ORGANISATION POUR L’HARMONISATION
EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES
(OHADA)
COUR COMMUNE DE JUSTICE
Deuxième chambre
Audience publique du 03 novembre 2022
Pourvoi : n° 262/2021/PC du 08/07/2021
Affaire : La Société Seaquest-Infotel Mali SA
( (Conseil : Maître Jonas Florent Vienyemenu SOKPOH, Avocat à la Cour)
Contre
La Société des Télécommunications du Mali « SOTELMA SA » (Conseils : la SCPA MTK & Associés, Avocats à la Cour)
Arrêt N° 159/2022 du 03 novembre 2022
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 03 novembre 2022 où étaient présents :
Messieurs : Armand Claude DEMBA, Président
Arsène Jean Bruno MINIME, Juge
Sabiou MAMANE NAISSA, Juge, rapporteur
et Maître Koessy Alfred BADO, Greffier ;
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n°262/2021/PC du 08 juillet 2021, formé par Maître Jonas Florent Vienyemenu SOKPOH, Avocat à la Cour, République du Togo, au 266, rue Tokoin, CEBEVITO, BP 710, Lomé-Togo, agissant au nom et pour le compte de la Société Seaquest-Infotel Mali SA, en sigle SQIM SA, représentée par monsieur Aa B, son Président directeur général, ayant pour mandataire monsieur Ac Ab A, dont le siège est sis à Bamako, hippodrome, rue 240, porte 33, BP. E.2330, Bamako, dans l’affaire qui l’oppose à la Société des Télécommunications du Mali « SOTELMA SA », dont le siège est sis à Bamako, route de Koulikoro, BP 740, Bamako, Mali, ayant pour conseils la SCPA MTK & Associés, plaidant par l’organe de Maître Abdourhamane Boubacar MAIGA, Avocat au barreau du Mali, cabinet sis à Kalabancoura, rue 416, porte 1120, Bamako,
en cassation de l’arrêt n°25/ARRET rendu le 14 avril 2021 par la Cour d’appel de Bamako, et dont le dispositif est le suivant :
« Par ces motifs
La Cour :
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;
En la forme : Reçoit l’appel de SQIM-SA ;
Au fond : Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a décidé de recevoir
l’opposition de la SOTELMA SA et sa demande reconventionnelle, ainsi que
l’intervention forcée du Ministère de l’Economie et des Finances du Mali ;
Confirme également en ce qu’il a retracté l’ordonnance d’injonction de payer
N°843 en date du 04 septembre 2019 querellée, déclarant ainsi la requête en
injonction de payer de la Société Seaquest-Infotel Mali SA mal fondée ;
Déboute la SOTELMA SA de sa demande de dommages-intérêts ;
Met les dépens à la charge de la Société Seaquest-Infotel Mali SA. » ;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt ;
Sur le rapport de Monsieur Sabiou MAMANE NAISSA, Juge ;
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par ordonnance d’injonction de payer n°843/2019 rendue le 04 septembre 2019, le Président du Tribunal de commerce de Bamako a enjoint la SOTELMA SA à payer à la SQIM SA la somme de 12.330.217.673 F CFA représentant le montant de sa créance ; qu’à la suite de l’opposition formée par la SOLTELMA SA, le Tribunal de commerce de Bamako, par jugement N°82/JGT rendu le 29 janvier 2020, rétractait l’ordonnance querellée dans toutes ses dispositions ; que sur le recours de la SQIM SA, la Cour d’appel de Bamako rendait l’arrêt objet du présent pourvoi ;
Sur la recevabilité du mémoire en réponse de la SOTELMA SA
Attendu que dans son mémoire en réplique, enregistré au greffe de la Cour le 15 avril 2022, la SQIM SA soulève l’irrecevabilité du mémoire en réponse déposé le 07 mars 2022 par la SOTELMA SA, au motif qu’il a été déposé hors délai ;
Attendu, en effet, qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que le recours a été signifié à la SOTELMA SA le 09 novembre 2021 ; que son mémoire en réponse a été déposé à la Cour de céans le 07 mars 2022, soit au- delà du délai de trois mois, augmenté du délai de distance ;
Et attendu que la simple invocation des sanctions prises par la CEDEAO le 09 janvier 2022, ayant entrainé momentanément la fermeture des frontières du Mali suite aux évènements liés au coup d’Etat intervenu dans ce pays, ne saurait justifier ce retard, dès lors que la SOTELMA SA n’a pas démontré les diligences entreprises et les difficultés avérées rencontrées pour faire parvenir son mémoire en réponse dans les délais prescrits, notamment par envoi postal, DHL Express ou assimilé, habituellement utilisés pour transmettre les procédures au greffe de la Cour de céans ; que dès lors, ledit mémoire, transmis au greffe de la Cour le 07 mars 2022, soit au-delà du délai légal de trois mois, augmenté du délai de distance de quatorze jours, est irrecevable ;
Sur la violation des dispositions de l’article 14 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, relevée d’office par la Cour
Attendu qu’aux termes de l’article 14 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, « la décision statuant sur opposition se substitue à la décision d’injonction de payer » ;
Attendu qu’en l’espèce, statuant sur appel d’un jugement rendu sur opposition, la cour d’appel a confirmé ledit jugement en ce qu’il a rétracté l’ordonnance portant injonction de payer, alors qu’il résulte des dispositions ci- dessus rappelées, que l’ordonnance portant injonction de payer s’efface en présence d’un jugement sur opposition ; qu’ainsi, la cour d’appel ne pouvait plus confirmer un jugement qui a rétracté une décision portant injonction qui n’existait plus sur le plan juridique ; qu’en le faisant, elle a violé les dispositions de l’article 14 de l’Acte uniforme précité ; qu’il y a lieu pour la Cour de le relever d’office, de casser l’arrêt entrepris de ce seul chef et d’évoquer l’affaire sur le fond, conformément aux dispositions de l’article 14, alinéa 5, du Traité de l’OHADA ;
Sur l’évocation
Attendu que suivant acte d’appel n°46, reçu au Tribunal de commerce de Bamako en date du 17 février 2020 de Maître Mamadou SAMAKE, Avocat à la cour, la SQIM SA a relevé appel du jugement N°82/JGT rendu le 29 janvier 2020 par ledit tribunal dont le dispositif est le suivant :
« PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort
En la forme: reçoit l’opposition formée par la société des télécommunications du Mali (SOTELMA-SA) ;
Au fond : la déclare bien fondée, y faisant droit :
En conséquence, rétracte l’ordonnance présidentielle n°843 en date du 04 septembre 2019 du tribunal de céans dans toutes ses dispositions ;
Met les dépens à la charge de la défenderesse. » ;
Attendu qu’au soutien de son appel, la SQIM SA sollicite l’infirmation du jugement attaqué aux motifs que sa créance obéit à toutes les conditions de forme et de fond édictées par l’article 1 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en ce qu’elle est certaine, liquide et exigible ; qu’elle relève qu’une sentence arbitrale a fixé le montant de ses investissements à hauteur de
2.320.000.000 F CFA en principal dont le taux d’intérêt annuel applicable était de 28,32 % ; que l’application de ce taux amènerait sa créance à 12.330.217.673 F CFA ; qu’en outre, elle soutient que le protocole d’accord signé auquel se prévalait SOTELMA SA ne lui est pas opposable, aux motifs qu’il a été signé par une personne n’ayant aucune qualité pour le faire ;
Attendu que l’intimée SOTELMA SA sollicite, pour sa part, la rétraction de l’ordonnance querellée, en ce que la créance alléguée n’était ni certaine ni liquide, encore moins exigible ; qu’elle fait relever qu’en vertu d’une convention la liant à l’Etat du Mali dans laquelle celui-ci s’engageait à supporter les conséquences financières du litige qui opposait les deux parties, elles avaient signé un protocole d’accord en date du 30 mai 2018, homologué le 31 mai 2018 par le Tribunal de grande instance de la commune INI du district de Bamako ; que le paiement de la somme de 4.164.609.672 F CFA convenu avait été effectué par l’Etat du Mali ; qu’elle demande en outre de condamner la SQIM SA à lui payer la somme de 13.408.967.908 F CFA à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;
Sur la recevabilité de l’appel
Attendu qu’aux termes de l’article 15 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, le délai d’appel contre un jugement sur opposition est de trente jours, ce recours étant formé dans les conditions fixées par le droit national ;
Attendu, en l’espèce, que c’est le 17 février 2020 que la SQIM SA a relevé appel du jugement N°82/JGT rendu le 29 janvier 2020 par le Tribunal de commerce de Bamako ; que ce recours a été régulièrement formé et doit être déclaré recevable en la forme ;
Sur l’opposition de la SOTELMA SA
Attendu qu’aux termes des dispositions des articles 9, alinéa 2, et 10 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, l’opposition doit être formée par acte extrajudiciaire dans les quinze jours suivant la signification de la décision portant injonction de payer ; qu’en l’espèce, l’ordonnance portant injonction de payer ayant été signifiée le 30 septembre 2019, l’opposition formée le 08 octobre 2019 a donc été faite dans le délai ; que dès lors, il y a lieu de déclarer recevable l’opposition de la SOTELMA SA ;
Sur les mérites du jugement attaqué
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à la cassation de l’arrêt n° 25/ARRET du 14 avril 2021 susvisé, il y a lieu d’infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
Sur la procédure d’injonction de payer
Attendu qu’aux termes des dispositions combinées des articles 1 et 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, pour être soumise à la procédure d’injonction de payer, la créance poursuivie doit être d’origine soit contractuelle, soit cambiaire et présenter le triple caractère de certitude, de liquidité et d’exigibilité ;
Et attendu en l’espèce, que la créance dont le recouvrement est poursuivi n’est nullement d’origine contractuelle ou cambiaire ; qu’en effet, il ressort même de la requête de la SQIM SA, que la créance réclamée représenterait des intérêts ayant couru à la suite de l’Arrêt N°104/2019 rendu par la Cour de céans ; qu’en outre, cette créance, contestée par la SOTELMA SA en raison du paiement effectué par l’Etat du Mali dans le cadre d’un protocole d’accord signé par les parties, n’est ni certaine ni exigible ; qu’au demeurant, le montant réclamé de 12.330.217.673 F CFA a été unilatéralement arrêté par la SQIM SA en appliquant un taux de 28,32 % sur le montant de 2.320.000.000 F CFA qui représente le montant de ses investissements ; que de tout ce qui précède, il y a lieu de dire et juger que la créance dont le recouvrement est poursuivi échappe à la procédure d’injonction de payer et, en conséquence, de rejeter la demande de la SQIM SA ;
Sur la demande reconventionnelle
Attendu que la SOTELMA SA réclame, à titre reconventionnel, la condamnation de la SQIM SA au paiement de la somme de 13.408.967.908 F CFA à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive et vexatoire ;
Attendu qu’au regard des circonstances de la cause, l’action de la société SQIM SA contre la SOTELMA SA, revêt effectivement un caractère vexatoire et malicieux ; que cependant la demande, justifiée en la forme, est exagérée quant à son quantum ; que la Cour fixe à la somme de dix millions (10.000.000) F CFA le montant de la juste réparation ;
Sur les dépens
Attendu que la société Seaquest-Infotel Mali SA, succombant, sera condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare irrecevable le mémoire en réponse de la Société des Télécommunications du Mali SA ;
Casse l’Arrêt n° 25/ARRET du 14 avril 2021 rendu par la Cour d’appel de Bamako ;
Evoquant et statuant sur le fond :
Reçoit l’appel de la société Seaquest-Infotel Mali SA ;
Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement N°82/JGT rendu le 29 janvier 2020 par le Tribunal de commerce de Bamako ;
Statuant à nouveau :
Dit et juge que la créance dont le recouvrement est poursuivi échappe à la procédure d’injonction de payer ;
En conséquence, rejette la demande de la société Seaquest-Infotel Mali SA ;
Condamne, à titre reconventionnel, la société Seaquest-Infotel Mali SA à payer à la Société des Télécommunication du Mali SA, la somme de dix millions (10.000.000) F CFA ;
Condamne la société Seaquest-Infotel Mali SA aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier