ARBITRAGE – AUA
ARBITRAGE INSTITUTIONNEL DE LA CCJA – INAPLICABILITE DE L’AUA – IMPOSSIBILITE DE DEROGER AUX DISPOSITIONS REGISSANT L’ARBITRAGE INSTITUTIONNEL – HONORAIRES – FIXATION ET MODULATION EXCLUSIVEMENT PAR LA COUR ELLE–MEME ET NON PAR LES ARBITRES ET LES PARTIES – TRIBUNAL AYANT ECARTE DES DISPOSITIONS DU REGLEMENT D’ARBITRAGE DE LA CCJA – HONORAIRES AUGMENTES PAR LES ARBITRES ET REGLES PAR LA PARTIE AU BENEFICE DE LAQUELLE LA SENTENCE A ETE RENDUE : NON RESPECT DE SA MISSION PAR LE TRIBUNAL – ANNULATION DE LA SENTENCE
Il résulte des dispositions combinées des articles 24.2, 24.3, 25.1 du Règlement d’arbitrage de la CCJA et 9 de la Décision n°004/99/CCJA du 3 février 1999 relative aux frais d’arbitrage visés que dans l’arbitrage sous l’égide de la CCJA, les honoraires des arbitres sont exclusivement fixés par la Cour, conformément au barème annexé à la Décision n°004/99/CCJA du 3 février 1999. La Cour peut fixer les honoraires des arbitres à un montant supérieur ou inférieur à ce qui résulterait de l’application de ce barème, si les circonstances de l’espèce le rendent exceptionnellement nécessaire ; mais tout accord séparé entre les parties et l’arbitre sur ses honoraires est nul et de nul effet. Ces dispositions ont pour objet de garantir aux parties qui ont décidé de soumettre leur litige à l’arbitrage de la Cour, le paiement d’honoraires prévisibles, proportionnels à la valeur réelle du litige et déterminés selon un barème connu à l’avance. Les dispositions de l’article 10 de l’AUA ne sont pas applicables à un arbitrage sous l’égide de la CCJA, qui est soumis au seul Règlement d’arbitrage de ladite Cour. Il résulte des dispositions de l’article 10.1 du Règlement d’arbitrage de la CCJA que « Lorsque les parties sont convenues d’avoir recours à l’arbitrage de la Cour, elles se soumettent par là même aux dispositions du titre IV du Traité de l’OHADA, au présent Règlement, au Règlement intérieur de la Cour, à leur annexes et au barème des frais d’arbitrage, dans leur rédaction en vigueur à la date de l’introduction de la procédure d’arbitrage indiquée à l’article 5 ci- dessus ». En conséquence, ne s’est pas conformé à sa mission et a exposé sa sentence à l’annulation, le tribunal arbitral qui a délibérément écarté des dispositions essentielles du Règlement d’arbitrage auquel les parties ont convenu de soumettre le traitement de leur différend par la clause compromissoire insérée dans leur contrat. Il en est ainsi lorsqu’à la suite de la fixation par la Cour du montant des honoraires des arbitres, le président du tribunal arbitral a
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directement négocié avec les conseils des parties en litige et obtenu leur accord pour que le montant desdits honoraires soit revu à la hausse ; qu’ayant ensuite saisi la CCJA pour obtenir la régularisation de cette majoration, ses requêtes ont été à deux reprises et que nonobstant ces décisions de refus, le président du tribunal arbitral a obtenu de la partie au bénéfice de laquelle la sentence a été rendue, le paiement de sa quote-part sur la somme réclamée, outre la condamnation de cette dernière au paiement de la quote-part de la partie ayant succombé dans l’arbitrage. ARTICLE 10 AUA ARTICLE 10 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA ARTICLE 24 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA ARTICLE 25 REGLEMENT D’ARBITRAGE CCJA ARTICLE 9 DECISION N°004/99/CCJA DU 3 FÉVRIER 1999 RELATIVE AUX FRAIS D’ARBITRAGE
CCJA, Ass. plén., n° 139/2015 du 19 novembre 2015 ; Rec. n° 130/2014/PC du 25/07/2014 : République de Guinée c/ GETMA International.
Arrêt N° 139/2015 du 19 novembre 2015
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a rendu, en Assemblée plénière, l’arrêt suivant en son audience publique du 19 novembre 2015 où étaient présents :
Messieurs Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA, Président
Abdoulaye Issoufi TOURE, Second Vice-président Namuano F. DIAS GOMES, Juge Victoriano OBIANG ABOGO, Juge Mamadou DEME Juge-rapporteur Idrissa YAYE, Juge Djimasna N’DONINGAR, Juge
Birika Jean Claude BONZI, Juge Diehi Vincent KOUA, Juge Fodé KANTE, Juge César Apollinaire ONDO MVE, Juge Robert SAFARI ZIHALIRWA, Juge
et Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef ; Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 25 juillet 2014 sous le numéro
130/2014/PC, formé par la République de Guinée, représentée par l’Agent Judiciaire de l’Etat, B.P : 1005-Conakry, ayant pour conseils Maîtres Mamadou TRAORE et Christophe BIRBA, avocats au Barreau du Burkina Faso, 11 Place Naba Koom, 11 BP 721CMS-Ouagadougou, ainsi que Maîtres Pascal AGBOYIBOR et Laurent JAEGER, avocats au Barreau de Paris, 31 avenue Pierre 1er de Serbie, 75116-Paris, France, dans la cause qui l’oppose à la société GETMA International, société par actions simplifiée dont le siège social est au 66, rue Pierre Charron, 75008-Paris, France, ayant pour conseils Maître Mamadou KONATE, avocat au
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Barreau du Mali et le cabinet d’avocats FISCHER, TANDEAU DE MARSAC, SUR et ASSOCIES, avocats au Barreau de Paris, 67 Bd Malesherbes, 75008-Paris, France,
en contestation de validité de la sentence arbitrale rendue le 29 avril 2014 dans l’affaire n°001/2011/ARB du 10 mai 2011, dont le dispositif est le suivant :
« 1- Rejette la demande de la République de Guinée de bénéficier d’un délai de quatre mois pour réunir les preuves de la corruption alléguée à l’encontre de la société GETMA international SAS ;
Statuant au fond,
2- Dit irrégulière la résiliation de la Convention de mise en concession du Terminal à conteneurs conclue le 22 septembre 2008 entre la République de Guinée et la Société GETMA International SAS ;
3- Constate que, du fait de la nouvelle convention de concession conclue le 11 mars 2011 avec BAL ou toute autre société du Groupe BOLLORE, le retour au statu quo ante est désormais impossible ;
4- Condamne la défenderesse à indemniser la société GETMA International SAS du préjudice subi du fait de la résiliation, qui se décompose ainsi :
a. Une indemnité forfaitaire de résiliation de 20.884.966 € ;
b. Une indemnité de résiliation relative aux biens concédés de 3.234.995 € ;
c. Le montant non amorti du Ticket d’entrée de 14.201.096 € ;
5- Condamne en outre la Défenderesse à verser à GETMA une indemnité relative aux
stocks non restitués de 210.070 € ;
6- Rejette toutes les autres indemnités demandées par GETMA International SAS ;
7- Dit que les montants alloués aux paragraphes 4 et 5 ci-dessus produiront intérêts, au
taux d’escompte de la Banque Centrale Européenne majoré d’un pour cent, et ce depuis
la requête d’arbitrage, le 10 mai 2011, jusqu’à complet paiement ;
8- Maintient la confidentialité de la pièce R 107, dans le cadre de la procédure
d’arbitrage, sous réserve des droits de la défense ;
9- Sur les frais :
- Laisse à chaque Partie la charge de ses propres frais légaux (avocats, consultations,
experts, témoins) ;
- Dit que les Parties supporteront à égalité les autres frais de l’arbitrage ;
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- Constate que la Cour a fixé les frais d’arbitrage à 100.480.332 FCFA, dont
40.480.332 FCFA comme honoraires pour les arbitres ;
- Dit que la Partie qui aura payé plus que sa part a le droit d’exiger de l’autre le
remboursement du surplus ;
10- Rejette toutes les autres demandes des parties ; »
Suivant mémoire en réponse reçu au greffe de la Cour le 23 décembre 2014, GETMA International demande l’exequatur de la sentence attaquée ;
La République de Guinée invoque à l’appui de son recours les trois moyens d’annulation tels qu’ils figurent à sa requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Mamadou DEME, Juge ;
Vu les articles 21 à 25 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu les dispositions des articles 29 et 30 du Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Vu le Règlement de procédure de ladite Cour ;
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure qu’à la suite de la résiliation unilatérale par la République de Guinée de la convention du 22 septembre 2008, par laquelle elle avait attribué à la société GETMA la concession du Terminal à conteneurs du port de Conakry, ladite société a saisi la Cour d’une requête d’arbitrage, sur le fondement de la clause d’arbitrage stipulée à la convention de concession susvisée ; que le tribunal arbitral qui a statué sur cette requête a rendu la sentence objet du présent recours ;
Sur le troisième moyen d’annulation fondé sur la violation par les arbitres de leur mission
Vu les dispositions des articles 24.2, 24.3, 25.1 du Règlement d’arbitrage de la CCJA et 9 de la Décision n°004/99/CCJA du 3 février 1999 relative aux frais d’arbitrage ;
Attendu que la requérante demande l’annulation de la sentence au motif que le tribunal arbitral ne s’est pas conformé à sa mission, en ignorant délibérément les dispositions impératives des textes précités, qui interdisent les accords entre parties et arbitres sur le montant de leurs honoraires ; qu’elle expose que par décision n°56/2011/CCJA/ADM/ARB du 24 octobre 2011, la Cour a fixé le montant de la provision pour frais de l’arbitrage à la somme globale de 100.480.332 FCFA, dont 40.480.332 FCFA au titre des honoraires des trois arbitres ; que suivant Décision n°081/2013/CCJA/ADM/ARB en date du 1er août 2013, confirmée par Décision n°096/2013/CCJA/ADM/ARB du 3 octobre 2013, la Cour a rejeté la demande de révision du montant des honoraires qui lui a été soumise par le président du tribunal arbitral ; que nonobstant ce rejet, le président du tribunal a sollicité et obtenu des parties leur accord pour porter le montant desdits honoraires à la somme de 450.000 €, soit 295.180.650 F CFA ; qu’en outre, suivant correspondance du 30 avril 2014 adressée directement aux parties, le président
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du tribunal les a informées de ce que la sentence définitive a été signée le 29 avril 2014, et « qu’il conviendrait que les arbitres soient réglés de leurs honoraires préalablement à la transmission de la décision à la CCJA » ; que pour encourager l’une ou l’autre des parties à procéder au paiement réclamé, le tribunal arbitral a inséré dans sa décision une disposition autorisant la partie qui aurait payé l’intégralité des honoraires qu’il a fixés, à exercer une action récursoire contre l’autre partie, pour obtenir le remboursement du trop versé ; que le président du tribunal a retenu la sentence pendant 23 jours après sa signature, pour obtenir des parties le paiement effectif du montant réclamé ; que ce n’est qu’à la date du 22 mai 2014 que la sentence a été transmise à la CCJA ; que par ailleurs, le président du tribunal a adressé la version électronique de la sentence directement aux parties, avant toute notification officielle de celle- ci par le Secrétaire Général de la Cour, seul habilité à procéder à cette formalité ; que cette violation du Règlement d’arbitrage a porté atteinte à la confidentialité de la procédure arbitrale prévue par l’article 14 dudit Règlement, puisque le contenu de la sentence a été publié par l’hebdomadaire Jeune Afrique avant même sa notification officielle aux parties par le Secrétaire Général de la Cour ;
Attendu qu’en réponse, la société GETMA sollicite l’exequatur de la sentence ; qu’elle invoque les dispositions de l’article 10 de l’Acte uniforme du 11 mars 1999 relatif au droit de l’arbitrage, aux termes desquelles « Le fait pour les parties de s’en remettre à un organisme d’arbitrage les engage à appliquer les Règlement d’arbitrage de cet organisme, sauf pour les parties à en écarter expressément certaines dispositions » ; qu’elle soutient que les parties, en prévoyant dans la clause d’arbitrage que « chacune des Parties supportera le coût de l’arbitre qu’elle désigne. Les autres coûts engendrés par l’arbitrage seront supportés à égalité entre les parties », d’une part, et en donnant leur accord sur le montant des honoraires proposés par le président du tribunal arbitral, d’autre part, ont entendu écarter expressément les dispositions des articles 24.1 et 24.2 du Règlement d’arbitrage de la Cour, ainsi que les y autorisent les dispositions de l’article 10 de l’Acte uniforme susvisé ; qu’elle ajoute qu’au surplus, même avérée, la violation par les arbitres des dispositions du Règlement d’arbitrage relatives la fixation des frais de l’arbitrage ne pourrait entraîner l’annulation de la sentence ;
Mais attendu qu’il résulte des dispositions combinées des textes visés au moyen que dans l’arbitrage sous l’égide de la CCJA, les honoraires des arbitres sont exclusivement fixés par la Cour, conformément au barème annexé à la Décision n°004/99/CCJA du 3 février 1999 ; que la Cour peut fixer les honoraires des arbitres à un montant supérieur ou inférieur à ce qui résulterait de l’application de ce barème, si les circonstances de l’espèce le rendent exceptionnellement nécessaire ; que tout accord séparé entre les parties et l’arbitre sur ses honoraires est nul et de nul effet ;
Attendu que ces dispositions ont pour objet de garantir aux parties qui ont décidé de soumettre leur litige à l’arbitrage de la Cour, le paiement d’honoraires prévisibles, proportionnels à la valeur réelle du litige et déterminés selon un barème connu à l’avance ;
Attendu que les dispositions de l’article 10 de l’Acte uniforme sur l’arbitrage invoquées par la société GETMA ne sont pas applicables dans la présente espèce, s’agissant d’un arbitrage sous l’égide de la CCJA, et donc soumis au seul Règlement d’arbitrage de ladite Cour ;
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Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 10.1 dudit Règlement d’arbitrage de la CCJA que « Lorsque les parties sont convenues d’avoir recours à l’arbitrage de la Cour, elles se soumettent par là même aux dispositions du titre IV du Traité de l’OHADA, au présent Règlement, au Règlement intérieur de la Cour, à leur annexes et au barème des frais d’arbitrage, dans leur rédaction en vigueur à la date de l’introduction de la procédure d’arbitrage indiquée à l’article 5 ci-dessus » ;
Attendu qu’il est constant comme résultant du dossier qu’à la suite de la fixation par la Cour du montant des honoraires des arbitres à la somme de 40.480.332 FCFA, le président du tribunal arbitral a directement négocié avec les conseils des parties en litige et obtenu leur accord pour que le montant desdits honoraires soit porté à la somme de de 450.000 €, soit 295.180.650 F CFA ; qu’ayant ensuite saisi la Cour pour obtenir la régularisation de cette majoration, ses requêtes ont été successivement rejetées par les décisions n°081/2013/CCJA/ADM/ARB en date du 1er août 2013 et n°096/2013/CCJA/ADM/ARB du 3 octobre 2013 ; que nonobstant ces décisions, le président du tribunal arbitral a obtenu de GETMA le paiement de sa quote-part sur la somme réclamée, outre la condamnation de cette dernière au paiement de la quote-part de la République de Guinée ;
Qu’en écartant ainsi délibérément des dispositions essentielles du Règlement d’arbitrage auquel les parties ont convenu de soumettre le traitement de leur différend par la clause compromissoire insérée au contrat de concession, le tribunal arbitral ne s’est pas conformé à sa mission ; qu’il échet d’annuler la sentence, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du recours ;
Attendu qu’en conséquence de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la demande d’exequatur de la société GETMA International ;
Attendu que GETMA qui a succombé doit être condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare recevable le recours en contestation de validité de sentence arbitrale formé par la République de Guinée ;
Le déclarant fondé, annule la sentence arbitrale rendue le 29 avril 2014 dans l’affaire n°001/2011/ARB du 10 mai 2011 ;
Rejette en conséquence la demande d’exequatur de GETMA ;
Dit que la procédure arbitrale pourra être reprise à la requête de la partie la plus diligente ;
Condamne GETMA aux entiers dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
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Le Président
Le Greffier en chef