ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Troisième chambre
Audience publique du 27 mai 2021
Pourvoi : n° 170/2020/PC du 08/07/2020
Affaire : GROUPE A40 ARCHITECTES SAS
(Conseil : Maître MOUBEYI BOUALE, Avocat à la Cour)
Contre
Union Gabonaise de Banque SA
(Conseils : SCP NTOUTOUME & MEZHER MOULOUNGUI, Avocats à la Cour)
Arrêt N° 093/2021 du 27 mai 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, présidée par Monsieur Mahamadou BERTE, assisté de Maître Louis Kouamé HOUNGBO, Greffier, a rendu en son audience publique du 27 mai 2021, l’arrêt dont la teneur suit, après délibération du collège de juges composé de :
Messieurs Mahamadou BERTE, Président
Fodé KANTE, Juge
Arsène Jean Bruno MINIME, Juge, rapporteur
Mariano Esono NCOGO EWORO, Juge
Sabiou MAMANE NAISSA, Juge
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 08 juillet 2020 sous le n°170/2020/PC et formé par Maître MOUBEYI BOUALE, Avocat à la Cour, Etude sise à proximité du Lycée Aa A, 1229 Avenue Léon MBA, BP 9428 Libreville, Gabon, agissant au nom et pour le compte du GROUPE A40 ARCHITECTES, société par action simplifiée dont le siège est au 56, Rue Paul Camelle 33100 Bordeaux, France, dans la cause l’opposant à l’Union Gabonaise de Banque, en abrégé UBG, société anonyme dont le siège est à Libreville, Avenue du Colonel PARANT, BP 315, représenté par son directeur général, ayant pour conseils la SCP NTOUTOUME & MEZHER MOULOUNGUI, Avocats à la Cour, Etude sise au 83 de l’Impasse 1229 V à l’arrière de l’Immeuble Le Narval à Libreville, BP 2565,
en cassation et annulation de l’ordonnance n°20/2019-2020 du 10 avril 2020 rendue par la Cour de cassation du Gabon, dont le dispositif est le suivant :
« Vu les articles 16 du Traité OHADA et 549 du code de procédure civile ;
Réitérons, si besoin est, le sursis à l’exécution de l’ordonnance rendue
entre les parties, le 10 août 2018 par le Premier Président de la cour d’appel
judiciaire de Libreville ;
Réservons les dépens. » ;
Le requérant invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de monsieur Arsène Jean Bruno MINIME, Juge ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure, qu’estimant que l’UBG manquait à ses obligations de tiers saisi, le GROUPE A40 ARCHITECTES obtenait sa condamnation, le 26 juin 2018, par le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de première instance de Libreville ; que la défense à exécution de cette décision demandée par l’UGB était rejetée par ordonnance du 10 août 2018 du premier Président de la Cour d’appel judiciaire de Libreville ; que le 31 août 2018, l’UGB sollicitait et obtenait, le 13 septembre 2018, de la juridiction du Président de la Cour de cassation du Gabon, le sursis à l’exécution de l’ordonnance ayant fait l’objet d’une signification avec commandement de payer le 10 août 2018 ; que le 18 novembre 2018, le GROUPE A40 ARCHITECTES formait pourvoi contre ladite décision qui était annulée par arrêt n°312/2019 du 12 décembre 2019 de la Cour de céans ; que saisie de nouveau par l’UGB d’une requête aux fins d’ « interprétation » de l’ordonnance rendue le 13 septembre 2018, la Cour de cassation du Gabon rendait l’ordonnance n°20/2019-2020 du 10 avril 2020 dont pourvoi ;
Sur la recevabilité du recours
Attendu que dans son mémoire en réponse, reçu le 23 octobre 2020, la défenderesse soulève l’irrecevabilité du recours aux motifs, d’une part, que le recours est introduit contre une ordonnance rendue par le premier président d’une cour de cassation nationale alors que selon l’article 18 du Traité de l'OHADA, la saisine de la CCJA n’est justifiée que s’agissant des décisions rendues par une cour de cassation nationale statuant en cassation ; d’autre part, que le recours formé 08 juillet 2020, contre une décision rendue le 10 avril 2020, est intervenu au-delà du délai de deux mois prévu par la loi ;
Mais attendu, en premier lieu, que s’il n’est pas contesté qu’en vertu de l’article 18 du Traité de l’'OHADA, l’ordonnance rendue par le président d’une juridiction nationale de cassation qui n’a pas statué en cassation ne peut être déférée à la censure de la Cour de céans, il en va autrement lorsque la décision rendue par la juridiction présidentielle de cassation méconnait la compétence de la CCJA et l’autorité de la chose jugée rattachée à l’arrêt de celle-ci ; qu’en l’espèce, sous le couvert de l’interprétation de sa propre décision ordonnant le sursis à l’exécution forcée déjà entamée et annulée par la Cour de céans, la juridiction nationale de cassation a réitéré le sursis à l’exécution forcée reprise en exécution de l’arrêt de la CCJA ; qu’une telle décision est contestable devant la CCJA au moyen d’un recours en annulation ;
Attendu, en second lieu, que, conformément aux dispositions de l’article 28 du Règlement de procédure de la Cour, un délai de deux mois, à compter de la signification de la décision attaquée, est imparti au requérant pour présenter le pourvoi en cassation ; que ce délai est augmenté du délai de distance de 21 jours, lorsque, comme c’est le cas d’espèce, ledit requérant réside en Afrique Centrale ;
Attendu que l’arrêt attaqué a été signifié au conseil du requérant par exploit en date du 24 avril 2020 ; qu’aux termes de l’article 25.2 du Règlement susmentionné, « lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en année, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la signification qui fait courir le délai. A défaut d’un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois. » ; qu’en application de ces dispositions, le GROUPE A40 ARCHITECTES avait jusqu’au 25 juin 2020, augmenté de 21 jours, soit au plus tard le 16 juillet 2020 à minuit pour déposer son pourvoi en cassation ; que dès lors, le pourvoi, formé le 08 juillet 2020, est recevable ;
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 20 du Traité de l’OHADA
Vu l’article 28 bis, 1“ tiret du Règlement de procédure de la CCJA ;
Attendu qu’il est fait grief à l’ordonnance attaquée la violation de l’article 20 du Traité de l'OHADA en ce que la juridiction du président de la Cour de cassation a ordonné le sursis à l’exécution de l’ordonnance rendue le 10 août 2018 en matière d’exécution forcée au mépris de l’arrêt rendu le 12 décembre 2019 par la CCJA, alors que l’arrêt de la CCJA a autorité de la chose jugée et ne pouvait faire l’objet que de recours extraordinaire, et que ses décisions ont primauté sur celles des juridictions nationales ;
Attendu, en effet, qu’aux termes de l’article 20 du Traité susvisé, « Les arrêts de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des Etats parties une exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions juridiques nationales. Dans une même affaire, aucune décision contraire à celle de la CCJA ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire d’un Etat partie. » ;
Attendu que selon l’article 14, alinéa 1, du même Traité, la CCJA « assure l’interprétation et l’application communes du Traité ainsi que des Règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions » ; qu’il en résulte que, sur le plan judiciaire, la CCJA est dépositaire suprême de la lettre et de l’esprit du Traité et des Actes uniformes ;
Attendu en outre, qu’en application des dispositions combinées des articles 5, 10, 14 et 16 du Traité, 32, 49 et 336 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la juridiction nationale de cassation ne peut plus exercer la compétence qui lui est réservée en matière de sursis à exécution, dès lors que l’exécution est consommée, volontairement ou forcément ;
Attendu qu’en l’espèce, en énonçant, au visa même de l’article 16 du Traité de l’'OHADA, « Réitérons, si besoin est, le sursis à l’exécution de l’arrêt rendu entre les parties, le 10 août 2018 par le Premier Président de la cour d’appel judiciaire de Libreville », alors que par Arrêt n° 312/2019 du 12 décembre 2019, la CCJA avait, pour des motifs encore actuels, annulé le sursis à exécution objet de cette « réitération », le premier Président de la Cour de cassation du Gabon a méconnu l’autorité de la chose jugée attachée audit Arrêt par l’article 20 du Traité de l’OHADA; qu’il échet pour la Cour de céans d’annuler l’ordonnance attaquée sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second moyen ;
Sur les dépens
Attendu que succombant, l’Union Gabonaise de Banque sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare le pourvoi recevable ;
Annule l’ordonnance n°20/2019-2020 du 10 avril 2020 rendue par le Premier Président de la Cour de cassation du Gabon ;
Condamne l’Union Gabonaise de Banque aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier