ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(O.H.A.D.A)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(C.C.J.A)
Première chambre
Audience publique du 03 juin 2021
Pourvoi : n° 197/2020/PC du 22/07/2020
Affaire : TOTAL Guinée SA
(Conseil : Maître Fatoumata Binta DIALLO, Avocat à la Cour)
Contre
Compagnie Pétrolière de Guinée (COPEG) SA
(Conseils : Maîtres Laye SANO et Joachim GBLILIMOU, Avocats à la Cour)
Société Guinéenne des Pétroles (SGP) SA
Arrêt N° 114/2021 du 03 juin 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Première chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 03 juin 2021 où étaient présents :
Monsieur : César Apollinaire ONDO MVE, Président, rapporteur
Mesdames : Afiwa-Kindéna HOHOUETO, Juge
Esther Ngo MOUTNGUI IKOUE, Juge
et Maître : Jean Bosco MONBLE, Greffier ;
Sur le recours enregistré sous le n°197/2020/PC du 22 juillet 2020 et formé par Maître Fatoumata Binta DIALLO, du Cabinet DIALLO et DIALLO, Avocat à la Cour, demeurant Immeuble Résidence FABI, Rue KA 018 Manquepas, BP 3385 Conakry, au nom et pour le compte de la société TOTAL Guinée SA, ayant son siège au quartier Coléah, Km 4, Commune de Matam, Conakry, dans la cause qui l’oppose à la Compagnie Pétrolière de Guinée, dite COPEG SA, dont le siège sis au quartier Ae Ab, Commune de Matam, Conakry, et à la Société Guinéenne des Pétroles, dite SGP SA, ayant son siège au Boulevard Maritime, Quartier Coronthie, Commune de Kaloum, Conakry,
en tierce-opposition de l’Arrêt 173/2020 rendu le 28 mai 2020 par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
En la forme :
Déclare le pourvoi recevable ;
Au fond :
Le rejette ;
Condamne la Société Guinéenne des Pétroles SA au dépens. »
La requérante invoque à l’appui de son recours les deux moyens tels qu’ils figurent à la requête en tierce opposition annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de monsieur César Apollinaire ONDO MVE, Président ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il résulte du dossier que, statuant dans l’affaire opposant les sociétés COPEG SA et SGP SA, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a rendu l’Arrêt contre lequel la société Total Guinée forme tierce opposition, sur le fondement de l’article 47 du Règlement de procédure de la CCJA ;
Sur la recevabilité de la tierce opposition
Vu l’article 47 du Règlement de procédure de la CCJA ;
Attendu qu’aux termes de ce texte, « 1. Toute personne physique ou morale peut présenter une demande en tierce opposition contre un arrêt rendu sans qu'elle ait été appelée, si cet arrêt préjudicie à ses droits.
2. Les dispositions des articles 23 et 27 du présent Règlement sont applicables à la demande en tierce opposition. Celle-ci doit en outre :
a) Spécifier l'arrêt attaqué ;
b) Indiquer en quoi cet arrêt préjudicie aux droits du tiers opposant ;
c) Indiquer les raisons pour lesquelles le tiers opposant n’a pu participer au litige principal.
La demande est formée contre toutes les parties au litige principal.
3. L’arrêt attaqué est modifié dans la mesure où il fait droit à la tierce opposition. La minute de l’arrêt rendu sur tierce opposition est annexée à la minute de l’arrêt attaqué. Mention de l’arrêt rendu sur tierce opposition est faite en marge de la minute de l'arrêt attaqué. » ;
Attendu qu’en l’espèce, Total Guinée expose qu’elle est intéressée dans l’affaire ayant abouti à la décision attaquée, relative à l’inscription des actions que la société Mobil Oil Guinée détenait dans le capital de la SGP SA et dont elle a acquis la propriété depuis la fusion-absorption de Mobil Oil Guinée par la société Total Guinée SA ; que si cette fusion-absorption a été annulée par la CCJA par son Arrêt n°021/2014 pour violation de l’article 198 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, il s’est agi d’une nullité relative ; d’où la régularisation postérieurement opérée et dont la COPEG SA a été informée par des publications et par la tierce opposition à l’arrêt n°220 du 07 juin 2016 obtenu devant la Cour d’appel de Conakry par la COPEG SA ; que celle-ci avait prétendu avoir acquis les actions de la société Mobil Oil Guinée à la suite d’un règlement transactionnel du 11 août 2008 conclu entre elle et l’Etat de Guinée alors que cette transaction avait été annulée par l’Arrêt CCJA n°021/2014 précité ; que c’est en violation non seulement de cette décision mais aussi des articles 20 du Traité de l’'OHADA et 41 du Règlement de procédure de la CCJA, que la COPEG SA a saisi de nouveau les juridictions guinéennes pour obtenir la validation de ce même protocole d’accord ; que c’est dans ce contexte que sont intervenus le jugement n°117 du 19 novembre 2015 du Tribunal de Kaloum et l’arrêt n°220 du 07 juin 2016 de la Cour d’appel de Conakry ; qu’elle estime que la COPEG ne pouvait ignorer qu’elle était intéressée par cette affaire, pour être devenue propriétaire des actions Mobil Oil Guinée SA à la suite de la régularisation ; qu’elle n’a été informée de la procédure ayant abouti à l’Arrêt n°173/2020 du 28 mai 2020 que par le mail reçu du Directeur général de la SGP SA le 09 juillet 2020 ; que cette décision lui porte préjudice, dans la mesure où elle attribue à la société COPEG SA les actions de Mobil Oil Guinée SA dûment et régulièrement acquises par elle, soit au total 67.316 actions ;
Attendu que les allégations de Total Guinée SA sont corroborées par diverses pièces du dossier et ne font l’objet d’aucune contestation sérieuse ; qu’ainsi, le recours réunissant toutes les conditions de forme prévues par l’article 47 du Règlement de procédure susvisé, il y a lieu de le déclarer recevable ;
Sur le bien-fondé de la tierce opposition
Attendu que Total Guinée SA invoque d’une part la violation des articles 20 du Traité de l’OHADA et 41 du Règlement de procédure de la CCJA et d’autre part la régularisation de l’opération de transfert de propriété des actions ;
Attendu qu’aux termes de l’article 20 du Traité, les arrêts de la CCJA « ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des Etats une exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales. Dans une même affaire aucune décision contraire à un arrêt de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage ne peut faire l'objet d'une exécution forcée sur le territoire d'un Etat Partie » ; qu’en outre, l’article 41 du Règlement de procédure de la CCJA dispose que l’arrêt de la Cour a force obligatoire à compter du jour de son prononcé ;
Attendu qu’en application de ces dispositions, la COPEG SA ne pouvait plus valablement, après l’Arrêt n° 021/2014 rendu le 11 mars 2014 par la CCJA, demander aux juges guinéens la validation d’une transaction annulée ; que du reste, l’Arrêt de la CCJA est clair lorsqu’il énonce relativement à la validation du règlement transactionnel passé le 11 août 2008 entre l’Etat guinéen et la COPEG, « que dans ses écritures d’appel du 11 avril 2010, la COPEG invoque l’acte de vente du 11 août 2008 par lequel l’Etat lui a cédé les actions de la catégorie A anciennement détenue par Aa Ac Ad, et sollicite la condamnation de Total Guinée à lui délivrer les 6 stations de distribution d’hydrocarbures et les 67.316 actions vendues, sous astreinte de 10.000.000 de FG par jour de retard ; Mais attendu que pour les mêmes motifs que ceux qui ont conduit à la cassation, il échet de déclarer ces prétentions mal fondées et les rejeter. » ;
Attendu qu’il est constant que cet arrêt de la CCJA déclare la COPEG mal fondée et rejette la validation de la transaction intervenue entre l’Etat guinéen et la COPEG ; que l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire qui s’y attachent faisaient donc obstacle, comme le soutient Total Guinée, à ce que la COPEG saisisse de nouveaux les tribunaux guinéens d’une demande de validation d’un accord annulé ; qu’en accédant à une telle demande, la Cour d’appel de Conakry a violé les dispositions susvisées et sa décision méritait la cassation ;
Attendu, en outre, que l’Arrêt n° 021/2014 rendu le 11 mars 2014 par la CCJA déclare le pourvoi recevable en la forme, casse l’arrêt n° 164 rendu le 22 juin 2010 par la Cour d'appel de Conakry, infirme le jugement n° 31 rendu le 15 mai 2008 par le Tribunal de première instance de Conakry, donne acte à l’Etat guinéen et Total Guinée de leur désistement, reçoit la COPEG en son intervention volontaire, annule le traité de fusion-absorption conclu entre Mobil Oil Guinée et Total Guinée pour violation de l'article 198 de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (...) » ; que tirant les conséquences de cet arrêt, Total Guinée a procédé à la régularisation de la fusion-absorption, en accomplissant les formalités légales requises à cet effet, notamment les déclarations de conformité, dépôts et publications ; que par acte n°44/G/TCC/2020 du 14 juillet 2020, le Greffier en chef du Tribunal de commerce de Conakry a régulièrement enregistré cette régularisation ;
Attendu qu’il appert de tout ce qui précède que la société Total Guinée est subrogée dans les droits et obligations de la société Mobil Oil Guinée SA et a acquis la pleine propriété des biens appartenant à la société Mobil Oil Guinée SA dont les 67.316 actions que celle-ci détenait initialement dans le capital de la société SGP ; que dans ces conditions, les prétentions de la COPEG et consacrées par l’Arrêt attaqué étaient infondées ; qu’étant donné que cette décision porte préjudice à la société Total Guinée, il échet pour la Cour de faire droit à sa tierce opposition et, par voie de conséquence, de modifier la décision querellée ;
Sur les dépens
Attendu qu’il y a lieu de laisser les dépens à la charge de la COPEG SA ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare la société Total Guinée recevable en sa tierce opposition ;
L’y dit bien fondée ;
Modifie en conséquence ainsi qu’il suit le dispositif de l’Arrêt 173/2020 rendu le 28 mai 2020 par la Cour de céans :
« Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
En la forme :
Déclare le pourvoi recevable ;
Au fond :
Le rejette ;
Condamne la Société Guinéenne des Pétroles SA au dépens.
Dit que la société Total Guinée SA a acquis, par fusion-absorption, les actions anciennement détenues par la société Mobil Oil Guinée dans le capital de la Société Guinéenne des Pétroles (...) » ;
Dit que la minute du présent Arrêt sera annexée à la minute de l’Arrêt 173/2020 rendu le 28 mai 2020 par la Cour de céans ;
Ordonne également la mention de la présente décision en marge de la minute de l’Arrêt 173/2020 du 28 mai 2020 susvisé ;
Laisse les dépens à la charge de la société COPEG SA.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier