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Demande d’Avis n° 001/2015/AC de la République du BENIN
AVIS N° 03/2015 du 05 novembre 2015
SEANCE DU 05 NOVEMBRE 2015
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, réunie en formation plénière à son siège le 05 novembre 2015,
Vu le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, notamment en ses articles 10 et 14 ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage (CCJA), notamment en ses articles 9, 53, 54, 55 et 58 ; Vu la demande d’avis consultatif de la République du BENIN, présentée
par lettre n° 0838/MJLDH/DC/SGM/DLCS/SP-C en date du 23 décembre 2014 du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme, enregistrée au greffe de la Cour le 12 janvier 2015 sous le n°001/2015/AC, et libellée en ces termes :
« En application des dispositions de l’article 14 alinéas 1 et 2 du Traité du
17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires tel que révisé à Québec le 17 octobre 2008, et de l’article 54 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, j’ai l’honneur de soumettre à la Cour la présente au nom de l’Etat de la République Bénin en vue d’obtenir votre avis consultatif sur les problèmes posés par le concours du Système Comptable Ouest Africain (SYSCOA) et de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises et son annexe, le Système Comptable OHADA.
FAITS ET PROCEDURE :
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Le 24 mars 2000, le Conseil des Ministres de l’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a adopté l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises.
L’article 113 de cet Acte uniforme dispose « Le présent Acte uniforme auquel est annexé le Système comptable OHADA sera publié au Journal Officiel de l’OHADA et des Etats parties. Il entrera en vigueur :
- pour les « comptes personnels des entreprises », le 1er janvier 2001 : opérations et comptes de l’exercice ouvert à cette date ;
- pour les « comptes consolidés » et les « comptes combinés », le 1er janvier 2002 : opérations et comptes de l’exercice ouvert à cette date ».
Les entreprises installées dans l’un quelconque des Etats parties au Traité de
l’OHADA sont donc tenues d’harmoniser leur comptabilité selon les règles du droit comptable du système comptable OHADA. L’OHADA confirme ainsi la force obligatoire des Actes uniformes et leur supériorité sur les normes juridiques existantes et mêmes futures (cf. article 112 de l’Acte uniforme).
Tenant compte de cette évolution juridique dans l’espace de l’OHADA, et en
vue d’assurer la compatibilité du Système comptable de l’UEMOA avec l’Acte uniforme de l’OHADA portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, un nouveau Règlement n°72001/CM/UEMOA du 20 septembre 2001 a été adopté par l’UEMOA. Il a pour objet de modifier les articles 11, 13, 38, 56, 70, 72, 73, 74, 89, 97, 98, 103, 104, 108 et 111 du Règlement n°04/96/CM/UEMOA du 20 décembre 1996 portant adoption d’un référentiel comptable commun au sein de l’UEMOA.
Depuis lors, le système comptable de l’UEMOA et celui de l’OHADA
coexistent, étant entendu qu’il n’existe aucune disposition contraire du Système Comptable UEMOA par rapport à celui de l’OHADA.
Mais le 28 juin 2013, l’UEMOA, après révision du Système Comptable de
l’Ouest Africain (SYSCOA), a adopté un nouveau Règlement n°5/CM/UEMOA modifiant le Règlement n°04/96/CM/UEMOA du 20 décembre 1996 portant adoption d’un Règlement comptable commun au sein de l’UEMOA. Ce système comptable a apporté des modifications substantielles aux articles 8, 11, 13, 25, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 37, 38, 45 et 54 du système comptable de l’UEMOA préexistant.
Désormais force est de constater que le système comptable de l’UEMOA est
contraire, tant dans la forme que dans le fond à celui institué par l’Acte uniforme de l’OHADA portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises.
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Pourtant, ce nouveau système comptable de l’UEMOA a été mis en exécution
par le Règlement d’exécution n°005/2014/COM/UEMOA portant détermination des modalités d’application du référentiel comptable commun au sein de l’UEMOA en date du 30 mai 2014 pour prendre effet à compter du 1er janvier 2014.
Le droit comptable devient ainsi aléatoire dans l’espace territorial couvert à
la fois par l’UEMOA et l’OHADA. Une telle situation place les entreprises dans le désarroi parce que les principes comptables et la nomenclature des états financiers ont été substantiellement modifiés et ne sont plus conformes aux règles du droit OHADA auxquelles se réfère le commissaire aux comptes pour la certification des comptes des entreprises dans l’espace OHADA.
La coexistence dans l’espace OHADA d’un autre référentiel contraire à celui
de l’OHADA peut conduire à l’insécurité juridique ; ce qui pourrait remettre en cause le principe d’harmonisation posé par le Droit OHADA.
La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement (CCEG) de l’OHADA,
qui s’est tenue à Ouagadougou le 17 octobre 2013, a relevé la contrariété des deux référentiels comptables dans l’espace géographique OHADA et instruit le Conseil des Ministres de poursuivre la révision de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises pour en faire « l’unique référentiel en vigueur dans les Etats parties ».
A la suite du CCEG, le Conseil des Ministres de l’OHADA qui s’est tenu les
30 et 31 janvier 2014 à Ouagadougou a rappelé la résolution prise par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OHADA à l’occasion de leur réunion du 17 octobre 2013, en vertu de laquelle le système comptable OHADA « devait constituer l’unique référentiel comptable en vigueur dans l’espace OHADA » et « invité toutes les instances concernées à s’y conformer ».
Il reste que l’unification décidées par la Conférence des Chefs d’Etats et de
Gouvernement n’est pas réalisée à ce jour. C’est pourquoi, la République du Bénin sollicite l’avis de la Haute Cour de
céans sur les questions suivantes : A- Article 112 de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation
des comptabilités des entreprises : « Sont abrogées à compter de la date
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d’entrée en vigueur du présent Acte uniforme et son Annexe toutes les dispositions contraires ».
Question 1 : L’article 112 de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises impose-t-il la supériorité des règles de l’OHADA sur les règles et les systèmes comptables existants et futurs ? Question 2 : Quel système comptable appliquer dans les Etats parties au Traité relatif à l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires ?
B- Selon l’Acte Uniforme de l’OHADA portant sur le Droit Commercial Général :
Article 13 : « Tout commerçant, personne physique ou morale, doit tenir un journal enregistrant au jour le jour ses opérations commerciales. Il doit également tenir un Grand Livre, avec balance générale récapitulative, ainsi qu’un livre inventaire. Ces livres doivent être tenus conformément aux dispositions de l’Acte uniforme relatif à l’organisation et à l’harmonisation des comptabilités des entreprises Tout commerçant, personne physique ou morale, doit en outre respecter les dispositions prévues par l’Acte uniforme relatif au Droit des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique, et l’Acte uniforme relatif à l’organisation et l’harmonisation des comptabilités des entreprises ». C- Selon l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique.
Article 137 : « A la clôture de chaque exercice, le gérant ou le conseil d’administration ou l’administrateur général, selon le cas, établit et arrête les états financiers de synthèse conformément aux dispositions de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises ». Article 140 : « Dans les sociétés anonymes et, le cas échéant, dans les sociétés à responsabilité limitée, les états financiers de synthèse annuels et le rapport de gestion sont adressés aux commissaires aux comptes… Ces documents sont présentés à l’assemblée générale de la société statuant sur les états financiers de synthèse… ».
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Article 269 : « Les sociétés commerciales sont tenues de déposer au greffe du tribunal pour être annexés au registre du commerce et du crédit mobilier, dans le mois qui suit leur approbation par l’assemblée générale des actionnaires, les états financiers de synthèse, à savoir le bilan, le compte de résultat, le tableau financier des ressources et emplois et l’état annexé de l’exercice écoulé ».
Article 710 : « Le commissaire aux comptes certifie que les états financiers sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat et des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice ».
D- Selon l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises :
Article 890 : « Encourent une sanction pénale, les dirigeants sociaux qui auront sciemment, même en l’absence de distribution de dividendes, publié ou présenté aux actionnaires ou associés, en vue de dissimuler la véritable situation de la société, des états financiers de synthèse ne donnant pas, pour chaque exercice, un image fidèle des opérations de l’exercice, la situation financière et du patrimoine de la société, à l’expiration de cette période ».
Question 3 : Les dispositions ci-dessus citées des Actes uniformes font obligation aux commerçants personnes physiques et morales d’établir tous les ans leurs états financiers de synthèse. Les états financiers dont il s’agit doivent-ils être établis impérativement et exclusivement selon les modèles fixés par les dispositions des articles 8 et 25 à 34 de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises ou selon les règles et principes comptables du Système comptable de l’Ouest africain révisé le 30 mai 2014 et mis application dans les Etats de l’UEMOA ? Question 4 : Quelle valeur juridique peut-on accorder à un référentiel comptable mis en application dans les Etats parties à l’OHADA et contraire au droit comptable de l’OHADA ? Question 5 : Le commissaire aux comptes peut-il fonder son opinion sur un référentiel comptable contraire au référentiel comptable de l’OHADA pour certifier les états financiers de synthèse d’une entreprise dans l’espace OHADA ?
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E- Selon l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises :
Article 8 : « Les états financiers annuels comprennent le Bilan, le Compte de résultat, le Tableau financier des ressources et des emplois, ainsi que l’Etat annexé. Ils forment un tout indissociable et décrivent de façon régulière et sincère les évènements, opérations et situations de l’exercice pour donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Ils sont établis et présentés conformément aux dispositions des articles 25 et 34 ci-après, de façon à permettre leur comparaison dans le temps, exercice par exercice, et leur comparaison avec les états financiers annuels des autres entreprises dressés dans les mêmes conditions de régularité, de fidélité et de comparabilité ».
Question 6 : Peut-on présenter dans l’espace OHADA des états financiers sans le Tableau financier des ressources et des emplois (TAFIRE) mais avec un autre document appelé Tableau des flux de trésorerie dont le contenu est différent du TAFIRE, préconisé par l’article 8 de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises ?».
Vu les observations de la République du Togo, de la République BURKINA
FASO et de la République du CAMEROUN en dates respectives des 20 mai, 23 juin et 02 juillet 2015 ;
Sur le rapport de Monsieur Mamadou DEME, Juge ; EMET L’AVIS CI-APRES :
1 - Sur la première question : En abrogeant, à partir de sa date d’entrée en vigueur, toutes les dispositions
contraires aux siennes dans les Etats-parties, l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, en son article 112, impose en effet la supériorité des règles de l’OHADA sur les règles et les systèmes comptables existants et futurs dans les Etats-parties au Traité.
2- Sur les deuxième et quatrième questions :
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L’objectif spécifique de l’OHADA est d’harmoniser le droit des affaires, dont le droit comptable est une des branches. Les personnes physiques ou morales commerçantes ayant leur établissement ou leur siège social dans un Etat partie au Traité de Port-Louis sont exclusivement régies, tant dans leur forme que dans leur fonctionnement, par les dispositions de l’Acte uniforme sur le droit commercial général, notamment en ses articles 13 et 15 et de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, notamment en ses articles 137, 140, 269, 710 et 890.
Toutes les dispositions précitées faisant obligation aux entreprises ayant leur
siège ou leur établissement dans un Etat-partie au Traité de Port-Louis, d’harmoniser leurs comptabilités conformément aux dispositions de l’Acte uniforme relatif à l’organisation et à l’harmonisation des comptabilités des entreprises, le système comptable de l’OHADA demeure le seul applicable dans lesdits Etats, tout autre référentiel y étant dépourvu de valeur juridique.
3- Sur les troisième, cinquième et sixième questions : En conséquence de ce qui précède, les états financiers de synthèse des
entreprises ayant leur siège ou leur établissement dans un Etat partie au Traité de l’OHADA doivent être établis impérativement et exclusivement selon les modèles fixés par les dispositions des articles 8 et 25 à 34 de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises ; et l'intervention du commissaire aux comptes doit se faire sur la base des états financiers établis conformément au référentiel comptable de l’OHADA, tous documents financiers établis sur d'autres bases devant faire l'objet d'un refus de certification.
Le présent Avis a été émis par la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage de l’OHADA en sa séance du 05 novembre 2015 à laquelle étaient présents :
Messieurs Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA, Président
Abdoulaye Issoufi TOURE, Premier Vice-Président Namuano Francisco DIAS GOMES, Juge
Victoriano ABOGO OBIANG, Juge Mamadou DEME, Juge-rapporteur Idrissa YAYE, Juge Djimasna N’DONINGAR, Juge Birika Jean Claude BONZI, Juge Diehi Vincent KOUA, Juge Fodé KANTE, Juge César Apollinaire ONDO MVE, Juge
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Robert SAFARI ZIHALIRWA, Juge et Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef ;
Ont signé :
Le Président
Le Greffier en chef
Pour expédition établie en huit (08) pages par Nous, Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef de ladite Cour.
Fait à Abidjan, le 25 novembre 2015 Maître Paul LENDONGO