ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Première chambre
Audience publique du 27 mai 2021
Pourvoi : n°272/2020/PC du 18/09/2020
Affaire : Société ECOBANK Côte d’Ivoire
(Conseils : SCPA KONAN-LOAN et Associés, Avocats à la Cour)
Contre
C Ac, C Ab,
C Ad A C Aa
Arrêt N° 100/2021 du 27 mai 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Première chambre, Première formation, présidée par Madame Afiwa-Kindéna HOHOUETO, assistée de Maître Jean Bosco MONBLE, Greffier, a rendu en son audience publique ordinaire du 27 mai 2021 l’Arrêt dont la teneur suit, après délibération du collège de juges composé de :
Monsieur : César Appolinaire ONDO, Président, rapporteur
Mesdames : Afiwa-Kindéna HOHOUETO, Juge
Esther Ngo MOUTNGUI IKOUE, Juge
Sur le recours enregistré sous le n°272/2020/PC du 18 septembre 2020 formé par la SCPA KONAN-LOAN et Associés, Avocats à la Cour, demeurant à Cocody les deux Plateaux les Vallons Cité Lemania-Lot 1827 Bis, agissant au nom et pour le compte de la société ECOBANK Côte d’Ivoire, ayant son siège à Abidjan-Plateau, Place de la République, Avenue Houdaille, Immeuble B, 01 BP 4107 Abidjan 01, dans la cause qui l’oppose à C Ac, demeurant à Abidjan, C Ab, demeurant à Abidjan, représentant légal des mineurs C Aa et C Ad, tous ayant-droits de feu C Ae,
en cassation du jugement n°0563/2020 rendu le 15 mai 2020 par le Tribunal de commerce d’Abidjan et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en premier et dernier ressort ;
Reçoit les ayants-droits de feu C Ae, à savoir madame C Ac, messieurs C Aa et C Ad en leur action ;
Les y dit partiellement fondés ;
Condamne la société ECBOBANK Côte d’Ivoire à leur restituer la somme de 10.141.244 FCFA au titre du montant irrégulièrement débité du compte de leur défunt père ;
Les déboute du surplus de leurs demandes ;
Dit que la demande d’exécution provisoire est surabondante ;
Condamne la société ECOBANK Côte d’Ivoire aux entiers dépens. »
La requérante invoque à l’appui de son recours les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de monsieur César Apollinaire ONDO MVE, Président ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’'OHADA ;
Attendu, selon le jugement attaqué, qu’en 2013, KONE Amara pratiquait une saisie-attribution contre C Ae auprès d’ECOBANK qui déclarait détenir pour le compte du saisi la somme de 10.221.224 FCFA ; qu’après avoir libéré cette somme et après le décès de C Ae, la banque était assignée par les héritiers de ce dernier, courant 2016, devant le Tribunal de commerce d’Abidjan en restitution de la somme de 10.221.224 FCFA ; qu’après un désistement de cette action, les héritiers saisissaient de nouveau, le 30 janvier 2020, le même tribunal qui rendait le jugement dont pourvoi ;
Attendu que le recours a été signifié aux défendeurs par lettre du Greffier en chef n°2111/2020/GC/G4 du 08 décembre 2020, reçue par leur conseil maître Arnold GNAPI le 22 décembre 2020 ; qu’au terme du délai de trois mois qui leur était imparti, les défendeurs n’ont donné aucune écriture ; que le principe du contradictoire ayant été observé, il échet pour la Cour de statuer ;
Sur les deux moyens de cassation réunis
Attendu qu’il est d’une part reproché au jugement attaqué de retenir, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action, que les actes entrepris par les ayants droit de feu C Ae, à savoir une sommation interpellative du 30 décembre 2014, une assignation du 02 février 2016, un courrier aux fins de tentative de règlement amiable du 25 avril 2019 et un autre du 04 octobre 2019 aux fins de constat de l’échec de la tentative de règlement amiable, ont interrompu la prescription, alors qu’ils ne peuvent produire un tel effet au regard des articles 23 et 24 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général qui vise limitativement la reconnaissance de sa dette par le débiteur, la demande en justice et un acte d’exécution forcée, comme les seuls actes pouvant interrompre la prescription ;
Attendu qu’il est d’autre part fait grief au même jugement d’admettre comme interruptifs de la prescription, les actes faits par les défendeurs en ajoutant qu’ils ont été déchargés par la demanderesse sans réserve ;
Attendu que selon la demanderesse, les actes posés par les défendeurs n’ont pas interrompu la prescription quinquennale qui était acquise à la date du 30 janvier 2020, les hoirs C ayant eu connaissance du débit prétendument erroné en 2013, soit sept ans avant la saisine du tribunal ; qu’en statuant comme il l’a fait, le tribunal a violé l’article 16 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général et, en se déterminant ainsi, sans dire sur quoi il fonde cette solution et en quoi lesdits actes seraient interruptifs de prescription, il a insuffisamment motivé sa décision, l’exposant donc à la cassation ;
Attendu en effet qu’aux termes de l’article 16 de l’Acte uniforme précité, les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants, ou entre commerçant et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à une prescription plus courte ; qu’en l’espèce, il est incontestable que les obligations opposées à la société ECOBANK sont nées à l’occasion de son activité professionnelle et relèvent donc du champ d’application de ce texte ;
Attendu que, pour écarter le moyen tiré de la prescription de l’action au 30 janvier 2020, date de la saisine du Tribunal de commerce, soulevé par la banque, le jugement attaqué énonce que « l’opération de débit ayant donné naissance au présent litige remonte au 11 septembre 2013 et les demandeurs ont vainement réclamé leur créance à la société ECOBANK par une sommation interpellative en date du 30 décembre 2014, un exploit d’assignation en date du 02 février 2016, un courrier aux fins de tentative de règlement amiable préalable en du 25 avril 2019 et un autre courrier en date du 04 octobre 2019 aux fins de constat de l’échec de la tentative de règlement amiable ; ces réclamations ayant été régulièrement notifiées à la société ECOBANK, qui les a déchargées sans réserve, il suit que lesdits actes ont valablement interrompu la prescription » ;
Attendu cependant qu’en vertu des dispositions des articles 23 et 24 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, sont seuls interruptifs de la prescription les actes suivants : la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit, la demande en justice, même en référé ou une citation en conciliation, ainsi que l’acte d’exécution forcée ;
Qu’en l’espèce, il est relevé que la sommation interpellative en date du 30 décembre 2014 n’entre dans aucune des catégories sus-énumérées ; que même si tel était le cas, le nouveau délai de cinq ans était prescrit à la date d’introduction de l’action, en application de l’article 22 de l’Acte uniforme précité, selon lequel « l’interruption de la prescription a pour effet d’effacer de délai de prescription acquis. Elle fait Courir un nouveau délai de même nature que l’ancien » ; que donc, à supposer que ledit acte ait pu interrompre le délai de cinq ans, le nouveau délai qui court à compter de cette date était également arrivé à expiration à la date de la saisine du tribunal le 30 janvier 2020 et la prescription était acquise ;
Qu’en ce qui concerne l’assignation du 02 février 2016, si elle est de nature à constituer un acte interruptif de prescription, il demeure qu’aux termes de l’article 23 de l’Acte uniforme précité, « elle est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande, s’il laisse périmer l’instance ou si sa demande est définitivement rejetée » ; qu’il est acquis que les consorts C se sont désistés de leur action comme l’atteste le jugement n° 2274/2016 du 24 novembre 2016 produit au dossier ; qu’en conséquence, l’assignation précitée n’a pas pu valablement interrompre la prescription encourue ;
Que s’agissant des courriers datés du 25 avril 2019 aux fins de tentative de règlement amiable préalable, et du 04 octobre 2019 aux fins de constat de l’échec de la tentative de règlement amiable, ils n’entrent pas non plus dans les catégories d’actes interruptifs de prescription visées par la loi ; que le premier courrier est celui par lequel une partie à un litige invite l’autre partie à une tentative de règlement amiable, au demeurant imposée par le droit national ivoirien comme préalable à toute saisine du Tribunal de commerce, tandis que le second a pour objet de constater l’échec de la tentative de conciliation ; que le fait qu’ils aient été déchargés sans réserve par ECOBANK ne change rien ni à leur nature ni à leur objet, de sorte qu’il n’est pas possible, sans violer la loi, de leur attribuer un quelconque effet interruptif de la prescription encourue ;
Attendu ainsi que les actes cités par le tribunal comme ayant interrompu la prescription, n’ont pu avoir cet effet ; qu’en décidant le contraire, les premiers juges ont violé la loi par refus d’application de l’article 16 Acte uniforme portant sur le droit commercial général ; que de plus, le moyen tiré de l’insuffisance de motifs parait également fondé, dès lors que le tribunal ne spécifie pas sur quoi il fonde sa décision lorsqu’il énonce que « ces réclamations ayant été régulièrement notifiées à la société ECOBANK, qui les a déchargées sans réserve, il suit que lesdits actes ont valablement interrompu la prescription » ;
Qu’il y a donc lieu pour la Cour de casser le jugement entrepris et d’évoquer l’affaire conformément à l’article 14 alinéa 5 du Traité de l'OHADA ;
Sur l’évocation
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure que par procès- verbal du 22 juillet 2013, KONE Amara pratiquait une saisie-attribution au préjudice de C Ae, dans les livres de ECOBANK, pour avoir paiement de la somme de 57.710.000 FCFA ; que la banque déclarait un compte créditeur de 10.221.224 FCFA ; que le 29 août 2013, le créancier saisissant transmettait à la banque un certificat de non-contestation et lui faisait commandement d’avoir à effectuer le paiement ; que la banque procédait au paiement de la somme saisie ; que cependant, courant 2016, C Ae décédé, ses héritiers saisissaient le Tribunal de commerce d’Abidjan aux fins de voir condamner la banque à leur restituer la somme de 10.221.224 FCFA ; qu’après s’être désistés de cette action, ils assignaient de nouveau la banque le 30 janvier 2020 devant le même tribunal, en paiement de la même somme, invoquant une erreur sur la personne du débiteur saisi ;
Mais attendu que pour les mêmes motifs que ceux ayant justifié la cassation du jugement entrepris, il convient pour la Cour de constater la prescription de l’action et, en statuant de nouveau, de débouter par voie de conséquence les héritiers C Ae de leur demande contre ECOBAMK ;
Sur les dépens
Attendu que les défendeurs succombant, seront condamnés aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Casse et annule en toutes ses dispositions le jugement attaqué ;
Evoquant et statuant sur le fond :
Constate la prescription de l’action des héritiers C Ae ;
Les condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier