette autorité religieuse aux termes des dispositions;
Que s'il est incontestable que la conséquence de droit qui découle de la prestation du serment coranique, en raison de sa nature décisoire, est de mettre un terme définitif au différend par la reconnaissance de la légitimité de la réclamation de la personne qui a juré, il est indéniable que la coutume sonraï islamisée subordonne la validité du serment à l'absence d'irrégularités;
Que donc le juge d'appel en fondant sa décision sur le serment prêté dans les circonstances sus décrites a violé la coutume des parties de sorte que la décision attaquée encourt cassation et annulation sur ce point;
Sur la deuxième branche
Attendu qu'il ne résulte nulle part dans le dossier que c'est Ae Af qui a déféré le serment coranique à Aa Ab, contrairement aux allégations du demandeur;
Que, d'autre part, les circonstances de l'avènement du serment ayant déjà été vérifiées lors de l'examen de la première branche, cette deuxième apparaît comme une répétition de la précédente;
Sur le moyen soulevé d'office pris de la violation des règles de compétence;
Attendu que le litige survenu entre le demandeur et le défendeur porte sur la délimitation entre les deux villages. Que le différend dont s'agit est donc un conflit de limite de terroirs qui légalement relève de la compétence des autorités administratives;
Que les règles attributives de compétence étant d'ordre public, il y a lieu de relever d'office cette violation de la loi par les juges du fond qui ont statué en dépit de leur incompétence à connaître ce genre de litige.
Qu'il convient en conséquence de casser et annuler le jugement n° 05 du 15 avril 2005 du Tribunal de Tillabéry; renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de Grande Instance de Tillabéry autrement composé;
Attendu qu'il échet de dire qu'il n'y a pas lieu à dépens, s'agissant d'une matière coutumière;
PAR CES MOTIFS
Déclare le recours de Ae Af recevable;
Casse et annule le jugement n° 05 du 15-4-2005 de la Section du Tribunal de Tillabéry;
Renvoie la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée;
Dit qu'il n'y a pas lieu aux dépens;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.
ARRÊT N° 06-249/C
Du 26 octobre 2006
MATIERE : Coutumière
DEMANDEUR :
Ae Af
Me Keita Omar Michel
B :
Aa Ab
A :
Dillé Rabo
Président
Issaka Dan Déla ; Moussa Idé
Conseillers
Ali Karmazi ; Adamou Harouna
Assesseurs
Ousmane Oumarou
Ministère Public
Me Gado Fati Founou
Greffier
RAPPORTEUR
Moussa Idé