REPUBLIQUE DU NIGER
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Cour Suprême
Chambre Administrative
La Cour Suprême , Chambre Administrative statuant en matière de recours pour excès de pouvoir en son audience publique ordinaire du mercredi huit novembre deux mille six, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
Statuant sur le recours pour excès de pouvoir enregistré au greffe de la Cour Suprême sous le N° 0277 en date du 11 Mai 2006 par lequel les sieurs Ac Ak, chef de village de Ad Al, Ab Ae, chef de village de Ao et Ak Aj, chef de village de Ai Af (Canton de Boboye), tous assistés de Maître Ali Sirfi Maiga, avocat à la Cour demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté n° 001/PB du 30 janvier 2006 les destituant de leurs charges de chefs de villages;
Vu la loi 2000-10 du 14 Août 2000 sur la Cour Suprême;
Vu la requête;
Vu les mémoire en défense et en réplique;
Vu les pièces du dossier;
Vu les conclusions de Monsieur le Procureur Général;
EN LA FORME
Considérant que les requérants concluant par l'organe de Maître Ali Sirfi Maiga, Avocat à la Cour, invoquent l'application des articles 96 et 97 de la loi 2000-10 du 14 Août 2000 pour soutenir le recevabilité de leur recours exercé 2 mois après le recours hiérarchique auquel il n'a pas été répondu;
Considérant que l'Etat du Niger, défendeur concluant par l'organe de Maître Baadhio Issouf, Avocat à la Cour, demande à la Cour de Céans de déclarer le recours en annulation introduit par les trois (3) chefs destitués au motif que, s'agissant d'une mesure nominative, il y a forclusion car ce n'est pas le délai de 2 mois fixé par les articles 97 et 98 de la loi n° 2000-10 du 14 août 2000 sur la Cour Suprême qui s'applique, mais plutôt, le délai abrégé de 15 jours conformément à l'article 97 alinéa 2 et l' article 98 alinéa 2 nouveaux introduits par la Loi n° 2002-02 du 08 février 2002 portant modification de la loi n° 2000-10 du 14 août 2000 sur la Cour Suprême;Considérant que les procédures de nomination et de destitution d'un chef de village n'obéissent pas aux mêmes règles; qu'en effet, les deux procédures sont totalement distinctes l'une de l'autre;
Considérant les articles 97 alinéa 2 et 98 alinéa 2 nouveaux ont institué un délai abrégé de 15 jours pour le seul cas de la mesure nominative;
Considérant que la loi doit être entendue dans son sens propre, strict sensu, qu'ainsi la destitution étant différente de la nomination, tant pour leur procédure que pour les règles qui les régissent et par leurs effets, le présent recours doit être régi par les articles 97 alinéa 1 et 98 alinéa 1 emportant délai de 2 mois et non 15 jours.
Que dès lors, il y a lieu de déclarer le recours recevable;
AU FOND
Considérant les faits que suite aux événements dramatiques survenus les 5 et 6 Mai 2006 au village de Ao AC qui se sont traduits par l'assassinat d'un sédentaire par les éleveurs et la battre organisée par la population sédentaire environnante contre les campements Peulhs et qui s'est soldée par 12 morts et plusieurs blessés parmi les peulhs, une enquête de gendarmerie a été ouverte au cours de laquelle, il a été relevé que les habitants des villages de Aa Af, Am, Ai Af et Ad Al y ont participé; que c'est ainsi qu'une infirmation judiciaire a été ouverte par le Juge d'Instruction de Ag B au cours de laquelle plusieurs personnes ont été inculpées et placées sous mandat de dépôt; que parmi ceux-ci figurent les nommés Ak Ac, Ab Ae et Ak Aj, respectivement chefs de villages de Ad Al, Ao et Ai Af;
Considérant que les 03 janvier 2006, un conseil de discipline a été convoqué en vue de se prononcer sur la sanction à infliger à ces trois responsables; que c'est ainsi que par arrêté n° 001/PB du 30 janvier 2006 le Préfet de Boboye, es qualaité autorité de nomination prononçait la destitution des trois chefs de villages mis en cause; que copies de ladite décision ont été remises aux intéressés en mains propres e le 24 Février 2006 par le Maire de la Commune Rurale de Guélladjo;
Considérant que dès le 28 Février 2006, les sieurs Ak Ac, Ab Ae et Ak Aj formèrent un recours hiérarchique devant le Gouverneur de Dosso aux fins de demander la rétractation de la décision n° 001/PB du 30 Janvier 2006, soit après deux (2) mois postérieurement au recours hiérarchique demeuré sans suite, les requérants saisissaient la Chambre Administrative de la Cour Suprême d'un recours pour excès de pouvoir aux fins d'obtenir l'annulation de la décision querellée;
Considérant que les requérants invoquent un moyen tiré de la violation de la loi, notamment de l'article 17 de la Constitution du 09 Août 1999 et de l'article 35 alinéa 1er et 2 de l'Ordonnance n° 93-28 du 30 Mars 1993 portant statut de la chefferie traditionnelle du Niger;
Considérant que les requérants soutiennent que l'affaire pour laquelle ils ont été destitués est encore pendante devant le Tribunal d'Instance de An B qui a en charge l'instruction du dossier, qu'au vu de l'absence et de la légèreté des charges retenues contre eux, ils ont été laissés en liberté par le Juge d'Instruction en attendant le jugement au fond qui déterminera leur culpabilité ou leur innocence; qu'en les destituant, la Préfecture de An B a fait une mauvaise application de la loi et a aussi anticipé sur la décision du juge non encore intervenue; que mieux, même si la destitution est prévue par l'article 33 de l'Ordonnance sur la chefferie, cette destitution est l'extrême sanction qui ne doit intervenir qu'après uniquement une décision de justice devenue définitive et ayant établi la preuve de la culpabilité du chef coutumier; qu'en agissant ainsi, l'autorité a manifestement violé les dispositions de l'Ordonnance portant statut de la chefferie traditionnelle et a porté une grave entorse au droit de la défense sacralisé par l'article 17 de la Constitution de la République du Niger;
Considérant que l'Etat du Niger dans son mémoire en défense soutient, que l'article 17 de la Constitution invoqué par les requérants pose le principe de la présomption d'innocence; que ce principe qui a un caractère essentiellement pénal ne vise qu'à mettre les personnes poursuivies à l'abri de tout acte ou tout propos les considérant comme coupables avant qu'ils ne soient jugés; que cependant, la décision attaquée ne porte aucune référence à la culpabilité des personnes mises en cause; que cette décision résulte d'une appréciation de leur qualité de chef de village; que dès lors le moyen tiré de la violation de l'article 17 de la Constitution est mal fondé;
Considérant que l'article 17 de la Constitution du 9/8/1999 dispose «Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public devant lequel toutes les garanties à sa défense lui auront été assurées;
Considérant l'article 35 de l'Ordonnance 93-28 du 30 mars 1993 portant statut de la chefferie traditionnelle au Niger dispose:«"MGm"le chef coutumier faisant l'objet d'une poursuite judiciaire pour crime ou délit sera suspendu de ses fonctions. L'intéressé sera réintégré ou destitué selon La décision judiciaire devenue définitive. Pendant ce temps, l'administration de la chefferie sera assurée par les structures traditionnelles prévues à cet effet par la Coutume».
Considérant qu'en l'espèce l'affaire pour laquelle les requérants ont été destitués a fait l'objet d'une enquête de gendarmerie (PV du 07/05/2005) ayant conduit à l'inculpation des intéressés; que la procédure est toujours pendante au Cabinet d'Instruction du Tribunal d'Instance de Boboye; que partant, la décision portant leur destitution a été prise par anticipation à la décision judiciaire à intervenir à l'issue de l'instruction et qui les fixera sur leur culpabilité ou non;
Considérant que dans la présente espèce, on ne saurait dissocier la procédure disciplinaire de la procédure judiciaire (pénale), les deux procédures portent sur les mêmes faits et ont été enclenchées concomitamment; qu'il résulte de l'article 35 de l'Ordonnance n° 93-28 susvisé que la destitution d'un chef coutumier suspendu n'interviendrait qu'à l'issue de la poursuite judiciaire pénale
Considérant que, de tout ce qui précède, il y a lieu de constater et de dire que les articles 17 de la Constitution du 9/8/1999 et 35 al 1er de l'Ordonnance n° 33-28 du 30 Mars 1993 ont été effectivement violés;
Que le moyen étant fondé, il y a lieu d'annuler l'arrêté n° 001/PB du 30 janvier 2006 portant destitution des requérants;
PAR CES MOTIFS
LA COUR DECIDE
Article 1er: Le recours en annulation pour excès de pouvoir formé par Ac Ak, Ab Ae et Ak Aj est recevable;
Article 2: L'arrêté n° 001/PB du 30 janvier 2006 du Préfet du Département de Boboye portant destitution de Ac Ak, Ab Ae et Ak Aj est annulé;
Article 3: Les dépens sont mis à la charge du Département de Boboye.
Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour Suprême , Chambre Administrative, les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.
ARRÊT N° 06-24
Du 8 novembre 2006
Administrative
DEMANDEUR :
Ac Ak et 2 autres
Me Ah Ali Sirfi Maiga
X :
Etat du Niger
Me Baadhio Issouf
PRESENTS :
Bouba Mahamane
Président
Adamou Amadou ; Albachir Nouhou Diallo
Conseillers
Sissoko Mory
Ministère Public
Me Nouhou Souley
Greffier
RAPPORTEUR
Albachir Nouhou Diallo