ORGANISATION POUR L’HARMONISATION EN AFRIQUE DU DROIT DES AFFAIRES (OHADA) --------- COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA) ------- Troisième Chambre ------------ Audience publique du 30 mars 2023 Recours : n° 162/2020/PC du 30/06/2020 Affaire: SOCIETE CAMBANIS AND COMPANY SARL (Conseils : Cabinet DJEEGIP Stephan et Associés, Avocats au Barreau du Cameroun)
Contre NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin (Conseil : Maître KAMAKO Martin, Avocat à la Cour)
Arrêt N° 067/ 2023 du 30 mars 2023 La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Troisième chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 30 mars 2023 où étaient présents :
Monsieur Mahamadou BERTE, Président Madame Afiwa-Kindena HOHOUETO, Juge Monsieur Jean-Marie KAMBUMA NSULA, Juge, rapporteur
Et Maître Valentin N’Guessan COMOE, Greffier ; Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans en date du 30 juin 2020 sous le N° 162/2020/PC, et formé par le Cabinet DJEEGIP Stephan & Associés, Avocats au Barreau du Cameroun, demeurant au 726, Rue Boué Lapeyrère à Akwa B.P 2614, A, agissant au nom et pour le compte de la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl dont le siège social est au lieu-dit X, quartier de Bonabéri, B.P : 4061 A au Cameroun, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, Monsieur Ab B, dans la cause qui l’oppose à Monsieur NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin, Président Directeur Général de société, demeurant à 1, Rue Prince de Galles B.P. 2516 A, Cameroun, ayant pour Conseil le Cabinet Martin KAMAKO, Avocat au Barreau du Cameroun, Etude sise 2ème Etage Ancien Ac Aa, Akwa, B.P. 2643 A,
en cassation de l’arrêt N° 184/COM du 17 août 2018 rendu par la Cour d’appel du Littoral, statuant en matière commerciale (opposition à injonction de payer) dont le dispositif suit :
« Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties, en chambre commerciale, en appel et en dernier ressort, en collégialité et à l’unanimité ;
En la forme -Reçoit l’appelante en son recours ;
Au fond -Confirme le jugement entrepris ;
-Condamne l’appelante aux dépens. ». La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les quatre moyens de cassation contenus dans la requête annexée au présent arrêt ; Sur le rapport de Monsieur Jean-Marie KAMBUMA NSULA, Juge ; Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique ; Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ; Attendu qu’il résulte des éléments du dossier de la procédure que, saisi d’une requête aux fins d’injonction de payer du 24 octobre 2016 par sieur NGASSA NGUELOHE, le Président du Tribunal de grande instance du Wouri à A rendit en date du 05 décembre 2016 l’ordonnance N° 173/2016 enjoignant à la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl à payer au requérant la somme en principal de 101.700.000 (Cent un millions sept cent mille) Francs CFA, augmentée de la somme de 10.170.000 ( Dix millions cent soixante-dix mille) Francs CFA au titre d’intérêts et frais divers, soit au total la somme de 111.870.000 Francs CFA ; que la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl forma opposition contre ladite ordonnance et servit en même temps assignation à comparaître devant ledit tribunal, respectivement au sieur NGASSA NGUELOHE, à Maître KOUBEL YITH Lydienne, Huissier de justice à A et au Greffier en Chef ; que par son jugement N° 219/COM du 25 avril 2017, le tribunal déclara nul, pour violation de la loi, l’exploit introductif d’instance en ce qu’il ne fait pas mention de la date comme l’exige l’article 6 du code de procédure civile et commerciale du Cameroun ; que saisie d’un appel relevé en date du 02 mai 2017 par la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl, la Cour d’appel du Littoral à A confirma dans toutes ses dispositions le jugement entrepris par son arrêt N° 184/COM du 17 août 2018, dont pourvoi en cassation ; Sur la compétence de la Cour
Attendu que, dans son mémoire en réponse du 25 février 2021, le défendeur soulève l’incompétence de la Cour de céans au motif que l’arrêt qui lui est déféré ne fait aucune allusion à la violation d’une règle de droit communautaire, les seules dispositions légales sur lesquelles la Cour d’appel du Littoral s’est fondée pour confirmer la décision du premier juge étant les articles 6 et 602 du code de procédure civile et commerciale du Cameroun ; qu’il soutient à cet égard que la seule référence à des dispositions d’un Acte uniforme, dans l’argumentaire des parties au litige, notamment l’article 12 de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, comme c’est le cas en l’espèce, ne peut suffire à justifier la compétence de la Cour de céans ; Que répliquant, la requérante fait observer qu’en affirmant qu’au regard de l’article 14 du Traité OHADA, la Cour de céans ne peut connaître que des décisions qui soulèvent des questions relatives à l’application des Actes uniformes, le défendeur fonde la compétence de la Cour sur les moyens de droit retenus par les juges ayant statué en premier et dernier ressort, alors que selon la disposition sus indiquée, seule la nature de l’affaire peut fonder la compétence de celle-ci ; qu’en l’espèce la nature de l’affaire en cause est la procédure simplifiée de recouvrement et des voies d’exécution régie par les dispositions des articles 1 et suivants de l’AUPSRVE ; que par ailleurs les pourvois en cassation qui comportent les moyens fondés sur les dispositions de l’Acte uniforme OHADA et ceux fondés sur les dispositions de droit interne, dits pourvois mixtes, justifient tout aussi la compétence de la Cour ; Attendu qu’il ressort de l’article 14, alinéas 1 et 3, du Traité de l’OHADA que : « la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage assure l’interprétation et l’application communes du Traité ainsi que des règlements pris pour son application, des actes uniformes et des décisions. Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’Appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales. » ; Attendu qu’en l’espèce, bien que l’arrêt déféré ne s’est prononcé que sur la saisine du premier juge, question relevant du droit interne, en l’occurrence le code de procédure civile et commerciale du Cameroun, le litige opposant les parties, en lui-même, soulève des questions relatives à l’application de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en particulier la procédure d’injonction de payer ; qu’il échet pour la Cour de rejeter l’exception et se déclarer compétente ; Sur le deuxième moyen de cassation pris de la dénaturation d’une pièce de procédure
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, par dénaturation de pièce, déclaré nul l’exploit d’assignation des 09/12/2016 et 13/12/2016 aux motifs que l’examen des pièces du dossier de la procédure révèle que l’exploit introductif d’instance ne mentionne pas la date à laquelle il a été dressé selon la formule usuelle « l’an deux mille seize et… » mentionnée au début de l’acte ; que cette date qui marque le déclenchement de l’action permet également au juge de s’assurer du respect du délai de prescription de celle-ci par le demandeur, alors, selon le pourvoi que, d’une part, l’exploit d’assignation mentionne trois dates correspondant aux jours et heures auxquels il a été servi aux personnes concernées et, d’autre part, que cette motivation corrompt l’acte d’assignation dont il s’agit, d’autant plus que l’article 6 du code de procédure civile et commerciale du Cameroun qui régit les mentions que doit comporter une assignation, n’indique pas un emplacement spécifique de la mention de la date de l’acte ; Attendu que, pour prononcer la nullité de l’assignation, l’arrêt retient que : « l’exploit introductif d’instance litigieux ne mentionne pas la date à laquelle il a été dressé selon la formule usuelle [l’an deux mille seize et le…] (…) ; que le Tribunal de grande instance du Wouri, s’étant rendu compte que l’exploit introductif d’instance n’est pas daté, a, à bon droit tiré les conséquences de cette carence ainsi constatée en le déclarant nul ; »
Attendu cependant, qu’en statuant ainsi, alors que dans l’acte en cause il est écrit les dates : « 09/12/2016, à 14h 06, 09/12/2016 à 14h 24 et 13/12/2016 à 13h40 » au regard des noms des parties qu’il concerne, les juges du fond ont dénaturé le contenu dudit acte ; qu’il échet de casser l’arrêt déféré et d’évoquer conformément à l’article 14, alinéa 5, du Traité OHADA, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens ; Sur l’évocation
Attendu que, par sa requête du 25 avril 2017 adressée à Monsieur le Président de la Cour d’appel du Littoral et enregistrée au greffe de ladite Cour le 02 mai 2017 sous le numéro 1203, la Société à responsabilité limitée CAMBANIS AND COMPANY, agissant par son représentant légal Monsieur Ab B, a interjeté appel contre le jugement n° 219/COM rendu en date du 25 avril 2017 par le Tribunal de grande instance du Wouri statuant en matière commerciale dans la cause l’opposant à Monsieur NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin, dont le dispositif est ainsi conçu :
« --- Publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties, en chambre commerciale et en premier ressort ;
--- Déclare nul pour violation de la loi l’exploit introductif d’instance sans date de Me OWONA née Ad C, Huissier de justice à A ;
--- Condamne la société opposante aux dépens ; » ; Attendu qu’à l’appui de son appel, elle soutient d’abord que l’affirmation du premier juge selon laquelle son exploit introductif d’instance ne contient pas de date est erronée ; qu’en effet l’original de l’acte d’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer n° 173/2016 contenant assignation comporte bien les dates de sa signification aux différentes parties auxquelles elle a été servie ; que c’est donc à tort que le premier juge a prononcé son annulation sur pied de l’article 6 du code de procédure civile et commerciale du Cameroun, disposition qui, selon elle, n’est pas d’ordre public ; et qu’en procédant ainsi, il a statué ultra petita dans la mesure où dans ses conclusions, le défendeur n’avait jamais sollicité la nullité de l’exploit introductif d’instance ; qu’elle ajoute que le premier juge étant demeuré muet sur la recevabilité et le bienfondé de son opposition, elle sollicite du juge d’appel d’y faire droit en rétractant l’ordonnance en cause, aux motifs, d’une part, que la créance réclamée ne remplit pas les conditions de l’article 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, en ce qu’il n’existe pas de lien contractuel entre elle et l’intimé NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin et, d’autre part, que l’acte de signification de cette ordonnance, n’ayant pas fait mention des intérêts, doit être annulé pour violation de l’article 8(1) du même texte ; Attendu que, s’agissant de l’inexistence du lien contractuel, elle soutient que la société qui a contracté le bail est en réalité la Société Jean CAMBANIS SA, aujourd’hui en liquidation, et que le sieur NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin qui, dans sa requête aux fins d’injonction de payer, affirme que la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl était anciennement dénommée Société Jean CAMBANIS SA, ne rapporte pas la preuve de la fusion, de la scission ou de la transformation de celle-ci en celle-là, de sorte que les deux personnes morales sont distinctes ; qu’en effet, non seulement la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl a vu le jour le 02 avril 2014 et ne pouvait avoir signé un bail datant du 1er février 2013, mais aussi, en mettant la Société Jean CAMBANIS SA en demeure d’avoir à respecter les clauses et conditions du bail, le requérant lui-même reconnaissait celle-ci comme débitrice de l’obligation de payer le loyer ayant donné lieu à l’ordonnance en cause ; que ce faisant, il n’existe pas à sa charge une créance certaine, liquide et exigible justifiant l’injonction de payer ; Attendu qu’en réplique, l’intimé NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin plaide, d’une part, la nullité de l’exploit ayant saisi le premier juge, en faisant valoir les mêmes motifs que ceux invoqués par ce dernier, et sollicite la confirmation du jugement entrepris ; d’autre part, la confirmation de l’ordonnance d’injonction de payer litigieuse ; qu’à ce sujet, tout en reconnaissant que le bail a été conclu entre lui et la Société Jean CAMBANIS SA, il soutient cependant qu’après ce contrat, c’est la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl qui exploite tant les lieux que l’activité subséquente au contrat dont question, et qui a continué à payer les loyers, tel qu’en font foi les effets émis en son nom en règlement des loyers les 29 juin 2015, le 08 et le 21 juillet 2015, le 29 septembre 2015, le 26 octobre 2015 et le 06 novembre 2015 ; qu’il s’agit dans ce cas de figure d’une cession de bail au sens de l’article 118 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, et qui fait obligation à l’appelante de lui payer plus de 150.000.000 F CFA d’arriérés de loyers échus et impayés dont la présente procédure est destinée au recouvrement partiel de la somme de 111.870.000 F CFA ; Sur la nullité de l’assignation
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux ayant justifié la cassation de l’arrêt, il y a lieu de recevoir l’assignation par infirmation du jugement entrepris ; Sur le bienfondé de l’opposition
Attendu qu’aux termes des articles 1 et 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, le recouvrement d’une créance certaine, liquide et exigible peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer. Cette procédure peut être introduite lorsque la créance a une cause contractuelle ou lorsque l’engagement résulte de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce, ou d’un chèque dont la provision s’est révélée inexistante ou insuffisante ; Attendu, en l’espèce, qu’il ressort des pièces du dossier que le bail dont la poursuite du recouvrement des loyers a donné lieu à la présente procédure d’injonction de payer a été conclu entre l’intimé et la Société Jean CAMBANIS SA ; que lors de l’Assemblée Générale mixte de cette société tenue à son siège à A, en date du 06 janvier 2015, ses actionnaires ont, à l’unanimité, décidé de sa dissolution anticipée et sa mise en liquidation amiable, ainsi que de la nomination de deux liquidateurs disposant des pouvoirs les plus étendus notamment d’administration et de représentation de la société dissoute vis-à- vis des tiers ; que, dans ces conditions, la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl ne saurait être perçue comme la transformation de la Société Jean CAMBANIS SA, ainsi que l’a prétendu l’intimé dans sa requête aux fins d’injonction de payer ; qu’il en résulte que la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl est tiers au bail dont le sieur NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin réclame les arriérés de loyers suivant la procédure d’injonction de payer ; que s’agissant d’une société en liquidation, l’article 230, alinéas 1 et 2, de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique prescrit que : « le liquidateur représente la société qu’il engage pour tous les actes de la liquidation. Il est investi des pouvoirs les plus étendus pour réaliser l’actif, même à l’amiable. » ; qu’aux termes de l’article 231, alinéa1 du même Acte uniforme, le liquidateur est habilité à payer les créanciers et à répartir entre les associés le solde disponible ; que ce faisant, pour le recouvrement de sa créance, sieur NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin avait la latitude de s’adresser aux liquidateurs de la Société Jean CAMBANIS SA en liquidation, sa débitrice et ceci d’autant plus qu’aucune pièce du dossier ne renseigne sur une quelconque cession de cette créance au sens de l’article 118 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, lequel requiert sa signification par voie d’huissier de justice ou sa notification au bailleur ; ce qui n’étant pas le cas en l’espèce, il y a lieu, faute d’existence d’une créance remplissant les conditions prévues par l’article 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, de déclarer fondée l’opposition formée par la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl, et de débouter sieur NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin de sa demande ; Sur les dépens
Attendu que sieur NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin ayant succombé, sera condamné aux dépens de l’instance ; PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, après en avoir délibéré, Casse l’Arrêt N° 184/COM rendu le 17 août 2018 par la Cour d’appel du Littoral ; Evoquant et statuant au fond : Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau : Déclare recevable et fondée l’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer formée par la Société CAMBANIS AND COMPANY Sarl ; Déboute sieur NGASSA NGUELOHE Jean Mathurin de sa demande aux fins d’injonction de payer ; Le condamne aux dépens. Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président Le Greffier