ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Troisième chambre
Audience publique du 02 juin 2022
Pourvoi : n° 181/2020/P du 14/07/2020
Affaire : Z A Ae
(Conseils : Maîtres Moreau SHAMAMBA LUKOO et Jacques BWIRA HANGI,
Avocats à la Cour)
Contre
Ac AI X
(Conseils : Maîtres Matthieu CINGORO MULAHUKO et
N’Guessan Alexandre ASSAMOI, Avocats à la Cour)
Arrêt N° 075/2022 du 02 juin 2022
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 02 juin 2022 où étaient présents :
Messieurs Mahamadou BERTE, Président, rapporteur
Djimasna N’DONINGAR, Juge
Madame Afiwa-Kindéna HOHOUETO, Juge
et Maître Louis Kouamé HOUNGBO, Greffier ;
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 14 juillet 2020 sous le n°181/2020/PC et formé par Maîtres Moreau SHAMAMBA LUKOO et Jacques BWIRA HANGI, Avocats à la Cour, demeurant au n°234, Avenue du Lac, Quartier AK, Commune de Goma, Ville de Goma, Province du Nord-Kivu en République Démocratique du Congo, agissant au nom et pour le compte de Madame Z A Ae, commerçante, demeurant à Goma, Province du Nord-Kivu, en République Démocratique du Congo, dans la cause qui l’oppose à Madame Ac AI X, commerçante, demeurant à la Province du Nord-Kivu, Ville de Goma, Commune de Goma, Quartier les Volcans, Avenue de la Corniche, ayant pour Conseils Maîtres Matthieu CINGORO MULAHUKO et N’Guessan Alexandre ASSAMOI, Avocats à la cour, demeurant respectivement dans la Province du Nord-Kivu, Ville de Goma, Commune de Goma, au n° 3 de l’Avenue C, Quartier Y in Ab AJ à l’étage et à la Cité RAN, Avenue Ad B villa I 3 face à l’EPP RAN, Abidjan-Plateau,
en cassation de l’Arrêt n° RCA 4102 rendu le 06 avril 2020 par la Cour d’appel du Nord-Kivu et dont le dispositif suit :
« Statuant contradictoirement à l’égard de toutes les parties ;
Le Ministère Public entendu en son avis ;
Dit qu’il n’y a pas lieu à nouveau à l’examen de l’exception d’irrecevabilité de l’appel d’autant plus que l’arrêt avant dire droit en avait déjà répondu ;
Dit recevable et fondé le présent appel ;
Reçoit l’action de la demanderesse et la déclare fondée, en conséquence :
Constate la résiliation unilatérale du contrat de bail du 26 aout 2017 au tort de l’intimée ;
Ordonne à l’intimée de rembourser à l’appelante la plus-value évaluée à la somme de 57.000 USD ;
La Condamne au paiement de la somme de 80.000 USD en francs congolais fixée en toute équité à titre des dommages et intérêts ;
Dit qu’il n’y a lieu à l’exécution provisoire du présent arrêt ;
Met les frais d’instance à charge de l’intimée. » ;
Sur le rapport de monsieur Mahamadou BERTE, Second Vice-Président,
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent dans la requête jointe au présent Arrêt ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué, que le 26 août 2017, monsieur AH AG et Dame AI X Ac ont conclu un contrat de bail professionnel portant sur l’immeuble sis avenue Aa dans la ville de Goma et appartenant à Dame Z A Ae ; qu’il ressort dudit bail à durée indéterminée que le locataire exploitera dans les lieux, une boite de nuit, moyennant un loyer mensuel de 1000 USD ; qu’il y effectuera de gros travaux dont la plus-value lui sera payée à la fin du contrat par le bailleur et qu’elle payera par anticipation la somme de 5000 USD, correspondant à cinq mois de loyers ; que ce contrat a été par la suite ratifiée par la propriétaire, dame Z A Ae ; qu’à la suite de difficultés intervenues entre les parties, dame AI X Ac se plaignant de troubles de jouissance de la part de la dame Z A Ae, a fait assigner celle-ci et le sieur AH AG devant le Tribunal de commerce de Goma aux fins de constater la résiliation unilatérale du bail et de les condamner à des dommages et intérêts ; qu’à la suite de la demande de dame Z A Ae tendant à ordonner l’intervention forcée du sieur AH, le tribunal saisi, a ordonné à l’audience du 24 octobre 2018, la réassignation du susnommé et a renvoyé l’affaire à l’audience du 07 novembre ; que dame AI X Ac a relevé appel de cette mesure ; que statuant sur cet appel, la Cour d’appel du Nord-Kivu a, après des arrêts avant dire droit sur la recevabilité de l’appel et sur des mesures d’expertise, rendu l’arrêt définitif, objet du présent recours en cassation ;
Sur la recevabilité du mémoire en réponse
Attendu que dans ses écritures déposées au greffe de la Cour de céans le 27 juillet 2021, dame Z A Ae soulève l’irrecevabilité du mémoire en réponse déposé le 17 mars 2021 par la défenderesse au pourvoi, pour cause de tardiveté, au motif que celle-ci a reçu signification du pourvoi en cassation courant octobre 2020 et non le 26 janvier 2021 ; que le délai de trois mois imparti par l’article 30 du Règlement de procédure de la Cour de céans était donc expiré au moment du dépôt du mémoire à la date sus indiquée ;
Attendu cependant qu’il ressort des pièces du dossier que la signification adressée à dame Ac AI X a été reçue le 26 janvier 2021 par le cabinet de Maître CINGORO qui a signé et apposé son cachet sur l’accusé de réception du document ; qu’il y a donc lieu de considérer la date du 26 janvier 2021 comme étant celle de la réception de la signification et de déclarer, par conséquent, le mémoire en réponse recevable ;
Sur la recevabilité du recours en cassation
Attendu que, dans son mémoire en réponse déposé le 17 mars 2021, dame Ac AI X a soulevé l’irrecevabilité du présent recours en cassation pour violation des articles 23, alinéa 1 et 27, alinéaldu Règlement de procédure de la Cour de céans, en ce que d’une part, le mandat spécial délivré aux avocats se contente de mentionner « aux fins d’introduire par devant la CCJA » sans préciser «le devoir à faire » et, d’autre part, que les annexes versées au dossier ne sont pas certifiées conformes ; qu’enfin elle soulève l’irrecevabilité du recours au motif que la signature apposée sur le susdit mandat spécial, n’est pas celle de la demanderesse au pourvoi ;
Mais attendu qu’en l’état de la procédure les griefs soulevés par la défenderesse au pourvoi ont fait l’objet de régularisation ainsi que le permet l’article 28 nouveau point 6 du Règlement de procédure de la Cour de céans ; qu’en effet, il est versé au dossier une procuration spéciale signée de Madame Z A précisant que le pouvoir donné aux avocats est : « d’introduire par devant la Cour Commune de Justice et d’arbitrage de l’'OHADA... un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu sous RCA 4102 par la Cour d’appel du Nord- Kivu » ;
Attendu par ailleurs que la certification des pièces annexes prévue à l’article 27, alinéa 1 du Règlement précité, n’est pas exigée à peine d’irrecevabilité ; qu’il y a donc lieu de rejeter la fin de non-recevoir soulevée ;
Sur le premier moyen de cassation tiré de la violation de la loi pris en sa quatrième branche
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué la violation de l’article 21 de la constitution de la République Démocratique du Congo, en ce qu’elle a, au mépris du principe du double degré de juridiction, évoqué l’affaire alors qu’il n’y a aucune décision judiciaire ; qu’en procédant comme elle l’a fait, la cour d’appel a, selon le moyen, manifestement violé la loi et exposé son arrêt à la cassation ;
Attendu en effet, qu’aux termes de l’article 21 de la Constitution de la République Démocratique du Congo : « tout jugement est écrit et motivé. Il est prononcé en audience publique.
Le droit de former un recours contre un jugement est garanti à tous. Il est exercé dans les conditions fixées par la loi. » ; qu’à cet égard les articles 35, 24 et 66 du Code de procédure civile dudit Etat disposent respectivement :
Article 23 : « les jugements contiennent le nom des juges qui les ont rendus, celui de l’officier du Ministère public s’il a été entendu et du greffier qui a assisté au prononcé, les noms professions des parties, les motifs, le dispositif et la date à laquelle ils ont été rendus. » ;
Article 24 : « les minutes des jugements sont signées par les juges qui les ont rendus et par le greffier, elles sont annexées à la feuille d’audience. » ;
Article 66 « aucun appel ne sera déclaré recevable si l’appelant ne produit l’expédition régulière de la décision attaquée… » ; qu’il ressort de ces dispositions d’une part, qu’un jugement doit être écrit, motivé et contenir un dispositif et, d’autre part, qu’aucun appel contre un jugement, n’est recevable, si l’appelant n’en produit l’expédition ;
Attendu, en l’espèce, que la cour d’appel dans ses visas énonce :
« Vu le PV du 24/10/2018 renvoya (renvoyant) la cause à l’audience publique du 07/11/2018 pour réaliser (réassigner) l’intervenant forcé et plaidoirie au fond et à la forme.
Vu l’appel formé contre ledit PV, par Maître Matthieu CINGORO MULAHUKO, Avocat au Barreau du Nord-Kivu… suivant déclaration faite et actée au greffe de la Cour d’appel du Nord-Kivu en date du 06/11/2018 » ; qu’il ressort de ces énonciations que la cour d’appel a été saisie de l’appel interjeté contre un PV dressé à l’audience et non contre un jugement dont les caractéristiques et mentions sont ci-dessus spécifiées par l’article 21 de la Constitution et les dispositions du Code de procédure civile de la République Démocratique du Congo ; qu’il s’ensuit que la Cour d’appel du Nord-Kivu qui, sans caractériser l’existence d’un jugement dont elle serait saisie par voie d’appel, a cependant déclaré ce recours recevable et statué au fond sans infirmation, a commis le grief qui lui est reproché et exposé son arrêt à la cassation ; qu’il ya lieu, en application de l’article 14, alinéa 5 du Traité instituant l’'OHADA, d’évoquer sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens ;
Sur l’évocation
Attendu que suivant déclaration faite par acte au greffe de la Cour d’appel du Nord-Kivu en date du 06/11/2018, Maître Matthieu CINGORO MULAHUKO, avocat au Barreau agissant au nom et pour le compte de dame Ac AI X, a relevé appel contre « la décision prise par le Tribunal de commerce de Goma en date du 24/10/2018 sous RCE 424 en cause Ac AI X contre AH AG et Z A », qui a renvoyé cette cause à l’audience publique au fond et à la forme ;
Attendu que, in limine litis, l’intimée a soulevé l’irrecevabilité de l’appel tiré du défaut de production de l’expédition du jugement attaqué ; qu’elle invoque au soutien de la fin de non-recevoir, les dispositions de l’article 66 du code de procédure civile de la République Démocratique du Congo qui conditionnent la recevabilité de l’appel à la production par l’appelant de, entre autres pièces, « l’expédition régulière de la décision attaquée » ;
Attendu que, sur le fond du litige, l’appelante, en invoquant des troubles de jouissance de sa cocontractante propriétaire de l’immeuble objet du bail conclu le 26/08/2017, a sollicité de la cour sur le fondement de l’article 109 de l’Acte uniforme portant droit commercial général : la constatation de la fin dudit bail à compter du 19 avril 2019, la restitution de la plus-value d’un montant de 93.750.USD, la condamnation de l’intimée au paiement de la somme de 250.000. USD à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que l’intimée Dame Z A Ae a conclu au rejet des prétentions de l’appelante en réfutant l’existence de troubles de jouissance et de préjudice subi par celle-ci ;
Sur la recevabilité de l’appel
Attendu que dame Z A Ae a soulevé la fin de non- recevoir de l’appel sur le fondement de l’article 66 du Code de procédure civil de la République Démocratique du Congo ;
Attendu qu’aux termes de cet article « aucun appel ne sera déclaré recevable si l’appelant ne produit l’expédition régulière de la décision attaquée… » ;
Attendu, en l’espèce, qu’il n’est produit au dossier aucune expédition d’un jugement dont il serait fait appel ; qu’en effet, un procès-verbal d’audience dont il ressort que le tribunal a pris une mesure d’administration ordonnant la réassignation d’un tiers en qualité d’intervenant à une audience ultérieure, ne saurait tenir lieu de jugement ; qu’il y a donc lieu de déclarer l’appel irrecevable et de mettre les dépens à la charge de dame Ac AI X ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré ;
Déclare recevable le mémoire en réponse déposé le 17 mars 2021 par la défenderesse au pourvoi ;
Déclare le pourvoi recevable ;
Casse et annule l’arrêt n°RCA 102 rendu le 06 avril 2020 par la Cour d’appel du Nord-Kivu ;
Evoquant et statuant au fond
Déclare l’appel irrecevable ;
Condamne dame Ac AI X aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier