Pourvoi : n °097/2016/PC du 04/05/2016
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 26 avril 201 8 où étaient présents :
Messieurs
César Apollinaire ONDO MVE , Président
Djimasna N’DONINGAR, Juge, Rapporteur
Fodé KANTE, Juge
et Maître Alfred Koessy BADO , Greffier,
Sur le renvoi ,
en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, devant la Cour de céans, de l’affaire EROH S.A.R.L. contre la Banque Internationale du Burkina dite BIB , par arrêt n° 001/2016 du 0 9 mars 201 6 de la Cour de Cassation du Burkina Faso , saisie d’un pourvoi formé par Maître Jean Charles TOUGMA, Avocat à la Cour dont le cabinet sis à la Zone du Bois, Secteur 13 , 11 BP 316 Ouagadougou 11 et Maître ALAYIDI Idrissa BA , Avocat à la Cour, demeurant à Ouagadougou, Avenue de l’Armée, Cité An III, Immeuble ONATEL, 1 er étage, n°18, 09 BP 750 Ouagadougou 09 , agissant au nom et pour le compte de la Société d’Etudes et de Réalisations d’Ouvrage s Hydrauliques dite EROH , SARL dont le siège est à Ouagadougou, Citée An III, Immeuble V, 03 BP 7201 Ouagadougou 03 , dans la cause qui l’ oppose à la Banque Internationale du Burkina (B . I . B), SA dont le siège est au 1340, Avenue Dimdolobsom, 01 BP 362 Ouagadougou 01, ayant pour Conseil la SCPA KAM & SOME , Avocat s à la Cour, sise au 800 rue 15 - 293 (Ouaga 2000), 01 BP 727 Ouagadougou 01 , renvoi enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n°097/2016/PC du 04 m ai 2016 , e n cassation de l’arrêt n° 036 rendu par la Cour d’Appel de Ouagadougou le 02 avril 20 10 et dont le dispositif est le suivant : « Statuant publiquement, contradictoirement , en matière commerciale , sur recours en révision et en dernier ressort :
- Vu les réquisitions du Ministère Public ;
En la forme
- Rejette les exceptions de nullité de l’assignation en révision ;
- Rejette les exceptions d’irrecevabilité du recours en révisions soulevées par la société EROH ;
- Déclare le recours en révision de la BIB en date du 27 août 2009 recevable ;
Au fond
- Rétracte l’arrêt n°105 du 18 mai 2007 rendu par la Chambre commerciale de la Cour d’Appel de Ouagadougou ;
Statuant à nouveau ;
- Infirme le jugement n°325 du 26 juillet 2006 rendu par le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, statuant en matière commerciale ;
- Prononce la déchéance de la société EROH de son droit de faire opposition ;
- Déclare en conséquence irrecevable l’opposition formée par la société EROH par acte d’huissier de justice en date du 20 février 2006 contre l’ordonnance d’injonction de payer n°36/2006 du 26 janvier 2006 ;
- Déboute chacune des parties du plus amples de leurs demandes ;
- Condamne la société EROH aux entiers dépens . » ;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les neuf moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Djimasna N’DONINGAR ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que , pour avoir paiement d’une créance qu’elle estimait détenir sur la société EROH , la Banque Internationale du Burkina dite B.I.B obtenait du Président du tribunal de Grande Instance de Ouagadougou , en date du 26 janvier 2006 , l’ordonnance n° 036/2006 faisant injonction à la société EROH d’avoir à lui payer la somme de 948.522.320 FCA ; que le 02 février 2006, cette ordonnance était signifiée à la société EROH qui formait opposition le 10 février 2006 et donnait assignation à comparaître le 1 er mars ; que le 10 février, la BIB signifiait de nouveau la même ordonnance à la société EROH et lui notifiait, le 14 février 2006, sa renonciation à la première signification à laquelle elle substituait la seconde ; que la société EROH qui a fait une nouvelle opposition le 20 février 2006, pour une comparution le 15 mars 2006 , formulait une demande reconventionnelle en paiement de diverses sommes d’argent pour préjudices économique, moral et dom mages - intérêts ; que le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, après avoir, par jugement n°325/06, ordonné la jonction des deux procédures d’opposition , annulait l’ordonnance d’injonction de payer et déclarait irrecevable la demande reconventionnelle de la société EROH ; que sur appels de la B.I.B et de EROH, la Cour de Ouagadougou, par arrêt n°105 du 18 mai 2007, déclarait nul l’appel de la B.I.B , infirmait partiellement le jugement et condamnait la B.I.B à payer à la société EROH la somme totale de 3 .161.195.432 FCFA ; que contre cet arrêt, la B.I.B. formait un pourvoi tant devant la CCJA que devant la Cour de Cassation du Burkina ; que par ordonnance du 13 février 2008, la CCJA lui donnait acte de son désistement de pourvoi contre l’arrêt n°105 et radiait l’affaire de son rôle ; que par arrêt n°14 du 14 mai 2009, la Cour de Cassation du Burkina déclarait le pourvoi de la B.I.B irrecevable ; que le 1 er juin 2009, la B.I.B, pour éviter l’exécution imminente de l’arrêt n°105, a sollicité et obtenu du Président du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou, un délai de grâce de 12 mois ; qu’en date du 27 août 2009, elle saisissait la Cour d’Appel de Ouagadougou d’une assignation en révision de l’arrêt ; que la Cour faisait droit à cette demande par arrêt n °036 rendu le 02 avril 2010 ;
Arrêt dont pourvoi ;
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 57 9 du Code de procédure civile Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré l’action en révision recevable en retenant la fraude à l’enrôlement de l’acte d’opposition comme cause de révision, alors que la B.I.B a soutenu et soutient depuis 2006 qu’il y’a eu fraude de EROH dans le cadre de l’enrôlement de l’opposition du 2 0 février 2006 ; qu’un constat d’huissier du 9 mai 2006 a été fait à cet effet par la B.I.B et déposé devant le tribunal aux fins de déclarer l’opposition irrecevable ; que cette fraude a été invoquée par la B.I.B tant en cause d’appel que devant la Cour de cassation ; qu’entre 2006 et 2009, il s’est écoulé 3 années alors que la loi prescrit deux mois pour exercer le recours ; qu’en déclarant le recours en révision introduit le 27 août 2009 recevable, la Cour d’appel a violé l’article 579 visé au moyen ;
Attendu que l’arrêt déféré, pour décider de la recevabilité de la révision, s’est essentiellement basé sur une lettre du 16 juillet 2009 du greffier en chef du tribunal et une autre du 14 juillet 2009 du conseil de CENAGREF, toutes adressées à la B.I.B, al ors qu’il est constant que toutes ces lettres ne font que rappeler les conditions de l’enrôlement , pour la première, et celles de la résiliation du marché entre EROH et CENAGREF, pour la seconde ; que manifestement les dates de ces pièces ne peuvent être considérées comme le point de départ de la connaissance de la fraude par la B.I.B ; qu’en effet, il ressort des pièces du dossier de la procédure , notamment du jugement n°325 du 26 juillet 2006, que la B.I.B. s’est élevée contre la demande de jonction des deux oppositions devant le tribunal de Ouagadougou au motif que EROH a fait enrôler sa deuxième opposition le 26 avril 2006, ce qui l’aurait rendu e caduque ; que , dans ses conclusions en appel en date du 04 avril 2007 , déclarées nulles par la Cour , elle a plaidé le « comportement frauduleux de EROH SARL » et a demandé qu’il soit « sanctionné par l’infirmation de la décision qui en est résultée » ; qu’à l’appui de son pourvoi en cassation du 31 mai 2007 , déclaré irrecevable par la Cour de Cassation du Burkina Faso, elle a invoqué un sixième moyen relatif à la « violation du principe général de droit « la fraude corrompt tout » ; qu’il n’est pas non plus contesté que l’acte de rupture du marché CENAGREF, nanti au profit de la B.I.B , lui a été communiqué lors d e ces instances ; qu’il appert ainsi que la B.I.B a bien eu connaissance de la cause qu’il invoque en révision , non pas aux dates des 14 et 16 juillet 2009, mais depuis au moins trois ans ; qu’en déclarant recevable le recours en révision contre l’arrêt n° 105 du 18 mai 2007, la Cour d’appel de Ouagadougou a manifestement violé les dispositions de l’article 57 9 susmentionné qui impartit, pour cette action, un délai de « deux mois à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision » ; qu’il échet de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer, sans qu’il soit nécessaire d’analyser les autres moyens ;
Sur l’évocation
Attendu que, par exploit d’huissier en date du 2 7 août 2009, la B.I.B introduisait un recours en révision de l’arrêt n°105 rendu le 18 mai 2007 par la Cour d’appel de Ouagadougou dont le dispositif est ainsi conçu : « Statuant publiquement, contradictoirement , en matière commerciale et en dernier ressort ; - Rejette la demande de rétractation de l’ordonnance de clôture ;
En la forme :
- Annule l’appel de la B.I.B ;
- Déclare recevable l’appel de la société EROH ;
Au fond :
Infirme le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle de la société EROH ;
Statuant à nouveau :
- Déclare recevable et bien fondée l a demande reconventionnelle de la société EROH ;
- En conséquence, condamne la B.I.B à payer à la société EROH la somme de 2.661.195.432 FCFA de dommages-intérêts pour le préjudice économique, 500.000.000 FCFA de dommages-intérêts pour le préjudice moral, 10 .000.000 FCFA de dommages - intérêts pour le préjudice résultant de la procédure abusive et vexatoire et 10.000.000 FCFA au titre de frais exposés non compris dans les dépens ;
- Confirme les autres dispositions du jugement attaqué ;
- Condamne la B.I.B aux dépens. » ;
Qu’ elle demande à la Cour de déclarer son recours en révision recevable, de constater les fraudes et manipulations de la société EROH, de réformer en toutes ses dispositions l’arrêt n°105 du 18 mai 2007 et de déclarer caduque l’opposition formée par la société EROH et par conséquent dire que l’ordonnance d’injonction de payer n°36/06 du 26 janvier 2006 est passée en force de chose jugée ; qu’elle expose, entre autres, qu’elle vient de découvrir que les moyens invoqués par EROH pour convaincre les juges de la recevabilité de son opposition du 20 février 2006 comme du bien-fondé de sa demande de dommages-intérêts sont mensongers et ont trompé le juge ; qu’elle ne pouvait faire valoir la fraude avant l’arrêt de la Cour d’appel parce qu’elle a demandé et attendait qu’une enquête soit menée pour vérifier si le dossier était mis au rôle ; qu’elle a été surpris e par ledit arrêt qui a fait droit à toutes les demandes de EROH, sans aucune enquête ; que c’est pourquoi, elle a initié le présent recours en révision ;
Attendu que la société EROH , en réplique, sollicite in limine litis la nullité de l’assignation et, subsidiairement, l’irrecevabilité du recours pour forclusion ; qu’elle soutient, entre autres, que le recours a été initié hors le délai de deux mois prescrit par l’article 579 du Code de procédure civile ; qu’elle demande que la B.I.B. soit condamnée à lui payer la somme de 500.000.000 FCFA à titre de dommages - intérêts , conformément à l’article 590 dudit Code ;
Sur la recevabilité du recours en révision Attendu que le recours en révision initié par la Banque Internationale du 6 Burkina dite B.I.B est manifestement hors du délai prévu par l’article 579 du Code de procédure civile susvisé ; qu’ainsi, pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du moyen de cassation, il y a lieu de le déclarer irrecevable ;
Sur la demande de dommages - intérêts de la société EROH et sur l’amende légale
Attendu qu’aux termes de l’article 590 du Code de procédure civile, « Le jugement qui rejette le recours condamne son auteur à une amende de 5000 à 50 .000 francs, sans préjudice de dommages-intérêts à la partie adverse s'il y a lieu » ; que la demande de la société EROH tendant à obtenir réparation d es préjudices subis du fait de cette nouvelle procédure téméraire et vexatoire est fondée ; que cependant il y’a lieu de ramener le quantum de 500.000.000 FCFA sollicité à une juste proportion et condamner la B.I.B à lui payer la somme de cent millions (100.000.000) FCFA à titre de dommages - intérêts ;
Attendu que le recours en révision n’ayant pas prospéré, il échet de condamner la B.I.B à une amende de cinq mille francs ;
Sur les dépens
Attendu que la Banque Internationale du Burkina succombant , sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;
Casse l’arrêt n°036 rendu le 02 avril 2010 par la Cour d’Appel de Ouagadougou ; Evoquant et statuant sur le fond,
Déclare irrecevable le recours en révision initié par la Banque Internationale du Burkina dite B.I.B contre l’arrêt n°105 rendu le 18 mai 2007 par la Cour d’appel de Ouagadougou ;
Condamne la Banque Internationale du Burkina dite B.I.B à payer à la société EROH la somme de Cen t millions ( 10 0.000.000) de FCFA, à titre de dommage - intérêts ;
La condamne à Cinq mille (5.000) francs CFA d’amende ;
La condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé : Le Président Le Greffier