ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Assemblée Plénière
Audience publique du 14 janvier 2021
1) Requête n° 128/2020/PC du 08/06/2020
2) Recours n° 129/2020/PC du 09/06/2020
Affaire : Société Africaine de Construction au Congo S.A
(Conseils : Cabinet DIUMULA et OKENDEMBO, et Cabinet LELU NAWEJ, Avocats à la
Cour)
Contre
Société PARKLAND S.A
(Conseils : Maîtres SHEBELE MAKOBA Michel, Patrick ILUNGA BUKASA et
Gogo WETSHI KITENGE, Avocats à la Cour)
Arrêt N° 001/2021 du 14 janvier 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Assemblée Plénière, présidée par Monsieur Ab AcCA, Premier Vice- Président, assisté de Maître Edmond Acka ASSIEHUE, Greffier en chef, a rendu en son audience publique du 14 janvier 2021 l’Arrêt dont la teneur suit, après délibération du collège de juges composé de:
Messieurs César Apollinaire ONDO MVE, Président
Birika Jean Claude BONZI, Juge
Madame Afiwa-Kindena HOHOUETO, Juge
Madame Esther NGO MOUTNGUI IKOUE, Juge
Messieurs Arsène Jean Bruno MINIME, Juge
Mariano Esono NCOGO EWORO, Juge
Sabiou MAMANE NAISSA, Juge
Mounetaga DIOUF, Juge, rapporteur ;
Sur la requête enregistrée sous le n°128/2020/PC du 08 juin 2020, formée par Maître Pierre OKENDEMBO du Cabinet DIUMULA & OKENDEMBO, Avocats à la Cour, au nom et pour le compte de la Société Africaine de Construction au Congo, dite SAFRICAS CONGO S.A, aux fins d’exequatur de la sentence rendue le 12 mai 2020, dans le différend qui l’oppose à la société PARKLAND S.A dont le siège est situé à Kinshasa, au numéro 1, Avenue Ngongo-Lutete, dans la commune de Gombe, en République Démocratique du Congo, par le tribunal arbitral constitué sous l’égide de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, dont le dispositif est le suivant :
« Par ces motifs, le Tribunal arbitral :
- Déboute la société Parkland de l’ensemble de ses demandes ;
- Dit que la Requête d’arbitrage et les mémoires de la société Safricas sont recevables ;
- Dit que la société Parkland doit payer à la société Safricas :
° 1.028.567,51 Dollars US (un million vingt-huit mille cinq cent soixante- sept Dollars US et cinquante et un centimes) au titre de l’article 1.3 de l’avenant n°03 du 16 juillet 2015 ;
° 716.159, 09 Dollars US (sept cent seize mille cent cinquante-neuf Dollars US et neuf centimes) au titre des fournitures pour les travaux supplémentaires ;
° 3.040.128,41Dollars US (trois millions quarante mille cent vingt-huit Dollars US et quarante centimes au titre de remboursement des charges de fonctionnement du chantier au-delà de la période conventionnelle ;
° 220.844, 65 Dollars US (deux cent vingt mille huit cent quarante-quatre Aa B et soixante-cinq centimes au titre des travaux supplémentaires ;
° 62.100,31 Dollars US (soixante-deux mille cent Aa B et trente et un centimes) au titre des intérêts moratoires sur les factures des travaux supplémentaires impayées ;
° 578.284,32 Dollars US (cinq cent soixante-dix-huit Dollars US et trente- deux centimes) en restitution de la garantie de bonne exécution en principal ;
° 48.027,70 Dollars US + 5.915 Euros (quarante-huit mille vingt-sept et Dollars US soixante-dix centimes + cinq mille neuf cent quinze Euros) au titre des honoraires et frais de conseils de Safricas ;
°4,124,83 Dollars US (quatre mille cent vingt-quatre Dollars US et quatre- vingt-trois centimes) au titre des frais de déplacement et d’hébergement de m. Richard Rasouse ;
51.302.113,80 FCFA (cinquante et un millions trois cent deux mille cent treize FCFA, et quatre-vingt centimes) au titre des frais administratifs et provisions sur les honoraires d’arbitre.
- Rejette toutes autres demandes et prétentions des parties. » ;
et le recours enregistré sous le n°129/2020/PC du 09 juin 2020, formé par Maîtres SHEBELE MAKOBA Michel, Avocat à la Cour de Cassation de la République Démocratique du Congo, Patrick ILUNGA BUKASA, Avocat au Barreau de Kinshasa Gombe et Gogo WETSHI KITENGE, Avocat au barreau de Kinshasa/Matete, dont les bureaux sont situés à Kinshasa, immeuble BON COIN, Bâtiment B1, 1” étage, APP. 1 et 2, 56, Avenue Ae Ad, Croisement du Congo, agissant au nom et pour le compte de la société PARKLAND S.A, comme ci-dessus identifiée et localisée, en annulation de la même sentence arbitrale ;
Les parties invoquent au soutien de leurs recours les motifs et moyens tels qu’ils figurent dans leurs requêtes annexées au présent Arrêt ;
Sur le rapport de monsieur Mounetaga DIOUF, Juge ;
Vu le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l'OHADA ;
Vu le Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l'OHADA ;
Vu la Décision n° 84/2020/CCJA/PDT du 12 mai 2020 portant mesures exceptionnelles dans la prise en compte des délais de procédure devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ;
Attendu qu’il résulte du dossier que le 20 avril 2011, la société PARKLAND S.A et la société SAFRICAS CONGO S.A concluaient un contrat d’entreprise ayant par la suite fait l’objet de trois avenants ; que selon les termes dudit contrat, la société SAFRICAS CONGO SA s’engageait à construire au profit de sa contractante, un immeuble dénommé « Atrium », dans un délai de 28 mois à compter du 24 juillet 2011, au prix de 13 356 317,75 Dollars US ; qu’à la suite d’un litige né du dépassement des délais et de la réalisation par l’entrepreneur de travaux supplémentaires entrainant un surcoût, les parties initiaient une procédure d’arbitrage sous l’égide de la CCJA qui aboutissait à la sentence ayant fait l’objet des demandes d’exequatur et d’annulation ;
Sur la jonction des procédures
Attendu qu’en raison du lien de connexité entre les deux procédures, il y a lieu d’en ordonner la jonction, pour être statué par un seul et même Arrêt, conformément à l’article 30.2 du Règlement d’arbitrage susvisé ;
Sur le premier motif d’annulation tiré de la contrariété de la sentence à l’ordre public international, en sa première branche
Attendu que le recours reproche à la sentence arbitrale la contrariété avec l’ordre public international, en ce que « l’arbitre a exonéré SAFRICAS CONGO S.A de toute responsabilité et condamné PARKLAND sans preuve » ; que pour étayer ce grief, la recourante expose :
« Au paragraphe n°208 de la sentence, l’arbitre écrit que : « Safricas soutient, sans être contredite, que le Maître d’ouvrage n’a jamais établi le bon de commande relatif à ces travaux supplémentaires, qui ont été néanmoins exécutés nonobstant le refus de Parkland d’établir un avenant au contrat ». Dès lors que l’arbitre constate l’absence de bon de commande et d’avenant au contrat, il admet que SAFRICAS CONGO SA ne rapporte pas la preuve de l’accord des parties sur l’exécution des travaux supplémentaire litigieux. Pourtant l’arbitre ne tire pas les conséquences légales de ses propres constatations, et se borne à retenir que PARKLAND n°a pas contredit SAFRICAS CONGO SA, alors que, par essence, aucun élément contradictoire ne peut être apporté à une absence de preuve.
Au paragraphe n°210 de la sentence, l’arbitre écrit que : « Safricas estime à 3 mois le retard causé par l’absence des plans (...). Il ressort du compte-rendu n°18 de la réunion de chantier du 30 juillet 2012 qu’à cette date Safricas était dans l’attente des derniers plans rectifiés. De ce qui précède, il résulte que le retard cumulé relatif à la fourniture des plans est d’au moins 7 mois ». En statuant en ces termes, l’arbitre a, de façon arbitraire et au mépris des règles probatoires les plus élémentaires, établi à sept mois la durée de certains des retards prétendument imputables à PARKLAND, alors même que SAFRICARS CONGO SA n'avait pas retenu une durée aussi longue dans ses propres écritures. L’arbitre est donc allé au-delà des prétentions de SAFRICAS CONGO SA, afin de condamner PARKLAND.
Au paragraphe n°211 de la sentence, l’arbitre écrit que : « la commande a été faite au mois d’avril 2017. Safricas indique qu’elle a été livrée seulement au mois de septembre 2017 (...), ce que Parkland était d’accord avec cette date de livraison ». Or un tel raisonnement est objectivement erroné : admettre qu’une livraison a eu lieu à une certaine date, ne saurait établir l’existence matérielle d’un accord pour recevoir la marchandise livrée à cette même date. En l’espèce, l’arbitre a, sans aucune base légale, dispensé SAFRICAS CONGO SA de prouver qu’elle ne pouvait pas livrer à Parkland les vitres plus rapidement, et a donc considéré sans preuve que les cinq mois de délai avaient été convenus entre les parties.
Au paragraphe n°213 de la sentence, l’arbitre écrit que : « safricas affirme que les avenants au contrat ont eu pour effet de réaménager le planning des travaux mais elle n’explique pas dans quelle mesure, notamment en termes de durée et ces avenants ne le précisent pas non plus. (...) Nonobstant ce retard, les parties sont convenues de poursuivre le contrat d’entreprise en amendant certaines de ses dispositions et sans modifier le délai d’exécution des travaux ».
L’arbitre reconnait que SAFRICAS CONGO SA ne rapporte pas la preuve des nouveaux délais que lui aurait accordés PARKLAND, et constate donc que le délai d’exécution des travaux n’a pas été modifié.
L’arbitre aurait donc dû s’en tenir aux délais d’achèvement, pour lesquels la preuve de l’accord des parties est rapportée, afin d’apprécier les délais de retard dans l’exécution des travaux. Or l’arbitre a considéré comme valablement établi l’allongement des délais d’achèvement, bien que cet allongement ait été invoqué unilatéralement et sans preuve par SAFRICAS CONGO SA.
Ce faisant, l’arbitre a contredit ses propres constatations.
Au paragraphe n°218 de la sentence, l’arbitre écrit que : « PARKLAND n’a donc pas mis à exécution sa menace de résilier le contrat d’entreprise, ce qui démontre que, dans l’ensemble elle était satisfaite des prestations de Safricas ».
L’arbitre a considéré que le fait, pour le créancier d’une obligation contractuelle, de ne pas résilier son contrat, suffisait à établir que le créancier était d’accord avec la durée d’exécution de cette obligation. Or le créancier peut préférer poursuivre l’exécution du contrat et demander le versement de dommages-intérêts au débiteur, afin de réparer le préjudice subi par le retard dans l’exécution de l’obligation. Par son raisonnement, l’arbitre a donc, de façon arbitraire et sans aucun fondement légal, considéré comme prouvés des faits qui, objectivement, ne l’étaient pas.
Au paragraphe n°219 de la sentence, l’arbitre écrit que : « Safricas produits aux débats 15 bons de commande (...) relatifs à des travaux supplémentaires exigés par Parkland qui ont entrainé des délais supplémentaires, généralement de 2 mois chacun ». L’arbitre a retenu de façon arbitraire, sur la base d’aucune règle de preuve, que les travaux supplémentaires commandés par Parkland avaient chacun entrainé deux mois de délai supplémentaire.
Au paragraphe n°221 de la sentence, l’arbitre écrit que : « en continuant à commander des travaux supplémentaires au-delà du délai contractuel, (Parkland) a tacitement prorogé celui-ci alors qu’elle avait la faculté de résilier le marché ». L’arbitre a déduit de la prorogation tacite du délai d’exécution d’une obligation contractuelle, l’acceptation, par le créancier, des retards subis lors de l’exécution des travaux précédemment commandés au même débiteur. En raisonnant en ces termes, l’arbitre tient pour établis des faits matériellement non prouvés, et ce sans aucune base légale.
Au paragraphe n°225 de la sentence, l’arbitre écrit que : « dès lors qu’en l’espèce le délai d’exécution a été tacitement prorogé d’un commun accord, le Maître de l’ouvrage est infondé à réclamer des pénalités de retard ».
D’une part, l’arbitre n’a pas constaté la durée de cette prétendue prorogation tacite, car il n’en a pas établi le terme, ce qui l’empêchait de pouvoir valablement se prononcer sur l’existence ou l’absence d’un retard. D’autre part, le fait que l’arbitre reconnaisse l’existence de malfaçons imputables à SAFRICAS CONGO SA (cf. paragraphe 231 de la sentence), aurait dû suffire à considérer que le maître d’ouvrage était fondé, sur le principe, à réclamer des pénalités de retard. Sur ce point, l’arbitre n’a pas tiré des faits qu’il a lui-même constatés des conclusions conformes à l’ordre public international.
Au paragraphe n°289 de la sentence l’arbitre écrit que : « l’article 1.3 de l’avenant n° en date du 16 juillet 2015 (...) stipule qu’une compensation financière de 10% des lots retirés (hormis les nacelles) pourra être facturée lors de l’établissement des situations de travaux ». Dans sa motivation, l’arbitre omet de constater la valeur des lots qui ont été retirés du marché (celle-ci n’a pas été prouvée par SAFRICAS CONGO SA). C’est donc sur la base d’un calcul purement arbitraire que l’arbitre retient le montant de 1.028.567,51 USD alors qu’il aurait dû relever que SAFRICAS CONGO SA ne rapportait pas les preuves nécessaires au soutien de ses prétentions, et ainsi rejeter ces dernières » ;
Mais attendu que le recours en annulation de sentence visé à l’article 29.2 du Règlement d’arbitrage de la CCJA, qui prévoit parmi les causes d’annulation la contrariété à l’ordre public international, permet à la Cour de contrôler, non le bien-fondé ou non de la solution juridique retenue par la sentence, mais l’aptitude de celle-ci à s’insérer dans l’ordre juridique des Etats parties ; que telle que ci- dessus exposée, la première branche du premier motif d’annulation, prétendument tiré de la contrariété avec l’ordre public international, convie plutôt à une appréciation de la pertinence des motifs de la sentence entreprise, laquelle n’est pas du ressort de la Cour de céans statuant comme juge de l’annulation ; que cette branche du moyen n’est donc pas fondée et doit être rejetée ;
Sur le premier motif d’annulation tiré de la contrariété de la sentence à l’ordre public international, en sa deuxième branche
Attendu que le recours reproche également à la sentence arbitrale la contrariété avec l’ordre public international, en ce que l’arbitre aurait inversé la charge de la preuve ; qu’au soutien de ce motif, la recourante expose :
« Au paragraphe n°230 de la sentence l’arbitre écrit que : « (Parkland) s’est abstenue de produire aux débats la preuve des loyers prétendument perdus, notamment les avis trimestriels d’échéance et le relevé des loyers qu’elle étaient censée percevoir depuis l’entrée en vigueur du contrat de bail ». L’arbitre reproche à PARKLAND de ne pas avoir produit aux débats un contrat de bail, avec un loyer mensuel fixé à 295.740 USD (Cf. paragraphe 227 de la sentence). Par conséquent, l’arbitre s’est contredit dans ses propres constatations et a exigé de PARKLAND une preuve impossible, puisque l’immeuble n’a précisément pas 6 pu être loué comme convenu, et le contrat de bail n’a pas pu entrer en vigueur à la date prévue par les parties. PARKLAND ne pouvait pas donc émettre les avis trimestriels d’échéance qu’attendait l’arbitre. En raisonnant ainsi, l’arbitre a dispensé SAFRICAS CONGO SA de la charge d’une preuve qui lui incombait, si elle voulait convaincre l’arbitre que le report de l’entrée en vigueur du contrat de bail n’avait causé aucun préjudice financier à PARKLAND.
Au paragraphe n°297 et n°298 de la sentence, l’arbitre écrit que : « Safricas réclame une somme de 3.040.128 USD à titre de remboursement des charges de fonctionnement du chantier au-delà de la période conventionnelle (.…) dans ses écritures, Parkland s’est abstenue de contester le quantum de cette réclamation. Il lui était loisible de contester ce décompte à l’époque où elle l’a reçu. Elle pouvait encore le faire dans la présente procédure en contestant le calcul des sommes réclamées par Safricas. Il y a donc lieu de faire droit à cette demande. ».
D’une part, l’arbitre omet de retenir que PARKLAND a contesté l’existence même de cette créance à titre de remboursement des charges de fonctionnement du chantier (pages 18 et 19 du mémoire en réponse de PARKLAND dossier n°017/2018/ARB). D'autre part, et surtout, l’arbitre inverse la charge de la preuve, en exigeant de PARKLAND d’établir que le quantum de la réclamation de SAFRICAS CONGO SA est erroné sans que SAFRICAS CONGO SA ait à prouver le mode de calcul des sommes qu’elle réclame à titre de remboursement des charges de fonctionnement du chantier.
Au paragraphe n°299 de la sentence, l’arbitre écrit que : « Safricas réclame au titre des travaux supplémentaires qu’elle a effectués à la suite des modifications demandées par PARKLAND une somme de 220.844,65 USD. Elle a produit dans sa requête d’arbitrage une liste desdits travaux. PARKLAND soutient qu’elle n’a pas agréé ces travaux et qu’elle n’a pas donné son accord préalable conformément à l’article 5.6 du contrat. Toutefois, elle ne conteste pas que ces travaux ont été exécutés, et ce, dans l’intérêt de l’immeuble en construction ». L’arbitre a inversé la charge de la preuve, en faisant peser sur PARKLAND l’obligation d’établir que les travaux litigieux ont été commandés par PARKLAND.
Au paragraphe n°300 de la sentence, l’arbitre écrit que : « (Safricas) produit aux débats des factures impayées pour un montant total de 826.049,56 USD ainsi que plusieurs courriers de réclamations et relances. (...) (PARKLAND) n’en conteste donc pas le principe et n’apporte aucun élément de preuve susceptible de contredire le montant réclamé par SAFRICAS. L'’arbitre a inversé la charge de la preuve, en faisant peser sur PARKLAND l’obligation d’établir que le montant réclamé par SAFRICAS CONGO SA n’était pas dû. En effet, il appartenait d’abord à SAFRICAS CONGO SA de rapporter la preuve que les travaux supplémentaires ont été commandés par PARKLAND » ;
Mais attendu que, sous le couvert de la contrariété à l’ordre public international, la deuxième branche du premier motif d’annulation convie plutôt à procéder à une nouvelle instruction de l’affaire au fond, ce qui ne correspond pas à un contrôle de la conformité de la sentence à l’ordre public international et ne rentre pas dans la mission de la Cour fixée par l’article 29.2 de son Règlement d’arbitrage ; que cette branche est donc non fondée et doit être rejetée ;
Sur le premier motif d’annulation tiré de la contrariété de la sentence à l’ordre public international, en sa troisième branche
Attendu que le recours reproche aussi à la sentence arbitrale la contrariété avec l’ordre public international, en ce que l’arbitre aurait retenu comme éléments de preuve d’une créance exclusivement les documents constitués par la partie qui s’en est prévalu ; qu’au soutien de ce motif, la recourante expose :
« Au paragraphe n°294 de la sentence, l’arbitre écrit que : « la créance de Safrica étant établie et son montant n’étant pas discuté par PARKLAND, il convient de lui ordonner de payer la somme de 716.159,09 USD au titre des fournitures pour les travaux supplémentaire ».
D’une part, l’existence de la créance alléguée par SAFRICAS CONGO SA a été contestée par PARKLAND CONGO SA. D’autre part, la preuve de l’existence de cette créance n’a pas été valablement rapportée par SAFRICAS Congo SA. En effet, SAFRICAS CONGO S.A s’est limitée à produire aux débats ses propres factures, émises sans l’accord du maître d’ouvrage. Or comme le dit l’adage, « nul ne peut se constituer un titre à soi-même ». En statuant en ces termes, l’arbitre a violé de façon concrète et effective une règle d’ordre public intemational.
Au paragraphe n°300 de la sentence, l’arbitre écrit que : « (Safricas) produit aux débats des factures impayées pour un montant total de 826.049,56 USD ainsi que plusieurs courriers de réclamations et relances. (...) (PARKLAND) n’en conteste donc pas le principe et n’apporte aucun élément de preuve susceptible de contredire le montant réclamé par Safricas ».
D’une part, l’arbitre retient comme seuls éléments de preuve de la prétendue créance de SAFRICAS CONGO SA sur PARKLAND des factures émises par SAFRICAS CONGO SA, enfreignant ainsi un principe d’ordre public suivant lequel « nul ne peut se constituer un titre à soi-même ».
D'autre part, PARKLAND a contesté le principe même de cette créance en page 18 de ses écritures. En affirmant le contraire, l’arbitre a manqué à sa mission de juger en droit et a causé un préjudice à PARKLAND.
De tout ce qui précède, il ressort que la sentence attaquée est contraire à l’ordre public international et sera annulée. » ;
Mais attendu que, sous le couvert de la contrariété à l’ordre public international, cette dernière branche du premier motif d’annulation, en ce qu’elle pose la problématique de la recevabilité des preuves auto-constituées retenues par l’arbitre, convie la Cour de céans à remettre en cause le pouvoir souverain du tribunal arbitral dans l’appréciation des éléments de preuve et ainsi à se substituer à celui-ci dans le règlement du fond du différend ; qu’une telle prérogative ne rentrant pas dans la mission de la Cour fixée par l’article 29.2 de son Règlement d’arbitrage, cette branche du motif d’annulation sera également rejetée ;
Attendu qu’au regard de tout ce qui précède, il convient de déclarer ce premier motif d’annulation mal fondé et de le rejeter ;
Sur le second motif d’annulation tiré du non-respect par l’arbitre de sa mission
Attendu qu’il est reproché à la sentence arbitrale le non-respect par l’arbitre de sa mission, en ce que celui-ci avait été investi par les parties litigantes du pouvoir de trancher leur différend en droit, ce qu’il n’aurait pas fait ; que pour illustrer ce motif d’annulation, la recourante expose :
« Lorsque l’arbitre reçoit mission d’appliquer la loi, il ne peut pas se prononcer de façon arbitraire, en laissant sa subjectivité prendre le dessus sur l’application stricte des règles de droit, c’est-à-dire en se permettant aussi bien de les ignorer que de s’en écarter en tant que son sentiment de l’équité l’exige (...). En l’espèce, conformément au point 50 du procès-verbal de la réunion de cadrage du 16 avril 2019, les parties ont donné à l’arbitre mission d’appliquer la loi congolaise et non mission de statuer en équité.
Pourtant, il ressort de plusieurs passages de la sentence arbitrale, tels que relevés dans la section précédente, que l’arbitre a laissé libre cours à des opinions dictées par sa seule perception éminemment subjective de l’équité dans cette affaire, faisant ainsi choix manifeste d’ignorer l’application de plusieurs principes fondamentaux du droit de la preuve, et causant par la même occasion un grief à PARKLAND.
A cet égard, les silences, tout comme les contradictions manifestes et objectives dont l’arbitre a entaché la motivation de sa sentence, illustrent également les libertés que celui-ci s’est autorisé à prendre avec la rigueur que devait lui imposer l’application stricte des règles de droit.
Ainsi au paragraphe n°304 de la sentence, l’arbitre écrit que « dès lors que PARKLAND n’a pas rapporté la preuve de la faute de SAFRICAS dans l’exécution du contrat, elle doit restituer le montant en principal de la garantie, soit la somme de 578.284,32 USD ».
Pourtant, l’arbitre a admis l’existence de malfaçons (cf. paragraphe 231 de la sentence), lesquelles sont imputables à SAFRICAS CONGO SA ;
L’arbitre aurait donc dû dire en quoi ces malfaçons ne justifiaient pas l’exécution de la garantie de bonne fin. En s’abstenant de le faire, l’arbitre a statué en équité et ne s’est pas conformé à sa mission de dire le droit, causant ainsi un préjudice à PARKLAND.
De tout ce qui précède, il résulte que l’arbitre ne s’est pas conformé à sa mission et que la sentence attaquée doit être annulée. » ;
Mais attendu qu’en reprochant à la sentence arbitrale le non-respect par l’arbitre de sa mission, en ce qu’investi par les parties litigantes du pouvoir de trancher leur différend en droit, ce dernier aurait failli à cette mission en adoptant des motifs limités et contradictoires, la requérante, qui ne saurait reprocher à un arbitre statuant en équité une contradiction ou une insuffisance de motifs, admet implicitement que celui-ci n’a pas jugé en amiable composition mais plutôt en droit, conformément à la mission qui lui avait été confiée ; que ce moyen n’est donc pas fondé et doit être rejeté ;
Attendu qu’en définitive aucun des motifs d’annulation n’est fondé ; qu’il échet de le rejeter le recours ;
Sur la demande d’exequatur
Attendu que la société SAFRICAS S.A a demandé à la Cour d’ordonner l’exequatur de la sentence arbitrale du 12 mai 2020 conformément aux dispositions de l’article 30 du Règlement d’arbitrage de la CCJA ;
Attendu que la demande est recevable en la forme pour avoir été introduite conformément aux dispositions de l’article 30.1 du Règlement d’arbitrage susvisé; qu’au fond, aucune des causes de refus d’exequatur prévues par l’article 30.5 dudit Règlement n’a été retenue ; qu’il échet de faire droit à la demande ;
Sur les dépens
Attendu que la société PARKLAND S.A succombant, sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Ordonne la jonction des procédures enregistrées à ce siège sous les numéros 128/2020/PC du 08/06/2020 et 129/2020/PC du 09/06/2020 ;
Rejette le recours en annulation introduit par la société PARKLAND S.A contre la sentence arbitrale du 12 mai 2020 rendue par le tribunal arbitral à juge unique siégeant sous l’égide de la CCJA ;
Accorde l’exequatur sollicité par la société SAFRICAS CONGO S.A à ladite sentence ;
Condamne PARKLAND S.A aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier en chef
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