Pourvoi : n° 273/2016/PC du 27/12/2016
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), première chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 31 mai 2018 où étaient présents :
Madame Flora DALMEIDA MELE, Présidente
Messieurs Marcel SEREKOISSE SAMBA, Juge, rapporteur
Robert SAFARI ZIHALIRWA, Juge
et
Maître Edmond Acka ASSIEHUE, Greffier ;
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 27 décembre 2016 sous le numéro 273/2016/PC et formé par Maître Seydou TRAORE, Avocat au Barreau du Burkina Faso, dont le cabinet est sis à l’avenue de l’UEMOA, immeuble ICA, 09 BP 892 Ouagadougou 09, agissant au nom et pour le compte de ONATEL SA, dont le siège social est à Ouagadougou, 705, Avenue de la Nation, 01 BP 10000 Ouagadougou 01, représentée par son Directeur Général Monsieur Sidi Mohamed NAIMI, dans la cause qui l’oppose à la société FADOUL TECHNIBOIS SA, ayant son siège social à Ouagadougou, Rue Fadoul, Zone industrielle de Gounghin, 01 BP 218 Ouagadougou 01, représentée par son Directeur Général Monsieur Georges FADOUL, ayant pour conseil maître DJAMA Dominique Alain, Avocat au barreau de Côte d’Ivoire, en son étude sise à Abidjan Cocody, II Plateaux, boulevard Latrille, carrefour de la nouvelle agence Bank of Africa, immeuble Adondo, 2ème étage, appartement n° 704, BP CIDEX 03, en cassation de l’arrêt n°30 rendu le 06 novembre 2015 rendu par la Cour d’Appel de Ouagadougou dont le dispositif suit :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort ;
En la Forme :
Déclare l’appel recevable ;
Au fond
Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
Déboute l’intimée de sa demande de frais exposés et non compris dans les dépens ;
Condamne l’appelante aux dépens » ;
Attendu que la requérante invoque à l’appui de son recours cinq moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Marcel SEREKOÏSSE-SAMBA, Juge ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que la société Fadoul Technibois, ayant souscrit à un appel d’offres, a été désignée attributaire du marché public de construction de l’échangeur de l’Ouest et de ses voies d’accès dans la Commune de Ouagadougou, enregistré sous le numéro 30/00/04/02/12/2007/00325 ; que la société Fadoul Technibois a sous-traité à l’ONATEL les travaux relatifs au déplacement du réseau de télécommunication (réservation, déplacement et nouveaux réseaux) prévus au point 909 du contrat dudit marché ; que le 23 avril 2008, la société Fadoul Technibois a adressé à l’ONATEL le bon de commande n° 0005055 des travaux à exécuter avec un planning d’intervention ; qu’après l’exécution des travaux, ONATEL a envoyé à Fadoul Technibois une facture détaillée n° 2009-150 du 28 août 2009 d’un montant de 115.640.395 FCFA pour paiement ; que l’ONATEL, ayant saisi Fadoul Technibois d’« une lettre de relance » en date du 27 avril 2011 et une « lettre de mise en demeure du 08 août 2011 » restées sans suite, a sollicité et obtenu du Président du Tribunal de Commerce de Ouagadougou une ordonnance d’injonction de payer n°075/2014 rendue le 06 juin 2014 enjoignant à la société Fadoul Technibois de lui payer la somme susmentionnée ; que Fadoul Technibois, ayant reçu signification de ladite ordonnance le 19 juin 2014, a formé opposition le 04 juillet 2014 ; que statuant sur l’opposition, le Tribunal de commerce de Ouagadougou a, par jugement n° 202 du 18 décembre 2014, annulé l’ordonnance d’injonction de payer ; que sur appel de l’ONATEL le 14 janvier 2015, la Cour d’appel de Ouagadougou a rendu l’arrêt confirmatif susénoncé, dont pourvoi ;
Sur le deuxième moyen
Vu les articles 1 et 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir fait une mauvaise interprétation des articles 1 et 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en ce que les juges ont qualifié de « défaut de liquidité de la créance » l’absence d’accord préalable des parties sur le coût des travaux réalisés, alors que, d’une part, doit être qualifiée de liquide, la créance dont le montant est déterminée ou déterminable en argent, comme en l’espèce où le montant de 115.640.395 FCFA figure sur le titre de créance qui est la facture détaillée non contestée par Fadoul Technibois ; et que, d’autre part, l’absence d’un accord antérieur à l’exécution des travaux n’est pas une condition de la liquidité de la créance dès lors que le coût des travaux sous-traités était déjà fixé dans le contrat de marché ;
Attendu qu’à la lecture combinée des articles 1 et 2 de l’Acte uniforme susvisé, il ressort qu’une créance est considérée comme liquide lorsque, non seulement son montant est déterminable en argent, mais aussi dès lors que le quantum est déterminé dans sa quantité, c’est-à-dire chiffré ; qu’en l’espèce, le contrat du marché attribué à Fadoul Technibois ayant indiqué le montant des travaux sous-traités à l’ONATEL et la facture détaillée desdits travaux adressée avant leur exécution à la société sous-traitante ayant été chiffrée, le caractère liquide de la créance de réalisation de ces travaux ne saurait donner lieu à une contestation sérieuse ; qu’en retenant l’exigence d’un accord préalable sur le montant de la créance comme condition de liquidité de la créance de l’ONATEL à l’égard de Fadoul Technibois, l’arrêt déféré a ajouté aux dispositions susvisées une condition que la loi ne prévoit pas ; qu’il y a lieu de le casser en conséquence, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens, d’évoquer et statuer sur le fond ;
Sur l’évocation
Attendu que par acte en date du 14 janvier 2015, l’ONATEL a relevé appel du Jugement n°202 rendu le 18 décembre 2014 par le Tribunal de Commerce de Ouagadougou et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en premier ressort ;
Déclare la société Fadoul Technibois recevable en son opposition et l’y dit partiellement fondée ;
En conséquence, annule l’ordonnance d’injonction de payer n°75/2014 rendue le 06 juin 2014 par le tribunal de Commerce de Ouagadougou en ce que la créance n’est pas certaine et liquide ;
Déboute la Société FADOUL TECHNIBOIS de sa demande de frais non compris dans les dépens ;
Condamne l’ONATEL aux dépens » ;
Attendu que dans son « acte d’appel valant premières conclusions », l’ONATEL soutient que, d’une part, sa créance est certaine en ce qu’elle a une origine contractuelle et que ce contrat a été complètement exécuté par la réalisation des travaux, objet dudit contrat ; d’autre part, sa créance est liquide en ce que le prix des travaux, contenu dans le contrat de marché initial et dans l’avenant audit contrat, conclu entre Fadoul Technibois et l’Etat Burkinabè, Maître d’Ouvrage, était connu de toutes les parties ; et enfin, que sa créance est exigible en ce que tous les travaux ont été entièrement exécutés, la facture établie et présentée et que l’Etat Burkinabè, Maître d’Ouvrage, a entièrement réglé à Fadoul Technibois le montant total du marché révisé en hausse dans l’avenant ; qu’elle conclut en demandant, outre l’infirmation du jugement, la condamnation de Fadoul Technibois à lui payer la somme de 1.500.000 FCFA au titre des frais exposés notamment pour les services d’un avocat, non compris dans les dépens ;
Attendu que dans ses conclusions en réponse, Fadoul Technibois, tout en reconnaissant avoir été en relation d’affaire avec l’ONATEL, invoque les dispositions des articles 4 et 6 de l’Acte uniforme précité pour demander le rejet de certaines pièces produites en appel par l’ONATEL parce que celles-ci ne faisaient pas parties des pièces annexées à sa requête devant les premiers Juges ; que Fadoul Technibois sollicite la confirmation du jugement attaqué en ce que la créance de l’ONATEL n’est ni certaine, ni liquide, ni exigible et demande enfin la condamnation de l’ONATEL à lui payer la somme de 1.500.000 FCFA au titre des frais exposés notamment pour les services d’un avocat, non compris dans les dépens ;
Sur le caractère certain, liquide et exigible de la créance
Attendu que le caractère certain, liquide et exigible de la créance de l’ONATEL ne peut souffrir de contestations sérieuses ; qu’en effet, Fadoul Technibois ne contestant pas sa relation d’affaires avec l’ONATEL et ne déniant pas que celle-ci a réalisé les travaux retenus dans leur contrat de sous-traitance dont la facture chiffrée à 115.640.395 FCFA lui a été adressée, l’argument basé sur l’absence d’accord préalable sur le montant de ladite facture ne saurait enlever à la créance ses caractères cumulatifs de certitude, de liquidité et d’exigibilité que cette facture fonde ; qu’en outre, contrairement au montant de la facture sus-indiquée, Fadoul Technibois a obtenu à la faveur de l’avenant réévalué au contrat du marché initial le paiement par l’Etat Burkinabè de la somme de 130.499.637 FCFA au titre des travaux prévus à la rubrique 909 du contrat de marché et effectués par l’ONATEL ; qu’en ne reversant pas à l’ONATEL le montant de sa facture, Fadoul Technibois a bénéficié d’un enrichissement indu ; qu’en annulant l’ordonnance d’injonction de payer, le Tribunal de commerce de Ouagadougou a procédé à une mauvaise interprétation des articles 1 et 2 de l’Acte uniforme susvisé ; qu’il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris et de condamner Fadoul Technibois au paiement de la cause de demande de l’ONATEL ;
Sur la demande de rejet de certaines pièces produites en appel par l’ONATEL
Attendu qu’il ne ressort nulle part des dispositions des articles 4 et 6 de l’Acte uniforme précité qu’aucune pièce nouvelle ne peut être produite même en appel ; qu’au contraire, l’article 544 du code burkinabe de procédure civile stipule que « pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves » ; qu’il s’ensuit que cette demande doit être écartée ;
Sur les frais exposés non compris dans les dépens
Attendu que l’allocation de frais exposés non compris dans les dépens n’est qu’une faculté qui relève de la discrétionnaire appréciation du juge, telle que le stipule expressément l’article 6 nouveau de la loi n° 28/2004/AN du 08 septembre 2004 portant organisation judiciaire au Burkina Faso selon lequel : dans toutes les circonstances, le juge, sur demande expresse et motivée, condamne la partie perdante à payer à l’autre partie une somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens….Il tient compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée ; Il peut, pour des raisons tirées des mêmes circonstances, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation… » ; qu’il s’ensuit que l’allocation desdits frais ne constituant pas une obligation légale pour le Juge, il y a lieu de ne pas faire droit à une telle demande ;
Attendu qu’ayant succombé, la Société FADOUL TECHNIBOIS S.A doit être condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’arrêt n°30 rendu le 06 novembre 2015 par la Cour d’appel de Ouagadougou ;
Evoquant et statuant,
Infirme le jugement n°202 rendu le 18 décembre 2014 par le Tribunal de Commerce de Ouagadougou ;
Condamne la société FADOUL TECHNIBOIS S.A. à payer à l’ONATEL la somme de 115.640.395 FCFA ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société FADOUL TECHNIBOIS S.A. aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
La Présidente
Le Greffier