ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Troisième chambre
Audience publique du 08 avril 2021
Pourvoi : n° 194/2016/PC du 18/08/2016
Affaire : Ac A B
(Conseil : Maître Rassemadje MOGUENA, Avocat à la Cour)
Contre
Etat Tchadien
(Conseil : Maître Philippe HOUSSINE, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 047/2021 du 08 avril 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’arrêt suivant en son audience publique du 08 avril 2021 où étaient présents :
Messieurs Mahamadou BERTE, Président
Arsène Jean Bruno MINIME, Juge, rapporteur
Mariano Esono NCOGO EWORO, Juge
et Maître Louis Kouamé HOUNGBO, Greffier ;
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 18 août 2016 sous le n°194/2016/PC, formé par Maître Rassemadje MOGUENA, Avocat à la Cour, BP 2440 NXAb, Tchad, agissant au nom et pour le compte de l’Ac A B, entreprise de commerce général dont le siège social est à NXAb, BP 730, prise en la personne de monsieur Ad C Aa, son représentant légal, dans la cause l’opposant à l’Etat tchadien, représenté par la Direction du Contentieux Civil, ayant pour conseil Maître Philippe HOUSSINE, Avocat à la Cour, BP 1744, NXAb,
en cassation de l’arrêt n°008/2016 du 07 janvier 2016 rendu par la cour d’appel de NXAb, dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement et contradictoirement à l’égard des parties en matière civile et coutumière et en dernier ressort ;
En la forme,
Reçoit l’appel de l’Etat tchadien comme étant intervenu dans les forme et délai légaux ;
Au fond,
Infirme le jugement Rép N°385/AL/14 du 03/11/2014 en toutes ses dispositions ;
Condamne l’Ac A B aux dépens. » ;
Le requérant invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de monsieur Arsène Jean Bruno MINIME, Juge ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que se prévalant d’une créance d’un montant de 95 176 775 F CFA devenue exigible courant 2011-2012, correspondant à la valeur totale des livraisons de divers matériels de bureau et informatiques au Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat, l’Ac A B signifiait à l’Etat tchadien une ordonnance d’injonction de payer cette somme au principal et celle de 22 207 914 F CFA à titre d’intérêts moratoires, rendue le 26 septembre 2014 par le vice-président du tribunal de grande instance de NXAb ; que par jugement du 03 novembre 2014, ce tribunal déclarait non avenue l’opposition de l’Etat tchadien ; que sur appel de celui-ci, la cour d’appel de NXAb rendait l’arrêt infirmatif dont pourvoi ;
Sur la recevabilité du pourvoi
Attendu que, par mémoire en réponse reçu au greffe de la Cour de céans le 30 juin 2018, le défendeur a, sur le fondement de l’article 28 du Règlement de procédure de la CCJA, conclu à l’irrecevabilité du pourvoi aux motifs qu’il ne contient ni les conclusions ni les règles de procédure justifiant la saisine de la Cour et qu’il n’indique pas la date de signification de la décision attaquée ;
Mais attendu que le recours contient bien les conclusions du requérant et est fondé sur la violation par la cour d’appel des articles 30, 1", 2, 3 et 4 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que le défendeur qui reproche au demandeur de n’avoir indiqué la date de signification de la décision attaquée ne rapporte pas la preuve de cette signification, alors qu’il est établi par la procédure que l’expédition de la décision attaquée, annexée au recours, a été notifiée au demandeur par le greffier en chef de la cour d’appel le 03 août 2016 ; qu’il convient de déclarer le pourvoi recevable ;
Sur le premier moyen tiré de la mauvaise application de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
Vu ledit article ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les dispositions de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en ce qu’il a décidé qu’ « en matière de créance, les personnes publiques bénéficient d’une immunité d’exécution et en l’occurrence l’Etat tchadien, personne publique par excellence, ne saurait être soumis à la procédure d’injonction de payer prévue par les dispositions de l’Acte uniforme portant organisation de procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution », alors, selon le moyen, que l’immunité prévue par l’article 30 est une immunité d’exécution et non pas celle de juridiction ;
Attendu, en effet, que l’article 30 de l’Acte uniforme susvisé pose seulement le principe de l’interdiction des voies d’exécution et des mesures conservatoires contre les personnes bénéficiant de cette immunité et ne confère nullement une immunité de juridiction ; qu’en l’espèce, en décidant que l’Etat tchadien bénéficie d’une immunité d’exécution de nature à le soustraire de la procédure d’injonction de payer par application de l’article 30 susvisé, la cour d’appel a violé par fausse application les dispositions dudit article ; qu’il échet de casser l’arrêt querellé et d’évoquer, sans qu’il soit besoin d’examiner le second moyen ;
Sur l’évocation
Attendu que par déclaration en date du 16 mars 2014, la Direction du Contentieux Civil interjetait appel du jugement n°385/AL/14 rendu le 03 novembre 2014 par le Tribunal de grande instance de NXAb dont le dispositif est ainsi conçu :
« Statuant publiquement et contradictoirement à l’égard du requérant et par itératif défaut contre l’opposant en matière civile et coutumière et en premier ressort ;
Déclare l’opposition non avenue ;
Condamne l’opposant aux dépens. » ;
Attendu que l’appelant soutient qu’il est une personne morale bénéficiant de l’immunité et doit échapper à la procédure prévue par l’Acte uniforme relatif au recouvrement des créances ;
Attendu qu’en réplique, l’intimé conclut à la confirmation et fait valoir qu’il ne s’agit pas d’une exécution forcée mais plutôt de la recherche d’un titre exécutoire sur la base de la procédure d’injonction de payer ;
Sur la recevabilité de l’opposition
Attendu que pour déclarer l’opposition non avenue, le tribunal a retenu que l’Etat tchadien n’a pas comparu à la date d’assignation fixée ;
Mais attendu que selon l’article 12 alinéa 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la juridiction saisie sur opposition, statue immédiatement sur la demande en recouvrement, même en l’absence du débiteur ayant formé opposition, par une décision qui aura les effets d’une décision contradictoire ; qu’en l’espèce, en déclarant non avenue l’opposition de l’Etat tchadien, qui n’a pas comparu à la date d’assignation fixée, sans statuer sur la demande de recouvrement, le tribunal a violé le texte susvisé ; qu’il y a lieu de déclarer l’opposition recevable ;
Sur le bien-fondé de la créance
Attendu que l’Ac A B réclame le paiement des sommes de 95 176 775 F CFA à titre principal et 22 207 914 F CFA à titre d’intérêts moratoires ;
Attendu que pour résister à cette demande, l’Etat tchadien soutient qu’il est une personne morale bénéficiant de l’immunité d’exécution devant échapper à la procédure de recouvrement de créance ;
Attendu que sur l’immunité d’exécution, il y a lieu, pour les mêmes motifs que ceux développés lors de l’examen du moyen de cassation, déclarer mal fondé l’Etat tchadien ;
Attendu en revanche, d’une part, que la créance principale réclamée par l’Ac A B résulte d’un contrat de livraison de divers matériels de bureau et informatiques au Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat ; qu’elle est certaine, liquide et exigible, au sens des articles 1“ et 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, et n’est pas contestée par l’Etat tchadien ; que dès lors, l’Ac A est fondé à réclamer son paiement ;
Attendu, d’autre part, qu’il est acquis en droit que le retard dans l’exécution d’une obligation qui consiste dans le paiement d’une somme d’argent est sanctionné par la condamnation aux intérêts au taux légal à compter du jour de la sommation ou d’un autre acte équivalent ; qu’en l’espèce, la Cour fixe les intérêts moratoires dus par l’Etat tchadien au taux légal, à défaut de mise en demeure, à compter du 06 octobre 2014, date de signification de l’ordonnance d’injonction de payer ;
Attendu qu’il échet de condamner l’Etat tchadien à payer à l’Ac A B la somme de 95 176 775 F CFA à titre principal avec intérêts moratoires au taux légal à compter du 06 octobre 2014 ;
Sur les dépens
Attendu que, succombant, l’Etat tchadien sera condamné aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;
Déclare le pourvoi recevable ;
Casse l’Arrêt n°008/2016 du 07 janvier 2016 rendu par la Cour d’appel de NXAb ;
Evoquant et statuant sur le fond,
Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement n°385/2014 rendu le 03 novembre 2014 par le Tribunal de grande instance de NXAb ;
Statuant à nouveau,
Reçoit l’opposition de l’Etat tchadien ;
La déclare mal fondée ;
Condamne l’Etat tchadien à payer à l’Ac A B la somme de 95 176 775 F CFA à titre principal ;
Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 06 octobre 2014 ;
Condamne l’Etat tchadien aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier