ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Première chambre
Audience publique du 27 mai 2021
Pourvoi : n°341/202020/PC du 10/11/2020
Affaire : C A
(Conseil : Maître MADJONA-ESSO T. DANDAKOU, Avocat à la Cour)
Contre
Société American Eagle Guard Security
(Conseil : Maître Claude KOKOU AMEGAN, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 109/2021 du 27 mai 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Première chambre, Deuxième formation, présidée par Monsieur Sabiou MAMANE NAÏSSA, assisté de Maître Jean Bosco MONBLE, Greffier, a rendu en son audience publique ordinaire du 27 mai 2021 1’ Arrêt dont la teneur suit, après délibération du collège de juges composé de :
Messieurs : César Apollinaire ONDO MVE, Président, rapporteur
Fodé KANTE, Juge
Sabiou MAMANE NAISSA Juge
Sur le pourvoi enregistré à la Cour sous le n°341/2020/PC du 10 novembre 2020 formé par Maître Madjona-Esso T. DANDAKOU, Avocat à la Cour, demeurant en face de l’Ecole primaire Aa B Y, 2 BP 20820 Lomé 2, Togo, agissant au nom et pour le compte de l’C A, situé à Lomé, Boulevard du Mono, BP 2232, dans la cause qui l’oppose à la Société Amerian Eagle Guard Security, dont le siège est à Lomé, 174, Rue HEDZRANAWOE, n°33, BP 61644 Lomé, ayant pour conseil Maître Claude KOKOU AMEGAN, Avocat à la Cour,
demeurant à Lomé, 1147, Rue Limite X, face au Ministère de la Justice,
en cassation de l’arrêt n°391/20 rendu le 09 septembre 2020 par la Cour d’appel de Lomé et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commercial et en appel ;
En la forme :
Reçoit l’appel principal et l’appel incident ;
Au fond :
Dit l’appel principal partiellement fondé et l’appel incident fondé ;
Annule le jugement entrepris pour violation de la loi ;
Statuant à nouveau :
Constate que l’entité dénommée « l’C A » est une société de fait disposant de la personnalité juridique et de la capacité d’ester en justice ;
Déclare valable et régulier l’exploit d’opposition à ordonnance d’injonction de payer en date du 14 juillet 2018 ;
Constate que l’ordonnance N°257/2018 en date du 04 juillet 2018 est prise contre l’C A, Société de fait et non l’C A se disant société d’Etat ;
Déclare recevable la requête aux fins d’injonction de payer en date du 04 juillet 2018 de la société AMERIAN EAGLE GUARD SECURITY SARL ;
Evoquant :
Constate que l’C A, Société de fait, reste devoir à l’intimée, la Société AMERIAN EAGLE GUARD SECURITY SARL la somme de soixante-deux millions deux cent deux mille quarante-six virgule cent quarante-deux (67.202046,142) F CFA en principal augmentée des frais de recouvrement ;
Constate le caractère certain, liquide et exigible de la créance en cause ;
En conséquence :
Condamne l’C A, société de fait, à servir à la Société AMERIAN EAGLE GUARD SECURITY SARL le montant sus-indiqué
Le condamne en outre aux dépens. »
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi le moyen unique de cassation tel qu’il figure à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de César Apollinaire ONDO MVE, Président ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de
Attendu que selon les énonciations de l’arrêt attaqué, la société American Eagle Guard Security Sarl a sollicité et obtenu du Tribunal de première instance de première classe de Lomé l’ordonnance n°257/2018 du 11 juillet 2018 portant injonction faite à l’C A d’avoir à lui payer la somme de 67 232 046, 142 FCFA en principal, outre accessoires ; que statuant sur opposition formée par l’C A le 26 juillet 2018, le Tribunal de première instance de première classe de Lomé a rendu le jugement n°0369/19 du 07 juin 2019 dont le dispositif suit :
« Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties en matière d’opposition à ordonnance d’injonction de payer et en premier ressort ;
En la forme
- Constate que l’entité dénommé C A société d’Etat n’a pas la personnalité juridique et la capacité pour ester au regard des dispositions d’AUSCGIE et du code de procédure civile ;
- Annule l’exploit d’opposition du 26 juillet 2018 conformément aux articles 22 et 25 al.2 du code de procédure civile ;
- Dit en outre que la requête aux fins d’injonction de payer introduite contre l’C A le 4 juillet 2018 par la requise l’a été contre une personne dépourvue du droit d’agir ;
- Déclare en conséquence cette requête irrecevable pour violation de l’article 4 du code de procédure civile ;
- Dit n’y a voir lieu à statuer sur les autres demandes des parties ;
- Met les dépens à la charge de la requise. » ;
Attendu que sur appel relevé dudit jugement par l’C A, la Cour d’appel de Lomé a rendu l’arrêt objet du pourvoi ;
Sur le moyen unique de cassation
Attendu que le moyen unique expose « qu’après avoir reconnu que l’C A (...) disposait de la personnalité juridique et comme tel, disposait de la capacité à ester en justice, le Juge d’appel, en dépit des pertinents arguments exposés par la demanderesse au pourvoi dans son exploit d’opposition en date du 26 juillet 2018, a cru devoir condamner cette dernière à couvrir la défenderesse de la somme de soixante-sept millions deux cent deux mille quarante-six virgule cent quarante-deux francs (...) FCFA ; que pour parvenir à cette curieuse conclusion, le juge d’appel rappel bien que : « … l’appelant (...) méconnait à la créance alléguée les caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité et sollicite le débouté de l’intimée (...) en se rapportant à ses demandes devant le premier juge ; qu’il soutient que les articles 1 et 2 de l’AUPSRVE fixent les conditions limitatives et impératives dans lesquelles, le créancier peut recourir à la procédure simplifiées de recouvrement de l’injonction de payer et conclut que seule l’existence de celle-ci détermine l’opportunité et la recevabilité de ladite procédure ; que ces conditions faisant défaut, la procédure d’injonction de payer ne peut être initiée si la créance est sérieusement contestée » ; qu’en dépit de tout ce qui précède, le Juge d’appel a cru devoir motiver sa décision comme suit : « attendu qu’en l’espèce, des contrats dénommées contrat de gardiennage et contrat de mise à disposition de matériel lient les parties ; qu’ils sont d’une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction et ont prévu les rémunérations dues à l’intimé (...) dans le cadre de l’exécution desdits contrat ; qu’ils ont été renouvelés depuis 2018 ; que sur la base desdits contrats, des paiements antérieurs de ses prestations de service ont été faits à l’intimé (...) qui poursuit aujourd’hui la créance due au titre des prestations de service des périodes pour lesquelles les factures ont été émises et réceptionnées par l’C A sans contestations ; qu’aucune procédure de contestation des factures en cause n’est initiée ; que les contestations qu’évoque l’appelante (...) n’ont pas été soulevées au moment de l’exécution de sa part du contrat par l’intimée (...) mais plutôt lors de la réclamation par elle de sa créance ; qu’elles ont donc surgi pour résister au paiement de la créance en cause ; que les discutions en vue de la révision du contrat entreprises par l’appelante (...) et qui n’ont pas abouti n’ont pu produire aucun effet, encore moins enlever à la créance en cause son caractère certain, liquide et exigible qui du reste ne fait l’objet d’aucun doute ; qu’il échet donc de constater que l’C A, reste devoir à l’intimée, la société AMERICAN EAGLE GUARD SECURITY SARL, la somme de FCFA 67.202.046,142 en principal augmenté des frais de recouvrement, de constater le caractère certain, liquide, exigible de la créance en cause et de condamner l’C A à servir à la société AMERICAN EAGLE GUARD SECURUTY SARL le montant sus indiqué » ; (...) que ce raisonnement du juge d'appel ne saurait emporter conviction à l'analyse de la loi et de la jurisprudence de la cour de céans ; qu’en effet, au terme de l’article 1 er de l'Acte uniforme (.…) portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, « le recouvrement d'une créance certaine, liquide, et exigible peut être demandé suivant la procédure d'injonction de payer » ; que l'article 2 du même Acte uniforme dispose que : « la procédure d'injonction de payer peut-être introduite lorsque : « 1.- La créance a une cause contractuelle ; 2- L'engagement résulte de l'émission ou de l'acceptation de tout effet de commerce, ou d'un chèque dont la provision s'est révélée inexistante ou insuffisante » ; (...) que s'il est vrai que la créance réclamée par la défenderesse au pourvoi a une base contractuelle en ce qu'elle tire sa source du contrat de gardiennage signé le 27 octobre 2015, (...), ses 4 certitude, liquidité et exigibilité suscitent quant à elles interrogation ; qu'en effet, comme exposé dans les faits supra, avant la signature de la convention de gardiennage le 27 octobre 2015, la défenderesse au pourvoi a soumis au demandeur, une offre financière datée du 02 octobre 2015 (...) ; que cette offre indiquait de manière claire et non équivoque que la défenderesse remplira sa mission de gardiennage avec un total de 81 agents, à savoir : Soixante-neuf (69) agents effectivement présents sur le site à tout moment et ; Douze (12) agents incorporés afin de permettre la rotation entre agents ; (...) que la même offre de la défenderesse au pourvoi indiquait que des quatre-vingt- un (81) agents seuls les soixante-neuf (69) seront facturés à l'Hôtel A, les douze (12) autres destinés à la rotation étant à la charge de la défenderesse au pourvoi ; (..) qu'à la suite du décès de l'Administrateur de l'Hôtel A le 18 octobre 2017, celui-ci restera un temps sans administrateur jusqu'où 20 décembre 2017 où un nouvel administrateur sera nommé ; que le nouvel administrateur ayant pris fonction sans passation de services, s'apercevra de plusieurs anomalies notamment que les soixante-neuf (69) agents de sécurités censés être positionnés à tout moment par la défenderesse sur le site de l'Hôtel ne l'étaient pas dans la réalité ; que du constat dressé par un huissier de justice le 21 mars 2018, il est effectivement apparu que des soixante- neuf (69) agents censés être positionnés sur le site, la défenderesse au pourvoi n'en avait positionné en réalité que dix-neuf (19) ; qu'aussi, l'analyse minutieuse des factures introduites par la défenderesse au pourvoi au titre de ses prestations révèlera que pour un nombre d'agents inférieur à soixante-neuf (69) contractuellement convenu, celle-ci introduisait des factures pour un nombre d'agents oscillant entre quatre-vingt-sept (87) et soixante-dix (70) agents ; (.…..) qu'à la suite de ces diverses constations, la demanderesse au pourvoi a convié la défenderesse le 22 mars 2018 à des discussions dans le but de trouver une issue consensuelle aux situations constatées (...) ; que la défenderesse ne crut pas nécessaire d'œuvrer à la recherche d'un consensus ; qu'elle en fit de même au cours des autres réunions auxquelles la demanderesse l'a convié ultérieurement ; que bien plus, elle matérialisa son opposition à un quelconque consensus dans sa correspondance en date du 24 mars 2018 ; que c'est après avoir essayé en vain de trouver un consensus avec la défenderesse sur ses factures que la demanderesse au pourvoi se trouva obligée de lui retourner les factures que celle-ci lui avait adressées suivant courrier daté du 22 mai 2018 ; qu'à la suite de cette restitution de factures, la défenderesse tente de saboter les activités de la demanderesse au pourvoi avant de disparaître pour ne réapparaitre que le 13 juillet 2018 par le biais d'un huissier venu signifier à la demanderesse au pourvoi, l'ordonnance d'injonction de payer N°257/201 8 rendue le 11 juillet 201 8 ; (...) que de tout ce qui précède, il apparait que le nombre d'agents de sécurité pour lequel la défenderesse au pourvoi adressait des factures à la demanderesse au pourvoi était sujet à contestation en ce que non seulement, ce n'était pas le nombre d'agents contractuellement convenu pour être facturé, c'est-à-dire soixante-neuf (69), le nombre d'agents positionnés sur le site était notoirement en deçà du nombre d'agents facturés ; qu'il s'agit d'un élément capital qui atteste de l’incertitude de la créance réclamée ; (...) que dans son arrêt N°047/2010 en 5 date du 15 juillet 2010, la Cour de céans a pu décider que ; « la certitude de la créance est contestable dès lors que le montant de celle-ci diffère du montant arrêté d'accord partie » ; qu'il est plus qu'évident que le montant de la lecture de la défenderesse au pourvoi pour soixante-neuf (69) agents contractuellement convenus diffère notablement des factures présentées pour la défenderesse au pourvoi pour un nombre d'agents oscillant entre 87 et 70 ; que dans une autre décision, datée du 1 | novembre 2014, la cour de céans décidait que : (n’est pas certaine, la somme réclamée par le créancier et différente de celle mentionnée dans le contrat » ; (...) que la juridiction de céans a pu décider que « suivant les dispositions de AUPSRVE, une créance contestée dans son principe n'est pas certaine » ; (...) que parallèlement à l'ordonnance d'injonction de payer N°257 /2018 qu'elle a sollicitée auprès du Président du Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé le 11 juillet 2018, la défenderesse au pourvoi a sollicité et obtenu le 06 juillet 2018 de la même juridiction, l'ordonnance de saisie conservatoire N° 1841/2018 l'autorisant à pratiquer des saisies conservatoires sur les avoirs de la demanderesse au pourvoi en vue de recouvrer le même montant c'est-à-dire soixante-sept millions deux cent deux mille quarante-six virgule cent quarante-deux (...) ; que cette ordonnance a fait l'objet d'une contestation de la part de la demanderesse au pourvoi, suivant exploit daté du 20 juillet 2018 par devant le juge de l'article 49 du Tribunal de première instance de première classe de Lomé ; que par décision N° 0093/2018 en date du 31 juillet 2018, le Juge saisi de la contestation de la demanderesse au pourvoi a rejeté celle-ci ; qu'à la suite de son appel, la Cour d'Appel de Lomé par arrêt N°020/19 du 06 mars 2019 a infirmé le jugement N°0093/2018 du 31 juillet 2018 ; qu'à la suite du pourvoi en cassation formé par la défenderesse au pourvoi contre l'arrêt N° 020/19 du 06 mars 2019, la Cour de céans, par arrêt N°168/2020 du 14 mai 2020 a décidé ce qui suit: « Attendu en l'espèce, qu'il est constant, comme résultant des pièces du dossier, d'une part que l'Hôtel A a contesté la facturation sur laquelle la société AMERICAN EAGLE GUARD SECURITY fonde sa créance qu'elle revendique, et les parties étaient même en tractation pour clarifier l'état de leurs comptes ; qu'il ne se dégage pas de ce contexte marqué par une contestation sérieuse, un principe de créance apparente pour justifier une saisie conservatoire; que d'autre part, une créance ne peut être considérée menacée dans son recouvrement alors qu'elle est comme c'est le cas, sérieusement contestée dans son principe » ; qu'il appert à la lecture de cette décision que la Cour de céans a tranché sur la question de la certitude de la créance de soixante-sept millions deux cent deux mille quarante-six virgule cent quarante-deux (...) FCFA dont tente de se prévaloir la défenderesse en déclarant cette créance incertaine ; qu'il s'ensuit que c'est donc à tort que la défenderesse a cru devoir procéder au recouvrement de cette imaginaire créance par la procédure d'injonction de payer et ce en violation manifeste des articles 1 et 2 de l'Acte uniforme (...) portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution ; (...) qu'à la lumière de ce qui précède, il apparaît que la Cour d'appel de Lomé a violé (...) les articles 1 er et 2 de l'Acte uniforme (...) portant Organisation des procédures simplifiées de recouvrement 6 et des voies d'exécution et l'article 10 du Traité ; qu'elle a de ce fait privé son arrêt N° 391/20 rendu le 09 septembre 2020 de base légale, ce qui constitue un fondement pour sa cassation au regard des dispositions de l'article 28 bis du Règlement. » ;
Attendu cependant qu’en application de l’article 28 ter du Règlement de procédure de la CCJA, un moyen de cassation ou un élément de moyen de cassation doit, à peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre au moins un des cas d’ouverture visés par l’article 28 du même Règlement, cela sous-entendant l’obligation du recourant d’articuler avec précision le grief fait à la décision querellée ; qu’en l’espèce, si la violation de la loi et le manque de base légale figurent bien au nombre des cas d’ouverture à cassation devant la CCJA, force est de relever que le recourant ne spécifie pas clairement en quoi consiste ces griefs ; qu’en outre, le moyen se caractérise par son ambiguïté et son imprécision ; qu’en sus, il tend à soumettre à l’examen de la Cour, qui n’en a pas le pouvoir en cause de cassation, les faits souverainement appréciés par les juges du fond ; d’où il suit que le moyen, tel qu’articulé, est irrecevable ;
Attendu que le pourvoi n’étant pas fondé, il y a lieu de le rejeter ;
Sur les dépens
Attendu que l’C A succombant, sera condamné aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Rejette le pourvoi ;
Condamne l’C A aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier