ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(O.H.A.D.A)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(C.C.J.A)
Première chambre
Audience publique du 24 juin 2021
Pourvoi : n° 069/2020/PC du 19/03/2020
Affaire : SCI LA Dune d’ESTERIAS
(Conseil : Maître FATOU MAVIOGA ISSA, Avocat à la Cour)
Contre
Monsieur Aa C
(Conseil : Maître NZE Béranger du Cabinet NB-LEGAL, Avocat à la Cour) Arrêt N° 121/2021 du 24 juin 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A) de l’Organisation pour l’Harmonisation en La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Première chambre, présidée par Monsieur César Apollinaire ONDO MVE, assisté de Maître Jean Bosco MONBLE, Greffier, a rendu en son audience publique ordinaire du 24 juin 2021 l’Arrêt dont la teneur suit, après délibération du collège de juges composé de :
Messieurs : César Apollinaire ONDO MVE, Président, rapporteur
Fodé KANTE, Juge
Mesdames : Afiwa-Kindéna HOHOUETO, Juge
Esther Ngo MOUTNGUI IKOUE, Juge
Monsieur : Sabiou MAMANE NAÏSSA, Juge
Sur le recours enregistré sous le n°069/2020/PC le 19 mars 2020, formé par la Maître FATOU MAVIOGA ISSA, Avocat au Barreau du Gabon, demeurant à Libreville, à l’Ancienne SOBRAGA, en face de l’Hôtel Palme d’Or, Rue Ac B, BP 6575 Libreville, Gabon, agissant au nom et pour le compte de la Société Civile Immobilière La Dune d’ESTERIAS, ayant son siège à Libreville au Carrefour GIGI d’Angondjé, BP 356 Libreville, dans la cause qui l’oppose à monsieur Aa C, demeurant à Libreville, BP 950, ayant pour conseil Maître NZE Béranger du Cabinet NB-LEGAL, Avocats au Barreau du Gabon, demeurant à Libreville, au 307, Rue Ac B, Ancienne SOGRAGA, derrière l’Ambassade du Cameroun, BP 143 Libreville,
en révision de l’Arrêt n° 055/2020 rendu le 27 février 2020 par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’arrêt n°33 du 25 juillet 2017 rendu par la quatrième chambre de la Cour d’appel judiciaire de Libreville ;
Evoquant et statuant sur le fond ;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement n°3, rendu le 08 janvier 2016 par le Tribunal de première instance de Libreville ;
Statuant à nouveau :
- Ordonne la réintégration dans les lieux de sieur Aa C ;
- Condamne la SCI LA DUNE D’ESTERIAS au dépens. » ;
La requérante invoque à l’appui de son recours les moyens de révision tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de monsieur César Apollinaire ONDO MVE, Président ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu que selon les énonciations de l’Arrêt attaqué, le 1” août 2009, Aa C concluait un bail commercial avec Ab Ac A X portant sur la parcelle n° 26 section YEI du plan cadastral de Libreville, d’une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction ; que suivant acte notarié du 27 novembre 2013, A X cédait les lieux loués à la SCI La Dune d’ESTERIAS ; que le 12 novembre 2015, celle-ci assignait Aa C devant le Tribunal de première instance de Libreville ; que cette juridiction ordonnait l’expulsion du locataire par jugement n° 23 du 8 janvier 2016 qui était confirmé par la Cour d’appel de Libreville suivant arrêt n° 33 du 25 juillet 2017 ; que statuant sur le pourvoi formé sous le n° 053/2019/PC du 04 mars 2019 par Aa C, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage rendait l’Arrêt dont la révision est sollicitée par la SCI LA DUNE D’ESTERIAS sur le fondement des dispositions des articles 49 et suivants du Règlement de procédure de la CCJA ;
Sur la recevabilité du recours en révision
Attendu que le défendeur essentiellement soulève l’irrecevabilité du recours, en ce qu’il ne réunirait pas les conditions fixées par l’article 49 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ; qu’il observe à cet effet que les procédures nationales évoquées par la SCI La Dune d’ESTERIAS lui étaient connues avant l’arrêt de la Cour ; qu’elle ne spécifie pas en quoi elles auraient pu influencer la décision de la Cour ; qu’elle évoque une expertise réalisée à sa propre demande et qui ne peut avoir aucune influence sur le débat juridique soumis à la Cour ; que la révision exige un fait nouveau qui s’entend de celui postérieur à la décision de la Cour que les parties ne pouvaient obtenir avant cette décision et doit être déterminant sur le sort du litige ; qu’un tel fait n’existant pas en l’espèce, la Cour de céans devrait déclarer le recours en révision irrecevable ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 49 du Règlement précité, « 1. La révision de l’arrêt ne peut être demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision (...).
4. La demande en révision doit être formée dans un délai de trois mois à compter du jour où le demandeur a eu connaissance du fait sur lequel la demande en révision est basée.
5. Aucune demande en révision ne pourra être formée après l’expiration d'un délai de dix ans à dater de l'arrêt. » ;
Que selon l’article 50 du même Règlement, « 1. Les dispositions des articles 23 et 27 du présent Règlement sont applicables à la demande en révision. Celle-ci doit en outre contenir les indications nécessaires pour établir que les conditions fixées à l’article 49 sont remplies.
2. La demande en révision est formée contre toutes les parties à l’arrêt dont la révision est demandée (...) » ;
Attendu qu’en l’espèce, la requérante expose :
1/ qu’au moment où la Cour rendait la décision querellée, elle ignorait qu’une ordonnance du 22 janvier 2016 avait désigné un expert pour évaluer les investissements réalisés par Aa C ; que le rapport d’expertise du 16 février 2016 chiffrait cet investissement à 61.920.208 FCFA ; que par requête du 22 novembre 2019 avec assignation du 04 février 2020, Aa C saisissait le Tribunal de Libreville en homologation dudit rapport et paiement de sommes ; qu’en demandant le remboursement de ses investissements, il a acquiescé le principe de résiliation du bail et de libération du local, car il ne pouvait sans se contredire demander à la fois sa réintégration et le remboursement des impenses ; que si la Cour avait eu connaissance de ce fait, elle aurait statué autrement ;
2/ qu’en outre, Aa C avait produit aux débats copies de chèques transmis à Ab Ac A X par voie d’huissier ; qu’il s’avère que celui-ci n’aurait pas touché lesdits chèques s’agissant de loyers qui ne lui étaient pas dus, Aa C n’étant plus son locataire et ce dernier n’ayant jamais renouvelé son contrat de bail avant la cession de la parcelle ; qu’en réalité ces chèques ont été remis non pas à Ab Ac A X en personne mais à une certaine MENZALA NTOUTOUME Suzanne ; que la Cour ne pouvait donc considérer, comme elle l’a fait, dans son Arrêt attaqué, « que les justificatifs de paiement des loyers versés par Maître Florentin MBA MENIE, Huissier de Justice, à la demande de monsieur A X sont la preuve que le bail n’était pas résilié au moment de la vente de local » ; que Aa C, bien qu’informé que la SCI LA DUNE D’ESTERIAS était le nouveau propriétaire de la parcelle qu’il occupait, n’avait jamais payé de loyers entre les mains de celle-ci ; qu’ainsi, de novembre 2013 à juin 2016, date de son expulsion, Aa C n’a payé aucun loyer, partant du principe que celui qui paie mal paye deux fois ; qu’en acquérant la parcelle, elle envisageait construire un centre commercial composé de plusieurs magasins et de grandes enseignes internationales sur plusieurs étages ; qu’elle n’arrive pas à réaliser ce projet depuis 07 ans, parce que Aa C continue d’exercer une activité de jardinage sur les lieux où il plante des fleurs qu’il revend sur place, or il est difficile d’envisager une telle activité dans un centre commercial ; qu’il va donc se poser le problème de l’indemnité d’éviction qui suppose d’une part la justification d’une demande régulière de renouvellement et de payement de son loyer et, d’autre part, l’absence de cause d’exonération du bailleur ; qu’en l’espèce, Aa C n’a jamais payé de loyer entre les mains du nouveau bailleur mais encore, il n’a jamais sollicité le renouvellement de son bail motif que celui-ci s’est renouvelé par tacite réduction ; que si la Cour retient le principe du paiement de cette indemnité celle-ci ne pourra être supportée que par Ab Ac A X qui s’y était engagé ; que cette indemnité devrait d’ailleurs être calculée en fonction de nombreux critères fixés par l’article 126 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général ; que si la Cour de céans avait eu connaissance de tous ces éléments, elle se serait déterminée différemment ;
3/ que par ailleurs, la Cour ignorait que par requête du 09 février 2017, la SCI La Dune d’ESTERIAS avait saisi le Tribunal de Libreville en destruction des constructions érigées par Aa C ; que par jugement du 11 décembre 2018, le tribunal avait accueilli cette demande ; que Aa C avait relevé appel et demandé le remboursement de ses impenses ; que par Arrêt n° 28/2019-2020 en date du 02 juillet 2020, la Cour d’appel de Libreville avait confirmé le jugement attaqué sur le chef de la destruction ; que par exploit du 19 août 2020, Aa C a été signifié dudit arrêt et n’a formé aucun pourvoi ; que cette décision qui a acquis autorité de chose jugée a fait l’objet d’une exécution forcée ; qu’il s’agit selon elle d’un fait de nature à justifier la révision de l’arrêt querellé ;
4/ qu’enfin, au cours de l’exécution forcée de l’arrêt du 2 juillet 2020 précité, elle avait découvert que non seulement Aa C vendait des fleurs sur les lieux, mais sous-louait aussi la parcelle à 08 locataires différents à usage d’habitation, ce que ne lui autorisait pas le bail commercial principal ; que cette violation de l’article 121 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général a été constatée par exploit de Maître OBIANG EDZO, Huissier de justice, le 21 décembre 2020 auquel sont annexées des photos de ces locataires et leurs biens mobiliers dont des matelas ; que selon la requérante, ce fait justifie aussi la révision demandée ;
Attendu, d’une part, que si la plupart des procédures judiciaires invoquées par la requérante lui étaient connues avant l’Arrêt de la CCJA attaqué, tel n’est pas le cas de leur dénouement final ; qu’en particulier, l’arrêt confirmatif de la destruction des constructions de Aa C, rendu le 02 juillet 2020 par la Cour d’appel de Libreville, lui a été signifié le 19 août 2020 ; que ce dernier n’ayant formé aucun recours en cassation contre cet arrêt, celui-ci a acquis l’autorité de jugée ; que cette décision, qui intéresse les rapports des parties déjà concernés par l’Arrêt objet de la demande de révision, constitue un fait nouveau déterminant, inconnu aussi bien de la demanderesse que de la Cour de céans avant l’Arrêt attaqué ;
Que d’autre part, la requérante affirme que Aa C occupe les lieux sans payer les loyers depuis plusieurs mois ; qu’elle produit en outre au dossier de la Cour un exploit d’huissier de justice du 21 décembre 2020 duquel il ressort que l’intéressé sous- loue les lieux à des tiers à des fins d’habitation, sans y avoir été habilité par le bailleur ; que ce fait constant atteste d’une violation des dispositions de l’article 121 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général ; qu’il est également de nature à caractériser un fait nouveau au sens des dispositions de l’article 49 du Règlement de procédure de la CCJA ;
Qu’enfin, au regard d’une part de la date de l’Arrêt querellé et d’autre part de celle de la découverte du principal fait nouveau, la sous-location irrégulière, le recours introduit le 19 mars 2021 l’a été dans les délais fixés par la loi ;
Attendu qu’au regard de ce qui précède, il échet pour la Cour de déclarer le recours de la SCI La Dune d’ESTERIAS recevable en la forme ;
Sur le fond de la demande de révision
Attendu que selon l’article 49. 1 du Règlement de procédure de la CCJA, « La révision de l’arrêt ne peut être demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision » ;
Attendu qu’en l’espèce, les faits allégués par la demanderesse à la révision, tels que ci-dessus rapportés, revêtent incontestablement les caractères requis ; qu’en effet, ils tendent à démontrer qu’en dépit de l’irrégularité de la forme de la rupture du bail commercial entreprise, la bailleresse aurait pu être fondée à résilier ce bail et demander l’expulsion du preneur, en établissant qu’il n’honorait pas son engagement contractuel de paiement des loyers et se livrait, sans y être autorisé, à la sous-location des lieux à des tiers aux fins d’habitation, violant par conséquent les dispositions de l’article 121 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général ;
Attendu à cet égard que le défendeur n’a pas plaidé la cause au fond ; qu’aux termes de l’article 49 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, « 2. La procédure de révision s’ouvre par un arrêt de la Cour constatant expressément l’existence d'un fait nouveau, lui reconnaissant les caractères qui donnent ouverture à la révision et déclarant de ce chef la demande recevable » ; que l’article 50 du même Règlement ajoute que, « 5. Si la demande est déclarée recevable, la Cour fixe les délais pour toute procédure ultérieure qu’elle estime nécessaire pour se prononcer sur le fond de la demande. » ;
Attendu qu’en application de ces dispositions, il convient pour la Cour de céans d’ouvrir la procédure de révision contre l’Arrêt attaqué, et d’inviter les parties à produire le cas échéant, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent Arrêt, tout élément qu’elles estiment nécessaire, en vue d’un jugement au fond du recours en révision de la SCI La Dune d’ESTERIAS ;
Sur les dépens
Attendu qu’il y a lieu de réserver les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Reçoit La SCI La Dune d’ESTERIAS en la forme de sa demande ;
Ouvre la procédure de révision contre l’ Arrêt n° 055/2020 rendu par ce siège le 27 février 2020 ;
Invite les deux parties à produire le cas échéant, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent Arrêt, tout élément nécessaire au jugement sur le fond de la demande de révision de La SCI La Dune d’ESTERIAS ;
Réserve les dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier