ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Troisième chambre
Audience publique du 24 juin 2021
Pourvoi :n° 338/2020/PC du 09/11/2020
Affaire : Y AeAGZ Ab
(Conseil : Maître KOSSOUGRO SERY Emile Christophe, Avocat à la Cour)
Contre
- Société Nationale d’Opérations Pétrolières de la
Côte d’Ivoire (PETROCI) SA
(Conseil : Maître N'’GUETTA Gérard, Avocat à la Cour)
- Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie en Côte
d’Ivoire (BICICI) SA
Arrêt N° 139/2021 du 24 juin 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 24 juin 2021 où étaient présents :
Messieurs Mahamadou BERTE, Président, rapporteur
Arsène Jean Bruno MINIME, Juge
Mariano Esono NCOGO EWERO, Juge
et Maître Louis Kouamé HOUNGBO, Greffier ;
Sur la requête enregistrée au greffe de la Cour de céans le 09 novembre 2020 sous le n°338/2020/PC et formée par Maître KOSSOUGRO SERY Emile Christophe, Avocat à la Cour, demeurant à Ac Aa, Riviera 390,
Boulevard de France, Immeuble C, 2°"° étage, agissant au nom et pour le compte du Sieur Y AeAGZ Ab, commerçant domicilié à Ac Aa, dans la cause qui l’oppose à la Société Nationale d’Opérations Pétrolières de la Côte d’Ivoire, en abrégé PETROCI SA dont le siège est sis à Ac Ad, … … …, Immeuble les Hévéas, ayant pour conseil Maître N’GUETTA Gérard, Avocat à la Cour, demeurant à Ac et à la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie en Côte d’Ivoire en abrégé BICICI SA, dont le siège est à Ac Ad, … FRANCHET DAGB,
en cassation de l’arrêt civil n°321/CIV, rendu par la Cour d’appel d’Ac le 17 avril 2018, et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
En la forme
Reçoit Monsieur Y AeAGZ Ab recevable en son appel relevé de l’ordonnance n°346 rendue le 13 février 2017 par le juge de l’exécution du Tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau ;
Au fond
L’y dit mal fondé ;
L’en déboute
Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Le condamne aux dépens ; » ;
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent au recours annexé au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Mahamadou BERTE, second Vice-Président ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l'OHADA ;
Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué, que par exploit d’Huissier en date du 19 décembre 2016, le Sieur Y AeAGZ Ab a fait pratiquer une saisie-attribution de créances sur les comptes bancaires de la Société PETROCI SA, domiciliés dans les livres de la BICICI ; que suite à la dénonciation qui lui en a été faite le 20 décembre, la société PETROCI a saisi le juge de l’exécution du Tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau aux fins de mainlevée ; que par ordonnance n°346 rendue le 13 février 2017, le juge a ordonné la mainlevée de la saisie en retenant que ladite société bénéficie de l’immunité d’exécution au sens de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que sur appel de Y AeAGZ Ab, la Cour d’appel d’Ac a rendu l’arrêt confirmatif objet du présent recours en cassation ;
Sur le premier moyen tiré de la violation de la loi
Vu l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, par mauvaise interprétation, violé l’article 30 de l’Acte uniforme précité, en ce qu’il a retenu que la société PETROCI SA, en tant que société d’Etat, bénéficie de l’immunité d’exécution alors, selon le moyen, que la CCJA à travers sa jurisprudence retient qu’une société d’Etat doit, pour bénéficier de l’immunité d’exécution, avoir pour objet une mission d’intérêt général, un capital entièrement détenu par l’Etat et des ressources exclusivement d’origine publique constituées par des redevances et/ou des allocations budgétaires étatiques ; que tel n’est pas le cas de la société PETROCI qui exerce entre autres des activités purement commerciales et non d’intérêt général, dont le capital a été ouvert à des particuliers par décret n°2001- 580 du 12 septembre 2001 portant extension de l’objet social de la société d’Etat dénommée PETROCI et transformation en société anonyme à participation financière publique ; qu’en se déterminant ainsi qu’elle l’a fait, la Cour d’appel a, selon le pourvoi violé le texte visé au moyen et exposé sa décision à la cassation ;
Attendu que selon les dispositions de l’article 30 alinéas 1 et 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution : « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient de l’immunité d’exécution.
Toutefois, les dettes certaines, liquides et certaines des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques quelles qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité. » ; qu’il ressort de ce texte que les bénéficiaires de l’immunité d’exécution sont les personnes morales de droit public et les entreprises publiques par opposition aux personnes morales de droit privé et aux entreprises privées ;
Attendu qu’en l’espèce, par décret n°2001-580 du 12 septembre 2001 « portant extension de l’objet social de la société d’Etat dénommée X A et transformation en société anonyme à participation financière publique, par cession d’une partie de son capital, » la susdite société a été transformée en société anonyme dont le capital est détenu à concurrence de 95% par l’Etat de Côte d’Ivoire et de 5% par des particuliers ; qu’il en ressort que la société PETROCI HOLDING, société anonyme est une personne morale de droit privé et non une entreprise publique ; que le fait que l’Etat Ivoirien y soit actionnaire ne remet pas en cause ce statut qui est conforme à l’alinéa 1" de l’article 1 de l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales aux termes duquel « Toute société commerciale, y compris celle dans laquelle un Etat ou une personne morale de droit public est associé, dont le siège social est situé sur le territoire de l’un des Etats parties du Traité relatif à l’harmonisation du droit des Affaires en Afrique (ci-après désignés « Etats parties») est soumise aux dispositions du présent Acte uniforme. » ; que cet Acte uniforme ne régissant que des entités privées, le fait qu’un Etat partie soit associé d’une société créée conformément à ses dispositions ne confère pas à celle-ci le statut de personne morale de droit public ni celui d’entreprise publique ; que dès lors, en confirmant le jugement qui a reconnu l’immunité d’exécution à la société PETROCI HOLDING, la cour d’appel a violé le texte visé au moyen et exposé sa décision à la cassation ; qu’il échet pour la Cour, d’évoquer l’affaire sur le fond conformément aux dispositions de l’article 14 alinéa 5 du Traité OHADA, sans qu’il soit besoin de statuer sur le second moyen ;
Sur l’évocation
Attendu que par acte d’huissier en date du 1” mars 2017, le Sieur Y AeAGZ Ab a relevé appel de l’ordonnance n°346 rendue le 13 février 2017, par le juge de l’exécution du Tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau et dont le dispositif est ainsi conçu : « statuant publiquement, contradictoirement en matière d’exécution et en premier ressort ;
- Rejetons l’exception d’incompétence soulevée ;
- Nous déclarons compétent ;
- Recevons la société PETROCI HOLDING en son action ;
- L’y disons bien fondée ;
- Ordonnons la mainlevée de la saisie-attribution de créances pratiquée le 19 décembre 2016 sur son compte ouvert dans les livres de la BICICI ;
dépens. » ;
Attendu que pour soutenir son appel, Monsieur Y AeAGZ Ab, allègue qu’en se fondant sur la juridiction qui a rendu la décision servant de base à la saisie querellée, pour rejeter l’exception d’incompétence soulevée par lui, le premier juge a, non seulement violé l’article 169 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, qui ne retient comme critère de compétence que le lieu du domicile du débiteur, mais aussi, les dispositions des articles 7 et 32 de la loi organique n°204-424 du 14 juillet 2014 portant création, organisation et fonctionnement des juridictions de commerce, qui attribuent compétence au président du tribunal de commerce pour les contestations relatives à l’exécution des décisions rendues entre commerçants ;
Qu'il fait valoir, sur le fond, que la société PETROCI ne remplit pas les trois critères déterminés par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) dans son arrêt de principe n°044/2016 rendu le 18 mars 2016, en matière d’immunité d’exécution, à savoir : avoir en objet une mission d’intérêt général, un capital entièrement détenu par l’Etat et des ressources exclusivement d’origine publique ; qu’en lui accordant le bénéfice de cette immunité d’exécution, le premier juge a erré, de sorte que sa décision devra être infirmée ;
Attendu, sur l’exception d’incompétence soulevée, que la société PETROCI rétorque qu’en disposant en son article 7 in fine, que « les juridictions de commerce connaissent des contestations et oppositions prises par les tribunaux de commerce », la loi portant création, organisation et fonctionnement des juridictions de commerce ci-dessus, a entendu soumettre au Président du Tribunal de commerce, les seules contestations portant sur l’exécution des décisions rendues par les juridictions de commerce, contrairement aux prétentions de l’appelant ; que c’est à bon droit donc que le premier juge a retenu sa compétence ;
Attendu que sur le fond du litige, l’intimée allègue que la position de la CCJA sur le principe de l’immunité d’exécution des personnes morales publiques n’a jamais varié, comme le confirme d’ailleurs, l’arrêt invoqué par l’appelant d’autant qu’elle accorde cette faveur aussi bien à l’Etat qu’à ses démembrements ; qu’elle fait savoir que, bien qu’elle fonctionne comme une société commerciale de droit privé, cette forme ne lui fait pas perdre son statut d’entreprise publique, d’autant qu’elle est la seule société nationale chargée d’assurer la continuité et la sûreté des approvisionnements de l’Etat de Côte d’Ivoire en hydrocarbure, assurant ainsi sa souveraineté dans le secteur pétrolier ; que la Cour constatera donc qu’elle est chargée d’une mission d’intérêt général, au regard de l’article 3 du nouveau décret de 2001 portant extension de son objet social et sa transformation en société anonyme à participation financière publique, produit par l’appelant lui-même ;
Qu’étant une société d’Etat, ses biens ne peuvent faire l’objet d’aucune mesure d’exécution forcée, conformément à l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que l’appelant ayant, en violation de ce texte, pratiqué la saisie-attribution litigieuse, elle prie la Cour de confirmer l’ordonnance entreprise ;
Sur l’exception d’incompétence
Attendu que la loi n°2016-1110 du 08 décembre 2016 portant création, organisation et fonctionnement des juridictions de commerce, dispose respectivement en ses articles 9 in fine et 50 alinéa 2 que « les juridictions de commerce connaissent : des contestations et oppositions relatives aux décisions prises par les juridictions de commerce, » ; « la juridiction compétente pour statuer sur toute demande relative à A une mesure d’exécution forcée ou à A une saisie conservatoire est le Président du tribunal de commerce ou la cas échéant, la magistrat désigné par lui » ;
Qu’il résulte du rapprochement de ces dispositions que les contestations relatives à une mesure d’exécution forcée ne relèvent de la compétence du président du tribunal de commerce que si celle-ci est fondée sur une décision rendue par les juridictions de commerce ; que ce faisant, la saisie-attribution attaquée ayant été pratiquée sur la base d’un arrêt confirmatif d’un jugement rendu par le Tribunal de première instance d’Ac, l’exception d’incompétence excipée est inopérante ; que le premier juge l’ayant, à bon droit rejetée, il convient de confirmer sa décision sur ce point ;
Sur l’immunité d’exécution
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux ayant justifié la cassation de l’arrêt entrepris, il y a lieu de dire que c’est à tort que le premier juge a décidé que la société PETROCI HOLDING SA bénéficie de l’immunité d’exécution ; que dès lors, il échet d’infirmer l’ordonnance attaquée sur ce point et de rejeter la contestation soulevée par ladite société ;
Sur les dépens
Attendu que la société PETROCI HOLDING SA, ayant succombé, sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement après en avoir délibéré ;
Casse et annule l’arrêt n°321/CIV rendu le 17 avril 2018 par la Cour d’appel d’Ac ;
Evoquant et statuant sur le fond,
Confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par Sieur Y AeAGZ Ab ;
L’infirme en ce qu’elle a admis la société PETROCI HOLDING SA au bénéfice de l’immunité d’exécution ;
Statuant à nouveau sur ce point,
Rejette comme étant mal fondée, la demande de mainlevée de la saisie- attribution de créances pratiquée le 19 décembre 2016 sur le compte de la société PETROCI HOLDING SA ouvert dans les livres de la BICICI ;
Condamne la société PETROCI HOLDING SA aux dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier