ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
(CCJA)
Deuxième Chambre
Audience publique du 24 juin 2021
Pourvoi : n° 103/2020/PC du 08/05/2020
Affaire : Monsieur A Y B
(Conseil : Maître Michel Henri KOKRA, Avocat à la Cour)
Contre
1. SOCIETE ERNST & YOUNG COTE D’IVOIRE
(Conseil : Le cabinet de l’'INDENIE, Avocats à la Cour)
2. SOCIETE BNI GESTION
(Conseil : Maître Josiane KOFFI-BREDOU, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 145/2021 du 24 juin 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’arrêt dont la teneur suit, en son audience publique du 24 juin 2021, présidée par Monsieur Djimasna N’DONINGAR, assisté de Maître Koessy Alfred BADO, Greffier, après délibération du collège de Juges composé de :
Messieurs Robert SAFARI ZIHALIRWA, rapporteur
Djimasna N’DONINGAR, Juge
Birika Jean Claude BONZI, Juge
Armand Claude DEMBA, Juge
Mounetaga DIOUF, Juge
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la cour de céans le 08 mai 2020 sous le n° 103/2020/PC et formé par Maître Michel Henri KOKRA, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan, 20 BP 464 Abidjan 20, Côte d’Ivoire, agissant au nom et pour le compte de Monsieur A Y B, de nationalité ivoirienne, Avocat près la Cour d’appel d’Ab, y demeurant, 03 BP 113 Abidjan 03, Côte d’Ivoire, dans la cause qui l’oppose à la Société ERNST & YOUNG Côte d’Ivoire, dont le siège social est sis à Abidjan-Plateau,5, avenue Marchand, 01 BP 2715 Abidjan 01, prise en la personne de son représentant légal, Monsieur Jean- François ALBRECHT, Président Directeur Général, y demeurant, ayant élu domicile en l’étude de son conseil, le cabinet de l’Indenié , Avocats à la Cour, demeurant à Abidjan, Plateau, Indenié, 20 BP 1322 Abidjan 20, et à la société BNI GESTION, ayant son siège à Abidjan, Plateau, avenue Lamblin prolongée, immeuble « Belle Rive » 14°"° étage, 01 BP 670 Abidjan 01, prise en la personne de son représentant légal, Monsieur Aa C X, Directeur Général, y demeurant, ayant élu domicile en l’étude de son conseil, Maître Josiane KOFFI-BREDOU, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan, 04 BP 150 Abidjan 04,
en cassation de l’arrêt n° RG 415 et 448/2019 rendu le 28 novembre 2019 par la Cour d’appel de commerce d’Abidjan, dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort ;
Vu l’arrêt avant dire droit RG n° 415 et 448/2019 du 31octobre 2019 rendu par la Cour d’appel de céans ;
Confirme le jugement querellé par substitution de motifs s’agissant de la demande en paiement de dommages et intérêts dirigée contre la société BNI GESTION et en ses autres dispositions ;
Met les dépens de l’instance à la charge de la société BNI GESTION et de Monsieur A Y B, chacun pour moitié. ».
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi le moyen unique de cassation tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de monsieur SAFARI ZIHALIRWA, Premier Vice- Président ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’'OHADA ;
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure que Monsieur A Y B a investi la somme de cent millions (100 000 000) FCFA dans un fond commun de placement (FCP), géré par la société BNI GESTION SA ; que plus tard, voulant des informations, il s’entendait dire par celle-ci, que son placement avait subi des pertes ; qu’au même moment, l’autorité de régulation du marché financier jugeait fautive, l’utilisation faite des FCP sous gestion de la société BNI GESTION SA, et prononçait des sanctions contre celle-ci ; que fort de cela, Monsieur A Y B attrayait la société BNI GESTION SA, ainsi que son commissaire aux comptes titulaire, la société ERNST & YOUNG SA, en responsabilité et en réparation devant le Tribunal de commerce d’Abidjan ; qu’il obtenait partiellement gain de cause, la première nommée ayant été condamnée à lui rembourser les sommes investies ainsi qu’à lui payer des dommages et intérêts ; que ses demandes dirigées contre la société ERNST & YOUNG SA ayant été rejetées, il relevait appel devant la Cour d’appel de commerce d’Ab qui rendait, le 28 novembre 2019, l’arrêt dont pourvoi ;
Sur la compétence de la Cour
Attendu que dans leurs mémoires en réponse respectifs, reçus au greffe de la Cour les 18 et 27 août 2020, la BNI Gestion et la société ERNST &YOUNG COTE D'IVOIRE soulèvent l’incompétence de la Cour de céans aux motifs, d’une part, que le présent litige portant sur le fonctionnement et la gestion des Organismes Communs de Placement des Valeurs Mobilières (OCPVM) régi par les textes réglementant le marché financier de la zone UEMOA, ne relève pas de la compétence de la CCJA telle que précisée par l’article 14 du Traité de l’OHADA ; d’autre part, qu’un recours en cassation de l’arrêt attaqué a déjà été initié devant la Cour de cassation de Côte d’Ivoire, laquelle se trouve présentement saisie de la même affaire ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 14, alinéa 3, du Traité de l’OHADA, « Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales »
Et attendu qu’aux termes de l’article 16 du même Traité, « La saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée. Une telle procédure ne peut reprendre qu’après arrêt de la Cour commune de justice et d’arbitrage se déclarant incompétente pour connaître de l’affaire. » ;
Attendu qu’il résulte des productions au dossier de la procédure que devant les juges du fond, monsieur A Y B avait assigné en paiement la société ERNST & YOUNG SA et la BNI Gestion SA, pour mauvaise gestion de de cette dernière ainsi que les fautes et négligences commises par la société ERNST & YOUNG dans l’exécution de son mandat de commissaire aux comptes titulaire de la société BNI GESTION, constituée sous la forme d’une société anonyme avec conseil d’administration ; que pour engager la responsabilité dudit commissaire aux compte, elle a excipé de la violation des articles 86, 153, 712, 716 et 718 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique et sollicité sa condamnation sur le fondement de l’article 725 du même texte, lequel contient les règles relatives à la responsabilité civile des commissaires aux comptes à l’égard des tiers ; que par ailleurs, l’instruction n°31/2005 relative à l’exercice du commissariat aux compte auprès des structures agréés et des sociétés cotées sur le marché financier régional de l’'UEMOA vise expressément les articles 694 à 734 de l’Acte uniforme susvisé comme applicables aux structures agrées notamment les sociétés de gestion de patrimoine ; qu’il s’ensuit que l’affaire soulève des questions relatives à l’application dudit Acte uniforme et que ce faisant, elle relève en cassation, de la compétence de la Cour de céans telle que précisée par l’article 14 du Traité de l’OHADA ; qu’il échet de se déclarer compétente ;
Sur le moyen unique de cassation tiré de la violation de la loi
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé la loi notamment, les articles 710 et suivants de l’Acte uniforme relatif aux droits des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique et les instructions 31/2005, 45/2011 et 46/2011 de l'UEMOA, en ce qu’il a conclu à l’absence de preuve de la commission par la société ERNST & YOUNG, de faute dans l’exercice de sa mission de commissaire aux compte de la société BNI GESTION SA alors, selon le moyen, qu’il est établi que la BNI GESTION SA, a détourné la quasi-totalité des fonds communs de placement (FPC) reçus de ses souscripteurs et que, la société ERNST & YOUNG SA, pour n’avoir pas relevé tous ces détournements commis par ladite société, a commis une faute engageant sa responsabilité en sa qualité de commissaire aux comptes en application de l’article 725 de l’Acte uniforme susvisé ;
Mais attendu que pour écarter la responsabilité de la société ERNST & YOUNG, la Cour d’appel a retenu :
« Considérant que l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique précité dispose en son article 153 que : « le commissaire au compte dans une société anonyme et dans une société par actions simplifiée, peut engager une procédure d’alerte en demandant par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception des explications au président du conseil d’administration, au président-directeur général ou à l’administrateur général, selon le cas, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation qu’il a relevé lors de l’examen des documents qui lui sont communiqués ou dont il a connaissance à l’occasion de l’exercice de sa mission.
Que de plus, il ressort de la lecture combinée des dispositions des articles 710 et suivants dudit acte uniforme que le commissaire aux comptes a pour mission permanente, à l’exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents … comptables de la société et de contrôler la conformité … de sa comptabilité aux règles en vigueur ; que celui-ci a également en charge de dresser un rapport dans lequel il porte à la connaissance du conseil d’administration ou de l’administrateur général entre autres, les contrôles et vérifications , les irrégularités et les inexactitudes qu’il aurait découvertes
Considérant qu’en l’espèce, il est constant ainsi qu’il résulte de l’examen des pièces produites au dossier, notamment le rapport daté du 1“ juin 2017 sur l’exercice clos en décembre 2016 adressé aux administrateurs de la société BNI GESTION et du rapport relatif aux FPC DINAMICS SAVINGS en date du 31 août 2017 au titre du même exercice adressé aux administrateurs de ladite société, du rapport sur les états financiers annuels datés du 17 juillet 2017 adressé aux actionnaires de la société BNI GESTION que l’intimée s’est conformée aux dispositions de l’article 14 de l’instruction susvisée et de l’Acte uniforme précité, en établissant lesdits rapports tels que prévus par ces dispositions ;
Considérant qu’en outre, monsieur A Y B n’a nullement contesté que la société ERNST & YOUNG a déclenché la procédure d’alerte conformément à l’article 153 de l’acte uniforme précité, toute chose également corroborée par les lettres datées du 24 janvier 2018 produites au dossier par elle adressée au président du conseil d’administration de la BNI GESTION et au Qu’au reste, bien que prétendant que l’intimée n’a pas engagé ladite procédure avec diligence, l’appelant n’a pas été en mesure de rapporter la preuve de ses allégations et se garde de préciser les dispositions légales prévoyant un délai dans lequel cette obligation devrait être mise en application et le point de départ de ce délai
Considérant que s’agissant du prétendu non-respect par l’intimée des dispositions des articles 712 et 718 dudit acte uniforme imposant d’exercer de manière permanente une mission de vérification des contrats, des procès-verbaux des organes des organes sociaux, des valeurs et documents comptables de la société, monsieur A Y B ne l’ont plus nullement prouvé ;
Qu’ainsi, en l’absence de preuve de la commission par la société ERNST & YOUNG de faute dans l’exercice de sa mission de commissaire aux comptes des FCP et de la société BNI GESTION, c’est à bon droit que le premier juge a déclaré mal fondée la demande en condamnation solidaire formulée par Monsieur A Y B à leur encontre » ;
Attendu qu’il appert de cette motivation de la Cour d’appel, que c’est par une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, qu’elle a conclu à l’absence de faute du commissaire aux comptes ERNST & YOUNG dans l’accomplissement de sa mission ; d’où il suit que le moyen unique de cassation qui, sous le couvert de violation de la loi, tend plutôt à remettre en discussion devant la Cour de céans des faits souverainement appréciés par les juges du fond, doit être déclaré irrecevable ; qu’il échet de rejeter le pourvoi ;
Sur les dépens
Attendu que monsieur A Y B succombant, doit être condamné aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Se déclare compétente ;
Rejette le pourvoi formé par monsieur A Y B ;
Le condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier