REPUBLIQUE DU NIGER
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Cour Suprême
Chambre Judiciaire
La Cour Suprême, Chambre Judiciaire, statuant pour les affaires civiles en son audience publique ordinaire du jeudi vingt trois novembre deux mille six, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
ENTRE :
Ab Af, commerçant demeurant à Niamey, assisté de Maître Guéro Dan Malam Omar, avocat à la Cour et
Ac Ag, commerçant demeurant à Niamey quartier Banifandou, assisté de Maître Yayé Mounkaila, avocat à la Cour ;
D'une part
ET :
Dame Ai Ae née Aj Aa, ménagère demeurant à Ah, assistée de Maîtres Kimba Manou et Alidou Adam, avocats à la Cour et
Communauté Urbaine de Ah, représentée par le Président du Conseil à Ah , assistée de Maître Moussa Coulibaly
D'autre part
Après lecture du rapport de Monsieur Nouhou Mounkaila, conseiller rapporteur, les conclusions de Monsieur le Procureur Général et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Statuant sur les requêtes en date du 26 novembre 2004, enregistrées au greffe de la Cour d'appel de Niamey sous les n° 29 et 30 par lesquelles Me Omar Dan Malam, avocat à la Cour, conseil constitué de Ak Al et Me Mounkaila Yayé, avocat à la Cour, conseil constitué de Ac Ag formaient pourvoi contre l'arrêt n° 08 du 19-01-2004 de la Cour d'appel de Niamey, statuant en matière civile qui a:
-Reçu les appels de Ac Ag et Dame Ai Ae Aj Aa réguliers en la forme;
-Déclaré irrecevable l'opposition de Ab Af;
-Confirmé le jugement n° 027 du 10-01-2001 du Tribunal Civil de Niamey;
-Condamné Ac Ag, Zila Abdourahamaneet CUN aux dépens;
Vu la loi 2000-10 du 14-8-2000 sur la Cour Suprême;
Vu la loi organique 2004-50 du 22 juillet 2004 sur l'organisation et la compétence des juridictions;
Vu le Code Civil;
Vu la requête de pourvoi, ensemble les pièces du dossier;
Vu les conclusions du Procureur Général;
EN LA FORME
Attendu que seul le pourvoi de Ac Ag a été signifié à toutes les autres parties par exploit du 30 novembre 2004 remplissant ainsi les conditions prévues par la loi 2000-10 du 14-8-2000 sur la Cour Suprême;
Qu'il y a lieu de le déclarer recevable;
AU FOND
Attendu que Ac Ag invoque deux (2) moyens à l'appui de son pourvoi:
Premier moyen tiré de la violation de l'article 2 de la loi organique n° 2004-50 du 22 juillet 2004 sur l'organisation et la compétence des juridictions: défaut de motifs, violation des formes légales en ce que l'arrêt attaqué a opéré une jonction de procédures sans aucune motivation et même sans y faire cas;
Deuxième moyen tiré de la violation de l'article 555 du Code Civil en ce que cet article qui stipule que «lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit.», ne s'applique pas au cas d'espèce car Ab Af qui a dûment et de bonne foi acquis sa propriété de Ac Ag est bien propriétaire du fonds et non tiers surtout que le retrait des parcelles par la Communauté Urbaine a eu pour effet de les faire retomber d'office dans le patrimoine privé de l'Etat qui peut en redisposer nonobstant l'arrêt de la chambre administrative qui est fondé sur des règles de procédure susceptibles d'être couvertes;
Attendu que Me Alidou Adam, conseil de la défenderesse rétorque que:
La jonction de procédure est un acte d'administration judiciaire qui n'est prévu par aucune loi Ad et qui n'affecte en rien le fond du droit ni le droit de celui qui l'invoque;
C'est à bon droit que la Cour a déclaré irrecevable l'opposition de Ab Af sur des motifs édifiants car les relevés de notes d'audience font foi jusqu'à preuve contraire;
L'intégralité de l'alinéa cité de l'article 555 du Code Civil dit en réalité que: «lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec ses matériaux, le propriétaire du fonds a droit ou de les retenir ou d'obliger ce tiers à les enlever.»; l'application qui en a été faite par la Cour d'appel est correcte et correspond à la démarche entreprise par dame Ai qui demande de retenir les constructions édifiées sur la parcelle contre remboursement de leur valeur;
L'annulation de la décision de retrait des parcelles par la chambre administrative de la Cour Suprême a effet erga omnes;
Attendu que la Communauté Urbaine de Niamey n'a pas déposé de mémoire;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué que:
«le recours pour excès de pouvoir est un recours objectif destiné à assurer le rétablissement de la légalité, qui est indivisible; que les décisions qui prononcent une annulation sur recours pour excès de pouvoir ont autorité de la chose jugée, tant à disparition de l'acte contesté à l'égard de tous et avec effet rétroactif celui-ci étant censé n'avoir jamais existé; que le tempérament à ce principe fondé sur la notion de droit acquis par les tiers en vertu de l'équité ne peut se concevoir que dans la mesure où la partie à qui on l'oppose n'a pas attaqué l'acte dans le délai du recours contentieux (CE Sect 26-5-1950, Dirat, Rec.322) ou n'a pas introduit dans les délais, de recours contre la décision de l'administration refusant de le rétablir dans ses droits, auquel cas seule une action en responsabilité peut être engagée (CE Sect.4 février 1955, Rodde, Rec.72; Sect.20 mai 1960, Hennequin, Rec.350); qu'en l'espèce il ressort de l'arrêt du 28-07-1999 de la Cour d'Etat ayant annulé l'arrêté de la CUN du 4-8-1998 qu'aussi bien le recours gracieux devant l'auteur de l'acte que celui contentieux, devant cette juridiction ont été exercés régulièrement et dans les délais.»;
Que la décision du premier juge ayant accueilli la demande de Dame Ai est conforme à l'article 555 du Code Civil;
Sur le premier moyen tiré de la violation de l'article 2 de la loi organique n° 2004-50 du 22 juillet 2004 sur l'organisation et la compétence des juridictions: défaut de motifs, violation des formes légales en ce que l'arrêt attaqué a opéré une jonction de procédure sans aucune motivation et même sans y faire cas:
Attendu que la jonction de procédure est effectivement une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas règlementée;
Que de ce fait les insuffisances de la décision attaquée consistant à opérer une jonction implicite ne peuvent pas donner lieu à cassation;
Sur le deuxième moyen tiré de la violation de l'article 555 du Code Civil en ce que cet article ne s'applique pas au cas d'espèce car Ab Af qui a dûment et de bonne foi acquis sa propriété de Ac Ag est bien propriétaire du fonds et non tiers surtout que le retrait des parcelles par la Communauté Urbaine a eu pour effet de les faire retomber d'office dans le patrimoine privé de l'Etat qui peut en redis poser nonobstant l'arrêt de la chambre administrative qui est fondé sur des règles de procédure susceptible d'être couvertes:
Attendu que l'article 555 du Code Civil dispose in extenso que: «lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'alinéa 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever;
Si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui; le tiers peut, en outre, être condamné à des dommages et intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du fonds.
Si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main d'ouvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouve lesdites constructions, plantations et ouvrages.
Si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations, mais il aura le choix de rembourser aux tiers l'une ou l'autre des sommes visées à l'alinéa précédent»;
Attendu que le jugement du 10 janvier 2001 a conclu à la nullité de la vente intervenue entre la Communauté Urbaine de Niamey et Ac Ag comme conséquence de l'annulation de l'arrêté de retrait de la parcelle litigieuse; que la nullité de cette vente fait que celle intervenue entre Ac Ag et Ab Af devient sans objet, comme si le premier a vendu au second une chose appartenant à autrui;
Attendu que ce jugement a été confirmé par l'arrêt querellé en ce qu'il a fait application de l'article 555 al 3 du Code Civil qui dispose que: «si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main d'ouvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouve lesdites constructions, plantations et ouvrages»;
Attendu que de tout ce qui précède, il y a lieu de relever que la solution du litige se trouve dans la détermination de celui qui est tiers et celui qui est propriétaire du fonds après avoir répondu efficacement à la question de la conséquence à tirer de l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif;
Attendu qu'en l'espèce il s'agit de savoir si l'arrêt n° 10/99/CH/ADM/CE du 28-7-1999 qui a annulé l'arrêté n° 042 du 4-8-1998 portant retrait des parcelles pour violation de la procédure de retrait et de notification des actes administratifs entraîne automatiquement l'annulation des ventes des parcelles faite à d'autres personnes par la Communauté Urbaine de Niamey;
Attendu que si le principe est que les actes annulés pour excès de pouvoir sont réputés n'être jamais intervenus, il faut admettre que ce principe souffre de certaines atténuations;
Que c'est ainsi qu'il est d'abord admis que l'acte annulé pour un vice de procédure peut être repris par l'administration en respectant les formes violées, qu'ensuite il n'est pas admis que l'annulation d'une décision porte atteinte au droit acquis des tiers dans le souci d'assurer la stabilité des situations juridiques;
Attendu que dans tous les cas il appartient à l'administration de combler le vide né de l'annulation en reprenant l'acte si c'est possible, en remettant le requérant dans la situation antérieure si c'est possible également, sinon en apportant une compensation pécuniaire si elle est dans l'incapacité d'exécuter la décision de justice ou si elle se trouve dans l'impossibilité de respecter les droits acquis des tiers pour exécuter la décision du juge;
Attendu que le cas d'espèce révèle que l'annulation est de pure forme, que l'administration aurait pu valablement la reprendre, qu'elle ne comporte aucune disposition contraignante de fond attribuant propriété des terrains litigieux;
Attendu que dans son exploit introductif d'instance Dame Ai demandait au Tribunal de dire que Ab Af occupe la parcelle sans droit ni titre;
Attendu que c'est sur la base d'une convention de vente que les constructions ont été édifiées; qu'il ne peut donc être considéré comme tiers au regard de l'article 555 du Code Civil qui se trouve par conséquent violé;
PAR CES MOTIFS
Déclare le recours de Ac Ag recevable et le recours de Ab Af irrecevable;
Casse et annule l'arrêt n° 08 du 19 janvier 2004 de la Cour d'appel de Niamey;
Renvoie la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée;
Condamne Dame Ai Ae née Aj Aa aux dépens;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.
ARRÊT N° 06-283/C
Du 23 novembre 2006
MATIERE : Civile
DEMANDEUR :
Ab Af et
Ac Ag
Me Guéro Dan Malam Omar
Me Yayé Mounkaila
A :
Dame Ai Ae née Aj Aa et CUN
Me Kimba Manou
Me Alidou Adam
Me Moussa Coulibaly
PRESENTS :
Dillé Rabo
Président
Nouhou Mounkaila ; Adamou Amadou
Conseillers
Ousmane Oumarou
Ministère Public
Me Gado Fati Founou
Greffier
RAPPORTEUR
Nouhou Mounkaila