ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Deuxième chambre
Audience publique du 29 avril 2021
Pourvoi : n° 316/2020/PC du 21/10/2020
Affaire : A Ag Ah
C Ab Ae
B Ad
(Conseil : Maître Jacob SANGONE-DEMOBONA, Avocat à la Cour)
contre
Société COMMERCIAL BANK CENTRAFRIQUE SA (CBCA)
(Conseil : Marius BANGATI-NGBANGOULE, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 080/2021 du 29 avril 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’arrêt suivant, en son audience publique du 29 avril 2021 où étaient présents :
Messieurs Robert SAFARI ZIHALIRWA, Président
Armand Claude DEMBA, Juge
Mounetaga DIOUF, Juge, Rapporteur
et Maître Koessy Alfred BADO, Greffier,
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 21 octobre 2020, sous le n°316/2020/PC et formé par Maître Jacob SANGONE-DEMOBONA, Avocat à la Cour, demeurant à l’immeuble Fx-maison de la presse, centre-ville, Avenue de l’Indépendance, BP 603 Bangui, République centrafricaine, agissant au nom et pour le compte de Ag Ah A, demeurant au quartier SICA 1 à Bangui, Ab Ae C demeurant au quartier Gobongo à Bangui et Ad B, demeurant à Bangui, dans la cause qui les oppose à la société COMMERCIAL BANK CENTRAFRIQUE SA (CBCA), dont le siège social est à Bangui, BP 59, Rue de Brazza, ayant pour conseil Maître Marius BANGATI-NGBANGOULE, Avocat à la Cour, demeurant à Bangui, Rue Aa X, à proximité de l’Ambassade des Etats-Unis à Bangui, BP 3070, République centrafricaine,
en cassation de l’arrêt n°017/2020 rendu le 21 février 2020 par la cour d’appel de Bangui et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties en matière civile et commerciale et en dernier ressort ;
--- En la forme : déclare l’appel recevable ;
--- Au fond : confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;
--- Mets les dépens à la charge de NOUGANDA Jean Baptiste et autres ».
Les requérants invoquent à l’appui de leur pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Mounetaga DIOUF, Juge ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires
en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces de la procédure qu’à la suite de leur remplacement au conseil d’administration de la CBCA, par courrier en date du 22 juin 2017 du Ministre des Finances de la République Af qui leur avait renouvelé, par correspondance n°04666/MFB/DIR.CAB/CMJIF du 14 mars 2016, leur mandat de représentant de l’Etat Centrafricain au sein dudit conseil jusqu’au second semestre de l’année 2020, les requérants saisissaient le tribunal de commerce de Bangui de trois actions séparées aux fins d’obtenir la condamnation de la CBCA à leur payer diverses sommes d’argent pour révocation abusive ; que par jugements numéros 170 et 171 du 02 octobre 2018, le tribunal de commerce de Bangui déboutait les trois requérants de leurs demandes ; que par trois requêtes distinctes, toutes datées du 18 janvier 2019, les requérants interjetaient appel contre lesdits jugements ; que le 21 février 2020, la cour d’appel de Bangui, après jonction des trois dossiers, rendait l’arrêt n°017 dont pourvoi ;
Sur la recevabilité du recours
Attendu que dans son mémoire en réponse reçu au greffe de la Cour de céans le 22 février 2021, la CBCA a soulevé l’irrecevabilité du recours sur le fondement des articles 28 et 23-1 du Règlement de procédure de la Cour motif pris de ce que, d’une part, les requérants, qui ont versé au dossier l’exploit de signification qu’ils lui ont eux-mêmes servi, n’ont pas précisé la date à laquelle l’arrêt attaqué leur a été signifié pour permettre d’apprécier la recevabilité du recours et, d’autre part, la preuve de la qualité d’avocat du conseil des requérants n’est pas versée au dossier ;
Mais attendu, de première part, que si la signification de l’arrêt attaqué est le point de départ du délai de recours prévu par l’article 28 précité, la mention de la date à laquelle l’arrêt a été signifié et exigée par ce texte suppose que cette signification ait été effectivement faite ; que le fait pour le requérant de ne pas avoir reçu signification dudit arrêt de la part de son colitigant a seulement pour effet de ne pas faire démarrer le cours du délai et n’est pas donc un obstacle à l’exercice du pourvoi en cassation ;
Attendu, de seconde part, que la contestation de la qualité d’Avocat, qui n’a reçu aucune demande de régularisation est inopérante dès lors que ladite qualité ressort des pièces du dossier ; qu’en l’espèce la qualité d’Avocat de Maître Jacob SANGONE-DEMOBONA, conseil des requérants, est attestée tant par les jugements du tribunal de commerce de Bangui versés au dossier que par l’arrêt dont pourvoi, procédures dans lesquelles ledit avocat, régulièrement constitué, défendait déjà les recourants ; que le moyen d’irrecevabilité n’étant donc pas fondé, il échet de le rejeter et de déclarer le pourvoi recevable ;
Sur le premier moyen tiré du défaut de motifs pris en ses deux branches réunies
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir omis de répondre à des conclusions en ce qu’il a, d’une part, simplement relevé que « les appelants estiment qu’il y a eu violation des articles 422... de l’Acte uniforme sur les sociétés et Groupements d’Intérêts Economiques, en ce que leur mandat a été brutalement interrompu.… » alors, selon cette première branche du moyen, que les requérants ont démontré que l’article 422 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) est violé parce que l’Etat Centrafricain a désigné de nouveaux représentants permanents en remplacement de certains anciens dont le mandat était encore en cours et, d’autre part, noté que dans leur requête d’appel, les demandeurs au pourvoi ont estimé que l’article 423 a été violé, mais que la cour d’appel a rejeté cet argument sans cependant dire en quoi cette disposition n’a pas été violée tout en affirmant qu’entre l’utilisation de l’expression « désignation » par l’article 422 et celle de « révocation » par l’article 423, l’importance serait la finalité, alors, selon cette seconde branche moyen, que contrairement à l’article 423 susvisé qui autorise la révocation par la personne morale de son représentant permanent dans la société et décrit la procédure y relative et dont la mise en œuvre peut causer des préjudices en cas d’abus, l’article 422 du même texte parle de « désignation » ou de « renouvellement » qui interviennent à la fin régulière du mandat ;
Mais attendu que l’article 422 AUSCGIE prévoit que « le représentant permanent exerce ses fonctions pendant la durée du mandat d’administrateur de la personne morale qu’il représente. Lors de chaque renouvellement de son mandat, la personne morale doit préciser si elle maintient la même personne physique comme représentant permanent ou procéder, sur le champ, à la désignation d’un autre représentant permanent » ; que selon l’article 423 du même Acte uniforme, « Lorsque la personne morale révoque le mandat de son représentant permanent, elle est tenue de notifier sans délai, à la société, par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, cette révocation ainsi que l’identité de son nouveau représentant permanent. Il en est de même en cas de décès ou de démission du représentant permanent ou pour toute autre cause qui l’empêche d’exercer son mandat » ;
Attendu que l’article 422, qui traite de la durée des fonctions du représentant permanent et du renouvellement de son mandat, doit être distingué de l’article 423 qui a pour objet d’organiser la procédure de révocation du représentant permanent par la personne morale qu’il représente ; qu’en l’espèce, le problème posé à la cour d’appel dans les conclusions invoquées était relatif à l’existence ou non d’un abus dans la révocation des requérants, ès-qualités de représentants permanents de l’Etat Centrafricain au conseil d’administration de la défenderesse ; que pour trancher cette question, l’arrêt attaqué a visé l’article 433 AUSCGIE plus englobant qui dispose, en son alinéa 2, que « les administrateurs peuvent être révoqués à tout moment par l'assemblée générale ordinaire » ; qu’en décidant, sous le visa de ce texte et celui des articles 2003 et 2004 du code civil qui posent le principe de la libre révocabilité du mandat, que les sieurs Ag Ah A, Ab Ae C et Ad B étaient désignés en 2014 puis en 2016 pour représenter l’Etat au sein du conseil d’administration de la CBCA et pouvaient être remplacés à tout moment par leur mandant lorsqu’il y a rupture de confiance, l’arrêt attaqué, qui n’était pas tenu de répondre pour chaque article visé, a bien répondu à l’essence même des conclusions invoquées par la défenderesse ; que le moyen n’est dès lors pas fondé et doit être rejeté ;
Sur le deuxième moyen tiré de la violation des dispositions de l’article 433 AUSCGIE pris en ses deux branches réunies
Attendu que les requérants font grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 433 AUSCGIE en ce qu’il a admis la révocation ad nutum des administrateurs Ag Ah A, Ab Ae C et Ad B en estimant d’une part qu’il n’y a pas de preuve suffisantes d’abus et d’autre part, que l’emploi du terme « désignation » au lieu de « révocation » importe peu en raison de leur finalité qui est d’obtenir la cessation du mandat alors, d’une part, selon la première branche, que sous peine d’abus de droit, la libre révocabilité du mandat obéit à la règle du respect du droit des personnes qui a été violée dans la mesure où le fait d’avoir financé la rébellion qui leur est reproché porte atteinte à leur honneur et considération et d’autre part, selon la seconde branche, que la même règle de la révocabilité ad nutum obéit aussi au respect du principe du contradictoire qui n’aurait pas été respecté en l’espèce dans la mesure où ils ont été privés de l’occasion de s’expliquer sur les griefs qui leur sont reprochés;
Mais attendu que la révocabilité ad nutum du mandat d’administrateur de société anonyme est un droit discrétionnaire qui appartient à l’assemblée générale ordinaire de cette société ; qu’en cas de représentation d’une personne morale au conseil d’administration d’une société anonyme, le mandat d’administrateur est conféré à cette personne morale et non à la personne physique représentant cette personne morale qui n’est donc pas, selon l’article 421 AUSCGIE, personnellement administrateur ; qu’en tant que représentant de la personne morale, cette personne physique peut, à tout moment, être révoquée par le mandant qui n’est soumis à aucun préalable de respect au principe du contradictoire; que la société administrée ne saurait être mise en cause dans cette révocation, car elle n’a aucun contrôle sur la nomination ou la révocation de ce représentant de la personne morale ; qu’elle doit seulement être informée de la personne qui a été nommée ou révoquée en tant que représentant permanent de l’administrateur personne morale, ce qui a été fait en l’espèce ; que ce mandat de représentation révoqué au sens de l’article 423 AUSCGIE, ne doit pas être confondu avec le mandat social dont est investie la personne morale représentée et qui est prévu à l’article 422 du même Acte uniforme ; que la révocation du mandat qui lie la personne morale et son représentant est soumis aux dispositions du code civil applicable en République Centrafricaine ; que la révocation ad nutum du mandat de représentation de cette personne morale que l’on ne saurait reprocher à la CBCA, n’est pas, en soi, constitutive d’une faute ou d’un abus de droit ; qu’elle ne sauraient l’être que si les circonstances qui l’accompagnent sont elles-mêmes fautives ; qu’en tout état de cause, la cour d’appel qui a relevé l’absence de preuves suffisantes n’a, en rien, violé le texte sus-indiqué ; qu’il échet en conséquence de rejeter le moyen qui n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen tiré de la violation, par fausse application, des dispositions de l’article 1165 du code civil
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé, par fausse application, l’article 1165 du code civil en ce qu’il a estimé que la CBCA n’est qu’un tiers dans la relation entre les demandeurs et l’Ac Af qui les avait nommés comme représentants permanents et ensuite révoqués alors, selon le moyen que la CBCA n’est pas un tiers dans ladite relation dans la mesure où, une fois nommés, les demandeurs sont devenus membres du conseil d’administration de la société, qui, par l’entremise de son assemblée générale ordinaire est habilitée à les révoquer étant entendu que ce pouvoir spécifique de cette assemblée ne saurait être détaché et imputé à l’actionnaire seul ;
Mais attendu que l’article 1165 du code civil prévoit que les conventions n’ont d’effets qu’entre les parties qui les ont conclues ; que selon l’article 421, alinéa 1 AUSCGIE, la personne physique, représentant permanent d’une personne morale au sein du conseil d’administration d’une société anonyme n’est pas personnellement administrateur ; qu’il résulte de la combinaison de ces textes que dans le cadre de la représentation d’une personne morale au sein du conseil d’administration d’une société, le mandat d’administrateur est conféré personnellement à cette personne morale et non à la personne physique qui ne fait que la représenter ; que ce mandat par lequel la personne physique représente la personne morale au sein du conseil d’administration d’une société ne doit pas être confondu avec le mandat social dont est investie la personne morale représentée et qui est prévu à l’article 422 du même Acte uniforme ; qu’en l’espèce, les
n°1110/17/MFB/DIR.CAB du 22 juin 2017, avaient été désignés par la même autorité suivant lettre en date du 14 mars 2016 pour représenter la République Centrafricaine au conseil d’administration de la CBCA ; qu’en cette occasion, ils ne siégeaient pas au sein dudit conseil comme administrateur à titre personnel mais plutôt comme représentant de l’actionnaire administrateur qu’est la République Centrafricaine ; que la relation qui lie les demandeurs à leur mandant doit être distinguée de la relation sociale qui lie la société à son actionnaire ; que si l’assemblée générale de la CBCA est habilitée à nommer et à révoquer les membres du conseil d’administration par les articles 546, 3°) AUSCGIE et 37, 3°) des statuts de cette société, ce pouvoir ne peut s’exercer que contre les administrateurs à titre personnel dont l’Etat Centrafricain lui-même, à l’exclusion des représentants d’une personne morale membre de la société qui ne peuvent être nommés et révoqués que par la personne morale elle-même conformément aux articles 421, 422 et 423 AUSCGIE ; que la CBCA, qui doit seulement être informée des personnes qui ont été nommées ou révoquées en tant que représentant permanent de l’Etat Centrafricain, n’a donc aucun contrôle sur la nomination ou la révocation desdits représentants permanents ; qu’ainsi, en jugeant, sous le visa de l’article 1165 du code civil qui pose le principe de l’effet relatif des contrats, que la CBCA n’est qu’un tiers dans la relation entre les demandeurs et l’Ac Af qui les avait nommés comme représentants permanents et ensuite révoqués, la cour d’appel a fait une juste application du texté visé au moyen ; qu’il échet dès lors de rejeter le moyen qui n’est pas fondé ;
Attendu qu’en définitive, aucun moyen n’a prospéré ; qu’il échet de rejeter le pourvoi ;
Sur les dépens
Attendu que A Ag Ah C Ab Ae et B Ad, succombant, doivent supporter les dépens ; qu’il échet de les mettre à leur charge ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare recevable le pourvoi en cassation de l’arrêt n°017/2020 rendu le 21 février 2020 par la cour d’appel de Bangui ;
Rejette ledit pourvoi ;
Condamne Ag Ah A, Ab Ae C et Ad B aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier