ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA) -------- COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA) --------- Troisième chambre -------
Audience publique du 26 avril 2018
Pourvoi :n° 112/2016/PC du 30/05/2016
Affaire :X Y (Conseils : Maîtres Ah Z et Jules M. MBUMBA, Avocats à la Cour)
contre La Société des Grands Hôtels du Congo S.A (Conseil : Maître Régis Victorien BAGUY, Avocat à la Cour)
La TRUST MERCHANT BANK S.A La RAWBANK S.A.
La Banque Commerciale du Congo S.A ECOBANK RDC S.A.
La Banque Internationale pour l’Afrique au Congo S.A La CITI GROUP CONGO SA La BGFIBANK RDC S.A.
(Conseil : Maître Roger MPANDE NSELE) La FIBANK S.A.
La BIBLOS BANK S.A.
La Ac Ai A Aa B
Arrêt N° 103/2018 du 26 avril 2018
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 26 avril 2018 où étaient présents : MessieursCésar Apollinaire ONDO MVE,Président Djimasna N’DONINGAR, Juge, Rapporteur Fodé KANTE,Juge
et Maître Alfred Koessy BADO,Greffier, Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n°112/2016/PC du 30 mai 2016 et formé par Maîtres Paulin KAMBA KOLESHA et Jules MASUANGI MBUMBA, Avocats à la Cour, demeurant aux Anciennes Galeries Présidentielles, 1er Niveau, Local 1M1, à Kinshasa/Gombe, agissant au nom et pour le compte de Monsieur X Y, résidant au N°203 de l’avenue Mbuji-Mayi, Quartier Ag Ad à Kinshasa/Kimbaseke, dans la cause l’opposant à la société des Grands Hôtels du Congo S.A. dont le siège est à Kinshasa/Gombe, au N°4 de l’avenue Batetela, ayant pour conseil Maître Régis Victorien BAGUY, Avocat à la Cour, demeurant à C Ae, au 6B, Rue CANNAS sur Af, 04 BP 1023 Abidjan 04 ; en cassation de l’arrêt R.T.A. 7469 rendu le 05 novembre 2015 par la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement et contradictoirement à l’égard de l’appelant et de l’intimée Société des Grands Hôtels du Congo S.A. et par défaut à l’égard des autres ; Entendu le Ministère Public en son avis ; Reçoit l’appel de sieur X Y mais le dit non fondé ; En conséquence : Confirme l’ordonnance rendue en date du 02 septembre 2015 par la juridiction du Magistrat délégué du Tribunal du Travail de Kinshasa/Gombe dans la cause inscrite sous M.U. 095 ; Met les frais d’instance à charge de l’appelant X Y » ; Le requérant invoque à l’appui de son recours le moyen unique de cassation, tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt ; Sur le rapport de Monsieur le Juge Djimasna N’DONINGAR ; Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ; Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’arbitrage de l’OHADA ; Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que, muni de la grosse du jugement RAT 16.367 du 21 février 2013 et de l’arrêt confirmatif R.T.A. 7281 rendu le 28 mai 2015 par la Cour d’appel de Ab, sieur X Y pratiquait, au préjudice de la société Grands Hôtels du Congo, des saisies-attributions de créances auprès des différents établissements bancaires de la place, pour avoir paiement de la somme de 59.696, 7 $USD ; que ces saisies étaient régulièrement dénoncées au débiteur qui élevait contestation le 12 août 2015 ; que, par ordonnance M.U. 095 du 02 septembre 2015, la juridiction présidentielle du tribunal de Travail de Kinshasa/Gombe annulait lesdites saisies et en ordonnait la mainlevée ; que, sur appel de sieur X Y, la Cour de Kinshasa/Gombe rendait, en date du 05 novembre 2015, l’arrêt confirmatif sus énoncé, objet du présent pourvoi ; Attendu que les tiers saisis TRUST MERCHANT BANK S.A., RAWBANK S.A., Banque Commerciale du Congo S.A., ECOBANK RDC S.A., Banque Internationale pour l’Afrique au Congo S.A., CITI GROUP CONGO S.A., FIBANK S.A., BIBLOS BANK S.A. et Ac Ai A Aa B auxquels le recours a été signifié par courriers du Greffier en Chef en date du 21 juin 2016, conformément aux dispositions des articles 29 et 30 du Règlement de procédure de la Cour de céans, n’ont pas réagi ; que le principe du contradictoire ayant ainsi été observé, il convient d’examiner l’affaire ; Sur la compétence de la Cour de céans
Attendu que, par mémoire en réponse reçu le 03 octobre 2016, la Société des Grands Hôtels, défenderesse au pourvoi, sous la plume de son conseil, a soulevé l’incompétence de la Cour ; qu’elle fait valoir que le recours est en réalité dirigé contre une violation alléguée du droit interne de la République Démocratique du Congo ; que la détermination des entreprises bénéficiaires de l’immunité d’exécution étant renvoyée au droit interne de chaque Etat partie de l’OHADA, la CCJA doit se déclarer incompétente ; Mais attendu que l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution n’ayant nullement renvoyé au droit national la question de la détermination des personnes bénéficiaires de l’immunité d’exécution, comme il l’a fait pour les biens insaisissables, celle-ci entre dans la compétence de la Cour de céans ; qu’il s’en suit que cette exception ne peut être accueillie ; Sur le moyen unique, tiré de la violation de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution
Attendu que le requérant fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les dispositions de l’article visé au moyen en ce qu’il a confirmé l’annulation et la mainlevée des saisies-attributions, au motif que la Société des Grands Hôtels est bénéficiaire de l’immunité d’exécution alors que, selon le moyen, ladite immunité, prévue à l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution, ne doit bénéficier qu’à l’Etat et ses démembrements et aux entreprises publiques ; qu’au regard de la législation congolaise, la défenderesse n’est pas une entreprise publique mais une société d’économie mixte soumise au régime des sociétés privées ; qu’en lui accordant l’immunité d’exécution, les juges ont violé non seulement l’article 30 susvisé mais aussi l’article 3 de la loi 18/10 du 07 juillet 2008 fixant les règles relatives à l’organisation et à la gestion du portefeuille de l’Etat ;
Attendu que l’article 30 de l’Acte uniforme susvisé pose, en son alinéa 1er, le principe général de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public et en atténue les conséquences à l’alinéa 2, à travers le procédé de la compensation des dettes qui s’applique aux personnes morales de droit public et aux entreprises publiques ; qu’en l’espèce, il est établi que le débiteur poursuivi est une société anonyme dont le capital social est détenu à parts égales par des personnes privées et par l’Etat du Congo et ses démembrements ; qu’une telle société étant d’économie mixte, et demeure une entité de droit privé soumise comme telle aux voies d’exécution sur ses biens propres ; qu’en lui accordant l’immunité d’exécution prescrite à l’article 30 susmentionné, la Cour de Kinshasa/Gombe a fait une mauvaise application de la loi et expose sa décision à la cassation ; qu’il échet de casser l’arrêt déféré et d’évoquer ; Sur l’évocation
Attendu que, par déclaration en date du 15 septembre 2015, sieur X Y relevait appel de l’ordonnance MU 095 rendue le 02 septembre 2015 par la juridiction présidentielle du tribunal de Travail de Kinshasa/Gombe dont le dispositif est ainsi conçu : « Statuant publiquement et contradictoirement à l’égard de la demanderesse la Société des Grands Hôtels du Congo, des défendeurs X Y et la Banque Internationale pour l’Afrique au Congo (BIAC), mais par défaut à l’égard des défenderesses RAWBANK, CITI GROUP, BCDC, ECOBANK, BGFIBANK, FIBANK, TMB, BYBLOS BANK et FBNBANK ; Reçoit l’action de la demanderesse, la société des Grands Hôtels du Congo, et la déclare totalement fondée ;
En conséquence, annule les saisies-attributions opérées sur ses avoirs par le défendeur X Y en dates du 24, 28 juillet et 6 août 2015 auprès des défenderesses, les banques précitées ;
En ordonne la mainlevée ;
Met les frais de la présente instance dans sa totalité à la charge du défendeur X Y. » ; Qu’au soutien de son appel, il demande à la cour de rejeter les contestations élevées par le débiteur poursuivi, d’annuler l’ordonnance attaquée en toutes ses dispositions et, reconventionnellement, de le condamner à payer la somme de 100.000 $USD pour abus de droit et procès téméraire et vexatoire ; qu’il expose que s’il est vrai que la jurisprudence de la CCJA va dans le sens d’accorder l’immunité d’exécution aux personnes morales de droit public et aux entreprises publiques, il n’en demeure pas moins que la définition du concept d’entreprise publique relève du droit interne de chaque Etat-partie ; qu’ainsi, en République Démocratique du Congo, l’article 3 de la loi n°18/10 du 07 juillet 2008 énonce que celle-ci s’entend de toute « entreprise du portefeuille de l’Etat dans laquelle l’Etat ou toute autre personne morale de droit public détient la totalité ou la majorité absolue des actions ou parts sociales » ; que lorsque la participation de l’Etat et de ses démembrements dans l’entreprise est en deçà de la majorité absolue, il s’agit d’un simple placement financier n’entraînant aucun privilège d’exécution ; qu’en l’espèce, l’Etat du Congo ne détient que 47% des actions de la Société des Grands Hôtels, le reste étant détenu à hauteur de 3% par d’autres entités publiques et 50% par des personnes privées ; qu’il en déduit que son débiteur est une société d’économie mixte assimilée à une société privée et ne peut, par conséquent, bénéficier de l’immunité prévue à l’article 30, alinéa 1, de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; Attendu que la Société des Grands Hôtels, en réplique, conclut au rejet pur et simple de cet appel ; qu’elle soutient que le législateur Communautaire a laissé la latitude à chaque Etat-partie de déterminer et de préciser en toute souveraineté les personnes dont il entend faire bénéficier l’immunité d’exécution ; Qu’à ce titre, pour l’Etat du Congo, toutes les entreprises du portefeuille de l’Etat, sans distinction, sont couvertes par l’immunité d’exécution forcée prévue à l’article 30 susvisé ; que la Société des Grands Hôtels fait partie des entreprises du portefeuille de l’Etat, comme l’atteste la nomination du Président de son Conseil d’Administration par ordonnance du Chef de l’Etat ; qu’en outre, il ressort des correspondances du Premier Ministre et du Garde des Sceaux, dans un autre cas de saisie pratiquée sur ses avoirs, que la Société des Grands Hôtels fait partie du patrimoine de l’Etat et que ses biens ne peuvent faire l’objet de saisie ; qu’elle conclut à la confirmation de l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ; Sur la validité des saisies-attributions pratiquées par sieur X Y
Attendu que l’interprétation des dispositions de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution relatif à l’immunité d’exécution relève de la seule compétence de la CCJA ; qu’ainsi, pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du moyen de cassation, il y a lieu d’annuler l’ordonnance MU 095 rendue le 02 septembre 2015 par la juridiction présidentielle du tribunal de Travail de Kinshasa/Gombe en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de déclarer valables les saisies-attributions pratiquées sur les avoirs de la Société des Grands Hôtels par sieur X Y ;
Sur la demande reconventionnelle en paiement des dommages-intérêts
Attendu qu’il n’est justifié d’aucun abus de la part de la Société des Grands Hôtels dans l’exercice de son action en contestation des saisies ; qu’il échet de débouter sieur X Y de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Sur les dépens
Attendu que la Société des Grands Hôtels ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux entiers dépens ; PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré, Casse l’arrêt R.T.A. 7469 rendu le 05 novembre 2015 par la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe ; Evoquant et statuant sur le fond : Annule l’ordonnance M.U. 095 rendue le 02 septembre 2015 par la juridiction présidentielle du tribunal de Travail de Kinshasa/Gombe ; Statuant à nouveau : Reçoit l’action de la Société des Grands Hôtels du Congo et la déclare non fondée ; Par conséquent, déclare valables les saisies-attributions pratiquées par sieur X Y ; Déboute sieur X Y de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Condamne la Société des Grands Hôtels du Congo aux dépens ; Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé : Le Président Le Greffier