ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
(CCJA)
Deuxième chambre
Audience publique du 25 novembre 2021
Pourvoi : n° 101/2020/PC du 07/05/2020
Affaire : SOCIETE SENIRAN AUTO SA
(Conseil : Maître Cheikh Amadou Ndiaye, Avocat à la Cour)
Contre
SOCIETE TRACTO SERVICE EQUIPEMENT (TSE Afrique SA) (Conseil : Maître Serigne Khassim TOURE, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 200/2020 du 25 novembre 2021
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’Arrêt suivant, en son audience publique du 25 novembre 2021 où étaient présents :
Messieurs Robert SAFARI ZIHALIRWA, Président
Armand Claude DEMBA Juge
Mounetaga DIOUF, Juge, Rapporteur
et Maître Koessy Alfred BADO, Greffier,
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 07 mai 2020, sous le n°101/2020/PC et formé par Maître Cheikh Amadou Ndiaye Avocat à la Cour, demeurant au 13 bis Place l’Indépendance à Dakar, République du Sénégal, agissant au nom et pour le compte de la société SENIRAN AUTO SA dont le siège se situe au kilomètre 4,5 Boulevard du Centenaire de la Commune de Dakar, mais faisant élection de domicile en l’étude du conseil précité, dans la cause qui l’oppose à la société TRACTO SERVICE EQUIPEMENT dite TSE Afrique SA, dont le siège est sis au 15, route des brasseries à Dakar, ayant pour conseils Maître Serigne Khassim TOURE, Avocat à la Cour ;
en cassation de l’arrêt n°18 rendu le 20 janvier 2020 par la cour d’appel de Dakar et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et dernier ressort ;
En la forme
Vu l’ordonnance de clôture du conseiller de la mise en état ;
Au fond
Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau :
Déboute la société SENIRAN Auto de sa demande en paiement comme mal fondée ;
Confirme pour autre motif le jugement attaqué pour le surplus ;
Condamne la société SENIRAN Auto aux dépens » ;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Mounetaga DIOUF, Juge ;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il ressort des pièces de la procédure que dans le cadre de l’augmentation du capital social de la société SENIRAN AUTO SA, la société TRACTO SERVICE EQUIPEMENT dite TSE Afrique SA avait décidé d’acquérir, par souscription en date du 27 juin 2011, 120 000 actions d’une valeur nominale de 10 000 FCFA chacune, soit la somme de 1 200 000 000 FCFA dont le quart sera libéré par chèque ECOBANK n°47861152 en date du 30 juin 2011 ; que faute par elle de payer le reliquat, la société émettrice lui envoyait plusieurs relances qui ont été suivies d’un courrier du président directeur général de TRACTO SERVICE, le sieur Ac Aa Ad, dans lequel celui-ci annonçait le retrait de cette société du capital de SENIRAN ; qu’après deux mises en demeure datées respectivement du 17 juin 2013 et du 31 octobre 2013 et restées sans effet, la requérante saisissait, par exploit en date du 18 septembre 2019, le tribunal de commerce hors classe de Dakar pour solliciter la condamnation de la société TRACTO SERVICE EQUIPEMENT dite TSE Afrique SA à lui payer la somme de 900 000 000 FCFA représentant la valeur des actions souscrites et non libérées outre celle de 100 000 000 FCFA de dommages-intérêts ; que par jugement n° 283/19 en date 20 février 2019, ledit tribunal faisait droit aux demandes de SENIRAN AUTO pour le principal et lui allouait la somme de 90 000 000 FCFA à titre du préjudice ; que sur appel de la société TRACTO SERVICE AFRIQUE, la Cour d’appel de Dakar rendait l’arrêt dont pourvoi ;
Attendu que par lettre en date du 20 novembre 2020, reçue le16 décembre 2020, le Greffier en Chef de la Cour a signifié le recours au conseil de la défenderesse qui n’a cependant produit aucun mémoire ; que le principe du contradictoire étant respecté, il y a lieu de statuer ;
Sur la deuxième branche du premier moyen tiré de la violation de la loi
Attendu que la requérante reproche à l’arrêt attaqué d’avoir, par refus d’application, violé l’article 19 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général (AUDCG) en ce qu’il a écarté ce texte comme non applicable en l’espèce alors qu’il s’agit bel et bien d’une créance à terme puisque A ne pouvait agir contre sa débitrice qu’à la fin du délai de trois ans que lui impartit l’article 389 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du
groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) ;
Attendu que l’article 389 précité, qui accorde au souscripteur d’actions de société anonyme, ayant libéré le quart de la valeur des actions souscrites, un délai de trois ans à compter de l’immatriculation au RCCM pour libérer le reliquat du montant de la souscription, est une disposition applicable au moment de la constitution de la société ; que lorsqu’il s’agit d’une souscription d’actions en cours de vie sociale à l’occasion d’une augmentation du capital, le texte applicable est l’article 774 AUSCGIE ; que cette disposition, reprenant le délai de trois ans prévu à l’article 389 du même Acte uniforme, prévoit cependant comme point de départ du délai de libération du surplus de la valeur des actions non libérées la date de souscription desdites actions ;
Attendu que l’article 19 AUDCG fixe le point de départ du délai de prescription des créances à terme, des créances conditionnelles et des actions en garantie ; que pour les créances à terme, ce texte prévoit que la prescription ne court pas jusqu’à ce que le terme soit arrivé ;
Attendu qu’en l’espèce, la créance résultant du non versement par TRACTO SERVICE de la totalité du montant de la souscription est incontestablement une créance affectée d’un terme dans la mesure où la société SENIRAN AUTO ne peut la réclamer avant l’échéance ; qu’en décidant que l’article 19 du texte sus visé n’a pas vocation à s’appliquer aux faits de l’espèce et en déclarant la créance de SENIRAN atteinte par la prescription alors que la créance du reliquat du montant de la souscription est une créance à terme, la cour d’appel de Dakar, a par refus d’application, violé le texte sus visé ; qu’il échet dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer ;
Sur l’évocation
Attendu que par exploit en date des 14 et 15 mars 2019, la société TRACTO SERVICE Equipement dite TSE Afrique SA a interjeté appel du jugement n°283/19 rendu le 20 février 2019 par le Tribunal de commerce hors classe de Ab dont le dispositif est ainsi conçu :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort ;
En la forme
Vu l’ordonnance de clôture n°23 en date du 23 janvier 2018 du juge de la mise en état ;
Rejette la prescription soulevée ;
Déclare l’action principale et la demande reconventionnelle recevables ;
Au fond
Condamne la société Tracto Service Equipement (TSE Afrique SA) à payer à la société SENIRAN AUTO la somme de 900 000 000 FCFA outre celle de 90 000 000 à titre de dommages et intérêts ;
Déboute la société Tracto Service Equipement de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts ;
Dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire ;
Condamne TSE Afrique aux dépens. »
Attendu qu’en appel la société TRACTO SERVICE reproche au premier juge de s’être fondé sur les dispositions de l’article 774 AUSCGIE pour rejeter l’exception de prescription de l’action de la société intimée alors que ce texte n’a pas vocation à s’appliquer aux faits de l’espèce ; que ce sont plutôt les articles 16 et 17 AUDCG qui fixent respectivement le délai quinquennal de prescription des obligations entre commerçants ainsi que le point de départ dudit délai qui s’appliquent ; que ce délai court à compter du jour où le titulaire du droit a eu connaissance des faits qui lui permettent d’exercer son action et que c’est donc par confusion que la société SENIRAN AUTO a soutenu que ce délai court à compter de l’événement que la loi détermine ; qu’ayant, conformément à l’article 269-6 AUSCGIE, formalisé son retrait du capital de la société intimée le 15 avril 2013, bien avant l’expiration du délai de libération du capital, c’est cette date à laquelle A a eu connaissance de son désir de se retirer de son capital qui constitue le point de départ du délai de prescription ; que lui ayant servi une mise en demeure en date du 17 juin 2013, SENIRAN n’a cependant pas introduit son action dans le délai de cinq ans suivant cette date et son action doit alors être déclarée prescrite ;
Attendu que l’intimée soutient qu’en réalité, c’est l’article 19 AUDCG, prévoyant un point de départ spécial pour les créances qui dépendent d’un terme, qui s’applique ; que sa créance contre B SERVICE est affectée d’un terme en ce que la libération totale des actions souscrites dans son capital par l’appelante devait se faire dans un délai de trois ans en application de l’article 774 AUSCGIE ; que l’acte de souscription étant daté du 24 octobre 2011, son action introduite le 18 septembre 2018 n’est donc pas prescrite ; que n’ayant libéré que le quart de la valeur des actions souscrites, l’appelante, reste débitrice du reliquat de 900 000 000 FCFA et est encore actionnaire de la société malgré sa volonté exprimée de se retirer de celle-ci dans la mesure où l’article 777, alinéa 1 AUSCGIE prévoit que l’actionnaire défaillant, les cessionnaires successifs et les souscripteurs sont tenus solidairement du montant non libéré des actions ;
Attendu que le point de départ du délai de prescription de cinq ans prévu par l’article 16 AUDCG est le terme qui affecte la créance ; qu’en l’espèce, le point de départ dudit délai ne saurait être la date à laquelle TRACTO SERVICE a manifesté sa volonté de se retirer du capital de la société SENIRAN, retrait qui n’est d’ailleurs pas possible parce qu’autorisé uniquement dans la société à capital variable par l’article 269-6 AUSCGIE, ce qui n’est pas le cas de SENIRAN AUTO ; qu’il ne saurait non plus être la date de l’appel à la libération du capital à savoir le 24 octobre 2011; que les actions ayant été souscrites le 27 juin 2011, c’est à compter de cette date que court le délai de libération du montant reliquataire de la valeur des actions en application de l’article 774 AUSCGIE; que tenant compte de ce point de départ, le terme affectant la créance du reliquat est le 27 juin 2014, dernier jour du délai de libération de trois ans prévu à l’article 774 précité ; que le délai de prescription de cinq ans prévu à l’article 16 sus visé commence alors à courir à compter de cette date pour expirer le 27 juin 2019 ; que l’action en paiement ayant été introduite le 18 septembre 2018 l’a donc été dans le délai prévu par les dispositions combinées des articles 16 et 19 AUDCG ; qu’il échet dès lors de confirmer le jugement n°283/19 du 21 février 2019 en toutes ses dispositions ;
Sur les dépens
Attendu que la société TRACTO SERVICE EQUIPEMENT ayant succombé doit supporter les dépens ;
PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse l’arrêt n°18 rendu le 20 janvier 2020 par la cour d’appel de Dakar ;
Evoquant et statuant au fond :
Confirme le jugement n°283/19 du 20 février 2019 en toutes ses dispositions ;
Condamne la société TRACTO SERVICE EQUIPEMENT dite TSE AFRIQUE SA aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier