ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
ET D’ARBITRAGE
(CCJA)
Deuxième chambre
Audience publique du 30 juin 2022
Pourvoi :n° 179/2019/PC du 13/06/2019
Affaire : Société CECIC S.A.
(Conseil : Maitre Paul TCHUENTE, Avocat à la Cour)
Contre
Ayants droit de Ab C
Arrêt N° 106/2022 du 30 juin 2022
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, présidée par Monsieur Armand Claude DEMBA), assisté de Maître Koessy Alfred BADO, Greffier, a rendu en son audience publique du 30 juin 2022 l’Arrêt dont la teneur suit, après délibération d’un collège de juges composé de :
Messieurs : Armand Claude DEMBA, Président, rapporteur ;
César Apollinaire ONDO MVE, Juge ;
Arsène Jean Bruno MINIME, Juge ;
Sabiou MAMANE NAISSA, Juge ;
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans le 13 juin 2019, sous le n° 179/2019/PC, et formé par Maitre Paul TCHUENTE, Avocat à la Cour, cabinet sis au n°1204 Boulevard de la Liberté, B.P. 5674, Ac, Cameroun, agissant au nom et pour le compte de la société Crédit et Epargne pour le financement du Commerce et de l’Industrie du Cameroun, en sigle CECIC S.A, dans la cause l’opposant aux Ayants droit de Ab C, représentés par Messieurs Max Maurice DIBOTI et LOCKO DIBONGUE, ès qualité de coadministrateurs de la succession de feu Ab C, B.P. 1012 Bonapriso, Ac, Cameroun,
en cassation de l’arrêt n°12/SI, rendu le 18 octobre 2013 par la Cour d’appel du Littoral, à Ac, dont le dispositif est ainsi libellé :
« PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties, en chambre civile et commerciale, en appel, en dernier ressort, en formation collégiale et à l’unanimité des voix ;
EN LA FORME
Constate que l’appel a déjà été reçu ;
AU FOND
Constate qu’il y a autorité de la chose jugée ;
En conséquence, déboute la société CECIC de son appel ;
La condamne aux dépens… »
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les trois moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Premier Vice-Président, Armand Claude DEMBA ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’'OHADA ;
Attendu, selon les pièces de la procédure, que courant octobre 2003, la société CECIC signait avec la dame Aa B A une convention d’ouverture de crédit et de découvert en compte courant devant Notaire ; que pour garantir l’exécution de ses engagements, ATANGANA MBAZOA offrait comme tiers constituant le nommé Ab C qui remettait au notaire son titre foncier n°29318/W ; que par la suite, Aa B A n’honorant pas les engagements pris, le compte était clôturé et une procédure de saisie immobilière engagée contre les deux débiteurs ;
que le cahier des charges déposé au greffe fixait la date de l’audience éventuelle au 04 janvier 2007 et celle de l’audience d’adjudication au 07 février 2007 ; que le sieur C ne formulait nul dire pour l’audience éventuelle mais introduisait plutôt, à l’audience d’adjudication, une requête en distraction de l’immeuble en cause, motif pris de ce qu’il serait « un tiers à la convention de compte courant conclue entre la société CECIC et Aa B A » ; que le 15 octobre 2009, le Tribunal de Grande Instance de Ac rejetait cette requête et ordonnait la continuation des poursuites ; que le 19 février 2010, et alors que l’audience d’adjudication avait été reportée plusieurs fois pour cause « de son état de santé et d’indigence », le sieur C introduisait une nouvelle requête aux fins de remise de date d’adjudication en invoquant la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l’état » ; que statuant le 28 juin 2010, le Tribunal de Grande Instance de Ac ordonnait un sursis à la vente dans l’attente de l’issue d’une procédure pénale initiée contre Aa B A et le Notaire ; que la société CECIC n’interjetait pas appel de ce jugement ; que dans l’intervalle, DIBONGUE décédait et ses ayants droit relançaient l’affaire par une assignation en reprise d’instance par-devant la même juridiction, sollicitant que soit maintenu le sursis à la vente précité : que par jugement avant dire droit du 19 janvier 2012, le Tribunal de Grande Instance de Ac, reprenant le dispositif du jugement du 28 juin 2010, maintenait le sursis à la vente et renvoyait l’affaire au rôle général ; que sur appel de la société CECIC, la Cour du Littoral rendait le 18 octobre 2013 l’arrêt confirmatif n°12/ST, objet du présent pourvoi ;
Attendu que les parties défenderesses, à qui le recours a été signifié par courrier n°1605/2019/G4 du 1“ octobre 2019, reçu le 21 octobre 2019, conformément aux dispositions des articles 29 et 30 du Règlement de procédure de la Cour de céans, n’ont pas réagi ; que le principe du contradictoire ayant ainsi été observé, il convient d’examiner l’affaire ;
Sur la première branche du premier moyen de cassation, tiré de la violation de la loi
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 1315 du Code civil en ce que, pour rejeter l’appel de la société CECIC, il a invoqué l’autorité de la chose jugée en vertu du jugement avant dire droit du 28 juin 2010 alors, selon le moyen, « que l’expédition de ce jugement n’a pas été versée aux débats et que les mentions contenues dans le plumitif d’audience produit par le sieur C n'ont aucun lien juridictionnel » ; que pour s’être prononcé de la sorte, l’arrêt querellé s’est exposé à la cassation ;
Mais attendu qu’il est constant que le jugement du 28 juin 2010, qui a ordonné le sursis à la vente et celui du 19 janvier 2012, traitant de la reprise d’instance des ayants droit de DIBONGUE, ont été rendus par le même Tribunal de Grande Instance de Ac; qu’il s’en infère que les références, mentionnées, de la première décision et l’extrait de plumitif, versé aux débats, suffisaient amplement à forger la conviction des juges, lesquels étaient manifestement au courant des faits et ce, sans qu’il soit besoin d’exhiber l’expédition recherchée ; que cette première branche du premier moyen manque donc de pertinence et mérite rejet ;
Sur la deuxième branche du premier moyen de cassation
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 1351 du Code civil en ce que, pour rejeter l’appel de la société CECIC, « il a admis l’autorité de la chose jugée par ADD le 28 juin 2010 ordonnant le sursis à la vente, motif pris du principe selon lequel "le criminel tient le civil en l’état" » alors, selon le moyen, que « par jugement définitif rendu le 15 octobre 2009, le Tribunal de Grande Instance du Wouri avait déjà formellement rejeté une demande identique, sur la même cause, entre les mêmes parties dans le cadre de la requête en distraction et que seul ce jugement pouvait bénéficier de l’autorité de la chose jugée sur ce point » ; que par conséquent, « en reconnaissant à la date du 18 octobre 2013 l’autorité de chose jugée à une décision du 28 juin 2010 postérieure au jugement du 15 octobre 2009 qui avait déjà rejeté l’application du principe selon lequel "le criminel tient le civil en l’état", la cour a faussement appliqué le texte visé au moyen, d’où la cassation » ;
Mais attendu, il est vrai, qu’aux termes de l’article 1351 du Code civil, «l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet du jugement ; il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit la même, entre les mêmes parties et formées par elles et contre elles, en la même qualité » ; que cette disposition édicte le principe de l’autorité de la chose jugée, lequel, de jurisprudence constante, est parfois tempéré par la nécessité de tenir compte d’événements postérieurs constituant de circonstances nouvelles, celles-ci modifiant la situation antérieurement reconnue en justice ; que c’est dans cet esprit de faits nouveaux qu’il sied d’analyser et de comprendre l’arrêt dont pourvoi, s’agissant des deux décisions du Tribunal de Grande Instance du Wouri ; que par ailleurs, la requérante n’ayant pas jugé utile d’interjeter appel de la seconde décision, c’est conséquemment à bon droit que la cour d’appel a statué comme elle l’a fait ; qu’ainsi, cette deuxième branche du moyen est tout autant infondée que la première et mérite, de même, le rejet ;
Sur la troisième branche du premier moyen de cassation
Attendu que la société CECIC soutient que l’arrêt attaqué encourt cassation, en ce qu’il a consacré l’autorité de la chose jugée le 28 juin 2010, au motif que le délai de quinze jours qui lui a été imparti par l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution pour interjeter appel avait expiré sans qu’un recours soit enregistré, alors, selon le moyen, que le même délai de quinzaine avait couru dès le prononcé du jugement n°813 rendu le 15 octobre 2009 et avait expiré au 31 octobre 2009, sans que le sieur C en ait interjeté appel ; que l’autorité de la chose jugée lui était donc acquise ; que dès lors, en méconnaissant antérieurement cette autorité pourtant acquise, pour l’admettre neuf mois plus tard en faveur d’un autre jugement statuant sur la même question, la cour d’appel a violé le texte visé au
moyen ;
Mais attendu que pour les mêmes motifs que ceux qui ont conduit au rejet de la branche précédente, la Cour dit mal fondé cet argumentaire ; qu’en outre, la lecture de l’arrêt querellé renseigne nettement que le jugement du 19 janvier 2012 dont s’agit n’est qu’une décision préparatoire, rendue à la suite d’une requête en reprise d’instance initiée par les ayants droit de DIBONGUE, celui-ci ayant trouvé la mort dans l’intervalle compris entre tous ces procès; que de tout ce qui précède, cette troisième branche du moyen, également infondée, doit être rejetée ;
Sur le deuxième moyen de cassation, tiré du défaut, de l’insuffisance ou de la contrariété des motifs
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué le défaut, l’insuffisance ou la contrariété des motifs en ce que, pour ne pas faire droit à l’appel de la société CECIC, il s’est fondé sur l’autorité de la chose jugée alors, selon le moyen, que « le débouté en procédure juridictionnelle implique nécessairement l’examen des moyens de fond soulevés par les parties contrairement à l’autorité de chose jugée qui n’est qu’un moyen de pure forme emportant l’irrecevabilité de la demande » ; qu’en conséquence, « en déboutant la société CECIC de son appel sur un motif relatif à la recevabilité (de celui-ci), lequel avait pourtant déjà été reçu formellement par arrêt n°005/ADD du 21 juin 2013, la décision querellée s’est entachée de défaut, d’insuffisance et de contrariété de motifs emportant cassation » ;
Mais attendu qu’en cause d’appel, la forme concerne prioritairement le délai imparti pour exercer cette voie de recours, le fond étant, quant à lui, relatif à l’examen des faits de la cause à travers le jugement contesté ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel du Littoral a, d’abord, relevé qu’en la forme « l’appel avait déjà été reçu » par une décision antérieure et, ensuite, constaté « au fond » qu’il y avait autorité de la chose jugée » avant, finalement, de « débouter » la société CECIC de son appel ; qu’il est toutefois exact que l’autorité de la chose jugée est une fin de non-recevoir, donc, tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond ; qu’il s’en déduit que le juge d’appel aurait dû, non « débouter » la société CECIC comme il l’a fait mais, plutôt, se limiter au constat de l’autorité de la chose jugée ; que néanmoins, cette rédaction maladroite et inappropriée ne modifie en rien le sens de la décision puisque le fond de l’affaire n’a pas été examiné ; qu’il s’en infère que nul défaut ni insuffisance ou contrariété des motifs n'étant à relever, ce deuxième moyen de cassation mérite aussi rejet ;
Sur le troisième moyen de cassation, tiré de l’omission de répondre à des chefs de demande
Attendu que la société CECIC reproche à la Cour d’appel du Littoral d’avoir rejeté son appel, sans examen des moyens de fond tendant à « l’irrecevabilité du report de l’adjudication et à la fixation d’une nouvelle date d’adjudication dans un délai de soixante jours à compter de l’arrêt à intervenir » ; qu’en n’apportant aucune réponse à ces chefs de demande, la cour a exposé sa décision à la cassation ;
Mais attendu que pour ne pas faire droit à l’appel de la société CECIC, la cour a retenu, à la page 20 de son arrêt, que le jugement avant dire droit n°05 du 19 janvier 2019 « qui n’avait pour but que de déclarer la reprise d’instance des ayants droit (de DIBONGUE) recevable, a surabondamment repris le dispositif de ce premier jugement préparatoire sans le remettre en cause ; que la société CECIC ne saurait donc profiter de cette faille pour tenter de remettre en cause devant le même tribunal ce qui avait été définitivement jugé par lui » ; qu’en se déterminant de la sorte, la cour d’appel s’est bien prononcée sur les chefs de demande dont s’agit, puisqu’elle a tout simplement décidé de ne pas y faire droit ; que ce moyen n’est donc pas plus fondé que les précédents et doit être rejeté ;
Attendu qu’aucun des trois moyens n’ayant prospéré, il convient de rejeter le pourvoi ;
Sur les dépens
Attendu que la société CECIC ayant succombé, les dépens sont mis à sa charge ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Rejette le pourvoi de la société Crédit et Epargne pour le financement du Commerce et de l’Industrie du Cameroun, en sigle CECIC S.A ;
La condamne aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier