REPUBLIQUE DU NIGER
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Cour Suprême
Chambre Judiciaire
La Cour Suprême, Chambre Judiciaire, statuant pour les affaires civiles en son audience publique ordinaire du jeudi vingt huit décembre deux mille six, tenue au palais de ladite Cour, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
ENTRE :
X A, assistée de Maître Marc LEBIHAN, Avocat à la Cour
D'une part
ET Y
B C Ab, Commerçant demeurant à Niamey, assisté de Maître Yahaya Abdou, Avocat à la Cour
D'autre part
Après lecture du rapport de Monsieur Nouhou Hamani Mounkaila, conseiller rapporteur, les conclusions de Monsieur le Procureur Général et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Statuant sur les requêtes en date des 16 et 30 août 2005 déposées aux greffes du Tribunal Régional de Niamey et de la Cour d'Appel de Niamey et enregistrées au greffe de la Cour suprême les 7 septembre et 9 décembre 2005 sous les n°0397 et 0544, par lesquelles Maître Marc Le Bihan avocat à la cour, conseil constitué de la Bank Of Africa-Niger (BOA-Niger), formait pourvoi respectif contre le jugement n°501 du 8-12-2004 du Tribunal régional de Niamey et l'arrêt n°100 du 6 juin 2005 de la Cour d'Appel de Niamey;
Vu la loi 2000-10 du 14 août 2000 sur la Cour Suprême;
Vu la loi organique n°2004-50 du 22 juillet 2004 sur l'organisation et la compétence des juridictions;
Vu le code civil;
Vu la requête de pourvoi, ensemble les pièces du dossier;
Vu les conclusions du Procureur Général;
Attendu que le 08 octobre 2004 B C Ab assignait la BOA Niger en requête civile avec signification des pièces devant le Tribunal régional de Niamey statuant en matière civile et commerciale pour
En la forme, déclarer recevable la présente requête civile conformément aux articles 480 et suivants du code de procédure civile;
Au fond, la déclarer fondée et en conséquence:
1°) ordonner la rétractation du procès-verbal de conciliation n°272/03 signé le 14 octobre 2003 par devant le président du Tribunal Régional de Niamey;
2°) ordonner la remise des parties dans l'état où elles étaient avant l'avènement dudit procès-verbal;
3°) ordonner à la BOA la restitution au requérant du montant déjà perçu en exécution du procès-verbal sous astreinte de 500000 F par jour de retard;
4°) S'entendre BOA condamner aux entiers dépens;»
Il exposait au tribunal qu'il est titulaire d'un compte courant à la Bank Of Africa (BOA-Niger);
Qu'étant analphabète, il a recruté un comptable du nom de Ad Ac lequel effectuait quelques opérations courantes pour lui;
Qu'il a été surpris de voir un chèque de 20000000 (Vingt millions) F CFA émis à l'ordre des ses partenaires rejeté faute de provision;
Qu'ensuite une mise en demeure lui fut adressée par la BOA-Niger à l'effet de payer 44.564.376 F;
Que c'est à cette occasion qu'il s'est rendu compte de ce que Ad Ac détournait des sommes qu'il était censé verser et imitait sa signature pour encaisser des chèques;
Que c'est à cette même occasion qu'il apprenait qu'un découvert de 43.332.500 F lui aurait été accordé le 06 janvier 2003;
Que le 6 juin 2003, une première plainte a été déposée et sur insistance de la BOA, il a accepté de transiger ce qui permettait la signature d'un procès-verbal de conciliation le 14 octobre 2003 par devant le Président du Tribunal Régional de Aa assisté du greffier en chef près ladite juridiction sur la base de quoi il versa 13300000 F Cfa à la BOA-Niger;
La BOA-Niger soutient pour sa part l'incompétence du tribunal de Niamey pour rétracter par voie de requête civile un procès-verbal de conciliation judiciaire, fruit d'une transaction mutuellement voulue par les parties; que l'article 480 du code de procédure civile ne vise pas une telle hypothèse et qu'à défaut il fallait respecter les dispositions de l'article 5 du code de procédure civile stipulant que: «la requête civile sera, à l'égard de moyens signifiée avec assignation dans les deux mois de la prononciation du jugement s'il est contradictoire et dans les deux mois à compter du jour où l'opposition ne sera plus recevable s'il est par défaut»;
Attendu que par jugement n°501 du 8-12-2004 le Tribunal Régional de Niamey a disposé ainsi qu'il suit:
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en premier ressort:
EN LA FORME
In limine litis se déclare incompétent;
Rejette l'exception de communication de pièces soulevée par Me YAHAYA Abdou, avocat de C Ab;
Déclare recevable la requête civile de C Ab;
AU FOND
La déclare fondée;
Ordonne la rétraction du procès-verbal de conciliation n°272/03 signé le 14 octobre 2003par devant le Président du Tribunal Régional de Niamey;
Ordonne à BOA Niger de restituer à C Ab la somme de 13300000 F CFA versée en exécution du procès-verbal en cause sous astreinte de 500000 F par jour de retard;
Condamne BOA Niger à lui verser la somme de 4000000 F CFA (quatre millions de francs CFA) à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudice confondues;
Rejette la demande reconventionnelle de BOA Niger;
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision dans toutes ses dispositions sur minutes et avant enregistrements;
Condamne BOA aux entiers dépens;
Avis d'appel donné: 2 mois
Attendu que par exploit du 17 décembre 2004 Maître Mahamane Moussa MAIGA, huissier de justice à Aa, la Bank Of Afrida-Niger (BOA-Niger) représentée par son Directeur Général, assisté de Maître Marc Le Bihan, avocat à la cour interjetait appel de ce jugement et demande à la Cour de déclarer recevable son appel motifs pris de ce que d'une part le jugement attaqué a indiqué qu'il est statué en premier ressort et que les parties ont deux (2) mois pour relever appel, d'autre part que la Cour d'Appel a accordé des défenses à exécution provisoire dudit jugement et qu'enfin aucun texte n'interdisait le recours ainsi exercé;
Attendu que la Cour d'Appel Aa dans son arrêt n°100 du 6 juin 2005 a déclaré l'appel irrecevable au motif principal que le jugement de rétractation rendu sur requête civile, comme en l'espèce, n'est pas susceptible d'appel, mais seulement de pourvoi en cassation;
Attendu que par requêtes en dates des 16 et 30 août 2005 déposées au greffes du Tribunal Régional de Niamey et de la Cour d'Appel de Niamey et enregistrées au greffe de la Cour Suprême les 7 septembre et 9 décembre 2005 sous les n°0397 et 0544, Maître Marc Le Bihan avocat à la Cour, conseil constitué de la Bank Of Africa-Niger (BOA-Niger) formait pourvoi respectif contre le jugement et l'arrêt susvisés.
Attendu que ces requêtes signifiées au défendeur par exploits d'huissier en date du 07 septembre 2005;
EN LA FORME
Attendu que les deux pourvoi concernant les mêmes parties et ont le même objet; qu'il y a lieu de les joindre et de statuer par un seul et même arrêt;
Attendu que l'article 34 de la loi 2000-10 du 14-08-2000 dispose que «Sous peine d'irrecevabilité, le pourvoi est formé par requête écrite et signée par les parties. dans le délais d'un mois, lequel court à compter du jour de la signification de la décision; lorsque cette signification a été faite à personne ou à domicile, et du jour où l'opposition n'est plus recevable lorsqu'il s'agit d'un jugement par défaut»;
Attendu que l'arrêt n°100 du 10 juin 2005 a été signifié le 1er août 2005; que le pourvoi dirigé contre lui a été déposé le 30 août 2005, qu'il y a lieu de déclarer recevable en la forme;
Attendu que le défendeur au pourvoi soulève l'exception d'irrecevabilité du pourvoi contre le jugement n°501 du 8 décembre 2004 du Tribunal Régional de Niamey pour cause de forclusion comme étant intervenu hors du délai d'un mois prévu à l'article 34 de la loi n° 2000-10 du 14 août 2000 sur la Cour Suprême;
Qu'à l'appui de sa demande B C Ab soutient que le jugement attaqué a été signifié à la requérante le 29 mars 2005 et qu'elle n'a formé son pourvoi que le 16 août 2005;
Mais attendu qu'il résulte des pièces du dossier que cette signification était intervenue en cours d'appel, le jugement attaqué ayant été déféré devant la Cour d'appel parce qu'il a été rendu en premier ressort et donner à la requérante le droit de relever appel dans les délais des deux mois prescrits par la loi;
Attendu qu'il ressort de l'article 2 alinéa 3 de la loi organique n°2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l'organisation et la compétence des juridictions en République du Niger entrée en vigueur au moment où les décisions querellées étaient rendues que: «Toutes les décisions doivent obligatoirement mentionner l'avertissement donné par le Président de la juridiction aux parties comparantes de leur droit de recours ainsi que du délai et de la forme dans lesquels il peut être exercé. Lorsque l'avertissement n'a pas été donné, le recours formé hors délai ou sous une forme irrégulière est déclaré recevable.»;
Qu'il y a lieu dès lors de recevoir en la forme le pourvoi formé contre le jugement querellé;
AU FOND
Attendu que la requérante invoque à l'appui de son pourvoi un moyen unique de cassation pris de la violation de la loi, manque de base légale en deux branches:
Violation de l'article 453 alinéa 2 du code de procédure civile
Violation de l'article 5, 480 du code de procédure civile:
Sur la première branche du moyen pris de la violation de l'article 453 alinéa 2 du code de procédure civile en ce que l'arrêt attaqué pour déclarer irrecevable l'appel s'est contenté de viser ce texte inapplicable au cas d'espèce car prévu dans le titre II intitulé «De l'appel en matière commerciale» du livre troisième du code de procédure civile; que l'article 453 alinéa 2 ne concerne donc pas l'appel en matière civile, mais plutôt l'appel en matière commerciale;
Que l'appel en matière civile est régi par le titre premier du livre troisième du code de procédure civile; que la requête civile, voie extraordinaire, est régie par des règles spéciales et qu'il est d'un principe général du droit que les règles spéciales dérogent aux règles générale;
Attendu que l'article 453 al 2 du code de procédure civile dispose que: «Ne seront recevables les appels des jugements rendus sur des matières dont la connaissance en dernier ressort appartient aux Iers juges, mais qui auraient omis de qualifier ou qu'ils auraient qualifiés en premier ressort»;
Attendu que pour Abdoulaye la cour a fait une juste application de la loi;
Que quelque soit la matière les principes sont les mêmes;
Que d'ailleurs l'article incriminé régi bien la matière civil car en se référant au code il apparaît que les seuls articles spécifiques au code de commerce, 644 à 648 sont suivies de l'abréviation Cco contrairement à l'article 453 qui est suivi du signe CPC;
Que dans le cas présent la règle posée par l'article 453 est salutaire en ce qu'elle évite des confusions procédurales inextricables qui pourraient conduire une juridiction incompétente à se saisir quand même d'un litige tout simplement parce qu'un avis erroné a été donné par la juridiction inférieure;
Attendu que l'arrêt querellé est ainsi motivé:
«..Attendu que les articles 480 et 490 susvisé n'autorisent donc la requête civile qu'à l'égard des jugements rendus en dernier ressort et prescrivent qu'elle soit portée au tribunal où le jugement attaqué a été rendu; qu'il résulte ainsi de la combinaison de ces dispositions que la voie de l'appel n'est pas ouverte contre le jugement de rétractation qui a statué sur requête civile, peu important que par mégarde et en violation de la loi ledit jugement énonce qu'il a été statué en premier ressort ou comporte mention du délai d'appel, ces erreurs ne pouvant constituer des dérogations aux dispositions légales impératives en la matière;
....Attendu que des développements qui précèdent, il en résulte que le jugement de rétractation rendu sur requête civile, comme en l'espèce, n'est pas susceptible d'appel, mais seulement de pourvoi en cassation (C. cass ch. Civ ,2è Section Civ; 27 Nov. 1952, D. 1953, 91; Ch. Civ. 3 janvier 1923)...»
Attendu qu'à l'analyse il apparaît que le problème est né du dispositif du jugement n° 501 du 8-12-2004 du tribunal régional de Aa qui a statué en premier ressort et donné avis des deux mois du délai d'appel dans une matière où l'appel bien que n'étant pas expressément interdit par la loi est prohibé par la jurisprudence et la doctrine de part le fait que les décisions susceptibles d'être attaquées par voie de la requête civile doivent être des jugements rendus en dernier ressort.
Qu'ainsi l'arrêt de la Cour d'Appel qui déclare irrecevable l'appel en se fondant expressément sur la jurisprudence et implicitement sur l'art 453 alinéa 2 ne peut se voir reprocher une violation de la loi fondée sur ce texte;
Attendu cependant que l'art 2 alinéa 3 de la loi organique n°2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l'organisation et la compétence des juridictions en République du Niger entrée en vigueur au moment où les décisions querellées étaient rendues dispose que: «Toutes les décisions doivent obligatoirement mentionner l'avertissement donné par le Président de la juridiction aux parties comparantes de leur droit de recours ainsi que du délai et de la forme dans lesquels il peut être exercé. Lorsque l'avertissement n'a pas été donné, le recours formé hors délai ou sous une forme irrégulière est déclaré recevable.»;
Attendu qu'il pèse sur le juge l'obligation de donner aux parties les formes et délais de recours avec la nouveauté que la défaillance dans l'exécution de cette obligation et les conséquences négatives éventuelles ne seront plus supportées par le justiciable requérant contrairement aux dispositions de l'article 453 alinéa 2 du code de procédure civile;
Qu'il y a donc une incompatibilité certaine entre ces deux textes qui se règle par la prévalence des dispositions de la loi d'organisation judiciaire qui sont d'ordre public et d'application immédiate et du principe de l'abrogation tacite résultant de ce que les dispositions nouvelles sont inconciliables avec les anciennes et incompatibles avec leur maintien;
Sur la deuxième branche du moyen pris de la violation des articles 5(D.29août 1863)
et 480 (Livre IV Titre II: de la requête civile) du code de procédure civile;
Attendu qu'aux termes des articles 5 et 480 du code de procédure civile complétés par une jurisprudence constante la requête civile est une voie de recours en rétractation dirigée contre les jugements contradictoires rendus en dernier ressort et les jugements de défaut contre lesquels l'opposition n'est plus recevable; elle n'est suivie que contre les décisions des juridictions civiles et assimilées qui ont un caractère contentieux et définitif;
Attendu que de ce qui précède un procès-verbal de conciliation même établi devant un juge et visé par celui-ci ne saurait avoir la qualité de jugement faute d'avoir un caractère contentieux;
Attendu que le procès-verbal de conciliation objet du litige est une convention dont la remise en cause ne peut obéir qu'aux règles régissant
les contrats;
Qu'il y a lieu de casser et annuler l'arrêt et le jugement attaqués sans renvoi;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Ordonne la jonction des deux procédures;
Déclare le pourvoi recevable
Casse et annule le jugement n°501 du 8-12-2004 du Tribunal régional de Niameyet l'arrêt n°100 du 6 juin 2005 de la Cour d'appel de Niamey sans renvoi;
Condamne B C Ab aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.
ARRÊT N° 06-308/Civ
Du 28 décembre 2006
MATIERE : Civile
DEMANDEUR :
BOA NIGER
Me Marc LEBIHAN
Z Y
B C Ab
Me Yahaya Abdou
PRESENTS :
Dillé Rabo
Président
Nouhou Hamani Mounkaila ; Albachir Nouhou Diallo
Conseillers
Ousmane Oumarou
Ministère Public
Me Hamadal Moumine ISSOUFOU
Greffier
RAPPORTEUR
Nouhou Hamani Mounkaila