ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
(CCJA)
Deuxième chambre
Audience publique du 30 juin 2022
Pourvoi : n° 455/2021/PC du 14/12/2021
Affaire : X Ac A
(Conseil : Maître Sidiki DIARRA, Avocat à la Cour)
Contre
BANK OF AFRICA-Mali
(Conseil : Maître Salif SANOGO du Cabinet d’Avocats « Etude C », Avocat à la Cour)
Arrêt N° 118/2022 du 30 juin 2022
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, présidée par Monsieur Armand Claude DEMBA, assisté de Maître Koessy Alfred BADO, Greffier, a rendu en son audience publique du 30 juin 2022 l’Arrêt dont la teneur suit, après délibération d’un collège de juges composé de :
Messieurs : Armand Claude DEMBA, Président ;
César Apollinaire ONDO MVE, Juge, rapporteur ;
Arsène Jean Bruno MINIME, Juge ;
Sabiou MAMANE NAISSA, Juge ;
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour sous le n°455/2021/PC du 14 décembre 2021, formé par Maître Sidiki DIARRA, Avocat au Barreau du Mali, demeurant à Bamako, Ab B 2000, Avenue Ae Af, Immeuble ABK IV, 2°"° étage, agissant au nom et pour le compte de madame X Ac A, domiciliée à Bamako au Mali, quartier de Ag Ad, … 444, porte 116, dans la cause qui l’oppose à la Bank Of Africa Mali, en abrégé BOA Mali, société anonyme dont le siège se trouve à Bamako au Mali, quartier Ab B 2000, Immeuble BANK OF AFRICA, Avenue du Mali, BP 2249, ayant pour conseil Maître Salif SANOGO, Avocat au Barreau du Mali, officiant pour le compte du Cabinet d’Avocats dit « ETUDE C », demeurant à Djélibougou, Rue 284, porte 121, BP 705 Bamako, Mali,
en cassation de l’arrêt infirmatif n°448 en date du 15 octobre 2021 rendu par la Cour d’Appel de Bamako et dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS :
La Cour : vidant son délibéré conformément à la loi ;
Statuant en référé publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
- Déclare l’appel recevable et infirme l’ordonnance n°881 du 19 août 2021 du juge des référés du Tribunal de la Commune I du District de Bamako en toutes ses dispositions ;
- Statuant à nouveau : Déclare le juge des référés de la Commune I du District de Bamako statuant en matière d’urgence incompétent au profit du Tribunal civil de la même juridiction (Tribunal de Grande Instance de la Commune I ayant plénitude de juridiction) ;
Met les dépens à la charge de l’intimée (…) » ;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les cinq moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge César Apollinaire ONDO MVE ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l'OHADA ;
Attendu que, selon l’arrêt attaqué, pour recouvrer la créance qu’elle prétend détenir sur madame X Ac A, la BOA Mali, après avoir initié une procédure de saisie immobilière devant le Tribunal de Grande Instance de la Commune II du District de Bamako, non parvenue à son terme, en a introduit une autre devant le Tribunal de Grande Instance de la Commune I du même District ; que saisi en annulation du commandement y relatif par madame X Ac A, le Président dudit tribunal, statuant conformément à l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, a, par ordonnance n°881 datée du 24 août 2021, rejeté l’exception et la fin de non-recevoir soulevées par la BOA Mali, déclaré recevable et bien fondée l’assignation servie à la BOA Mali, annulé le commandement aux fins de saisie immobilière signifié à madame X Ac A le 30 juillet 2021, constaté la litispendance et renvoyé la cause et les parties devant le Tribunal de Grande Instance de la Commune II du District de Bamako déjà saisi de cette action pour la suite de la procédure ; que sur appel de BOA Mali contre cette ordonnance, la Cour de Bamako a rendu l’arrêt dont pourvoi ;
Sur le deuxième moyen de cassation, tiré de la violation des dispositions de l’article 300 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution
Vu l’article 28 (nouveau) bis, 1” tiret, du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué la violation des dispositions de l’article 300 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en ce que la Cour d’appel de Bamako a déclaré l’appel interjeté par la BOA Mali recevable en la forme alors, selon le moyen, que l’ordonnance entreprise a été rendue en matière de saisie immobilière sans statuer sur l’un des domaines ouvrant limitativement droit à une telle voie de recours ; qu’en statuant comme ils l’ont fait, s’agissant d’une décision judiciaire légalement insusceptible d’appel, les juges de la Cour d’appel de Bamako ont violé la loi et, par voie de conséquence, exposé leur décision à la cassation ;
Attendu, en effet, que l’ordonnance n°881 rendue le 24 août 2021 par le Président du Tribunal de Grande Instance de la Commune I de Bamako, déférée à la Cour d’appel de la même localité, a été rendue en matière de saisie immobilière ; qu’à ce propos, l’alinéa 2 de l’article 300 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution dispose très clairement que les décisions judiciaires rendues en matière de saisie immobilière «ne peuvent être frappées d’appel que lorsqu’elles statuent sur le principe même de la créance ou sur des moyens de fonds tirés de l’incapacité d’une des parties, de la propriété, de l’insaisissabilité ou de l’inaliénabilité des biens saisis. » ;
Attendu qu’en l’espèce, l’examen de l’ordonnance susvisée montre qu’elle n’a jamais statué sur un quelconque principe de créance comme le soutient dans ses conclusions la BOA Mali, encore moins sur des moyens de fond tirés de l’incapacité des parties, de la propriété des biens saisis, de l’insaisissabilité ou de l’inaliénabilité des biens saisis ; qu’il ressort plutôt de ses énonciations, qui font foi jusqu’à inscription de faux, que le premier juge a exclusivement statué sur sa compétence, la recevabilité de l’assignation en annulation du commandement servie par X Ac A et l’exception de litispendance ; qu’ainsi, l’appel dirigé contre une telle décision étant irrecevable, en statuant autrement, la Cour d’appel de Bamako a commis le grief énoncé au moyen et sa décision encourt la cassation de ce seul chef ; qu’il échet pour la Cour d’évoquer l’affaire conformément à l’article 14, alinéa 5, du Traité de l'OHADA ;
Sur l’évocation
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure que, pour les besoins de ses activités qu’elle exerce à travers les sociétés S.A-TRA-COM-Sarl, X Transit et les Aa Ac A, madame X Ac A a conclu des contrats d’ouverture de compte courant avec la BOA Mali, et souscrit une hypothèque garantissant le règlement des dettes susceptibles de naitre de cette relation à la charge de ses sociétés ; qu’après avoir clôturé les comptes et dégagé un solde débiteur de 1.114. 812.114 FCFA en principal, intérêts et frais, contesté par X Ac A, la BOA Mali a, suivant exploit d’huissier du 17 mars 2015, servi à cette dernière un commandement aux fins de saisie immobilière, en recouvrement de la somme sus-indiquée ; qu’en réaction, X Ac A a attrait la BOA Mali par-devant le Président du Tribunal de Grande Instance de la Commune II du District de Bamako, statuant en matière d’urgence et ce, en annulation dudit commandement ; qu’elle a soutenu que la BOA Mali ne lui a jamais communiqué l’état des dettes des débitrices principales et que l’absence de cette formalité emporte déduction des intérêts éventuellement échus ; que les intérêts réclamés par la BOA Mali ont été abusivement fixés ; que la créance alléguée par la banque manque des caractères certain, liquide et exigible ; qu’eu égard à cette contestation de la créance poursuivie par la BOA Mali, X Ac A a également saisi le Tribunal de Commerce de Bamako qui, par jugement n°144/RC du 13 juillet 2016, a constaté que les créances sont en l’état infondées et, par conséquent, prescrit l’expertise des comptes entre les parties, désigné un collège d’experts avec mission de procéder à toutes les investigations nécessaires afin de déterminer le solde réel du compte courant ouvert au nom des Sociétés X Transit Sarl, SATRACOM Sarl et des Aa Ac A dans les livres de la BOA Mali ; qu’ auparavant, la même juridiction a, par ordonnance en date du 03 mars 2015, prescrit la discontinuation des poursuites engagées par la BOA Mali sur la base de la même créance et de la même garantie hypothécaire ; qu’au regard de ce qui précède, elle a estimé justifiée l’annulation du commandement servi ;
Attendu que dans sa réplique, la BOA Mali a soulevé l’incompétence de la juridiction des urgences, estimant que l’ordonnance de référé ne saurait préjudicier au fond et se prononcer sur une demande relative à la perception d’intérêts de retard échus ou aux conditions de mise en œuvre d’une indemnité forfaitaire découlant des clauses de la convention de compte courant liant les parties ; que de tels objets dépassent les prérogatives du juge des référés, juge du provisoire ; qu’en application des articles 311, 298 et 299, alinéa 1, de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement, les contestations soulevées postérieurement à la signification du commandement aux fins de saisie immobilière, quels que soient leur nature, leur objet ou leur cause sont jugées à l’audience éventuelle ; que c’est à tort que la demanderesse a sollicité l’annulation du commandement avant l’audience éventuelle ; qu’elle devait porter sa demande devant le tribunal à l’audience éventuelle et non devant la juridiction des référés qui n’est pas la juridiction de la contestation de la saisie immobilière ;
Attendu que par ordonnance n°253 du 29 avril 2015, le Président du Tribunal de Grande Instance de la Commune II du District de Bamako a renvoyé les parties à mieux se pourvoir ainsi qu’elles aviseront, rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la BOA Mali, reçu Ac X ès-qualité de caution hypothécaire des débitrices principales, en son action, dit celle-ci bien fondée et déclaré nulle et de nuls effets la signification du commandement du 17 mars 2015 diligentée par Maître Alhousseyni DIOP, Huissier de justice à Bamako ;
Attendu que plus tard, la BOA Mali a initié une nouvelle procédure de saisie immobilière pour le recouvrement de la même créance, devant le Tribunal de Grande Instance de la Commune I du District de Bamako ; qu’à cette fin, elle a servi à X Ac A un commandement suivant exploit du 30 juillet 2021 ; que cette dernière a saisi le Président de la même juridiction statuant conformément à l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en annulation dudit commandement ; qu’elle a observé que celui-ci a été fait auprès du Tribunal de Grande Instance de la Commune I du District de Bamako, relativement à une vente forcée des mêmes immeubles dont un précédent commandement aux mêmes fins est toujours pendant devant le Tribunal de Grande Instance de la Commune II du District de Bamako ; qu’un même litige ne pouvant être porté simultanément devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaitre, il y avait lieu pour la juridiction saisie en second lieu, à savoir le Tribunal de Grande Instance de la Commune I de Bamako, de se dessaisir au profit de celui de la Commune II de Bamako ; qu’elle a indiqué qu’une procédure d’expropriation forcée de ses immeubles est pendante devant cette dernière juridiction depuis 2015, sans que son initiatrice, la BOA Mali, n’ait pu apporter la moindre preuve d’une créance certaine, liquide et exigible ; qu’en raison de la litispendance et du caractère contesté de la créance invoquée par la BOA Mali, elle a donc demandé au Président du Tribunal de Grande Instance de la Commune I de Bamako d’annuler purement et simplement le commandement du 30 juillet 2021 ;
Attendu que répliquant à cette action, la BOA Mali a soulevé l’incompétence de la juridiction saisie, arguant que l’annulation d’un commandement constitue un incident de la saisie immobilière qui relève de la compétence exclusive du tribunal ayant la plénitude de compétence au sens de l’article 248 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; qu’elle a ajouté qu’en vertu de l’article 298 du même Acte uniforme, c’est par acte d’avocat à avocat que la contestation de dame X Ac A aurait dû être introduite, et non par assignation ; que cette action mérite d’être déclarée irrecevable ; qu’elle a enfin indiqué que la litispendance invoquée n’existe pas, d’autant, précise-t-elle, que les procédures de saisie immobilière portées devant le Tribunal de Grande Instance de la Commune II du District de Bamako ont toutes été annulées ; qu’aujourd’hui, il n’existe plus aucune instance devant ladite juridiction entre X Ac A et elle ; que cette dernière a contracté des dettes et n’apporte pas la preuve de l’extinction de celles- ci ; que sa demande est par conséquent mal fondée et doit être rejetée ;
Attendu que, vidant sa saisine, la juridiction du Président du Tribunal de Grande Instance de la Commune I du District de Bamako a rendu l’ordonnance n°881 du 24 août 2021, dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement en matière des référés, et en premier ressort ;
- Au principal, renvoyons les parties à mieux se pourvoir ainsi qu’elles aviseront, mais dès à présent :
- Vu l’urgence et par provision ;
- Rejetons l’exception et la fin de non-recevoir soulevées par le conseil de la défenderesse ;
- Déclarons l’assignation recevable ; la déclarons bien fondée ; annulons le commandement aux fins de saisie immobilière signifié à dame X Ac A en date du 30 juillet 2021 servi par Maître Alhousseyni DIOP, Huissier commissaire de justice ;
- Nous déclarons incompétent en raison de la litispendance ;
- Renvoyons la présente cause et les parties devant le Tribunal de Grande Instance de la Commune II du District de Bamako déjà saisi de cette action pour la suite de la procédure ;
Met les dépens à la charge de la défenderesse… » ;
Sur la recevabilité de l’appel interjeté par la BOA Mali SA
Attendu que, par acte n°068 du 25 août 2021, la BOA Mali SA a interjeté appel de ladite décision ; que si les parties reprennent leurs arguments de première instance, X Ac A soulève en outre in limine litis l’exception d’irrecevabilité de l’appel interjeté par la BOA Mali ;
Attendu que la demanderesse à l’exception fonde celle-ci sur les dispositions de l’article 300 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que, pour les motifs relatifs au contenu de l’article 300 de l’Acte uniforme précité et ayant justifié la cassation de l’arrêt attaqué, ce moyen est fondé ; qu’il échet, pour la Cour de céans et sans qu’il y ait lieu à amples développements, de déclarer l’appel de la BOA Mali irrecevable ;
Sur les dépens
Attendu que la BOA Mali, succombant, sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Casse et annule l’arrêt attaqué ;
Evoquant :
Déclare irrecevable l’appel interjeté par la BOA Mali contre l’ordonnance n°881 du 24 août 2021 rendue par le Président du Tribunal de Grande Instance de la Commune I de Bamako ;
Condamne la BOA Mali aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier