ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Deuxième chambre
Audience publique du 29 avril 2021
Pourvoi : n° 200/2020/PC du 24/07/2020
Affaire : Banque Populaire de Côte d’Ivoire, ex - CNCE
(Conseils : Cabinet d’Avocats Félix AKA FOUFOUE, Avocats à la Cour)
contre
- Société AIRCOMM-CI SA devenue société NIAMOUTIE
TELECOM
(Conseil : Maitre Emile SONTE, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 075/2021 du 29 avril 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’arrêt suivant en son audience publique du… où étaient présents :
Messieurs : Robert SAFARI ZIHALIRWA, Président
Armand Claude DEMBA, Juge, rapporteur
Mounetaga DIOUF, Juge
et Maître Koessy Alfred BADO, Greffier,
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 24 juillet 2020, sous le n° 200/2020/PC et formé par le Cabinet d’avocats Félix AKA FOUFOUE, Avocats à la Cour, sis à Abidjan-Plateau, Résidence ROUME, B.P. 693 Abidjan 20, agissant au nom et pour le compte de la Banque Populaire de Cote d’Ivoire, dans la cause l’opposant à A B et la société AIRCOMM-CI S.A. devenue société N'AMOUTIE TELECOM, ayant pour conseil Maitre Emile SONTE, Avocat à la Cour, cabinet sis à Abidjan-Plateau, B.P. 1517 Abidjan 18,
en cassation de l’arrêt RG N° 046/2018, rendu le 25 octobre 2018 par la Cour d’appel de commerce d’Abidjan, dont le dispositif est libellé comme suit :
« Par ces motifs :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
En la forme :
Déclare recevables tant l’appel principal de la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne par abréviation « CNCE » dite la CAISSE D’EPARGNE que l’appel incident de Monsieur A B interjetés contre le jugement contradictoire N° RG 3476/3479/3480/2017 rendu le 28 décembre 2017 par le Tribunal de commerce d’Abidjan ;
Au fond :
Les y dit cependant mal fondés ;
Les en déboute ;
Confirme le jugement querellé en toutes ses dispositions ;
Met les dépens à la charge de la CAISSE D’EPARGNE et de Monsieur A B, chacun pour moitié … »
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Armand Claude DEMBA ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué, que courant décembre 2010 et par-devant notaire, la Banque Populaire de Cote d’Ivoire accordait à la société AIRCOMM-CI S.A. un crédit d’un montant total de trois milliards de FCFA ; qu’à titre de garantie pour son remboursement, A B hypothéquait au profit de la société AIRCOMM-CI S.A. des biens immobiliers dont la désignation et l’origine de propriété étaient déterminées dans la convention notariée de prêt ; que par la suite, et constatant que la dette ne se payait pas sur la période convenue, la Banque Populaire de Cote d’Ivoire procédait à la réalisation des hypothèques et recouvrait une partie importante de son dû, la société AIRCOMM-CI S.A. ne lui restant débitrice que de la somme de 1.139.514.078 FCFA en principal ; que pour recouvrer ce montant, la banque faisait pratiquer le 09 juin 2017 une saisie-vente d’autres biens appartenant à A B ; qu’en réaction, celui-ci saisissait la Juridiction Présidentielle du Tribunal de commerce d’Abidjan et obtenait, suivant l’ordonnance n°2206/2017 du 04 juillet, la nullité de la saisie-vente des biens meubles pratiquée aux motifs que, au sens de l’acte notarié du 14 décembre 2010, A B est «une caution hypothécaire (sic) et non une caution personnelle contrairement à ce que (la CNCE) prétend » ; que la Banque Populaire de Cote d’Ivoire interjetait appel de cette décision devant la Cour de commerce d’Abidjan, mais omettait ou négligeait par la suite d’enrôler son appel ; que dans le temps requis, A B sollicitait et obtenait du Premier Président de la Cour d’appel d’Abidjan une «ordonnance de constat de déchéance » après s’être fait délivrer un « certificat de non-enrôlement » ; que quelques mois plus tard, soit le 25 août 2017, la Banque Populaire de Cote d’Ivoire sollicitait et obtenait de la même Juridiction Présidentielle du Tribunal de commerce d’Abidjan l’ordonnance n°2969/2017 l’autorisant à « prendre inscription d’hypothèques sur les titres fonciers appartenant à A B » pour « sureté et garantie de la somme de 1.274.501.448 FCFA » ; qu’un mois après, la banque saisissait le Tribunal de commerce d’Abidjan d’une assignation en validation des hypothèques conservatoires ainsi prises ; qu’aussitôt, A B engageait à son tour le 03 octobre 2017 devant la même juridiction deux actions : la première, en rétractation de l’ordonnance d’autorisation d’hypothèques conservatoires, et la seconde, en mainlevée des mêmes hypothèques ; que dans le but d’une bonne administration de la justice, toutes ces procédures ont été jointes devant le juge du fond qui, vidant sa saisine le 28 décembre 2017, rendait le jugement RG/n°3476/2017, RG n°3479/2017 et RG n°3480/2017 qui déclarait « la demande de la Banque Populaire de Cote d’Ivoire en validation des hypothèques provisoires prises sur les biens immeubles de A B mal fondée », ordonnait la mainlevée desdites hypothèques avant de condamner la banque au paiement de dommages-intérêts ; que sur appel de la Banque Populaire de Cote d’Ivoire, la Cour de commerce d’Abidjan a rendu l’arrêt objet du présent pourvoi ;
Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation des dispositions de l’article 33 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement de rejet de la demande en validation des inscriptions provisoires d’hypothèques de la banque, au motif que l’ordonnance RG n°2206/2017 rendue par le Juge de l’exécution le 04 juillet 2017 a acquis l’autorité de la chose jugée alors, selon le moyen, que « la procédure d’inscription provisoire a été initiée sur le fondement d’une grosse notariée de crédit revêtue de la formule exécutoire (...) et donc conforme à l’article 33 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que partiellement exécuté par l’huissier de justice, « ce titre a acquis une force de chose jugée irrévocable » qui ne saurait être entamée par le Juge de l’exécution lequel a, par sa décision, violé l’article 33 sus évoqué ;
Mais attendu qu’il entre dans les pouvoirs du juge de l’exécution d’interpréter un acte notarié, fondement de toutes les poursuites engagées et jointes, aux fins de pouvoir découvrir la véritable et commune intention des parties ; qu’en l’espèce, c’est à bon droit que la cour d’appel a jugé, sans dénier l’existence et la nature de la convention notariée de crédit en cause, que la Banque Populaire de Cote d’Ivoire avait acquiescé à la décision de justice constatant que A B n’est pas « une caution personnelle » mais bien un tiers constituant ; que c’est encore à bon droit qu’elle a estimé que ladite décision avait conséquemment acquis l’autorité de la chose jugée ; qu’en se déterminant de la sorte, elle n’a nullement violé l’article visé au moyen mais a, tout au contraire, pleinement exercé les attributions qui sont les siennes ; que par conséquent, cette première branche du moyen est rejetée ;
Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de la violation des dispositions de l’article 49 l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
Attendu que le pourvoi reproche à la cour d’appel la violation de l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en ce qu’elle a estimé que c’est à bon droit que le Juge de l’exécution a retenu que l’engagement de A B se limite aux deux biens donnés en hypothèques, lesquelles sont d’ores et déjà réalisées, alors, selon le moyen que, d’une part, c’est à tort qu’il a ainsi étendu le champ de compétence du juge de l’exécution à l’interprétation d’un titre exécutoire et, d’autre part, l’autorité de la chose jugée n’est évoquée que dans les motivations de cette décision et non dans son dispositif, celui -ci étant le seul à revêtir ladite autorité ; qu’en disant le contraire, la cour d’appel a violé le texte précité et exposé son arrêt à la cassation ;
Mais attendu que c’est dans le cas d’une contrariété entre le dispositif d’un jugement et ses motifs que se pose la question de la suprématie ou non de l’un sur les autres ; que dans les autres cas, il est tout aussi constant que l’autorité de la chose jugée peut s’étendre aux motifs dès lors que ceux-ci sont indissociables de la décision et demeurent le soutien nécessaire du dispositif ; qu’en l’espèce, le jugement concerné ne contient nulle contrariété entre son dispositif et ses motifs, et c’est donc en toute régularité que le juge d’appel a admis l’autorité de la chose jugée sur la question du tiers constituant que le premier juge a du obligatoirement trancher dans les motivations pour prendre sa décision ; qu’il échet de dire cette deuxième branche non fondée et la rejeter ;
Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de la violation des dispositions des articles 213 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des suretés
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué la violation des articles susvisés de l’Acte uniforme portant organisation des suretés, en ce qu’il a confirmé le jugement de rejet de la demande en validation des inscriptions provisoires d’hypothèques alors, selon le moyen, qu’en raison de la totale différence entre leurs demandes et leur fondement juridique, il ne peut pas avoir autorité de la chose jugée entre une procédure de fond en validation d’hypothèques basée sur les articles 213 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des suretés et une décision fondée sur l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte sus évoqué et son arrêt encourt la cassation ;
Mais attendu qu’il n’y a nulle contrariété, ni violation des textes précités pour un juge qui, appelé à valider des inscriptions provisoires d’hypothèques en application des articles 213 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des suretés, choisit de rejeter cette demande en excipant de l’autorité de la chose jugée attachée à une précédente décision qu’il avait rendue en qualité de juge de l’exécution de l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, dès lors que ces procédures s’imbriquent en ce qu’elles concernent les mêmes parties et, surtout, ont pour fondement un même acte notarié, en l’occurrence celui du 14 décembre 2010 ; qu’il y a lieu de rejeter cette dernière branche du premier moyen comme étant non fondée ;
Sur le second moyen, tiré du manque de base légale
Attendu que la demanderesse au pourvoi reproche à la cour d’appel d’avoir insuffisamment motivé son arrêt, en ce qu’elle a confirmé le jugement de rejet de la demande de validation des hypothèques provisoires «en se contentant d’affirmer de l’existence d’une ordonnance du Juge de l’exécution qui aurait jugé du défaut de la qualité de débiteur de (A B) et que cette ordonnance aurait acquis l’autorité de la chose jugée » alors, selon le moyen, que « la cour d’appel se devait de démontrer en l’espèce, d’une part, en quoi il y a eu autorité de la chose jugée par l’existence d’une identité de cause, de parties et de fondement juridique dans les deux instances » et, d’autre part, en quoi la combinaison des deux procédures de nature et de fondement juridique différents tirées de l’Acte uniforme portant organisation des suretés et de de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution est-elle régulière en la présente cause ; qu’en se prononçant de la sorte, «la cour d’appel a privé son arrêt de base légale résultant de cette insuffisance de motifs » ; que son arrêt mérite la cassation ;
Mais attendu que la lecture de l’arrêt dont pourvoi renseigne nettement en sa douzième page que, pour confirmer que N[A B est un tiers constituant et non une « caution personnelle », le juge d’appel a fondé sa conviction aussi bien sur des articles de la convention notariée de prêt que sur les dispositions idoines de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, avant d’en déduire que la décision du premier juge de l’exécution qui a fait ces constatations est revêtue de l’autorité de la chose jugée ; qu’il s’en infère que l’arrêt, suffisamment motivé, n’est en rien dépourvu de base légale ; que ce second moyen, infondé, est rejeté ;
Attendu qu’aucun des deux moyens n’ayant prospéré, le pourvoi est rejeté ;
Sur les dépens
Attendu que la Banque Populaire de Cote d’Ivoire, ayant succombé, est condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;
Rejette le pourvoi ;
Condamne la Banque Populaire de Cote d’Ivoire aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier