ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(O.H.A.D.A)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(C.C.J.A)
Première chambre
Audience publique du 08 avril 2021
Pourvoi : n° 195/2019/PC du 08/07/2019
Affaire : Monsieur Ad Ae A
(Conseil : Maître René Roger BEBE, Avocat à la Cour)
Contre
1) Commercial Bank Cameroun SA
2) Etat du Cameroun
(Conseil : Maître Jean Baptiste NGADOMANE, Avocat à la Cour) Arrêt N° 061/2021 du 08 avril 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Première chambre, présidée par Madame Afiwa-Kindéna HOHOUETO, assistée de Maître Jean Bosco MONBLE, Greffier, a rendu en son audience publique ordinaire du 08 avril 2021 l’Arrêt dont la teneur suit, après délibération du collège de juges composé de :
Messieurs : César Appolinaire ONDO, Président, rapporteur
Fodé KANTE, Juge
Mesdames : Afiwa-Kindéna HOHOUETO, Juge
Esther Ngo MOUTNGUI IKOUE, Juge
Monsieur : Sabiou MAMANE NAÏSSA, Juge
Sur le recours enregistré sous le n°195/2019/PC du 08 juillet 2019, formé par Maître René Roger BEBE, Avocat à la Cour, demeurant Nouvelle Route Af, Immeuble Ac Aa, face Ecole Horizon au 1“ étage à Ab, Cameroun, agissant au nom et pour le compte de Monsieur Ad Ae A, demeurant à Yaoundé, Prison Secondaire au SED, dans la cause qui l’oppose à la Commercial Bank Cameroun S.A, en abrégé CBC, dont le siège social est sis à Bonanjo à Ab, Cameroun, et à l’Etat du Cameroun, intervenant volontaire, ayant pour conseil Maître Jean Baptiste NGANDOMANE, Avocat au Barreau de Paris, 122, avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris,
en cassation du Jugement n°271 rendu le 1” juin 2017 par le Tribunal de grande instance du Wouri à Ab et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties en chambre civile et commerciale, en premier et dernier ressort, en formation collégiale et à l’unanimité des membres ;
Reçoit Ad Ae A en sa demande de modification de la mise à prix ;
L’y dit fondée ;
Fixe la nouvelle mise à prix de l’immeuble saisi à 600.000.000 (six cents millions) de francs ;
Ordonne la continuation des poursuites par l’adjudication de l’immeuble saisi le 06 juillet 2017 par devant le Tribunal de grande instance de céans après accomplissement des formalités de publicité prévues aux articles 276 et 277 de l’Acte uniforme OHADA n°6 ;
Dit que les dépens seront payés par privilège en sus du prix de l’adjudication et supportés par les saisis. »
Le requérant invoque à l’appui de son recours les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de monsieur César Apollinaire ONDO MVE, Président ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Vu l’Arrêt n°041/2020 du 13 février 2020 rendu par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ordonnant la jonction des procédures n°195/2019/PC du 08 juillet 2019 et n°198/2016/PC du 30 août 2016 ;
Vu l’Ordonnance n°003/2021/CCJA en date du 15 janvier 2021 portant disjonction des procédures enregistrées au greffe sous les numéros 195/2019/PC du 08 juillet 2019 et 198/2016/PC du 30 août 2016 ;
Attendu que selon les énonciations du jugement attaqué, pour recouvrer sa créance sur Ad Ae A, la CBC initiait une procédure de saisie immobilière devant le Tribunal de grande instance du Wouri à Ab qui, statuant sur les dires du débiteur saisi, rendait le jugement dont recours ;
Sur l’intervention volontaire de l’Etat du Cameroun
Attendu que par acte reçu à la Cour le 10 mai 2019, l’Etat du Cameroun a déclaré intervenir volontairement dans l’instance initiée contre la CBC par Ad Ae A, affirmant être devenu le véritable propriétaire à hauteur de 98% de la banque défenderesse au pourvoi ; qu’en réaction, la CBC a fait savoir, par observations reçues à la Cour le 28 août 2019, qu’elle prend acte de l’intervention volontaire de l’Etat du Cameroun et qu’elle ne s’y oppose pas ;
Attendu que l’article 45 du Règlement de procédure dispose en substance que les Etats parties au Traité peuvent intervenir aux litiges soumis à la Cour, notamment lorsqu’ils justifient d’un intérêt légitime ;
Qu’il y a lieu de déclarer l’intervention recevable en la forme ;
Sur le premier moyen tiré de la non-réponse à des chefs de demandes
Vu l’article 28 bis, 5°" tiret, du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’aux termes du texte susvisé, l’omission ou le refus de répondre à des chefs de demandes expose le jugement affecté de ce grief à la cassation ; qu’en l’espèce, il ressort constamment des énonciations du jugement entrepris que dans ses différentes conclusions, Ad Ae A a demandé la nullité du commandement de saisie immobilière du 09 septembre 2014, du cahier des charges et du rapport de la contre-expertise en date du 02 février 2017, l’octroi d’un délai de grâce et la désignation d’un troisième expert immobilier ; que le jugement entrepris ne se prononce pas sur ces demandes ; que le grief étant donc avéré, il échet pour la Cour de céans de casser le jugement déféré de ce seul chef et, en conséquence, d’évoquer l’affaire sur le fond conformément aux dispositions de l’article 14 alinéa 5 du Traité de l'OHADA, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens ;
Sur l’évocation
Attendu qu’il résulte du dossier que pour recouvrer sa créance sur Ad Ae A d’un montant de 476.394.598 FCFA, la CBC initiait la réalisation de l’hypothèque souscrite sur un immeuble appartenant à son débiteur, en signifiant à ce dernier, les 09 septembre et 21 novembre 2014, un commandement aux fins de saisie immobilière, assorti d’une sommation d’avoir à A prendre communication du cahier des charges déposé au greffe du Tribunal de grande instance du Wouri à Ab ; que le 06 janvier 2015, le débiteur déposait des dires et observations datés du 20 décembre 2014 et sollicitait l’annulation de ce commandement ou à tout le moins l’évaluation de son immeuble par un expert et des délais de grâce ; que le tribunal désignait un expert qui évaluait l’immeuble saisi à 1.102.990.450 FCFA mais, à la demande de la CBC, une contre-expertise était ordonnée et aboutissait à une évaluation de l’immeuble saisi à 600.000 000 FCFA ; qu’après plusieurs péripéties, Ad Ae A formait, à l’audience du 20 avril 2017 par écritures de ses conseils, diverses demandes, auxquelles la CBC s’est opposée en sollicitant la continuation des poursuites ;
Sur la demande d’annulation du rapport d’expertise pour violation du principe du contradictoire et des formalités substantielles
Attendu que Ad Ae A sollicite la nullité du rapport d’expertise au motif que l’expert a convoqué la CBC aux opérations d’expertise sans l’informer, et a fixé la valeur de l’immeuble à 600 millions sur la base des seuls documents et éléments fournis par la CBC ; que l’expert a cassé le portail et procédé à l’ouverture forcée des portes sans aucune autorisation judiciaire ;
Mais attendu qu’un expert ne donne qu’un avis qui ne lie pas les juges du fond ; que l’évaluation faite par l’expert en l’espèce est, au regard des éléments du dossier, conforme aux standards ; qu’en l’occurrence, la mise à prix n’est pas inférieure au quart de la valeur vénale de l’immeuble ; que le rapport initial et la contre-expertise évaluent l’immeuble à 1. 100 000 000 FCFA et à 600 000 000 FCFA ; que la Cour dispose donc d’éléments suffisants pour fixer le montant de la mise à prix ; qu’en tout état de cause le demandeur ne justifie d’aucun préjudice au soutien de la nullité relative qu’il invoque ; qu’il y a lieu de rejeter la demande, alors de surcroît que son auteur ne rapporte pas, comme l’impose l’article 272 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, le bien-fondé de sa contestation ;
Sur la nullité du commandement aux fins de saisie immobilière
Attendu que Ad Ae A sollicite la nullité du commandement aux fins de saisie immobilière pour violation des dispositions de l’article 221 de l’Acte uniforme portant organisation des suretés d’une part et de l’article 254 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, d’autre part ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 297, alinéa 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la nullité du commandement aux fins de saisie ne peut être prononcée sur le fondement de l’article 254 du même Acte uniforme qu’à charge par celui 4 qui s’en prévaut de justifier d’un préjudice ; que tel n’étant pas le cas, il y a lieu de rejeter la demande comme mal fondée ;
Sur la nullité du cahier des charges
Attendu que Ad Ae A demande la nullité du cahier des charges déposé par la CBC en ce qu’il n’observerait pas plusieurs exigences prescrites à peine de nullité par l’article 267 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 297, alinéa 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la nullité du cahier des charges ne peut être prononcée sur le fondement de l’article 267 du même Acte uniforme qu’à charge par celui qui s’en prévaut de justifier d’un préjudice ; que tel n’étant pas le cas en la cause, il y a lieu pour la Cour de rejeter la demande comme mal fondée ;
Sur le délai de grâce
Attendu que Ad Ae A sollicite un délai de grâce de dix-huit mois, prétextant être de bonne foi et que le non-paiement de sa dette est tout simplement lié à la paralysie de son crédit et la conjoncture difficile ;
Mais attendu qu’au regard des éléments du dossier relatifs aux circonstances de la cause, de l’ancienneté de la dette et des frais de poursuites déjà engagés, cette demande est inopportune et doit être rejetée ;
Sur la désignation d’un nouvel expert
Attendu que Ad Ae A sollicite également la désignation d’un troisième expert pour évaluer son immeuble objet de la saisie, les rapports d’expertise précédents présentant selon lui diverses lacunes ;
Mais attendu qu’au regard de ce qui a été précédemment décidé sur la nullité de l’expertise, il convient de rejeter cette demande comme mal fondée ;
Sur la mise à prix et la continuation des poursuites
Attendu qu’il y a lieu de fixer à 600 000 000 FCFA le montant de la mise à prix de l’immeuble saisi et d’ordonner la continuation des poursuites dans les conditions fixées au dispositif du présent Arrêt ;
Sur les dépens
Attendu qu’il convient pour la Cour de condamner Ad Ae A, qui succombe à l’évocation, aux entiers dépens de l’instance ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme :
Reçoit l’Etat du Cameroun en la forme de son intervention ;
Au fond :
Casse et annule le jugement entrepris ;
Evoquant et statuant sur le fond :
Fixe à six-cents millions (600 000 000) FCFA le montant de la mise à prix de l’immeuble objet de la saisie ;
Déboute Ad Ae A de ses demandes plus amples ou contraires ; Ordonne la continuation des poursuites et la notification du présent Arrêt au Greffier en chef du Tribunal de grande instance du Wouri à Ab ;
Dit que le Président dudit Tribunal fixera, à la requête de la partie la plus diligente, une nouvelle date d’adjudication, sous réserve de l’accomplissement préalable des formalités de publicités prescrites notamment par les articles 276 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Condamne Ad Ae A aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier