ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Deuxième chambre
Audience publique du 09 juin 2022
Pourvoi : n° 257/2017/PC du 22/11/2017
Affaire : SCP TOKOTO & MPAY
(Conseil : Maître François KAMWA, Avocat à la Cour)
Contre
Ad Ac Af Ae B
(Conseil : Maître NGALLE MIANO, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 093/2022 du 09 juin 2022
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième Chambre, présidée par Monsieur Armand Claude DEMBA, assisté de Maître Koessy Alfred BADO, Greffier, a rendu en son audience publique du 09 juin 2022, l’Arrêt dont la teneur suit, après délibération du collège de Juges composé de :
Messieurs : Armand Claude DEMBA, Président
Birika jean Claude BONZI, Juge
César Apollinaire ONDO MVE, Juge
Arsène Jean Bruno MINIME, Juge
Sabiou MAMANE NAISSA, Juge, rapporteur
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans de l’affaire S.C.P TOKOTO & MPAY contre la Ad Ac Af Cameroon
SA, dont le siège se trouve à Aa, BP 1784, ayant pour conseils la SCP NGALLE-MIANO, BEKIMA-NJM & EKANF, Avocats au barreau du Cameroun avec résidence à Aa, … 2771, République du Cameroun, par arrêt n°085/Civ du 07 janvier 2016 de la Cour Suprême du Cameroun, saisie d’un pourvoi formé par la SCP TOKOTO & MPAY en liquidation, représentée par son liquidateur Maître MANGA-AKWA, demeurant à Aa, rue Motte-Piquet, à Bonanjo, BP 5031, République du Cameroun, ayant pour conseil Maître KAMWA François, Avocat au barreau du Cameroun, demeurant à Aa, 665, rue Ab C, ancienne rue « VŸY », Hôtel Lumière Joss, à Bonanjo, BP 12710, Aa, République du Cameroun, renvoi enregistré au greffe de la Cour sous le n°257/2017/PC du 22 novembre 2017,
en cassation de l’arrêt n° 299/REF, rendu le 27 décembre 2010 par la Cour d’appel du Littoral à Aa, et dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties, en contentieux de l’exécution, en appel, à l’unanimité ;
EN LA FORME
Reçoit l’appel ;
AU FOND
Confirme l’ordonnance entreprise ;
Condamne l’appelant aux dépens. »
La requérante invoque à l’appui de son recours les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Sabiou MAMANE NAISSA, Juge ;
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’'OHADA ;
Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué, que par jugement n°01/CIV/GI rendu le 27 octobre 1994 par le Tribunal de grande instance de Kribi, la Ad Ac Af Ae B avait été, entre autres, condamnée aux dépens distraits au profit de la SCP TOKOTO & MPAY, Avocats à la cour, lesquels dépens ont été calculés à la hauteur de 11.776.269 francs ; qu’en exécution dudit jugement, la SCP TOKOTO & MPAY a fait pratiquer une saisie conservatoire le 20 juillet 2000 sur les avoirs de la Ad Ac Af Ae B logés à la Société Commerciale de Banque Crédit Lyonnais, en abrégé SCB-CL ; que statuant en contestation desdites saisies, le Président du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo, juge de l’exécution a, par ordonnance n°609 rendue le 04 avril 2001, ordonné la mainlevée des saisies
opérées pour défaut de titre exécutoire ; que la Cour d’appel du Littoral à Aa,
devant laquelle cette ordonnance a été déférée, rendait l’arrêt, objet du présent
pourvoi ;
Sur le premier moyen, tiré de la violation des dispositions des articles 28 bis et ter du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, 20 alinéa 2 A et B de la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire en République du Cameroun et 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, ensemble, la violation de la loi et le manque de base légale
Attendu que le moyen fait grief à l’arrêt attaqué en ces termes « en ce que
les règles ayant trait à la composition des délibérations des cours et tribunaux
étant d’ordre public, toute décision judiciaire doit en elle-même renfermer la
preuve de la composition légale de la juridiction dont elle émane ; Il s’agit là
d’un principe maintes fois réaffirmé avec force par la jurisprudence universelle
de la Cour Suprême du Cameroun, laquelle casse d'office les décisions des
juridictions inférieures qui ne lui permettent pas d'exercer son contrôle sur leur
légalité et régularité ;
En effet, il résulte des dispositions de l’article 20 alinéa 2 a et b de la loi
n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire, loi de
procédure du droit interne, que la Cour d’appel de Aa est formée par des
chambres et l'assemblée générale et, parmi lesdites chambres (8), dont
notamment « une chambre de contentieux d'exécution » et une « chambre de
référé » qui sont autonomes et ont leurs propres compétences d'attribution
respectives ;
Or il résulte des énonciations de 1” rôle des qualités de l’arrêt n°299/REF rendu
le 27 décembre 2010 et de son préambule que cette décision a été rendue, siégeant
comme « chambre de référé », tenue au palais de justice de ladite ville et
composée de :
- Madame NGO MINYEM, Présidente à la Cour d’appel de Aa ;
- Monsieur BONNY Paul, Vice-Président de la Cour d'appel de Aa ;
- Monsieur WANIE BOUBA, Vice-Président de la Cour d’appel de Aa ;
- Et avec l'assistance de Maître DIONE Rosalie, Greffier, tenant la plume ;
Par contre, dans le dispositif dudit arrêt, il y est énoncé que celui-ci avait été
rendu, contradictoirement à l'égard des parties par cette même Cour d’appel,
«statuant en matière de contentieux d'exécution » ;
Dans l’ordonnancement juridique camerounais, il existe actuellement le « juge des référés », juge du provisoire , institué par l’article 183 du code de procédure civile et commerciale, et « le juge de l’exécution », institué par l’article 49 de l’Acte uniforme de l'OHADA, lequel est un juge spécial distinct du juge des référés, car il a plénitude de compétences pour statuer sur toute demande ou tout litige relatif à une mesure d'exécution forcée, comme c'est le cas en l'espèce, et ne saurait, de ce fait, être assimilé au juge des référés en raison de leurs compétences d'attribution autonomes et distinctes ;
La contradiction contenue, entre les énonciations dans les qualités du 1” rôle de l’arrêt susvisé, et celles mentionnées dans son dispositif, procède d’un amalgame et manifestement d’une véritable confusion entre les deux ordres de juridiction de sorte qu’en siégeant, et en statuant ainsi qu’il est énoncé dans l'arrêt querelle, la Cour d’appel de Aa a violé les textes susvisés, de sorte que cette contradiction, confusion et cet amalgame des attributions, en droit interne, du juge des référés et celles du juge de l'exécution ne permettent pas à la Haute Cour Supranationale de vérifier la légalité et régularité de la décision rendue ;
En effet, il y a là une incompatibilité entre les règles gouvernant la juridiction des référés, qui statue au provisoire, avec du juge de l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, qui statue au provisoire, avec le juge de l’article 49 de l’Acte uniforme, qui statue au fond, de sorte que soutenir comme il ressort des énonciations de l’arrêt querellé que le juge de l’article 49 de l’Acte uniforme renvoie aux juges des référés plutôt qu’à un juge spécial conduit à une absurdité juridique ;
Qu'il y aura dès lors lieu d'entrer en voie de cassation, car s'agissant là d’une grave violation de dispositions d'ordre public » ;
Mais attendu que ce premier moyen de cassation met en œuvre, en même temps, deux cas d’ouverture à cassation : la violation de la loi et le manque de base légale, sans caractériser chaque cas dans une branche distincte, de sorte qu’il n’est pas clairement démontré en quoi il y a eu violation de la loi, d’une part, et manque de base légale, d’autre part ; qu’un tel moyen vague, confus et ambigu sur la caractérisation de chacun de ces cas d’ouverture est irrecevable ;
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des dispositions des articles 28 bis et ter du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et 79 du Code de procédure civile et commerciale, ensemble le défaut de réponse aux conclusions, la violation des droits de la défense, le manque de base légale et l’insuffisance de motifs
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé l’ordonnance querellée en ces termes « en ce que les juges du fond sont tenus de répondre aux demandes des parties présentées à travers des conclusions produites aux débats, et des notes en délibéré lorsque celles-ci tendent à un rabat de délibéré ;
(CS 1/5 du 06 octobre 1983 et 27/CC du 6 janvier 1986)
Sur ce moyen pris du défaut en réponse aux écritures régulièrement déposées, d’une part, l'arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance n°609, rendue le 4 avril 2001 sans toutefois justifier la compétence dudit Magistrat qui avait été saisi par la défenderesse au pourvoi, et statué, en la cause en excédant sa compétence d'attribution, en ordonnant, ainsi, la mainlevée de la saisie attribution pratiquée au préjudice de la défenderesse au pourvoi par les exposants, ce, alors même, que les exposants, aussi bien dans leur requête d'appel, du 10 juillet 2009, dont le dispositif a été repris dans les qualités de l’arrêt et dans les leurs conclusions déposées aux débats et reprises également dans les qualités dudit arrêt, avaient dénié la compétence dudit Magistrat à statuer en la cause, cette compétence relevant ainsi qu’il a été démontré ci-dessus au juge de l'exécution ;
En effet, il ressort de cette requête d'appel que les exposants avaient demandé à la cour d'appel de procéder à la constatation que la défenderesse au pourvoi avait saisi la juridiction des référés pour l'entendre statuer dans le cadre d’une procédure de saisie attribution relevant de la compétence du juge de l'exécution et d’en tirer les conséquences de droit en infirmant l’ordonnance rendue par ce Magistrat radicalement incompétent ;
Or, fort curieusement, l'arrêt déféré à la censure de la Cour Suprême a confirmé l’ordonnance rendue par le premier juge et n’a pas cru devoir répondre ou apporter un début de réponse à ce point de droit qui était soumis aux juges d'appel et de nature à influer sur l’issue de ce litige en cause d'appel ;
D'ou il suit, qu’en statuant comme il l’a fait, l'arrêt querellé n’a pas donné une base légale à sa décision, et encourt par conséquent la cassation ;
En outre, saisie par requête d'appel des exposants du 10 juillet 2009, telle que reproduite dans les qualités de l'arrêt querellé, du moyen tiré de l'exception d’incompétence du premier juge… ; (..)
En s’abstenant dès lors à se prononcer sur ce déclinatoire qui lui a été soumis par les exposants, l'arrêt querellé encourt indubitablement la cassation, car rendu au mépris de l’article 79 du Code de procédure civile camerounais » ;
Mais attendu qu’à l’instar du premier moyen de cassation, ce deuxième moyen met en œuvre, en même temps, trois cas d’ouverture à cassation, à savoir le refus de répondre à des chefs de demandes, le manque de base légale et l’insuffisance de motifs et ce, sans caractériser chaque cas d’ouverture dans une branche distincte ; qu’un tel moyen vague, confus et ambigu ne met pas la Cour en mesure d’exercer son contrôle ; qu’il doit être déclaré irrecevable ;
Sur le troisième moyen, tiré de la violation des dispositions des articles 28 bis et ter du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, 284 du Code de procédure civile et commerciale, 6 du décret du 16 février 1807 relatif à la liquidation des dépens en matière sommaire, 135 du Code civil et 153 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, ensemble le manque de base légale, l’excès de pouvoir et la violation de l’autorité de la chose jugée
Attendu qu’enfin, le troisième moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé l’ordonnance querellée en ces termes « en ce que statuant au fond du litige, sans s’être préalablement prononcé sur leur compétence à connaitre de ce litige et statuer comme ils ont eu à le faire, les juges d'appel ont non seulement dénaturé les faits de la cause, dénaturation patente qui les a conduit à violer l’autorité de la chose jugée des décisions de justice qui leur ont été soumis en la cause et à perpétrer de ce fait un véritable excès de pouvoir ;
En effet, pour conclure à la confirmation de l’ordonnance de référé rendue le 4 avril 2001 par le juge des référés, incompétent à connattre de ce litige, ainsi qu’il a été démontré ci-dessus, les juges d'appel ont cru devoir soutenir la motivation lapidaire suivant laquelle « les exposants n'’opposaient aucun argument sérieux à l’arrêt 94/CC du & juillet 1999 rendu par la Cour Suprême confirmant le jugement n°1 du Tribunal de grande instance de Aa (sic), alors qu’il s’agit de Kribi, dont les dépens calculés à hauteur de 11.776.269 F CFA au profit des appelants n’était pas au sens de l’article 3 de la loi du 24 décembre 1897 relative au recouvrement des frais dus aux notaires, et un titre exécutoire, et qu’en l’absence d’une ordonnance rendue par le Président de la juridiction compétente, ils ne sauraient exciper d’un titre exécutoire » ;(...)
Cette décision de la confirmation de la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée en la cause, rendue par les juges d'appel qui ont eu à amalgamer la procédure en matière sommaire de liquidation des dépens, telle que prévue par le décret du 16 février 1807, à celle de la procédure ordinaire, prévue par le décret du 24 décembre 1897, et a eu pour conséquence effet de priver les exposants de leur titre exécutoire définitif au sens de l’article 153 de l’Acte uniforme ;
Cette privation, aux exposants de leur titre exécutoire définitif les habilitant à faire exercer et pratiquer, au préjudice de la défenderesse au pourvoi, à une mesure d'exécution forcée, conformément à l’article 153 de l’Acte uniforme de l’OHADA, sous le couvert d’une interprétation erronée de la loi, et de la violation de l’article 1351 du code civil, relativement à l'autorité de la chose jugée acquise,
par les décisions du Tribunal de grande instance de Kribi, rejetant l’opposant à taxe formulée par la défenderesse au pourvoi, constitue outre un excès de pouvoir mais également une fausse application de la loi par les juges d'appel, ce d'autant que la Ad Ac Af elle-même a considéré que lesdits dépens étaient dus, sur le fondement du jugement n°01/CIV rendu le 27 octobre 1994, et l’arrêt n° 94/C de rejet du pourvoi à l'encontre de ce jugement rendu le 8 juillet 1999 par la Cour Suprême du Cameroun et, ce suivant protocole d'accord établi le 22 mars 2004 avec Maître PENKA Michel, et aux termes duquel elle lui a régler la somme de 14.000.000 F CFA représentant lesdits dépens ; (...)
Il y a lieu par conséquent, après cassation dudit et évocation, de déclarer valable la saisie-attribution pratiquée au préjudice de la Ad Ac Af avec toutes les conséquences de droit » ;
Mais attendu que, là encore, en plus de mettre en œuvre un cas d’ouverture non prévu par l’article 28 bis (nouveau) du Règlement de procédure de la Cour, en l’occurrence la violation de l’autorité de la chose jugée, ce dernier moyen évoque trois cas d’ouverture à cassation : le manque de base légale, l’excès de pouvoir et la dénaturation des faits de la cause, sans caractériser chacun d’eux dans une branche distincte ; qu’un tel moyen, constitué d’un mélange de droit et de fait et qui, sous le prétexte de dénaturation des faits de la cause, de manque de base légale et d’excès de pouvoir, tend plutôt à remettre en discussion l’appréciation souveraine des faits par les juges de fond, est déclaré irrecevable ;
Attendu en définitive qu’aucun moyen n’ayant prospéré, il échet de rejeter le pourvoi ;
Sur les dépens
Attendu que la SCP TOKOTO & MPAY, ayant succombé, sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Rejette le pourvoi formé par la SCP TOKOTO & MPAY comme non fondé ;
La condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier